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Vue hybride

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    Chronique du jour : 26/10/2014
    Balade dans le Mentir/vrai(31)
    Dans les Brigades internationales

    Par Arezki Metref
    [email protected]

    D’après les documents trouvés dans la malle, et interprétés par Tessa, Amar serait né en 1908. C’est bien plus tard qu’elle comprendra ce que signifiait le mot «présumé», accolé à son année de naissance. Amar n’avait pas été inscrit à l’état civil sitôt né, mais quelques années plus tard. Ces documents comportaient une claire indication de son village d’origine : Taksa. Ce hameau perché sur un piton du Djurdjura – encore le hasard borgésien —, ne m’était pas inconnu. C’était le village natal de mon meilleur ami Omar. Je connaissais ce dernier quasiment depuis l’enfance. Je fréquentais sa famille et lui, la mienne. Peut-être que, ce qui nous a soudé, une fois devenus adultes, c’est l’intérêt porté à nos arbres généalogiques respectifs. Cet intérêt a fait naître une curiosité mutuelle pour nos mythologies familiales. Je savais le roman de ses origines. Il savait le récit des miennes. La survenue d’Omar dans cette parenthèse se justifiera après coup.
    Revenons à Amar, le père de Tessa. Il fréquenta l’école du village puis le collège à Beni Yenni. En 1928, recalé à l’examen d’entrée à l’Ecole normale indigène, il rejoignit son père immigré à Paris.
    Tout cela était explicitement rédigé dans une tentative d’autobiographie trouvée dans ses affaires. La même année, son père rentra en Algérie. Amar avait partagé avec lui un garni durant quelques mois. A vrai dire, il était plutôt soulagé du retour paternel. Il se sentait ainsi plus libre d’envisager sa nouvelle vie parisienne. Il put, en dehors de son travail de gratte-papier dans les bureaux de Renault Boulogne-Billancourt, reprendre des cours du soir, ce à quoi son père se serait opposé.
    A la rentrée de 1935, il fut admis à un cours de philosophie à la Sorbonne qu’il suivit avec avidité, moins pour des motifs de carrière que par goût du savoir. Il le dit clairement dans son journal : «J’aime la philosophie.» Collégien, il dévorait les classiques grecs et latins, et les principaux philosophes européens et arabes du dernier millénaire. Dans son travail, il fut heureux d’être «recruté» — dans le texte — par le délégué de la CGT qui, extra-muros, le conduisit vers une cellule du PCF. Lorsqu’en 1936, après le coup d’Etat de Franco en Espagne, il rejoignit les Brigades internationales, il était déjà très mûr politiquement. Des pages entières de son journal expliquent ses motivations et la situation de l’époque. Puis, curieusement, ses écrits restèrent muets pendant plusieurs mois. Tessa supposa qu’il avait été soit dans l’incapacité physique de tenir son journal, à cause d’une blessure notamment, soit qu’il avait été victime de cette guerre dans la guerre qui opposait le Kominterm au POUM, soit encore que, trop pris par l’action de terrain, il n’avait pu trouver le temps d’écrire. Bien qu’il parle très peu de ses compagnons de lutte, de leurs actions en opérations, et encore moins de leurs dissensions, il évoque explicitement certains camarades illustres : «Aujourd’hui, j’ai rencontré un compatriote algérien, Maurice Laban, un communiste. Il m’a dit qu’il y avait dans les rangs républicains d’autres Algériens.»
    En revanche, des pages entières non datées indiquent comment il prenait des cours d’espagnol à la fois pour comprendre ce peuple qui se battait contre le fascisme, et pour pouvoir lire dans le texte Don Quichotte de Cervantès. C’est en s’intéressant à ce dernier qu’il découvrit un écrivain argentin du nom de Borges sur lequel il rédigea un essai en espagnol resté au stade de manuscrit, intitulé : Las huellas de la oralidad en la literatura de Borges. Ce que l’on pourrait traduire par : les traces de l’oralité dans la littérature de Borges. Conséquence, Tessa dut elle-même apprendre l’espagnol pour mener à bien sa quête.
    Son père établissait un rapport somme toute assez cohérent, du moins du point de vue littéraire, entre le combat des Républicains contre le fascisme et celui de Don Quichotte contre les moulins à vent. Evidemment, ce rapport était perçu sous l’angle philosophique, loin de toute allusion péjorative comme l’énoncé aurait pu l’induire. Il mettait également en corrélation la fastueuse El Andalus, lieu de passage de la tradition grecque à l’Occident médiéval, et la cosmogonie du savoir de Borges. Dans ses affaires Tessa découvrit d’ailleurs un exemplaire de Fictions de l’auteur argentin, dans le texte original, criblé de notes. Rien n’indiquait si son père le possédait déjà du temps de la guerre civile en Espagne. Il parut cependant peu probable à Tessa que l’exemplaire en question ait été en la possession d’Amar avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.
    La passion d’Amar pour Borges était donc indiscutable. Je compris alors pourquoi Tessa me dit que, cherchant un père, elle en avait trouvé deux, celui-ci et Borges. Les années qui suivirent cette rencontre furent pour Tessa celles de la découverte de tout ce qui appartenait à l’univers de son père. Elle apprit à lire Cervantès dans le texte, acquit de solides connaissances sur le monde berbère grâce à des cours d’anthropologie, devint incollable sur la guerre civile espagnole, et bien sûr sur Borges. En dépit de toutes ses recherches, elle ne comprit jamais comment un communiste orthodoxe comme son père avait pu déjouer la police de la pensée pour s’enticher d’un écrivain plutôt conservateur. Ni pourquoi, dans sa foisonnante littérature personnelle, son père n’écrivit pas un seul mot sur la Seconde Guerre mondiale à laquelle il avait pourtant participé. Elle sut seulement qu’il avait été mobilisé, s’était battu, qu’il avait obtenu la croix de guerre, et une médaille militaire qui traînait, oubliée parmi les vestiges d’une vie réduite à quelques objets. Il arrivait à Tessa, me confia-t-elle, en contemplant ce bout de métal épinglé à un morceau de tissu, de se demander de quelles souffrances et de quelles douleurs Amar l’avait payé.
    Ce matin de 1986, lorsque j’avais en main ce livre de Borges, dans un avion en partance pour Lyon, et qu’une hôtesse de l’air en remarqua la couverture, j’ignorais encore que cette situation devait me prédestiner à être légataire d’une histoire désormais orpheline.
    A. M.

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    NB: je ne sais s'il est au bon endroit sinon svp déplacez le.Merci
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    Chronique du jour : 02/11/2014
    Balade dans le Mentir/vrai(32)
    Fin de l'histoire inachvée...

    Par Arezki Metref
    [email protected]

    C’est peut-être encore Borges qui soutenait quelque part qu’une nouvelle histoire n’était rien moins que la même histoire racontée autrement. Je perdis de vue Tessa mais je me retrouvai avec son héritage de tourments sur les bras. Il me parut inconcevable que cette histoire s’effilochât. Je passai un temps incommensurable à imaginer le moyen de la continuer. Il était hors de question que je la laisse s’enterrer dans l’oubli et l’indifférence.
    Transgressant la promesse faite à Tessa de ne plus jamais chercher à la revoir après notre dernière rencontre, je la rappelai quelques années plus tard. Excitant mon agacement, un serveur me répondait immanquablement : «Ce numéro de téléphone n’est pas attribué.»
    Entretemps, nos propres démons sont entrés en action et le pays sombra dans la violence et le meurtre politique comme jadis l’Espagne d’Amar. Cette nouvelle situation, au lieu de m’éloigner du destin d’Amar – et sans doute incidemment mais davantage de celui de Tessa –, m’en rapprocha.
    Par une intuition finalement féconde, je repris contact avec mon ami Omar de Teksa. Il avait pris une retraite anticipée de l’université où il enseignait l’anthropologie à Alger, pour retourner à Teksa garder les moutons. Je pris coutume de lui rendre régulièrement visite. Il mettait à ma disposition une partie de la vieille maison ancestrale. Depuis une petite ouverture, à peine plus grande qu’une meurtrière, creusée dans la pierre de taille du mur de la maison, j’avais une vue sur le mont appelé La Main du Juif. La première fois que je surpris Omar parlant à son troupeau, je m’en amusai :
    - Dans quelle langue vont-ils te répondre ?
    Il me rétorqua le plus sérieusement du monde :
    - Je ne sais pas, mais en tout cas je suis persuadé qu’ils me comprennent mieux que mes anciens étudiants.
    Sans tarder, j’exposai à Omar le motif de ma reprise de contact. Un soir, je lui racontai dans le détail ma première rencontre avec Tessa à l’aéroport d’Alger, et les conséquences qui s’ensuivirent. Je lui parlai de Borges, des rendez-vous au Select, de la malle, des documents que Tessa y trouva, d’Amar et de sa naissance à Teksa. Omar comprit très vite que la mention de Teksa, le village où nous nous trouvions, dans cette histoire, était le véritable motif de ma présence. Pour la partager, il connaissait l’intensité de ma quête lorsque celle-ci me saisissait. Il m’écouta longuement ce soir-là et il me dit :
    - Il est 2 heures du matin. Il est tard, demain nous en reparlerons.
    Nous étions dans la cour cimentée de la vieille maison, assis autour d’une meïda, sous les frondaisons opulentes d’un figuier lourd de ses fruits. Le ciel était limpide et sa clarté trompeuse donnait l’illusion de se trouver en pleine aube d’automne. Je ne sais pas pourquoi mais une évidence pressante me traversa l’esprit.
    Depuis toujours, quelles que soient les circonstances historiques, les gens de Teksa – Amar, son père et toute la lignée de leurs aïeux – avaient vu ce même ciel traversé de filaments rosâtres annonçant le jour, et cette main plantée dans la montagne comme l’œuvre monumentale d’un architecte de l’invisible.
    Le lendemain, je retrouvai Omar autour de la même meïda sur laquelle fumait un café fort dans une cafetière en fonte, et un plat de beignets chauds et huileux.
    Il avait en main ce registre que je lui avais toujours vu, un volumineux dossier du type de ceux que l’on trouve dans les archives de l’état civil. Ce dossier contenait toutes les infos glanées sur sa recherche généalogique. Il détenait, évidemment, toutes celles concernant Amar, le père de Tessa.
    Dans ce village de Teksa où l’arbre généalogique avait été tressé par trois familles, chacun possédait un lien de parenté avec les autres. Le jeu des alliances endogamiques avait dessiné une famille aux liens plus ou moins étroits.
    Omar avait un lien de parenté avec Amar, c’était indéniable. Comme par passion, il était devenu un limier généalogiste, il m’expliqua avec une précision mathématique son cousinage avec Amar. Bien entendu, je me perdis un peu dans l’entrelacs de liens, la multiplicité des patronymes, la récurrence des mêmes prénoms jouant à saute-moutons avec les générations. Le fait est que je localisai, pour le perfectionnement de l’histoire, le lieu d’où était parti Amar avant de vivre ce qui ressemblait à une épopée. Mon seul regret était de ne pas pouvoir en faire part à Tessa, dont j’avais déjà perdu la trace depuis un bon moment.
    Omar nota dans son grimoire l’existence d’un cousin de son père, plus ou moins éloigné, qui, contrairement à la plupart des gens du village, de sa génération, avait pu achever sa scolarité à Teksa avant d’accéder au collège de Beni Yenni, puis à l’Ecole Normale de Bouzaréah à Alger. Pour des raisons inconnues, il abandonna ses études à l’Ecole Normale, et dut rejoindre son père émigré à Paris.
    Le registre d’Omar précise qu’Amar était l’unique fils et le benjamin d’une famille qui comptait neuf filles. Pour des raisons tout aussi obscures, son père rentra définitivement de France quelques mois après l’arrivée de son fils à Paris. Puis, la trace d’Amar se perdit. Les gens de Teksa émigrés à Paris – qui par le jeu complexe des alliances avaient nécessairement des liens avec Amar – l’avaient eux aussi perdu de vue dès qu’il avait quitté son emploi à Renault Billancourt qui recrutait beaucoup dans la communauté.
    Tout ce qu’Omar m’apprit le concernant provenait, comme il me le précisera, de rumeurs et de spéculations. Omar lui-même dut se baser sur très peu de faits avérés pour tracer un canevas de l’histoire de la perdition d’Amar. Au village, comme le veut la tradition, tout émigré ne donnant plus signe de vie était considéré comme un «amjah», un homme en perdition.
    C’est donc ainsi qu’Amar entra dans l’histoire du village. Omar ne put m’expliquer d’où provenait cette rumeur selon laquelle Amar aurait combattu contre le franquisme au sein des brigades internationales. Je fus heureux de lui confirmer la chose et de compléter le parcours d’Amar avec des informations issues du journal retrouvé par Tessa. L’histoire se terminait ainsi, me laissant un goût d’inachevé. Mais a-t-elle encore un sens puisque je ne peux plus la transmettre à Tessa ? Cependant au-delà de Tessa, il me semble difficile, voire incongru, de la conclure sans la raccrocher à Borges qui nous a, Tessa et moi, un temps réunis.
    A. M.

    P.S. : cette chronique coïncide avec les 10 ans d’Ici mieux que là-bas. Début novembre 2004 démarrait ce propos hebdomadaire qui a sinué sans jamais perdre de vue, je l’espère, un but : curiosité et plaisir. C’est l’occasion parmi d’autres à venir, je le souhaite, d’adresser mes remerciements à ceux qui ont la patience de lire ces lignes.

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    Chronique du jour : 09/11/2014
    Balade dans le Mentir/vrai(33)
    Requiem pour Sandra


    Par Arezki Metref
    [email protected]
    Je ne sais pas si Sandra m’écoutait réellement, lorsque j’ai senti à nouveau le besoin de lui raconter comment j’en suis arrivé à être addict de Mozart. Elle connaissait pourtant l’histoire à fond. Thèmes et variations. Amusée et parfois juste ce qu’il faut irritée, elle me faisait remarquer, au hasard, la subtilité ayant voleté d'une intention à l'autre, le détail qui modifiait le discours selon l'interprétation. Mon récit prenait des allures d'anagrammes, gardant toutes les séquences mais en ordre dispersé. C’était toujours la même histoire qui ne se ressemblait jamais.
    Nous avions dormi vraisemblablement dans un camping bon marché au bord du Danube, à la périphérie de Vienne, que nous avions rallié en métro, pris un petit-déjeuner succulent dans une des pâtisseries du centre puis nous nous dirigeâmes, presque anxieux pour ma part, compatissante pour la sienne, vers le numéro 5 de la Domgasse, le seul des nombreux domiciles de Mozart qui ait survécu à la transfiguration de la capitale autrichienne depuis plus de deux siècles.
    C’était un matin du mois d’août 1985. Le ciel viennois était nappé d’un panache couleur bonbon, et dans l’air léger j’avais l’impression de voir danser, comme des notes échappées de leur portée, les miaulements volatiles de «La flûte enchantée». Pourtant, il paraît que lorsqu’on demandait à Mozart, qu'est-ce qui joue plus faux qu'une flûte, il répondait deux flûtes.
    Mozart ! Et à Vienne ! ça avait la dégaine du pèlerinage au sens sacré du terme. Ça évoquait quelque chose d’indéfini en rapport avec l’âme humaine et le ballet de ses tourments, d’infini…
    Mais voilà qu’en longeant la masse baroque de la cathédrale Saint-Etienne, je fus saisi d’un doute.
    Et si l’histoire que je me racontais, et que j’infligeais inlassablement à l’indulgence de Sandra, n’était qu’un tissu de fables. Et si, en fait, je gonflais les choses, je surdimensionnais ce que j’étalais comme un appel, une immanence et qui n’était peut-être au fond qu’un cinéma niais que je me jouais pour donner du sens à ce qui n’en avait pas ?
    Tout comme moi, Sandra avait dû se poser la question de savoir si je ne forçais pas un peu la dose pour livrer de moi une image de passionné, ce que je n’étais pas.
    Au fond, tout cela était stupide !
    Si j’avais interprété le possédé de la musique de Mozart pour la séduire, pourquoi diable continuais-je à le faire alors que, logiquement, elle était, selon la formule consacrée, désormais avec moi ? Je sentais qu’elle m’acceptait avec mon faux-nez mais sans doute, prisonnier de mes propres mensonges, j’étais obligé, pour leur donner un vernis de vérité, de m’y tenir.
    Je garde ce souvenir lié à Sandra et à Mozart comme la marque brûlante d’un tison sorti du feu de l'enfer pour transpercer mon cœur.
    A partir de ce soir-là, j’aurais dû, comme Cioran détestant en bloc l’humanité entière parce qu’il avait vu la jeune fille qu’il courtisait partir avec l’un de ses amis, plonger dans la misanthropie et peut-être même la misogynie. Mais quand je m’aperçus que Sandra n’était pas venue à ce premier rendez-vous sur le parvis de la Grande-Poste d’Alger, je ravalai ma colère et j’échouai dans un tripot où, une fois n’est pas coutume, la radio donnait la 25e de Mozart. Plus tard, je sus gré à Sandra de m’avoir posé un lapin car j’en étais récompensé en éprouvant, dans la lévitation suprême de la musique et des libations, ce «bonheur d’être triste», ainsi que Victor Hugo définissait la mélancolie.
    C’est alors que l’idée de forger cette histoire me vint. J’étais sûr que Sandra y serait sensible. Seulement, j’ai fini par y croire moi-même, et peut-être qu’elle aussi y a-t-elle succombé. Nous cheminâmes si loin dans cette histoire, qu’elle ne me posa plus jamais de lapin et qu’on en était, quelques années plus tard, à mettre nos pas, — sceptiques —, dans ceux de Mozart à Vienne et à Salzbourg.
    Il y a deux choses auxquelles mon éducation scolaire et familiale ne m’avait pas préparé et que j’ai dû découvrir, à l’adolescence, tout seul, comme un grand : me brosser les dents et écouter Mozart. Un grand ? A l’époque, le seul moyen de tomber sur Wolfgang Amadeus Mozart, le petit génie de la musique classique, c’était de tenter sa chance en calant l’aiguille du poste à galène sur la fréquence de la Chaîne III de la radio nationale.
    Je finis par y parvenir. Je crois bien que le premier morceau que j’aie jamais entendu de lui, c’est la 40e symphonie. Le staccato des premières notes a agi sur moi comme un aimant qui me plaquait et, du même coup, m’extrayait du quotidien acnéique et morose qui était le mien. Je compris très vite avec Mozart ce qu’était la transcendance. Bien entendu, devant cette véritable irradiation, personne autour de moi ne pouvait en parler. Je dus écrire à la Chaîne III pour me rencarder davantage sur Mozart. Aucune réponse et aucune mention à l’antenne de ma missive. A peine me contentai-je de trouver absurdes ces gens qui péroraient à la radio et qui négligeaient la lettre que je m’étais appliqué à écrire avec la précision et la fougue d’un Schiller. Je les plaignais presque de passer à côté du prodige que j’étais convaincu d’héberger.
    L’histoire telle que je l’ai façonnée après coup pour appâter Sandra démarrait donc dans un appartement exigu d’un quartier populaire d’Alger portant le toponyme sylvestre de Peuplier, où le nom même de Mozart n’avait aucune chance d’être prononcé, ne fût-ce que par accident.
    Collégien, je jouais comme tout un chacun au foot compulsif dans un terrain vague. Je me délectais, faute de mieux, à me baigner, les jours fréquents de canicule, parmi les détritus ménagers et les déchets industriels la plage du Caroubier, à un cloaque de l’estuaire d’oued El-Harrach.
    Auditeur captif de l’ennui de ma cité, j’écoutais, les soirs d’été sur la place aux platanes, du chaâbi parasité par l’effet Larsen de la sono antédiluvienne dans les mariages du quartier. Et de temps en temps, quand ma grand-mère et ma mère fuguaient de la chaîne kabyle, je volais des ondes pour capter la Chaîne III.
    Un jour d’été où la chaleur semblait embraser tous les murs de l’appartement, comme une dalle de hammam, je suis tombé sur la 40e. Je grillais quand soudain, le petit gars écrasé déjà par le spleen d’une vie enserrée dans un boyau se sentit désincarné pour se reconstituer quelques strates plus haut, là où l’air semble pur.
    On m’aurait dit que la musique avait le pouvoir de te désintégrer dans ta petitesse pour te reconstruire à la fois identique et différent, jamais je ne l’aurais cru. Et pourtant !
    Voilà comment je chopai le virus Mozart qui allait me conduire vers Sandra. Ou comment la tendresse de Sandra m’a conduit à fabriquer le virus Mozart.
    A. M.

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    Chronique du jour : 16/11/2014
    Balade dans le Mentir/vrai(34)
    Amadeus


    Par Arezki Metref
    [email protected]
    Plus j’y pense, davantage j’évalue la difficulté à finir cette histoire. Certes, toute histoire est difficile à raconter si on ne tient pas le bon angle. Celle-ci sans doute plus que les autres.
    Avant de nous transporter dans Vienne sur les pas de Mozart, je crois que j’aurais dû commencer par préciser que Sandra était en fait professeur de musique. En l’écrivant, je m’aperçois a posteriori que cet élément est fondamental. Je mesure tout le chemin qu’il m’a fallu parcourir, durant les 10 années où nous avons parfois été complices et souvent adversaires, pour lui ressasser un propos crédible sur Mozart.
    Comme dans les films, je faisais de l’autostop sur la route Moutonnière, lorsque je vis, un peu éberlué, s’arrêter une belle jeune femme au volant d’une Golf rutilante. Elle stoppa son véhicule à quelques mètres. Je ne bougeai pas, persuadé que ce ne pouvait être pour moi. Toujours comme dans un film, je regardai dans sa direction et remarquai, à travers la lunette arrière de la Golf, qu’elle me faisait un geste de la main. J’avançai prudemment. Arrivé à sa hauteur, la jeune femme se pencha :
    - Dépêchons ! Dépêchons ! me dit-elle.
    En montant dans la voiture, j’étais loin d’imaginer que le fait que, deux siècle plus tôt, un garçon de génie, né à Salzbourg, mort à 35 ans, et ayant passé 10 ans, 2 mois et 8 jours trimballé en Europe, de cour en cour, comme un chien savant, serait pour moi une information capitale. La seule information sur Mozart qu’elle ne possédait pas, elle qui connaissait du musicien tout ce qu’on aurait pu savoir.
    Sandra regardait droit devant elle en manœuvrant pour s’insérer dans la circulation. Enivré par l’odeur de cuir neuf de l’habitacle mêlée aux effluves de son parfum – un Mitsuko de chez Guerlain auquel elle sera toujours fidèle, 10 ans plus tard –, j’étais comme paralysé. Il faut dire que ni au Peuplier, où je demeurais encore, ni à mon travail à quelques encablures de l’oued El-Harrach, ni dans les rues ou les cafés que je fréquentais alors, je n’étais familier de ces odeurs de cuir et de parfum de femme. Mes palettes olfactives étaient autrement moins nuancées.
    Elle me demanda si la musique ne me dérangeait pas. Je répondis avec une bonne dose d’opportunisme d’excellente foi, que Mozart ne me dérangeait jamais. Plus tard, l’ayant souvent accompagnée dans sa voiture, je saurai qu’elle adorait rouler en écoutant le requiem que Mozart composa juste avant sa mort.
    - Vous allez où ?
    - Déposez-moi où vous pourrez en ville.
    Le trajet dura un peu plus d’une demi-heure. Mais j’eus cette sensation d’éternité au cours de laquelle une force impétueuse m’aurait poussé à lui livrer toute ma vie. Conscient de l’indigence et de la vacuité de mon existence, je dus pas mal broder. Par contre, d’elle, je n’appris que trois choses. Son prénom : Sandra. Le fait qu’elle ait été prof de musique dans un lycée voisin. Enfin, qu’elle adorait Mozart et qu’elle rêvait d’aller en pèlerinage à Salzbourg et Vienne.
    Je ne pus m’empêcher, encore sous l’hypnose de sa lumière tout autant que de mes ténèbres, de commettre l’audace de supplier :
    - S’il vous plaît, il faut qu’on se revoie.
    Sans ciller, elle me laissa descendre. Je restai là, sidéré par le cruel poids de son indifférence. Elle redémarra et j’entendis crisser ses pneus. Elle s’arrêta à nouveau quelques mètres plus loin, réitéra son geste. Je me précipitai :
    - Demain, 18 heures sur le parvis de la Grande-Poste.
    J’ai déjà raconté que Sandra ne vint pas à ce rendez-vous, et que, furieux, j’échouai dans un bistrot où – encore le hasard –, la radio jouait la 25e, et que l’idée me vint de raconter la légende de mon obsession mozartienne.
    J’avais perdu Sandra. Déboussolé, il ne me restait plus qu’une chance, celle de me pointer à l’endroit où elle m’avait pris en stop. Le miracle opéra. Elle revint et durant une décennie, nous ne nous sommes plus quittés. J’eus tout le temps de peaufiner cette légende dont elle n’était pas dupe. Elle eut cependant à mon égard une indulgence que je finis par prendre pour de l’affection.
    Dans cette histoire, l’année 1985 aura été décisive. Le film de Milos Forman, Amadeus, que nous vîmes à Alger, nous décida à entreprendre ce pèlerinage dont elle me parla dès notre première rencontre. Sans doute ce voyage que nous improvisâmes de bout en bout, était-il écrit comme l’épilogue de notre relation autant que celui de la légende que je racontais à Sandra.
    Je ne sus pourquoi elle attendit que nous soyons au 9 de la Gettreidegasse, à Salzbourg, dans la pièce – même – devenue un musée – où était né Mozart le 27 janvier 1756, à 8 heures du soir, pour me déclarer :
    - Ici nos routes se séparent. Nous allons rentrer chacun de notre côté.
    Dix ans de racontars m’avaient à ce point endurci que cette issue absurde me causa moins de chagrin que son indifférence lors de notre première rencontre. Je pensai juste, me souvenant de la pauvreté de l’existence de Mozart telle que racontée par Forman, et son enterrement suivi seulement par un chien, que le monde était mal fichu.
    Ce petit bonhomme qui était mort dans des guenilles de miséreux aurait pu acheter aujourd’hui, avec tous ses droits d’auteur, toute l’Autriche, mètre carré par mètre carré, et tous les bâtiments qui y sont construits. Quand je repense aujourd’hui à cet épisode de ma vie, l’enterrement de Mozart se superpose à celui de cette histoire avec Sandra.
    A. M.

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    Chronique du jour : 23/11/2014
    Balade dans le Mentir/vrai(35)
    Fanny



    Par Arezki Metref
    [email protected]

    Comme dans la vie des hommes, dans celle des récits au long cours, il y a des haltes, des accélérations, des creux, des bonheurs et le malheur. Avec le décès de Fanny Colonna, cette balade dans le Mentir/vrai est frappée par le deuil.
    Quand mardi soir, j'ai appris qu'elle venait de s'éteindre, je me suis senti affligé par la disparition subite d'une amie, mais aussi par le fait que cette chronique perdait, en pleine exaltation, une marraine. Car il faut dire que depuis que cette chronique a basculé dans le mentir/vrai, avec ce que cela induit de construction littéraire et intellectuelle, Fanny Colonna en était une lectrice fidèle, exigeante et vigilante qui ne laissait rien passer.
    Même si elle réagissait à tous les épisodes, ce n'est qu'en mars 2014 qu'elle me téléphona, lorsque j'abordai la séquence sur Albert Cossery à Paris, et au Caire où elle avait vécu au milieu des années 1990.
    - De sa voix mélodieuse reconnaissable entre toutes, elle m'intima :
    - ll faut qu'on se voie, j'ai quelque chose à te dire !
    Ah ce «quelque chose à te dire», c'était son expression ! Rendez-vous fut pris quelques jours plus tard dans un café :
    - Ce pourrait être intéressant de réunir en volume ces textes sur les auteurs qui t'ont inspiré, toi et ceux de ta génération, car ils me semblent bien oubliés.
    Elle ajouta : - Non seulement, il faut que tu continues cette série, mais tu dois aussi envisager chaque épisode comme le chapitre d'un ouvrage.
    Elle m'avoua que ce qui l’intéressait dans cette démarche, ce n'était pas seulement le caractère anecdotique, bien que, reconnut-elle, cet aspect ne soit pas déplaisant. Étudiant la production des savoirs, elle y voyait un intérêt intellectuel, sinon sociologique. Elle m'expliqua que peu de gens savaient qu'en dépit de l'enfermement physique et mental qui fut et reste celui des Algériens, ces derniers sont capables de se jouer de tous les obstacles pour aller à la conquête de la construction de savoirs. Elle évoqua comme cas d’espèce les voyages littéraires de ces chroniques, en y voyant cette volonté tenace d'abattre les murs que les pouvoirs politiques dressent entre nous et la connaissance libre. Elle développa beaucoup cet aspect de sa propre réflexion concrétisée par des écrits sur l’émergence de classes moyennes post-independance dont l’accès à l'instruction avait aiguisé l’appétit de savoir contredit par des limites idéologiques imposées par les institutions.
    Jusqu'à cette discussion avec Fanny, je n'avais pas conscience que ces écrits factuels puissent être perçus autrement que comme des souvenirs de voyages, de rencontres et de lectures.
    Je lui répondis du tac au tac :
    - Evidemment, je suis d'accord pour en faire un ouvrage !
    Puis, après un examen plus sérieux de la proposition :
    - A condition que tu préfaces l'ouvrage et que les arguments que tu viens de développer et que je n'avais pas franchement envisagés, y figurent.
    Cet échange m'avait doublement boosté. C'est ce que je crus du moins de prime abord. D'une part, il ne me déplaisait pas que ces récits suscitent un intérêt comme celui de Fanny Colonna, allant au-delà de la narration et, au mieux, de la littérature. D'autre part, je découvrais cette excitante possibilité qu'un livre puisse se construire par étapes publiées et dans une sorte de plaisir éphémère et renouvelé. Mais, paradoxalement, je comprenais du même coup que l'euphorie de cette découverte portât en elle ses propres chaînes. Dès le moment où je me mis à m'efforcer chaque étape comme un fragment d'ouvrage, l'exigence de cohésion et de singularité me faisait perdre en spontanéité et en fraîcheur. Je quittais le journalisme dans son acception indulgente de littérature de l’éphémère, qui pardonne la maladresse, pour passer sous les fourches caudines de la littérature avec ce qu'elle comporte de contraignant, c'est-à-dire de définitif.
    Fanny Colonna, qui suivait chaque étape, ne se rendit pas compte de mon malaise d'avoir renoncé au droit à la spontanéité. Bien au contraire, elle trouva le résultat de plus en plus élaboré. Universitaire soucieuse de précision, elle commença, à un certain moment, à concevoir les exigences de l'ouvrage qui devait être, selon elle, complété par l'adjonction de tout un système de références, et par des indications bio-bibliographiques de tous les auteurs lus, rencontrés, croisés.
    Comme je ne savais par moi-même à quel moment achever cet ouvrage, je sollicitai son avis :
    - C'est à toi de voir. Quand tu te sentiras prêt, je te ferai une préface et je t'aiderai à élaborer tout l'appareil critique.
    Depuis plusieurs mois, nous communiquions par intermittence et souvent par de brefs courriels. Après avoir publié au mois d’août dernier dans Le Soir d'Algérie un reportage sur Apulée de Madaure, elle me téléphona de nouveau pour me dire qu'il fallait absolument l'insérer dans la série. Je rétorquai que cela ne faisait pas partie de la balade du Mentir/vrai. Elle objecta que mon argument était strictement formel et que le reportage procédait bien de la même démarche.
    Une fois encore, rendez-vous fut pris pour en parler de vive voix. Reporté ! Le temps passa. Depuis septembre, elle ne réagissait plus à la chronique. De mon côté, pris par divers déplacements, je repoussai indéfiniment le projet de lui téléphoner... En 20 ans, j'ai beaucoup travaillé avec Fanny Colonna. Il y aurait encore bien des choses à dire. Mais je préfère m’en tenir à ce compagnonnage autour du Mentir/vrai car je sais que quand j'écris, Fanny Colonna veille avec rigueur et sympathie.
    A. M.


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    Post Ici mieux que là-bas By Arezki Metref


    Chronique du jour : 30/11/2014

    Balade dans le Mentir/vrai(36)Le chamelier et la basilique
    Par Arezki Metref
    [email protected]
    Cette rencontre avec Jules Roy, longtemps je la crus essentielle. Avec le recul, et au moment où je m’apprête à la raconter, après maints et maints reports, je m’aperçois qu’elle est toute relative. En tout cas, pas si essentielle que ça.
    Comme la plupart d’entre nous, je connaissais Jules Roy pour avoir beaucoup apprécié Les chevaux du soleil. Dans cette saga d’une famille de colons du côté de sa mère, installée à Sidi Moussa, Jules Roy parvient à subvertir l’histoire en légende. Pour autant, il ne s’agit pas de cette histoire héroïsante de la colonisation qui aurait, à l’instar des pionniers de la conquête de l’Ouest américain, affronté les sept plaies d’égypte pour rendre vivable une terre abandonnée par des indigènes qui ne la méritaient pas. Ce roman est un travail de bénédictin, monumental et minutieux à la fois, qui décrit l’arrivée des troupes du maréchal de Bourmont, les soldats dans leur uniforme dépeint jusqu’au dernier bouton de guêtre, ainsi que l’avancée de l’armée de conquête, mètre par mètre, depuis le débarquement à Sidi Ferruch.
    En 1989, je crois l’avoir déjà raconté quelque part, me trouvant à Berlin-Est, je fis la connaissance d’une jeune attachée d’ambassade, un jour où elle avait en mains Mémoires barbares du même Jules Roy, qui venait tout juste d’être publié. Constatant mon intérêt pour cet ouvrage, elle m’avait promis, sachant que je ne le trouverai pas en Algérie, de me l’envoyer sitôt lu. Quel ne fut pas mon bonheur de le recevoir un jour par l’entremise d’un ami étudiant, de passage à Alger. Dans ces mémoires, ce que j’aimais en premier lieu, c’était le mot «barbares» que j’assume dans ce qu’il signifie de rébellion contre l’autorité inique. Barbare comme Jugurtha, Spartacus, Ho Chi Minh, Cochise…
    J’aimais aussi dans cet ouvrage, et c’est une leçon de littérature, la franchise pugnace, à la limite de l’agressivité, avec laquelle il décrit ses jours, et brosse le portrait de ses amis et de ses ennemis. Un travail de mémorialiste un brin provocateur et nimbé de panache.
    Mais peut-être eût-il fallu commencer bien plus tard, ce jour de fin 1994 lorsque ma consœur de l’hebdomadaire parisien dans lequel je sévissais, Florence C., vint me trouver :
    - Accepterais-tu, me demanda-t-elle, de rencontrer l’un de mes proches, pied-noir, pour parler de l’Algérie ?
    Je lui répondis que oui, dans tous les cas, sauf s’il avait été OAS. Elle me rassura. Quelques jours plus tard, j’étais invité chez Ivan V., son ex-époux, en compagnie de Florence et de leur fils Alex, un passionné de rugby qu’il pratiquait comme son père. Il s’apprêtait d’ailleurs à se rendre, l’année suivante, en Afrique du Sud pour la coupe du monde de rugby.
    Au cours de cette soirée, je devais découvrir qu’il avait été dans l’armée pendant la guerre :
    - J’étais jeune et franchement je ne comprenais pas les enjeux.
    Comme pour s’amender d’une erreur de jeunesse, il s’était pris d’une profonde affection pour les Algériens.
    Je ne crois pas me tromper en affirmant que non seulement, il n’avait jamais lu Jules Roy, mais qu’en outre, il en avait une vision mitigée. C’est, du moins, ce qui apparut à un certain moment de ce dîner lorsque, voulant montrer que la colonisation française était le fruit d’une conquête armée important une population européenne pour l’établir sur des terres spoliées à leurs immémoriaux propriétaires, je citai le nom de Jules Roy. Je m’appuyai sur la saga de la famille Paris racontée dans Les chevaux du soleil.
    Puis on en vint à Jules Roy :
    - J’espère, lançai-je, que j’aurai l’occasion de le rencontrer un jour.
    On passa ensuite à autre chose. Quelque temps plus tard, Florence C., croisée au siège du journal, me signala qu’elle avait retrouvé les coordonnées de Jules Roy, et que si je le souhaitais, elle lui demanderait de nous recevoir. Elle l’appela. Il nous fixa rendez-vous chez lui à Vézelay pour le 26 janvier 1995.
    Cette discussion sur Jules Roy avait aiguisé ma curiosité et, armé de cet intérêt nouveau, je fis l’acquisition d’Un après-guerre amoureux, son roman épistolaire, tout juste publié. Pour un certain nombre de traits d’esprit, révélateurs de la personnalité de l’auteur, ce roman m’a profondément intéressé. C’est pourquoi je reviendrai certainement sur ce qui est à mon sens une inflexion de son œuvre – et son dernier ouvrage qui ne soit pas un essai –.
    La veille de ma visite à Jules Roy, je participai avec Slimane Benaïssa, à l’une de ces conférences de l’époque où, conviés à parler de la situation en Algérie, nous nous croyions investis de je ne sais quelle mission de sensibilisation de l’opinion française favorable à l’islamisme. Nous nous étions rendus à Blois. Le débat s’était poursuivi tard dans la nuit. Rentrés au petit matin sur Paris, il faut dire que nous n’avions pas beaucoup dormi.
    Mais il fallait tout de même honorer l’engagement de rallier Vézelay, dans l’Yonne, où Jules Roy nous attendait. Nous partîmes, Yvan au volant, Florence devant et moi, sur le siège arrière, enveloppé d’un plaid dans ma tentative de rattraper un peu de sommeil perdu. Une blague était née quelques jours auparavant.
    Lors des préparatifs de ce voyage, Yvan qui n’arrêtait pas de répéter que son rôle à lui était juste de conduire la caravane à bon port, s’était vu attribuer le sobriquet de chamelier. Je ne sais pas comment ni en combien de temps nous nous retrouvâmes sur la petite place de Vézelay, pile en face de la basilique. Bien entendu, le premier passant nous indiqua la maison de Jules Roy.
    A. M.

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