SOIT DIT EN PASSANT
20 Avril 2016


Naziha et les autres…
malika boussouf
journaliste, écrivaine


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Par Malika Boussouf
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Il est des jours comme ça où notre mémoire se réveille sur un fait précis, comme dans mon cas
sur cette rencontre, un jour de 1998, à Bentalha, avec un groupe de jeunes filles.
Des survivantes d’une tragique réalité, imposée par le terrorisme islamiste. On ressent alors
le besoin impératif de faire une halte, s’arrêter, pour revisiter la surprenante trajectoire que la vie a,
depuis, tracée à chacun d’entre nous.Sans doute éprouve-t-on, parfois de façon absolue, la nécessité
de faire le point sur ce passé sanglant qui perturbe encore nos nuits, près de vingt ans après. Naziha
n’a plus 19 ans, mais, à l’époque déjà, je l’avais trouvée trop mûre pour son âge. De sa voix grave,
elle m’avait raconté comment, au lendemain de la tragédie, après que, en l’absence de son père,
son oncle et son beau- frère eurent été froidement égorgés à quelques pas de la maison,
elle avait décidé qu’elle n’aurait «plus jamais peur d’avancer». En même temps qu’elle veillait à ce
qu’ils ne l’entendent pas, elle m’avait confié comment des jeunes gens du village que l’on avait enrôlés
pour défendre les survivants s’étaient transformés en teigneux gardiens de ce territoire en partie dévasté.
Les armes prêtant toujours à ceux qui les portent un sentiment de puissance, les nouveaux chefs
veillaient à ce que rien ne soit révélé aux étrangers de passage, à l’exception des enquêteurs officiels.
Au lendemain du drame, Naziha regarda son avenir comme relevant d’une sainte bénédiction.
Elle s’était dit que si le sort avait décidé de l’épargner, il fallait qu’elle lui manifeste sa reconnaissance
en contribuant, à sa manière, à changer le cours des choses. Armée de cette force qui guide les belles
personnes de son âge, elle s’en était allée frapper aux portes du voisinage pour affronter et convaincre
les autres parents de laisser à leurs jeunes filles la liberté d’apprivoiser l’extérieur et le minimum interdit
jusque-là. Il devenait urgent pour elles de se familiariser avec les rudiments qui leur permettraient
d’affronter l’avenir avec plus de bagage et moins de frayeur. Naziha et les autres n’avaient, alors,
jamais mis les pieds à Alger !


M. B.