Chronique du jour : 30/11/2014

Balade dans le Mentir/vrai(36)Le chamelier et la basilique
Par Arezki Metref
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Cette rencontre avec Jules Roy, longtemps je la crus essentielle. Avec le recul, et au moment où je m’apprête à la raconter, après maints et maints reports, je m’aperçois qu’elle est toute relative. En tout cas, pas si essentielle que ça.
Comme la plupart d’entre nous, je connaissais Jules Roy pour avoir beaucoup apprécié Les chevaux du soleil. Dans cette saga d’une famille de colons du côté de sa mère, installée à Sidi Moussa, Jules Roy parvient à subvertir l’histoire en légende. Pour autant, il ne s’agit pas de cette histoire héroïsante de la colonisation qui aurait, à l’instar des pionniers de la conquête de l’Ouest américain, affronté les sept plaies d’égypte pour rendre vivable une terre abandonnée par des indigènes qui ne la méritaient pas. Ce roman est un travail de bénédictin, monumental et minutieux à la fois, qui décrit l’arrivée des troupes du maréchal de Bourmont, les soldats dans leur uniforme dépeint jusqu’au dernier bouton de guêtre, ainsi que l’avancée de l’armée de conquête, mètre par mètre, depuis le débarquement à Sidi Ferruch.
En 1989, je crois l’avoir déjà raconté quelque part, me trouvant à Berlin-Est, je fis la connaissance d’une jeune attachée d’ambassade, un jour où elle avait en mains Mémoires barbares du même Jules Roy, qui venait tout juste d’être publié. Constatant mon intérêt pour cet ouvrage, elle m’avait promis, sachant que je ne le trouverai pas en Algérie, de me l’envoyer sitôt lu. Quel ne fut pas mon bonheur de le recevoir un jour par l’entremise d’un ami étudiant, de passage à Alger. Dans ces mémoires, ce que j’aimais en premier lieu, c’était le mot «barbares» que j’assume dans ce qu’il signifie de rébellion contre l’autorité inique. Barbare comme Jugurtha, Spartacus, Ho Chi Minh, Cochise…
J’aimais aussi dans cet ouvrage, et c’est une leçon de littérature, la franchise pugnace, à la limite de l’agressivité, avec laquelle il décrit ses jours, et brosse le portrait de ses amis et de ses ennemis. Un travail de mémorialiste un brin provocateur et nimbé de panache.
Mais peut-être eût-il fallu commencer bien plus tard, ce jour de fin 1994 lorsque ma consœur de l’hebdomadaire parisien dans lequel je sévissais, Florence C., vint me trouver :
- Accepterais-tu, me demanda-t-elle, de rencontrer l’un de mes proches, pied-noir, pour parler de l’Algérie ?
Je lui répondis que oui, dans tous les cas, sauf s’il avait été OAS. Elle me rassura. Quelques jours plus tard, j’étais invité chez Ivan V., son ex-époux, en compagnie de Florence et de leur fils Alex, un passionné de rugby qu’il pratiquait comme son père. Il s’apprêtait d’ailleurs à se rendre, l’année suivante, en Afrique du Sud pour la coupe du monde de rugby.
Au cours de cette soirée, je devais découvrir qu’il avait été dans l’armée pendant la guerre :
- J’étais jeune et franchement je ne comprenais pas les enjeux.
Comme pour s’amender d’une erreur de jeunesse, il s’était pris d’une profonde affection pour les Algériens.
Je ne crois pas me tromper en affirmant que non seulement, il n’avait jamais lu Jules Roy, mais qu’en outre, il en avait une vision mitigée. C’est, du moins, ce qui apparut à un certain moment de ce dîner lorsque, voulant montrer que la colonisation française était le fruit d’une conquête armée important une population européenne pour l’établir sur des terres spoliées à leurs immémoriaux propriétaires, je citai le nom de Jules Roy. Je m’appuyai sur la saga de la famille Paris racontée dans Les chevaux du soleil.
Puis on en vint à Jules Roy :
- J’espère, lançai-je, que j’aurai l’occasion de le rencontrer un jour.
On passa ensuite à autre chose. Quelque temps plus tard, Florence C., croisée au siège du journal, me signala qu’elle avait retrouvé les coordonnées de Jules Roy, et que si je le souhaitais, elle lui demanderait de nous recevoir. Elle l’appela. Il nous fixa rendez-vous chez lui à Vézelay pour le 26 janvier 1995.
Cette discussion sur Jules Roy avait aiguisé ma curiosité et, armé de cet intérêt nouveau, je fis l’acquisition d’Un après-guerre amoureux, son roman épistolaire, tout juste publié. Pour un certain nombre de traits d’esprit, révélateurs de la personnalité de l’auteur, ce roman m’a profondément intéressé. C’est pourquoi je reviendrai certainement sur ce qui est à mon sens une inflexion de son œuvre – et son dernier ouvrage qui ne soit pas un essai –.
La veille de ma visite à Jules Roy, je participai avec Slimane Benaïssa, à l’une de ces conférences de l’époque où, conviés à parler de la situation en Algérie, nous nous croyions investis de je ne sais quelle mission de sensibilisation de l’opinion française favorable à l’islamisme. Nous nous étions rendus à Blois. Le débat s’était poursuivi tard dans la nuit. Rentrés au petit matin sur Paris, il faut dire que nous n’avions pas beaucoup dormi.
Mais il fallait tout de même honorer l’engagement de rallier Vézelay, dans l’Yonne, où Jules Roy nous attendait. Nous partîmes, Yvan au volant, Florence devant et moi, sur le siège arrière, enveloppé d’un plaid dans ma tentative de rattraper un peu de sommeil perdu. Une blague était née quelques jours auparavant.
Lors des préparatifs de ce voyage, Yvan qui n’arrêtait pas de répéter que son rôle à lui était juste de conduire la caravane à bon port, s’était vu attribuer le sobriquet de chamelier. Je ne sais pas comment ni en combien de temps nous nous retrouvâmes sur la petite place de Vézelay, pile en face de la basilique. Bien entendu, le premier passant nous indiqua la maison de Jules Roy.
A. M.

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