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    Post L’héroïsme de Chantal Lefèvre

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    01 Novembre 2015

    L’héroïsme de Chantal Lefèvre
    Par Arezki Metref
    [email protected]
    A. M.



    Des fois comme ça, tu te mets, soudain, à désespérer du genre humain. Tu broies du noir, rumines de l’ébène, et l’envie te prend presto de trouver une corde pour te pendre ou une arme pour dézinguer. Pfffft !... Le monde te paraît moche et la vie pas folichonne, voilà tout. Et puis, le miracle se produit. Dans les replis d’obscurité où tu te trouves cloitré, te parvient une lumière. Elle vient d’où, cette lumière ?
    Tu sais seulement qu’elle se met à chasser
    les miasmes de la lassitude et des moisissures…
    Oui, parfaitement, j’insiste, il y a des héros positifs ! Non, pas au cinéma. Pas ceux de la caricature taillée dans la glaise du Bien et du Mal détourés par les scénaristes et le final cut. Non, pas ça ! Trop facile ! Des héros positifs dans la vie. Des gens ordinaires, comme toi et moi sauf qu’eux,
    ils te filent le courage de te battre et celui de vaincre la bêtise.
    Dans ce monde rempli de noirceur et de désenchantement, on peut croiser çà et là ces personnes qui te redonnent le goût de l’humanité. Tu les reconnais au soleil invisible tatoué sur leur front. Rien d’ostentatoire. Juste quelque chose qui irradie. Et c’est l’un d’entre eux qui vient de nous quitter, ou plutôt l’une d’entre eux puisqu’il s’agit de Chantal Lefèvre. Une longue maladie, comme on dit. Elle décède à l’âge de 69 ans. Non, personnellement, je ne l’ai pas connue. Je l’ai croisée deux ou trois fois, comme ça, vite fait, mais en apprenant son histoire, je me suis dit : chapeau bas ! Voilà quelqu’un de bien. De courageux. Une passerelle qui relie le passé au présent mais en opérant la rupture de sens entre le passé colonial de sa famille et sa présence souveraine dans l’Algérie d’aujourd’hui.
    Qu’avait-elle donc d’héroïque ? Eh bien, elle a osé revenir en Algérie et quand ? Au début de la décennie noire. Lorsque des milliers d’Algériens prenaient la tangente dans le sens inverse. Ils partaient en catastrophe vers des cieux plus quiets, elle revenait se jeter dans la tourmente algérienne. Elle avait décidé de la faire sienne. Elle aurait pu rester en Europe et pleurer son Andalousie perdue comme beaucoup de pieds-noirs. Non, elle a décidé de franchir le pas.
    Fille de pieds-noirs, peu préparés à l’indépendance de l’Algérie,
    elle quitte son pays natal en 1962, à l’âge de 16 ans.
    Commence alors pour elle une longue errance à travers la France et l’Espagne où elle s’installe.
    En 1985, elle revient en Algérie. «En touriste», dit-elle.
    Une première fois. Puis l’année d’après. C’est le début du cycle du retour ponctué d’allers et venues entre l’Europe et l’Algérie. Et la période qu’elle choisit coïncide avec le début de la descente aux enfers en Algérie. Ce qui la rend héroïque, à mes yeux du moins, c’est qu’elle décide de revenir s’installer définitivement en Algérie en 1993, année de la grande hémorragie des Algériens vers l’Europe. Nous sommes en pleine période d’attentats. C’est le règne de la mort au petit matin. Tous les jours, des dizaines de personnes étaient abattues. Même des Algériens d’origine européenne, restés après l’indépendance pour partager le sort de leur peuple, ont dû, pour quelques-uns, partir à ce moment-là.
    Plus héroïque encore, c’est que Chantal Lefèvre revient à Blida, ville quasiment interdite à l’époque tant les islamistes en avaient fait leur fief. C’est là, dit-on, que Nahnah est venu
    la trouver pour la rassurer : «Vous n’avez pas à avoir peur, ma fille.»
    Ce à quoi elle aurait répondu : «Je n’ai pas peur. Je n’ai rien fait à personne.»
    Blida, en ces années-là, c’est le règne de la terreur. Les rues sont quadrillées par les islamistes, ils y font la loi. Européenne, Chantal Lefèvre vaque à ses occupations, au mépris de la mort. Le fait même de se rendre à son travail est chargé de périls. Mais Chantal Lefèvre brave le danger à Blida et dans le reste du pays puisque la nouvelle mission qu’elle s’est donnée – reprendre l’imprimerie et la librairie Mauguin — exige d’elle des déplacements à travers l’Algérie en proie à toutes les violences.
    Née à Alger, Chantal Lefèvre a un ancrage familial à Blida puisque son arrière-grand-père maternel, Alexandre Mauguin, y a fondé la première imprimerie d’Algérie en 1857.
    Et depuis, l’imprimerie a fonctionné sans discontinuer.
    Mais ça, c’est de l’histoire ancienne à laquelle elle a su superposer une nouvelle histoire. Celle qu’elle a filée avec l’Algérie qui espère. Elle a dû se battre pour remettre en route l’imprimerie, une véritable institution, croulant sous les dettes. Elle a su entrer
    en symbiose avec le personnel de l’imprimerie et redresser l’affaire avec lui.
    Elle se bat contre les blocages, rénove et modernise l’imprimerie, redonne du lustre à la librairie Mauguin, redevenue le cœur battant de la vie intellectuelle et artistique de Blida, et (re)lance les éditions du Tell qui alignent aujourd’hui un catalogue de qualité porté sur la réflexion sur la littérature et l’histoire. Lancer ? En fait, Alexandre Mauguin, l’aïeul, avait fondé un journal local, Le Tell de la Mitidja. L’héroïsme de Chantal Lefèvre est non seulement d’être revenue se jeter dans le brasier algérien au moment où tout le monde le fuyait, mais aussi d’avoir su conférer un sens nouveau à une vieille histoire. Celle de la colonisation.
    On peut descendre d’une famille de pieds-noirs, nous dit-elle dans un message limpide, tout en étant attaché à l’Algérie souveraine, surtout dans ces instants où elle devient le pays de la douleur.
    A. M.
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    Post Deux ou trois bricoles à propos du destin

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    29 Novembre 2015

    Par Arezki Metref
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    Deux ou trois bricoles à propos du destin

    Le fatalisme voudrait que nul n’échappe à son destin. Mektoub ? Peut-être devrait-on y croire. Ce serait plus simple. Sinon comment expliquer l’inexplicable, autrement dit certaines coïncidences, et même une certaine fatalité ? Comment comprendre l’histoire de ce natif d’El-Asnam, miraculé du séisme du 9 septembre 1954 qui avait
    anéanti toute sa famille ?
    En désespoir de cause, il quitta la ville maudite, jurant de ne plus jamais y remettre les pieds. Et pour aller où ? A Agadir où il périra six ans plus tard, victime du terrible tremblement de terre de 1960.
    Echapper à un tremblement de terre pour mourir dans un autre n’a rien à voir avec le destin ?
    Quel destin ? Celui qui a bon dos certes, mais offre, en même temps, l’avantage d’anoblir la perte de sens. Au passage, souvenons-nous que l’obscurantisme peut aussi contaminer l’Etat, institution censée produire du sens dans une perspective rationaliste. Comment interpréter que, suite au séisme de 1980, les autorités aient décidé de supprimer le nom même d’El-Asnam, lequel, comme on le sait, signifie les statues. Celles-ci étant interdites et blasphématoires en islam, le changement de nom de la ville devenue Chlef atteste le fait que l’Etat cède aux intégristes comme le fit autrefois le calife Al Mansur, abandonnant Ibn Rochd
    à sa solitude et à sa lucidité.
    C’est un peu à ce destin-là que fait penser la mort de Kheireddine Sahbi, le jeune virtuose du violon fauché par les balles des raclures de Daesh, à Paris, le 13 novembre.
    Il n’était ni au Bataclan, ni à l’une des terrasses des cafés visés par les terroristes, pas même au restaurant. Il sortait d’une répétition de musique arabo-andalouse et il rentrait simplement à son domicile dans le 10e arrondissement de Paris.
    Ce sacré destin a voulu qu’il meure son violon à la main, comme un combattant de lumière contre les semeurs de ténèbres.
    C’est aussi sans doute le destin qui a fait que ce musicien que l’on dit hors pair, grandisse à Alger dans les pires années du terrorisme, et qu’il y échappe pour finir en martyr sur le pavé parisien.
    Musicien, il était aussi musicologue, inscrit à la Sorbonne pour parfaire sa formation. Il travaillait dans un lycée comme adjoint d’éducation pour financer sa passion. Quand on a poussé dans la décennie noire – il est né en 1986 – dans un pays où dominent la violence de masse et le crime politique, les issues sont bien connues.
    Désespoir, nihilisme, pulsions destructrices, tout ce qui peut pousser certains jeunes à se jeter dans les extrêmes. Lui, au contraire, a choisi un chemin d’espérance, celui de la culture et de sa forme la plus épurée, la musique.
    C’est encore le destin qui a mis sur le chemin des assassins de Daesh, cet autre Algérien, Djallal-Eddine Sebaâ, dans des circonstances presque similaires, au hasard d’un passage dans le quartier.
    Boulanger, la trentaine, il venait de quitter son cousin. On sait peu de choses sur lui, sinon qu’il fait partie de cette foule anonyme et indistincte qui en tout lieu, et de tout temps peut être la cible aveugle des terroristes. Comme beaucoup de nos jeunes, il a quitté l’Algérie pour une vie meilleure. Il a trouvé la mort.
    Kheireddine et Djallal font évidemment partie de ces 130 victimes que le destin a sacrifiées. Si j’en parle davantage ici que des 128 autres, ce n’est pas pour hiérarchiser la douleur. C’est parce qu’ils appartiennent à la génération de ces jeunes qui ont échappé à la furie de la terreur des années 1990 en Algérie, pour trouver la mort là où ils croyaient pouvoir lui échapper.
    Le destin ! ça fait penser aussi, et peut-être avant tout, à ce film célèbre de Youssef Chahine (1997) qui raconte la résistance à l’obscurantisme d’Ibn Rochd et de ses proches dans l’Andalousie du XIIe siècle, sous le calife Al-Mansur. Qu’est-ce que ça a à voir ? Tout !
    Pour mettre dans ses bonnes grâces les extrémistes musulmans, lointains ancêtres d’Al-Qaïda et de Daesh, le calife les autorisa à détruire par le feu les œuvres d’Ibn Rochd dont la tolérance religieuse et les concepts philosophiques ont influencé la pensée des Lumières. Afin de sauver ses ouvrages, les proches d’Ibn Rochd décidèrent d’en faire des copies et de les acheminer clandestinement vers des destinations éloignées de l’Andalousie sombrant dans la régression.
    Le film de Youssef Chahine, sorti l’année des grands massacres perpétrés par les GIA en Algérie (Raïs, Bentalha…), trouva son actualité et son acuité dans cette lutte entre un islam rationaliste et l’extrémisme qui, par glissement, finit par mener au meurtre.
    Notre Ibn Rochd du 20e siècle pourrait être Mohamed Arkoun, livré par le pouvoir de Chadli aux griffes d’un Al Qaradaoui fort de sa connivence avec les pouvoirs politiques anémiés qui, par son entremise, flirtaient avec les islamistes qui se sentaient pousser des ailes grâce au soutien de l’Occident dans ces années 1980 et 1990.
    Et voilà que de fil en aiguille, de petit compromis à l’insondable compromission, on en arrive à ce qui vient de se produire à Paris.
    Le destin ? Y a pas que ça !

    A. M.
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    Post Aït-Ahmed, l’ancêtre démocrate

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    27 Décembre 2015

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    Aït-Ahmed, l’ancêtre démocrate

    Par Arezki Metref
    [email protected]

    Et se déclenche le conclave des pleureuses ! Pour autant, doit-on, pour ne pas s’en mêler, se taire ? Et aussi, inévitablement, commence la polémique…
    On devrait parler d’autre chose, va !
    Je ne savais pas que mort, Aït Ahmed allait être encore plus clivant que vivant. Pourtant, l’évidence est là. A la nécrologie clean qu’on dresse de lui ici, répond un portrait plus contrasté là. Et ailleurs, c’est l’encens et ailleurs encore, le lance-flammes. Normal. Il y a ceux qui éprouvent de l’admiration à son égard, et ceux pour qui son parcours politique a été mitigé. On a le droit de l’admirer. On a aussi le droit de se poser des questions.
    Le vieux combattant flamboyant pour les uns, l’intellectuel contraint à un moment donné d’endosser le treillis, le politique fâché avec Machiavel pour les autres, nous a quittés. Je ne sais pas mais on avait l’impression qu’il était là et qu’il serait toujours là, splendide dans une sorte de jeunesse élégante, infroissable, éternelle. Avec un regard aussi vif que ses réparties étaient cinglantes, sa sape impeccable de play-boy décomplexé et son écharpe rouge de révolutionnaire qui n’a jamais retiré le mot «socialiste» de l’acronyme de son parti, même lorsqu’il fut passé de mode, on le croyait à jamais voué à redevenir jeune à chaque nouvelle génération. Politiquement, du moins dans sa capacité à intégrer de nouvelles idées, il demeura constamment jeune, davantage même et mieux que des jeunes, c'est-à-dire des personnes peu âgées.
    Mais son parcours aura-t-il été un sans-faute total ? De tels parcours n’existent pas, évidemment !
    Ayant vécu les étapes les plus héroïques de la Révolution algérienne sans jamais désarmer ni faire de son engagement un fonds de commerce comme ces moudjahidine qui ont fait payer au pays leur participation réelle ou supposée à la libération, il était là depuis si longtemps qu’on avait fini par céder à la croyance qu’il ne serait pas
    concerné par les basses contraintes biologiques de la vie et de la mort…
    Il avait fini par faire partie de notre paysage politique et intellectuel, un peu comme une masse critique qui veillerait à faire respecter une certaine forme de déontologie, voire de morale, en politique, ce lieu où toute déontologie se dissout dans le marigot où fourmillent la versatilité, l’imposture, et l’empirisme peu regardant sur les valeurs. On sentait qu’il était pour le moins une tête au- dessus de la moyenne de nos hommes et femmes politiques.
    Aït-Ahmed était un homme politique moderne et, dans le même temps, il continuait d’appartenir à la vieille école. Moderne, il avait acclimaté sa sensibilité politique, ce nationalisme libérateur autoritariste mâtiné de socialisme tiers-mondisant, au libéralisme politique post-Guerre froide. Celui qui avait appartenu aux instances dirigeantes clandestines du PPA et de l’OS, structures verticales très centralisées faisant primer l’efficacité sur le débat, le régalisme sur le droit du militant de base, avait su troquer ce vieil attirail contre les nouveautés de ces trente dernières années. Ses credo étaient devenus l’Etat de droit, la citoyenneté, la souveraineté populaire et la philosophie des droits de l’Homme.
    Mais ces valeurs ne l’ont-elles pas poussé à des faux-pas comme l’alliance, incompréhensible,
    y compris par une partie de la base du FFS, avec les
    islamistes ? Alliance étonnante de la part de celui qui avait lancé le slogan «Ni Etat policier, ni Etat intégriste».
    L’autre face de sa modernité est la maîtrise presque instinctive de la communication politique et de ses contraintes, notamment en termes de débat. Alors que les vieux briscards de sa génération s’exhibaient à la télévision lestés de leur autoritarisme quasiment inné et d’une irascibilité morbide devant la contradiction, s’exonérant comme de droit divin du besoin d’argumenter, Hocine Aït-Ahmed montra en maintes occasions qu’il n’avait rien à voir avec ces abonnés de la péroraison péremptoire. Il jouait le jeu de la contradiction, témoignait de sa maîtrise des dossiers, acceptait la compétition politique et respectait ses contradicteurs comme ses alliés. Une attitude totalement atypique pour quelqu’un qui avait été façonné dans le moule du nationalisme plébéien. Mais, en ce qui concerne le fonctionnement du FFS,
    le messianisme n’a-t-il pas pris pas le pas sur les rouages démocratiques ?
    Aït-Ahmed conservait de la vieille école certaines valeurs, comme celles de ne pas brader sa ligne politique au profit de compromis autour du pouvoir. C’est ce qui s’est passé en 1962 lorsqu’il se retira du pouvoir. Ce retrait, admirable pour certains, n’est pas nécessairement héroïque pour les autres. C’est à ce moment-là, pensent-ils,
    qu’il aurait fallu se battre pour infléchir le système de l’intérieur.
    Il tirait aussi de la fréquentation des milieux dirigeants nationalistes cette roublardise si caractéristique.
    Il faisait partie de ces hommes politiques qui savaient s’adapter à la modernité tout en gardant des principes. C’est sans doute le respect de ces derniers qui lui a assigné une vie entière d’opposant. Jamais il n’abandonna ses principes pour accéder au pouvoir, en dépit des demandes qui lui avaient été faites. Ce qui lui valut, et pas seulement de la part de ses détracteurs, la suspicion d’être meilleur critique que gouvernant.
    Il faut rappeler pour l'histoire qu’il fut le seul haut responsable du FLN à s'être élevé en 1962 contre l'interdiction du Parti communiste algérien (PCA) prononcée par le régime de Ben Bella. En 1963, il fut encore le seul historique à exprimer son opposition contre ce qu’on appela le Décret de la Honte, ce décret pondu par l’étroitesse arabo-musulmane qui stipulait que la nationalité algérienne était consubstantielle à la confession musulmane. Ce qui obligeait les Algériens d’autres confessions, fussent-ils des héros de la Révolution, à subir l’humiliation de faire une demande de nationalité. Si Fernand Yveton avait échappé à la guillotine, il aurait été contraint, à l’indépendance, de demander la nationalité algérienne.
    Aït-Ahmed fut aussi l’un des rares hauts responsables du FLN à concrétiser son opposition
    en prenant les armes avec la création du FFS en 1963.
    Cependant, concernant cet épisode, sa gloire ne fait pas l’unanimité. Des écrits, parfois inspirés peut-être par la rupture de la fraternité d’armes, remettent en cause son rôle ou y voient une diversion. Des avis sereins dans des milieux jadis très proches de lui considèrent que la création du FFS en 1963 a abouti objectivement à empêcher Krim Belkacem de prendre le leadership de l’opposition. De plus, le maquis du FFS s’est «soldé par quelques
    centaines de morts et la marginalisation de l’encadrement kabyle».
    Comment comprendre certaines de ses actions politiques comme l'accord avec Ben Bella en 1986 dit accord de Londres ou l’accord de Sant’Egidio en 1995 ? On ne peut cependant nier leur inscription dans une cohérence politique.
    Il y a des choses qu'on ne peut lui ôter. D'abord, son nationalisme précoce, durable et clairvoyant, pour ne pas dire intelligent. Ensuite, une intégrité jamais démentie. Enfin, une conviction profonde dans les droits de l'Homme. Il faut rappeler qu’il était l'un des rares hauts responsables de la révolution algérienne à avoir entrepris de longues études, son sujet de doctorat ayant précisément porté sur les droits de l'Homme…
    Il avait réussi la prouesse de traverser les périodes les plus terribles de l’histoire de ces 70 dernières années, au cœur de l’action, en ayant échappé à la liquidation et en gardant intactes ses convictions démocratiques,
    les transmettant au FFS et au-delà.
    En refusant d’être enterré au carré des martyrs d’El-Alia, ce Club-des-Pins des morts, il a voulu envoyer un dernier message de divorce avec un système qui a tout brouillé.

    A. M.
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    Post L’ethnologue et le vieux baroudeur

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    07 Février 2016

    L’ethnologue et le vieux baroudeur
    Par Arezki Metref
    [email protected]

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    Aux funérailles de Camille Lacoste Dujardin, l’autre jour, j’ai fait part à un ami de mon intention de lui consacrer un article, admiratif ajouté-je, car j’ai toujours été impressionné par l’amplitude de son travail de recherche sur les sociétés berbères et par sa capacité à intégrer notre culture dans toute son étendue, son ancienneté, mais aussi toute son âpreté. Elle en était si imprégnée et si attachée, elle en étudia si profondément les différents aspects, qu’elle finit par nous éclairer à bon escient sur nous-mêmes.
    Je me souviens, par exemple, de sa réaction rétive et offensive, à La domination masculine (Seuil, 1998), un ouvrage dans lequel Pierre Bourdieu, s’appuyant sur «le cas kabyle» comme sur «une archéologie objective de notre inconscient sexuel »,
    postulait l’incorporation résignée par la femme kabyle de l’ascendant des hommes.
    Elle y répondit d’abord par des articles puis, d’une certaine manière, par ce livre remarquable paru en 2008 qui s’intitule « La vaillance des femmes. Relations entre femmes et hommes berbères de Kabylie » (Editions la Découverte). Camille Lacoste-Dujardin soutenait qu’on ne pouvait arriver à la conclusion de Bourdieu que parce que, dans le meilleur des cas, on avait insuffisamment étudié le monde des femmes. Elle y décrit, par le menu, les contre-pouvoirs symboliques opposés par la femme kabyle au patriarcat. C’est un monde qu’elle connaissait bien et à propos duquel elle faisait autorité. L’ami que je rencontrai donc dans ce cimetière, qui partage la même admiration que moi à l’endroit de Camille-Lacoste Dujardin, approuva bien évidemment mon intention, mais il ajouta, avec même un soupçon d’agacement :
    - Et pourquoi tu ne parles pas de Si L’Hafid aussi ?
    Oui, bien sûr…Si L’Hafid vient de nous quitter, lui aussi, et il a droit à notre reconnaissance. Non seulement l’un n’empêche pas l’autre, mais le devoir de gratitude s’adresse aux deux, séparément et ensemble.
    Plus tard, je m’apercevrai de la difficulté de l’entreprise, quand commença cette quête parfois artificielle qui consiste à trouver des points communs autres que la concordance des dates de leur disparition respective, pour donner une cohérence au propos.
    Que peuvent avoir en commun cette anthropologue née le 1er mars 1929 à Rouen adoptée par une famille de Tisira, aux Iflissen, et un vieux baroudeur du FLN, Yaha Abdelhafid dit Si L’Hafid, né en 1933 à Aït Atsou,
    dans la commune d’Iferhounène, qui avait pris le maquis à la première heure, c'est-à-dire dès le 1er novembre 1954 ?
    A priori, rien ! Vraiment ?
    A la réflexion, on peut leur trouver bien des points communs. Notamment celui d’avoir vécu l’un et l’autre au cœur des événements marquants de l’histoire contemporaine de l’Algérie et des relations avec la France. Ensuite d’avoir eu
    une affection toute particulière pour ce pays au point de lui donner beaucoup de soi.
    Camille Lacoste Dujardin vécut avec son époux, le géopoliticien bien connu Yves Lacoste, en Algérie. Elle fut adoptée par une famille, au sein de laquelle elle approfondit sa connaissance de la langue apprise aux Langues Orientales.
    Si L’Hafid, lui, né dans une famille pauvre de Kabylie, mais néanmoins nationaliste, ne connaîtra d’école que celle de la destinée et de l’engagement. Jeune, il se trouvera comme beaucoup de montagnards de Kabylie contraint de traverser la mer pour gagner sa vie en France. Profession : ouvrier, bien sûr ! Mais, en ce début des années 1950, les milieux de l’émigration ouvrière algérienne sont en pleine effervescence nationaliste, et Si El Hafid parachève cette formation de militant indépendantiste qui le prépare à se jeter dans l’action aux premières heures. Il fallut attendre 2012 pour qu’il raconte cette séquence de son parcours dans un récit autobiographique plein de pudeur et d’humilité, «Ma guerre d’Algérie,
    Au cœur des maquis kabyles (1954-1962)» (Riveneuve, éditions).
    Camille Lacoste-Dujardin est allée bien au-delà de l’étude d’une population. Elle avait une réelle «solidarité et admiration pour la culture kabyle». Ses travaux sont inestimables et ont inspiré et mis sur la voie de la recherche de nombreux étudiants. Directrice de recherche émérite au CNRS, elle aligne une bibliographie impressionnante, en articles scientifiques et ouvrages. Cette recherche de toute une vie culmine dans le «Dictionnaire de la culture berbère de Kabylie» (La Découverte),
    somme de la cosmogonie culturelle kabyle.
    Si L’Hafid, officier de l’ALN, ne dormira pas sur ses lauriers à l’indépendance. Il sera l’un des fondateurs du FFS et reprendra le maquis pour se rebeller contre le despotisme du duo désaccordé Ben-Bella-Boumediène. Le dénouement tragique de cette histoire le conduira par la suite en exil où il poursuivra, avec l’auréole de l’héroïsme, son combat auprès de Hocine Aït Ahmed. Mais au bout d’années et d’années de militantisme dans le dénuement au sein de l’immigration ouvrière, Si L’Hafid rentre au pays, après l’instauration du multipartisme post-octobre 1988, en rupture avec Aït Ahmed. Le FFS s’est coupé en deux, lui aussi. Il racontera ce militantisme laborieux dans un autre livre paru en 2015, «FFS contre la dictature» (Koukou éditions).
    Camille Lacoste-Dujardin était une femme souriante, affable, humble et qui écoutait les autres avec une attention sincère. Si L’Hafid lui, en dépit de son âpre vie de baroudeur, après avoir mené deux guerres et des années d’un exil militant douloureux, avait gardé une simplicité proche de la candeur. Un autre point commun : l’humilité, la simplicité. C’est à cela que l’on reconnaît les grands !

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    Post Un désir de Gauches

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    06 Mars 2016

    Un désir de Gauches
    Par Arezki Metref
    [email protected]

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    Pendant longtemps, le 24 Février, anniversaire de la création de l’UGTA en 1956
    et de la nationalisation des hydrocarbures en 1971, a été un repère dans
    le calendrier progressiste algérien. Cette année, pas mieux que les années précédentes
    depuis le début des années 1990, cette date ne veut visiblement plus rien dire.
    Elle passe et il ne se passe rien ! Bien au contraire, inconsciemment, elle est reléguée
    à une sorte de préhistoire fruste, l’équivalent d’une djahilya politique.
    Suite...
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    Post Le Brexit anglais vu de ma dachra

    Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
    26 Juin 2016



    Le Brexit anglais vu de ma dachra
    Par Arezki Metref
    [email protected]

    Arezkimetref.jpg

    L’histoire que je m’en vais te raconter est véridique. Pourquoi cette
    mise au point préalable, alors ? Parce que j’ai conscience
    qu’elle peut paraître invraisemblable ou opportunément advenue.
    Erreur !Au vrai, c’est une histoire banale qui ne vaudrait
    éventuellement que par les conclusions qu’on pourrait en tirer.
    Et les commentaires qu’elle pourrait susciter.
    C’est un ami qui me l’a rapportée. Il en est l’acteur involontaire.
    Journaliste à ses heures, cet ami s’intéresse à tout.
    Pas seulement par nécessités professionnelles. Par curiosité
    personnelle aussi, et surtout. Apprenant la victoire du
    Brexit anglais l’autre jour, cet ami a publié sur sa page
    Facebook le post suivant «Crise en vue. La majorité des
    Britanniques votent pour le Brexit. Désavoué, Cameron démissionne.»

    **Contenu caché: Cliquez sur Thanks pour afficher. **


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    Icone I-5000

    ZsFa

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