Chronique du jour
Ici mieux que là-bas
12 Avril 2015

Les tribulations de KhaledPar Arezki Metref
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Franchement, les suites de la chronique sur Chahlet Laâyani et sur son auteur, Abdelhakim Garami, ont été réactives, foisonnantes. Et la plupart du temps intéressantes. Un et même plusieurs messages ont concerné l’énigmatique cheikh Mohamed Zerbout, premier interprète de ce qui allait devenir un tube, dont l’exil calamiteux serait, pour ainsi dire, «légitime» puisqu’il aurait quitté l’Algérie pour cause de positions troubles à l’égard de l’occupant. Certains vont même jusqu’à m’écrire que, pour cette raison, il méritait la vie difficile qu’il a connue.
J’ai aussi reçu quelques témoignages de différentes personnes qui auraient identifié, à des endroits différents, Chahlet Laâyani, cette femme qui a inspiré Garami, sans vouloir donner plus de précisions pour des raisons évidentes de respect de la vie privée… D’où la difficulté à écrire notre histoire culturelle.
Cette chronique a montré, à travers toutes ces réactions, combien la musique peut être au cœur d’une identité culturelle, et combien, de ce fait, elle devient un enjeu.
De nombreux exemples en attestent. C’est d’ailleurs sous ce signe que s’est tenu cette semaine au Cap-Vert l’AME (Atlantic Music Expo), ce grand marché de la musique qui célèbre la création artistique, seule ambassade, dit-on, de ces îles qui ont donné une Cesaria Evora.
D’ailleurs, son ministre de la Culture, Mario Lucio, l’un des rares auteurs compositeurs au monde à avoir provisoirement laissé ses instruments pour assumer la charge d’un maroquin(1), le déclare : «Quand on dit que notre seul pétrole, c’est la musique, je réponds que la différence fondamentale, c’est que cette ressource-ci ne s’épuise pas.»
Ceux qui se demandent, à raison très certainement, pourquoi les musiciens, les chanteurs sont toujours plus populaires que les autres artistes et intellectuels, qu’ils sachent que, outre les bénéfices du Star système qui indexe la célébrité aux tintements du tiroir-caisse, il faut aussi en convenir, la musique agit sur nous d’une façon très particulière.
Un jour, le peintre Wassily Kandinsky, soucieux des effets de l’art sur l’âme humaine, assista à une représentation de l’opéra de Wagner, Lohengrin. Il avoua avoir ressenti une «synesthésie», mot savant pour décrire une vibration de l’être tout entier. C’est ce qu’on appelle chez nous le tarab.
Ce qui me conduit à poursuivre ce propos sur la musique, enjeu ici, en évoquant notre bon vieux Cheb Khaled. Décidément, ça ne semble pas être sa semaine ! Une vidéo pirate le montre entrant, visiblement encadré par des officiels, dans le consulat d’Algérie de Vitry-sur-Seine, en France, sous les huées de quelques compatriotes irascibles lui criant : «Espèce de traître, va au Maroc !»
On pourrait comprendre qu’excédés par l’octroi de la nationalité marocaine du chanteur par le souverain Mohammed VI – on peut être roi du Maroc et fan de Khaled, les rapports entre raï du roi et roi du raï n’étant pas interchangeables –, des jeunes lui jettent l’insulte à la face.
En réalité, cela ne regarde que lui. Marocain ? Et après ! A cet égard, personne n’a le droit de le juger. D’autant que, touché visiblement par la campagne de dénigrement suite à cette affaire, il a cru bon rétablir l’équilibre en se mettant complaisamment au service du pouvoir de Bouteflika. On peut revoir le fameux clip de 2014 où il s’éclate, avec d’autres, dans la célébration tarifée du Guide de la Nation.
C’est que ce n’est pas de tout repos d’être un enjeu ! Et qu’il le sache ou pas, d’une certaine façon, Khaled en est un.
Cependant, il faut lui rendre ce qui lui appartient. Comme ce véritable acte de bravoure. Devant se produire au Maroc en 2008, Khaled se voit proposer du fric pour s’aligner sur les positions marocaines sur le Sahara occidental. Il refuse. Il se fait alors agresser sur scène où il reçoit des bouteilles de verre qui le blessent. Toute la soirée, il est copieusement insulté par un public chauffé à blanc. Les organisateurs de ce piège n’avaient pas oublié que lors d’un concert à Madrid, toujours en 2008, Khaled avait exhibé un drapeau de la RASD.
Mais la pire des choses qui pouvait lui arriver vient de lui tomber dessus comme un météore. Didi, son tube planétaire, a été reconnu par la justice comme un plagiat. Didi ? Oui, cette chanson qui l’avait propulsé en 1992, sous les sunlights du monde entier, arrangée par Don Was, producteur des Stones, et Michael Brook. Rabah Zaradine, Cheb Rabah de son nom de scène, a convaincu visiblement le tribunal que Khaled avait tiré son Didi de Eli Kan, sa chanson à lui, produite à Alger en 1988. Plagiat ? Oui, tranche le tribunal et j’avoue qu’en écoutant les deux chansons, on ne manque pas d’être troublés par la similitude.
Khaled doit casquer grave : deux fois 100 000 euros et la restitution des droits d’auteur perçus sur la chanson et dans le monde entier depuis 2003.
Et sans doute le fric n’est-il pas la pire des punitions. La pire, c’est de tomber de son piédestal. Mais il semble qu’il ne soit pas tombé pour tout le monde. Mon vieux pote Nadir Bacha aurait entendu une autre version de cette histoire. Où est la vérité ? Va savoir…
Le fait est que, selon les sources de Nadir Bacha, le ci-devant Cheb Rabah, auteur de la chanson, aurait jadis cédé les droits à Khaled de façon informelle. Comme qui dirait de main à la main, ni vu ni connu.
Puis lorsque Khaled a fait passer la chose du stade de chansonnette bricolée pour une cassette à celui de tube international, l’appétit serait venu. Judiciairement parlant, tout est en règle. Mais moralement, si tant est qu’on puisse parler de morale ?
A. M.

1) Il y en a quelques-uns, célèbres… Mélina Mercouri, actrice et chanteuse, a été ministre de la Culture en Grèce et Gilberto Gil au Brésil de Lula…

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