Naziha !
SOIT DIT EN PASSANT
19 Avril 2016
Naziha !
malika boussouf
journaliste, écrivaine
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Par Malika Boussouf
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Il est des jours comme ça où, lorsque des souvenirs remontent à la surface comme de grosses vagues que
la mer rejette violemment sur le rivage, je me dis qu’il est temps de s’autoriser à en conter au moins une partie.
Ce jour-là, même si la tête est voilée, la voix et le regard, eux, ne me sont, peut-être, déjà plus étrangers.
Lorsque Naziha m’a légèrement secoué l’épaule puis rappelé qui elle était, j’avoue avoir eu honte de m’être
autant protégée de ce que j’avais, alors, vu et entendu. En mai 1998, une année après les massacres
de Raïs et Bentahla, le Soir d’Algérie montait un dossier pour la Journée internationale de l’enfance.
Le traumatisme chez les enfants victimes de terrorisme était tout indiqué pour alerter sur les conséquences
des tueries en masse sur les générations futures. Une psychologue émérite, croisée quelques jours auparavant,
m’avait orientée vers l’une de ses consœurs qui opérait sur place. Je voulais à tout prix y rencontrer des enfants et
j’y ai vu d’abord des adultes au destin brisé.A la demande des autorités, elles avaient monté une équipe qui tentait
de soigner les blessures de l’âme d’enfants qui avaient survécu à la barbarie des groupes islamiques armés
mais qui n’en étaient pas moins profondément ébranlés. A mes retrouvailles avec Naziha, le voile s’est très vite levé.
Raïs et Bentahla ! Deux massacres à grande échelle et deux villages presque entièrement décimés
en l’espace d’un mois.Ceux qui n’avaient pas les moyens de fuir le triangle de la mort y sont restés et
c’est là que j’ai rencontré des jeunes filles, à peine sorties de l’adolescence, des adultes et des enfants.
Naziha, alors âgée de 19 ans, m’avait volontairement servi de guide tout en me racontant son histoire et
celles de voisines qu’elle s’était empressée de me présenter. Elles étaient toutes
là, regroupées dans une ancienne écurie où, à même le sol, celles qui avaient des notions de couture
les enseignaient à celles qui, avant la tragédie, n’avaient jamais mis le nez dehors.L’endroit sentait le crottin
de cheval tandis qu’elles étaient dix, au moins, à parler en même temps, à raconter le soir du drame et les jours d’après…
M. B.
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