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    Post Le placard

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    01 Mars 2015
    Balade dans le Mentir/vrai(46)
    Le placard

    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Deux faits quelque peu impromptus me conduisent à évoquer Tahar Oussedik. Le premier est relatif à la préparation d’un débat post-projection du film de Belkacem Hadjadj, Fadhma N’summer, qui doit avoir lieu en mars. Je cherchais de la documentation sur la rebelle de Soumeur lorsque je me suis souvenu que Tahar Oussedik y avait consacré un livre paru chez Laphomic en 1983. Inutile de dire qu’à cette époque, le livre comme la démarche d’écriture et de mise en valeur de ce genre de personnage étaient marginaux à souhait. Tahar Oussedik s’y était collé avec la passion et l’humilité des pionniers qui s’ignorent.
    Le second fait est du domaine de la providence. Je pèse mes mots. On a beau proclamer ne pas y croire mais voilà, il y a des moments où il faut accéder à la factice grandeur d’abdiquer. Dans un logement d’une de ces cités champignons au sud-ouest d’Alger, où jadis j’ai habité, il est un placard arachnéen où s’entassent les traces éparses, émiettées, d’une carrière, d’un hobby, bref d’une vie tout court. J’ai ouvert le placard et une odeur de renfermé a saisi mes narines créant, dans une forme de suffocation, l’effet de la madeleine de Proust.
    La poussière, libérée, a pris illico le chemin de mon larynx. Dans le réduit, pas de lumière. J’éclairai à l’aide d’une ampoule du couloir qui illumina une partie des objets entreposés là. On devinait des livres de toutes tailles au sens propre et figuré du terme, des numéros d’antiques revues qui se sont éteintes, des journaux jaunis par la patine, des dossiers divers, témoins empoussiérés et menacés de moisissures d’une autre vie. J’apportai un éclairage d’appoint à l’aide d’un spot baladeur. Je le balançai à bout de bras et passai en panoramique d’abord les rayonnages ployant sous les livres puis un monceau de paperasses posées sur une vieille valise en vachette crème à la fermeture béante. Je plongeai la main dans le bâillement de la valise et saisis un livre. Je le ramenai à la lumière et vis sur la couverture, sur fond blanc glacé, une reproduction de la célèbre toile La Veuve d’Issiakhem, surmontée d’un nom en bas de case : tahar oussedik. Et un titre : Lla Fat’ma n’Soumeur. En quatrième de couverture, sur une ligne tout en bas : prix public 24 DA.
    N’est-ce pas la providence que de ramener à la surface dès la première pioche un livre qu’on recherche inconsciemment ? Le bouquin est certes dans un état piteux. Côte arrachée jusqu’au milieu, feuilles écornées, pages décollées. Mais, bon, le livre est là, c’est le principal.
    Relisant les premières pages, je retrouvai le style didactique de Tahar Oussedik qui, instituteur vieille école si j’ose ce jeu de mots facile, avait le souci de se faire comprendre par le lecteur et celui de ne commettre aucune faute, ni de grammaire, ni de conjugaison, ni de syntaxe. Cette perfection a pour but, chez le maître d’école qu’il a été, et au sens noble du terme, de ne pas faire de faux plis dans le tissu de l’élève. Une erreur du maître peut marquer à vie un élève. Du point de vue du contenu, le combat de Lla Fat’ma n’Soumeur est décrit à l’aide d’un glossaire nationaliste qui appartient à une sorte de préhistoire préfigurant la logomachie qui sera tour à tour celle du PPA puis du FLN. Sans doute y a-t-il d’autres lectures possibles à faire du destin et du combat de Sid-Ahmed Fatma, née en 1830 à Ouerdja, passée à la postérité sous le nom de Lala Fatma n’soumer, maraboute et résistante à la conquête française des pitons kabyles menée par Randon.
    Sans doute la notion de patrie, chose qu’elle défendait, n’avait pas le même sens que celui que lui donnera plus tard le nationalisme du 20e siècle. Tout cela ramène à l’année 1987. Je me revois grimpant de la rue Laribi, où était sis Algérie-Actualité, à l’assaut des raidillons d’Alger pour rendre visite à Tahar Oussedik. Il avait publié à l’époque pas mal d’ouvrages en rapport avec des figures de l’histoire berbère et en préparait d’autres. Il me reçut chez lui plusieurs fois, parfois en présence de son fils Krimo, et ces rencontres devaient se concrétiser par un entretien. Je crois lui avoir posé la question de savoir ce qu’il pensait de cette étiquette collée à son travail par des intellos pas très bien intentionnés péjorant ses livres en «littérature d’instituteur».
    Sous-entendu ? Ecrits scolaires. Tout au contraire, Tahar Ouessedik prenait cette perfidie pour un compliment à la fois pour le noble métier d’instituteur auquel il avait consacré sa vie et pour sa pratique d’écrivain soucieux d’être compris.
    Je garde aussi de ces palabres avec lui le souvenir d’un homme, déjà bien vieux, encore alerte et bouillonnant de projets d’écriture. Mais ce dont il parlait beaucoup, ce sont les personnages qu’il empruntait à l’histoire pour nous les rendre vivants grâce à cette ascèse d’écriture qui a pour nom la biographie historique romancée.
    Retour sur Fadhma N’Soumeur. Eh bien force est de constater que si quelqu’un comme Tahar Oussedik ne nous avait pas légué ce livre, beaucoup d’entre nous n’auraient peut-être pas su grand-chose sur cette dame que les soldats d’occupation avaient surnommée la Jeanne d’Arc du Djurdjura.
    Jamais je n’aurais pensé évoquer Tahar Oussedik – et à travers lui les instituteurs de sa génération – par ce biais. Grâce à ce livre qui est venu vers moi comme par enchantement.
    A. M.

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    Dernière modification par zadhand ; 02/03/2015 à 00h58. Motif: Le placard
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