Chronique du jour
Ici mieux que là-bas
19 Avril 2015
Retour sur le duo dialoguistes-éradicateurs
Par Arezki Metref
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Eh bien voilà le ministre du Commerce contraint à faire machine arrière dans sa tentative d’assainir le commerce des boissons alcoolisées ! Sport d’élite : de l’art d’amortir sans ciller ! L’autorisation préalable pour l’exercice de ce commerce aurait pourtant été tout bénéfice. La morale nationale n’y aurait rien perdu, et l’économie aurait gagné à ce que ce secteur soit soustrait aux magouilles des requins, souvent barbus du reste, de l’informel. Quand je dis la morale nationale n’y aurait rien perdu, je fais référence au fait que la consommation est sans doute plus importante quand elle est favorisée par la transgression de l’interdit.
Mais la salafisation même plus rampante niche désormais à des niveaux respectables de ce qui reste de l’Etat. ça fait longtemps qu’on a cédé et le doigt et la main, maintenant il faut donner le reste.
Le commerce des boissons alcoolisées a toujours existé et depuis l’indépendance, l’Etat algérien l’a géré avec – allez, disons-le – une relative neutralité, parfois bancale il est vrai, cédant souvent aux extrémismes de la purification.
Face à l’hystérie de la revendication de l’interdiction totale, la réponse a été jusqu’alors tant bien que mal la raison. Mais l’émiettement de l’autorité de l’Etat, la dislocation sous les coups de boutoir de l’islamisme de la protection de l’intérêt privé, a conduit à une situation où un Premier ministre dédit son ministre du Commerce. Cette compromission en dit long sur l’abdication de la résistance à l’islamisme.
L’agrément délétère de cet islamisme en Algérie contraste avec la nouvelle tendance à la chasse aux islamistes qu’on peut observer dans les pays occidentaux.
Aujourd’hui, tout mène à la conclusion qu’on a intégré la nocivité à l’échelon international de l’islamisme. Quand on oublie ou feint d’oublier à quel point il est terrifiant, Daesh s’évertue à nous le rappeler. Daesh, comme jadis Al-Qaïda ou les divers groupes qui se font et se défont à la vitesse d’un massacre, sont-ils des créations d’officine destinées à mettre en place de nouvelles situations géostratégiques ? ça ne change rien au fait de la manipulation du désespoir social. Et rien à l’horreur de la boucherie…
Sans remonter trop loin dans le temps, l’hécatombe des étudiants au Kenya est emblématique tout à la fois de l’horreur, de la cécité et, tout compte fait, de l’absurdité de la violence djihadiste. C’est pour ainsi dire dans l’ordre des choses. Mais cet ordre des choses est-il naturel ?
Comment en est-on arrivé là ? Je ne vais pas rappeler tous ces processus mortifères qui, pas après pas dans l’abomination, ont mené à des formes d’horreur inédites que l’on ose encore rattacher à quelque chose qui se revendiquerait de la religion. Le mal est fait mais ne peut-on pas tout de même remonter à ses origines ?
Puisque l’Algérie a le funeste privilège d’avoir été le laboratoire natal de l’expérimentation dans l’extermination d’une partie de la société pour instaurer l’ordre islamiste, c’est chez nous qu’il faut reconsidérer certaines balises. Souvenons-nous de ces deux grands courants diffus qui se sont affrontés dans les années 1990 entre, d’un côté, les «éradicateurs» et de l’autre les «dialoguistes». Les grandes puissances occidentales, de la France aux Etats-Unis en passant par la Grande-Bretagne, étaient plutôt favorables aux dialoguistes, pour ne pas dire aux islamistes. Mais entretemps, il y eut les attentats du 11 septembre, ceux de 2005 à Londres, 2012 en France avec l’affaire Merah, et les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015. Ces attentats ont transformé les doux dialoguistes en féroces éradicateurs. Les Etats-Unis qui, avant le World Trade Center, voyaient plutôt d’un bon œil l’arrivée des islamistes au pouvoir en Algérie, changèrent du tout au tout avec à la clé un Patriot Act pour oindre de légitimité le contrôle des libertés individuelles, Guantanamo et les avions clandestins de la CIA. La France est en train de leur emboîter le pas. Quant à la Grande-Bretagne, sa bienveillance à l’égard des islamistes s’est tarie il y a bien longtemps.
Tout cela pour dire que l’advenue de l’horreur a commencé, chez nous comme ailleurs, dans un affrontement de deux forces qui ne pouvaient se défaire de leur radicalité. Les dialoguistes doivent, du moins pour ceux qui assument leurs responsabilités, se mordre les doigts d’avoir préconisé une voie qui a quelque part mené à cette abomination que l’on vit aujourd’hui.
On a accablé les éradicateurs, les tenant pour responsables de toutes les vilénies. Les dialoguistes devraient, eux, avoir toutes les raisons du monde de pavoiser du fait du triomphe de leur poulain. Pavoiser ? Oui, ils peuvent car la société algérienne a tant et tant été perfusée à un islamisme frivole du point de vue de la spiritualité, et gorgé de violence, qu’elle en est devenue méconnaissable en deux petites décennies. Des exemples ? Une forme d’hystérie dans l’adhésion pas toujours platonique à Daesh suffit à montrer à quel point la radicalité est à fleur de peau.
Ce qui est paradoxal et qui serait amusant en d’autres circonstances, c’est que ce ne sont plus guère les éradicateurs d’hier qui résistent à cet islamisme bicéphale – une tête dans les institutions de l’Etat et l’autre dans les marges de la société – mais certains des dialoguistes qui, aujourd’hui, essayent vainement de contenir une progression qu’ils ont grandement facilitée. Il est patent qu’on ne peut plus identifier de la même manière les acteurs politiques et leur positionnement par rapport à l’islamisme, notamment depuis l’accession de Bouteflika au pouvoir. A sa charge ou à sa décharge, il a commis l’exploit de retourner les pires éradicateurs en zélés dialoguistes et très, très rarement l’inverse. L’attrait du pouvoir a été efficacement utilisé par Bouteflika qui fait coexister depuis 1999, dans les divers gouvernements, islamistes et démocrates réversibles.
Le recul le plus spectaculairement notable est celui de la notion même de laïcité. Dans les années 1990, le mot laïcité était presque perçu comme une insulte. Aujourd’hui, c’est carrément un blasphème. Faut-il rappeler que la laïcité n’est pas plus française que la démocratie n’est grecque et le capitalisme protestant ? Et faut-il souligner aussi que la laïcité n’est pas contre une religion mais qu’au contraire, elle la protège ?
A. M
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