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    Post Les yeux languides…

    Chronique du jour
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    22 Mars 2015

    Les yeux languides…

    Par Arezki Metref
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    Depuis un moment, j’avoue que je me sens quelque peu addict à Facebook. Un peu camé même, mais juste un brin ! Oh non, je n’y passe pas tous mes mois bissextiles mais j’y fais tout de même obligatoirement ma petite balade bucolique quotidienne. Une sorte de parcours de santé à revers. Une façon d’accomplir, en travestissant le commandement philosophique, cette prière du matin que Hegel identifiait à la consultation de la presse du jour.
    Quand j’ai rejoint le réseau social, j’étais lesté d’un principe d’airain, et je voulais m’y tenir mordicus. Moyen fantastique de partager avec des gens, proches ou inconnus, des choses intéressantes, je me suis promis de faire dans le dense, le lourd, le consistant, si tu vois ce que je veux dire ! Que ça rapporte des mille et des cents à Marc Zuckerberg, je n’y voyais pas d’inconvénient. Au point où nous en sommes du masochisme, ce n’est qu’un cran de plus…
    Je m’aperçus très vite que c’était là un vœu pieux, voire hypocrite. Difficile, réalisai-je, de bannir cette frivolité parfois facétieuse à laquelle invite la réalisation instantanée de la communication avec des gens qui vaquent aux quatre coins du monde. Je me suis promis, comme ça, que je ne publierai rien qui ne possède la plus-value qui dope de son écot le débat.
    Je déchantai allègrement. Très vite, l’exercice allait me cingler avec une réponse banale à pleurer. Eh oui, mon bon monsieur, ainsi est l’être humain ! Les gens sont comme ça, tu vois, ingrats, indiscrets, inconséquents, jaloux, envieux, comme on dit au Café du quartier qui est l’agora de notre civilisation de la déglingue arriviste et de la vanité ontologique.
    Entre ce qu’on proclame et ce qu’on fait, il y a un univers entier peuplé de tautologies. Quand je m’essore ce qui me reste de neurones pour publier sur mon mur un texte qui me paraît justiciable d’un débat, genre article, étude, réflexion, ou que je «partage» l’œuvre de quelqu’un d’autre, souvent, soit ça suscite une belle indifférence générale, soit quelques amis condescendants me gratifient d’un petit like de politesse.
    Un clic du cœur virtuel et le tour est joué. Pause : faut pas généraliser, tout de même. Dans la population de Facebook, il n’y a pas que du vaporeux. Il y a, et c’est même une majorité, des maquisards du principe qui résistent farouchement aux sirènes du colifichet ou plutôt aux colifichets des sirènes.
    En revanche, quand il s’agit de futilités, là ça y va ferme ! Les souris dansent tout ce qu’elles savent… Il y a alors de la générosité dans l’air. J’ai des tonnes de commentaires inspirés, caustiques, chiadés, ciselés, approbateurs, désapprobateurs, hostiles, conciliants…. Tout le monde va au charbon sans rechigner. C’est la ruée !
    Mais ce n’est pas cela, le plus grave. Je me suis aperçu, à ma grande honte, que moi-même qui me pose en partisan et en praticien de la densité, je me surprends à privilégier la futilité, la frivolité, l’amusette…Je vais plus volontiers vers la vétille…
    Plus facile à lire. Plus marrant. Pourquoi s’embêter avec de la sentence et de la gravité ? Tu sais, on n’a qu’une vie… L’insoutenable légèreté de l’être… Et puis, les gens sont comme ça ! Le mur de Facebook, comme celui de Berlin après la chute, quand seuls des pans ont subsisté, est là pour qu’on y taggue ce qui nous touche, fût-ce de la broutille.
    Du coup, j’ai dégoté le truc. Pour faire réagir la peuplade Facebook engoncée comme je le suis moi-même désormais dans ses rites de la breloque, je balance quelquefois quelques lignes de sottise provocatrice. En vérité, j’ai appris cela d’un frangin qui, quand il veut rigoler un coup, lance comme une bouteille à la mer : «qu’est-ce qu’il est con !» Indéfini ! Personne ! No body ! Eh bien, il y a du répondant à ce type de post. Les commentaires pleuvent, qui culminent dans la philosophie…
    Bien entendu, je ne vais pas t’assommer avec mes histoires de Facebook qui ressemblent du reste à celles de tous les facebookers de la Création. Si je commence par ce bout de la lorgnette, c’est parce que ça à avoir avec ce dont j’ai choisi de parler. Avant d’entrer dans la chanson, une dernière note du Facebook. Il permet quand même un échange fabuleux, instantané, avec une multitude de gens. Et surtout, on a la possibilité de publier des tas de choses, textes, musiques, photos, vidéos.
    L’autre jour, je suis tombé sur la version de Chehlat Layaâni de Kamel Messaoudi. J’aime bien sa façon d’alléger des classiques et d’en faire de la variétoche. Il avait la voix pour. J’ai publié cette version avec ce commentaire à l’intention première de mon ami Nadjib Stambouli que je tiens pour l’héritier de la mémoire de la culture algéroise. Rien qui puisse lui échapper.
    «Est-ce que Nadjib Stambouli me contredirait si j'avançais que Kamel Messaoudi tient la meilleure version de Chehlat Laâyani créée en 1958 par Abdelhakim Garami devenue un tube de chaâbi algérois grâce à Mohamed Zerbout qui l'a enregistrée pour la première fois en 1959 chez la maison de disques Dounia.
    Ce tube de chaâbi est tiré d'un boléro cubain, Quizas Quizas, Quizas, écrit par le Cubain Osvaldo Farrés (tiens, ce ne serait pas un de nos Farrés qui aurait jadis émigré?) en 1947.
    Ce post innocent a déclenché un échange riche qui nous en fait savoir davantage sur Abdelhakim Garami.
    Un mec discret et talentueux, et qui mérite d’être connu au moins autant que son œuvre devenue un poncif. Mais on me fait signe que c’est fini pour aujourd’hui. Je causerai de lui et de sa chanson Chehlat Laâyani (que je traduis, faute de mieux, et avec la complicité de Nadjib Stambouli, par les Yeux languides ) tantôt….
    A. M.

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    Post Chahlet Laâyani, la Nedjma du chaâbi

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    29 Mars 2015
    Chahlet Laâyani,la Nedjma du chaâbi


    Par Arezki Metref
    [email protected]



    J'avais promis, la semaine dernière, de revenir sur cette chanson, Chahlet Laâyani, tirée de Quizàs, Quizàs, Quizàs. D'ailleurs, et j’en conviens, ce que j'en dis ici ne satisfait que modérément la curiosité. Grâce à des relais amicaux, j'ai pu établir le contact avec Boubekeur, le fils d'Abdelhakim Garami, mais le défaut de temps m'a empêché de mener le minimum d’enquête qui aurait permis d'apporter des informations plus complètes sur le sujet. Cependant, je m'acquitte, ici, de cette promesse et m'engage – promis, juré ! – d’approfondir dès que possible.
    Se peut-il qu'Abdelhakim Garami(1) n'ait jamais entendu Quizàs, Quizàs, Quizàs avant de composer Chahlet Laâyani ? Peu probable. Ceux parmi nous qui soutiendraient, par chauvinisme chaâbiste par exemple, le contraire, ont certainement tort. La gémellité mélodique des deux chansons ne découle pas uniquement de réminiscences ni d'une sorte d'intermusicalité, comme on parlerait d'intertextualité, euphémisme pour dire plagiat en littérature. Il s'agit plutôt d’une reprise, voire d'une adaptation comme il est d’usage d’en faire dans la planète musique(2).
    C'est qu'en 1958, année où Abdelhakim Garami donna la chanson à Cheikh Zerbout, qui en fut le premier et singulier interprète, Quizàs, Quizàs, Quizàs, due au fécond musicien cubain, Oswaldo Farrès, prenait son second souffle avec une adaptation en anglais puis une autre en français. Adaptations par lesquelles, de toute évidence, la chanson débarqua sur les ondes algériennes.
    Elle existait depuis 1947. Oswaldo Farrès l'avait composée et interprétée pour l'émission radio cubaine qu'il animait, «Le Bar Musical.» Elle fut ensuite reprise en espagnol par Nat King Cole et en français par les Sœurs Étienne. Presque 70 ans plus tard, le tube continue toujours à être repris et adapté. A ce jour, on compte des centaines de versions dans des dizaines de langues et de styles musicaux. Rien que sur le site musicMe, en cliquant sur le titre de la chanson, on tombe sur 126 versions par 56 artistes du monde entier allant de l'original d'Oswaldo Farrès à Roberto Alagna en passant par Les Gypsies, Arielle Dombasle, Cesaria Evora, Jennifer Lopez, un chanteur chinois et bien d'autres.
    La prouesse d'Abdelhakim Garami n'est pas seulement d'avoir réussi à faire d'un boléro cubain un standard immortel de chaâbi algérois. La fluidité mélodique de sa version, la simplicité et la poésie romantique des paroles, l'authenticité des sentiments, tout cela confère à sa chanson la puissance émouvante de ces hymnes sans auteur. On croirait l'une de ces œuvres créées ex nihilo, que la douce mélancolie de l'amour contrarié fait pousser jusque dans les déserts comme ces lis des impalas qui égayent l'aridité et même la désespérance.
    Pourtant, on a tendance à l'oublier, derrière, il y a une histoire.
    Véridique ? Un homme, Abdelhakim Garami. Une femme, Chahlet Laâyani (les yeux languides, ensorceleurs). Cet oubli est peut-être une louange.
    Il est la rançon de l'osmose entre une œuvre et un public. Chahlet Laâyani, la femme donc, est d'une certaine manière la Nedjma de la chanson chaâbie. Comme Kateb Yacine faisant d'un amour impossible pour une cousine déjà mariée un chef-d’œuvre de la littérature, Abelhakim Garami a sublimé sa passion pour une femme en poncif musical.
    Celle qu'il désigne sous l'attrait hypnotique de Chahlet Laâyani n'est pas uniquement une création artistique. C'est aussi une belle jeune femme de sa proximité cherchelloise qui lui aurait inspiré cette complainte : «Dites à Chahlet Laâyani/Celle dont l'amour me consume/comme il est facile de s'attacher/la séparation m'est cruelle».
    On a envie de savoir quel homme était l'auteur de ces vers transis. Abdelhakim Garami est né à Cherchell en 1929. Il eut la chance de poursuivre des études qui le conduisirent à un diplôme d'aide-comptable, une profession qu'il exerça à partir de 1950 à la Pêcherie d'Alger et la malchance, à l'âge de deux ans, de faire une chute dont il garda un handicap.
    Il baigna très jeune dans la musique. En 1943, installés à Alger, ses parents habitent dans une maison appartenant au mélomane et maître du chaâbi, Cheikh Hadj Kaddour al Cherchalli. Ce dernier décela la passion du jeune garçon pour la musique et l'encouragea dans cette voie. Entre 1945 et 1950, Abdelhakim ne rata aucun concert maison donné chez Cheikh Kaddour par les jeunes maîtres du moment : El Anka, M'rizek, etc.
    Il s’essaya à l'écriture et à la composition. Ses premières créations furent bien reçues par ses amis interprètes. Il quitta son travail à la Pêcherie pour se consacrer au chaâbi. Il vécut alors en animant des mariages et autres fêtes. C'est en 1958 que son étoile commença à luire.
    A l'occasion d'une soirée à la salle Bordes à Alger, accompagné d'un orchestre dirigé par El Anka, il chanta deux de ses nouvelles créations dont Chahlet Laâyani. Sa voix grave ne collant guère à ce type de mélodie, le jeune Cheikh Zerbout lui arracha la chanson qu'il sera le premier à enregistrer. Après l'indépendance, Abdelhakim Garami connut une belle carrière dans le chaâbi qui fut abrégée, en 1970, par une mort tragique à l'âge de 41 ans.
    L'histoire dramatique de la chanson Chahlet Laâyani a comme rejailli à la fois sur son auteur compositeur, Abdelhakim Garami, et sur son premier interprète, Cheikh Zerbout. Ce dernier, qui fut un jeune prodige du chaâbi, a connu une vie d'exil et de souffrances. Il décéda, nécessiteux, à Alger en 1983 d'un cancer de la gorge après une longue et prométhéenne traversée du désert.
    A. M.


    1. Un article biographique est consacré à Abdelhakim Garami dans le site rasdwamaya:
      Abdelhakim Garami - L'art et l'histoire. Il se reporte aux recherches de l’infatigable et précieux Abdelkader Bendamèche, journaliste, parolier et animateur de Maya wa Hssine.
    2. Nadjib Stambouli me fait observer qu’à l’époque, «l’adaptation était monnaie courante, la plus célèbre étant Min Djibalina de Mahboub Stambouli, sur la musique de Sambre et Meuse. Si Iguerbouchène n'était pas adepte de ces adaptations, d'autres compositeurs, comme Missoum, se faisaient un point d’honneur à en faire, en leur donnant une tonalité algérienne dans sa spécialité, le âsri (moderne) notamment pour Lamari, Seloua et autres.»

    Dernière modification par zadhand ; 29/03/2015 à 22h17. Motif: Chahlet Laâyani, la Nedjma du chaâbi
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    Post Conversations avec Bouzid Kouza à Tizi… Uzès

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    05 Avril 2015
    Balade dans le Mentir/vrai(49)
    Conversations avec Bouzid Kouza à Tizi… Uzès

    Par Arezki Metref
    [email protected]
    Sans doute jamais Bouzid Kouza n’aurait imaginé qu’on puisse aller le débusquer dans son ermitage – hédoniste, tout de même, voire païen – d’Uzès, dans le sud-ouest de la France, qu’il a baptisé par ironie Tizi Uzès. Et voilà qu’un jour, m’y trouvant en visite et me souvenant qu’il y posait parfois son balluchon de transhumant au long cours, je lui passai un coup de fil. C’est qu’en me donnant son numéro, quelques mois auparavant, il ne croyait pas, plus que moi d’ailleurs, que j’irais le surprendre dans sa tanière au bout du Gard. Ah ce hasard !
    Depuis quelques années, habitant quasiment dans un avion, un train, un bus, il vit entre Berlin, Uzès, Paris et Alger, poussant le bouchon jusqu'à Bamako et même Ouagadougou tout en prenant soin de revenir quelques fois à Tighlit, le village des origines, à la Kalaâ des At Abbas.… Bref, les gènes d’errant, jamais ne se taisent…
    Cette histoire commence donc avec le hasard d’une soirée où papotant de tout et de rien, il me fournit l’innocente opportunité de poser la question qui me brûlait les lèvres depuis un moment. Le roman L’As de Tahar Ouettar est-il aussi intéressant en arabe qu’il l’est devenu en français ? Intéressant ? Oui, au fond, ça veut dire quoi, intéressant ?
    La question est posée, si j’ose dire, à la source, Bouzid Kouza en ayant été le traducteur en 1983.
    Je revois Bouzid Kouza réfléchissant un moment, occupé sans doute à peser ses mots. Puis il entreprit une sorte de mise au point avant de répondre : «Depuis ses déclarations sur Tahar Djaout, je me suis brouillé avec Ouettar. C’est inadmissible ce qu’il a dit».
    Il en vint enfin à la question elle-même, mais en bottant d’une certaine manière en touche. Modeste, il voulait absolument réduire un maximum son apport, que je soupçonne décisif, au roman de Ouettar. Il commença par vanter les qualités de la langue populaire de Ouettar. Puis, en le harcelant quasiment pour qu’il réponde avec le plus de précision possible, il finit par concéder qu’il fallut tout de même booster quelque peu la traduction française. Heureusement, que poète lui-même, et maître de la langue, Bouzid Kouza put apporter du renfort au texte.
    D’ailleurs, quand on connaît l’un et l’autre, on se demande ce qui a pu rapprocher Tahar Ouettar de Bouzid Kouza. Je saurai par la suite que c’était moins la littérature que l’engagement communiste clandestin. Avec Abdelhamid Benzine, Djamal Mesbah et Tahar Ouettar, Bouzid Kouza eut à s’occuper, en 1966, de l’édition en arabe de Saout Echaâb, l’organe central du Parti de l’Avant-garde socialiste (PAGS) qui venait de naître des cendres de l’ORP où prédominaient les communistes du PCA.
    Les nécessités de ce travail les faisaient se voir régulièrement. Bouzid Kouza, qui apprit l’arabe d’abord à l’école coranique Sidi Lakhdar puis à l’Institut Ben Badis et enfin à la Medersa (lycée franco-musulman) de Constantine, membre d’un réseau FLN dès le lycée, rencontra le communisme grâce à la lecture de poètes comme Eluard, Nazim Hikmet, Aragon.
    Il se souvient de la fascination pré-narcissique de Tahar Ouattar pour les communistes qui avaient combattu pour l’indépendance et qui furent discriminés. Il avait entendu parler de Maurice Laban et de Mohamed Lamrani, cet avocat batnéen qui fut un compagnon d’armes proche de Ben Boulaïd, de Taleb Bouiali. Tous ces communistes qui combattirent les armes à la main firent les frais de l’intolérance idéologique et disparurent dans des circonstances troubles.
    Je ne suis pas loin de penser que la cause militante est pour beaucoup dans la décision de traduire L’As. Bouzid Kouza l’admet du bout des lèvres mais il souligne tout de même l’intérêt littéraire du roman.
    Revenons à ce papotage anodin qui grimpe, impromptu, d’un cran dans le sérieux. Tant qu’à faire, quand on tient Bouzid Kouza, on a soudain une cascade de questions qui affluent. En réalité je ne les lui ai jamais posées, ce n’est que ces derniers temps que l’idée m’en est venue. Par exemple : pourquoi cet excellent poète, nourri des orpailleurs de la poésie, un des rares avec qui j’ai pu échanger autour de Ritsos par exemple, a-t-il si peu publié ?
    A ce propos, j’ai presque envie de citer Smaïl Hadj Ali qui m’a fait remarquer que dire bon poète, c’est en quelque sorte commettre un pléonasme, car être poète suppose être bon. Dans le cas contraire, on ne peut le prétendre. Certes l’œuvre de Bouzid Kouza est de celles qui ne sont pas abondantes(1), c’est peut-être pourquoi elle est digne d’être redécouverte, voire découverte. Sans doute, l’enchaînement d’une vie habitée par le militantisme dans le PAGS dont des années de clandestinité, puis de journalisme professionnel – il fut, entre autre, l’un des responsables de la rédaction d’Afrique-Asie au côté de Simon Malley –, n’a-t-il laissé que peu de place à la poésie.
    Récemment, Bouzid Kouza m’a appris qu’il a retrouvé un article sur sa poésie paru dans L’Unité en juin 1979. «Il est signé d’un certain Nazim Mahdi», me dit-il. C’est bien l’un des pseudonymes que j’utilisais pour signer des papiers dans L’Unité dans cette période où j’effectuais mon service national.
    Ce soir où à Uzès j’abordai avec Bouzid Kouza la question de sa traduction de L’As, il s’agissait initialement de satisfaire une simple curiosité dans un bavardage anodin.
    Petit à petit, je réalisai que nous ouvrions une page de notre histoire littéraire que, je le souhaite, Bouzid Kouza prendra soin de remplir au profit de la mémoire collective.
    A. M.

    1) Clandestines, Editions Révolution socialiste (PAGS-1968, Alger), Feux de voix, Editions Laila Moulati, 2010, Alger.

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    Post Les tribulations de Khaled

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    12 Avril 2015

    Les tribulations de KhaledPar Arezki Metref
    [email protected]



    Franchement, les suites de la chronique sur Chahlet Laâyani et sur son auteur, Abdelhakim Garami, ont été réactives, foisonnantes. Et la plupart du temps intéressantes. Un et même plusieurs messages ont concerné l’énigmatique cheikh Mohamed Zerbout, premier interprète de ce qui allait devenir un tube, dont l’exil calamiteux serait, pour ainsi dire, «légitime» puisqu’il aurait quitté l’Algérie pour cause de positions troubles à l’égard de l’occupant. Certains vont même jusqu’à m’écrire que, pour cette raison, il méritait la vie difficile qu’il a connue.
    J’ai aussi reçu quelques témoignages de différentes personnes qui auraient identifié, à des endroits différents, Chahlet Laâyani, cette femme qui a inspiré Garami, sans vouloir donner plus de précisions pour des raisons évidentes de respect de la vie privée… D’où la difficulté à écrire notre histoire culturelle.
    Cette chronique a montré, à travers toutes ces réactions, combien la musique peut être au cœur d’une identité culturelle, et combien, de ce fait, elle devient un enjeu.
    De nombreux exemples en attestent. C’est d’ailleurs sous ce signe que s’est tenu cette semaine au Cap-Vert l’AME (Atlantic Music Expo), ce grand marché de la musique qui célèbre la création artistique, seule ambassade, dit-on, de ces îles qui ont donné une Cesaria Evora.
    D’ailleurs, son ministre de la Culture, Mario Lucio, l’un des rares auteurs compositeurs au monde à avoir provisoirement laissé ses instruments pour assumer la charge d’un maroquin(1), le déclare : «Quand on dit que notre seul pétrole, c’est la musique, je réponds que la différence fondamentale, c’est que cette ressource-ci ne s’épuise pas.»
    Ceux qui se demandent, à raison très certainement, pourquoi les musiciens, les chanteurs sont toujours plus populaires que les autres artistes et intellectuels, qu’ils sachent que, outre les bénéfices du Star système qui indexe la célébrité aux tintements du tiroir-caisse, il faut aussi en convenir, la musique agit sur nous d’une façon très particulière.
    Un jour, le peintre Wassily Kandinsky, soucieux des effets de l’art sur l’âme humaine, assista à une représentation de l’opéra de Wagner, Lohengrin. Il avoua avoir ressenti une «synesthésie», mot savant pour décrire une vibration de l’être tout entier. C’est ce qu’on appelle chez nous le tarab.
    Ce qui me conduit à poursuivre ce propos sur la musique, enjeu ici, en évoquant notre bon vieux Cheb Khaled. Décidément, ça ne semble pas être sa semaine ! Une vidéo pirate le montre entrant, visiblement encadré par des officiels, dans le consulat d’Algérie de Vitry-sur-Seine, en France, sous les huées de quelques compatriotes irascibles lui criant : «Espèce de traître, va au Maroc !»
    On pourrait comprendre qu’excédés par l’octroi de la nationalité marocaine du chanteur par le souverain Mohammed VI – on peut être roi du Maroc et fan de Khaled, les rapports entre raï du roi et roi du raï n’étant pas interchangeables –, des jeunes lui jettent l’insulte à la face.
    En réalité, cela ne regarde que lui. Marocain ? Et après ! A cet égard, personne n’a le droit de le juger. D’autant que, touché visiblement par la campagne de dénigrement suite à cette affaire, il a cru bon rétablir l’équilibre en se mettant complaisamment au service du pouvoir de Bouteflika. On peut revoir le fameux clip de 2014 où il s’éclate, avec d’autres, dans la célébration tarifée du Guide de la Nation.
    C’est que ce n’est pas de tout repos d’être un enjeu ! Et qu’il le sache ou pas, d’une certaine façon, Khaled en est un.
    Cependant, il faut lui rendre ce qui lui appartient. Comme ce véritable acte de bravoure. Devant se produire au Maroc en 2008, Khaled se voit proposer du fric pour s’aligner sur les positions marocaines sur le Sahara occidental. Il refuse. Il se fait alors agresser sur scène où il reçoit des bouteilles de verre qui le blessent. Toute la soirée, il est copieusement insulté par un public chauffé à blanc. Les organisateurs de ce piège n’avaient pas oublié que lors d’un concert à Madrid, toujours en 2008, Khaled avait exhibé un drapeau de la RASD.
    Mais la pire des choses qui pouvait lui arriver vient de lui tomber dessus comme un météore. Didi, son tube planétaire, a été reconnu par la justice comme un plagiat. Didi ? Oui, cette chanson qui l’avait propulsé en 1992, sous les sunlights du monde entier, arrangée par Don Was, producteur des Stones, et Michael Brook. Rabah Zaradine, Cheb Rabah de son nom de scène, a convaincu visiblement le tribunal que Khaled avait tiré son Didi de Eli Kan, sa chanson à lui, produite à Alger en 1988. Plagiat ? Oui, tranche le tribunal et j’avoue qu’en écoutant les deux chansons, on ne manque pas d’être troublés par la similitude.
    Khaled doit casquer grave : deux fois 100 000 euros et la restitution des droits d’auteur perçus sur la chanson et dans le monde entier depuis 2003.
    Et sans doute le fric n’est-il pas la pire des punitions. La pire, c’est de tomber de son piédestal. Mais il semble qu’il ne soit pas tombé pour tout le monde. Mon vieux pote Nadir Bacha aurait entendu une autre version de cette histoire. Où est la vérité ? Va savoir…
    Le fait est que, selon les sources de Nadir Bacha, le ci-devant Cheb Rabah, auteur de la chanson, aurait jadis cédé les droits à Khaled de façon informelle. Comme qui dirait de main à la main, ni vu ni connu.
    Puis lorsque Khaled a fait passer la chose du stade de chansonnette bricolée pour une cassette à celui de tube international, l’appétit serait venu. Judiciairement parlant, tout est en règle. Mais moralement, si tant est qu’on puisse parler de morale ?
    A. M.

    1) Il y en a quelques-uns, célèbres… Mélina Mercouri, actrice et chanteuse, a été ministre de la Culture en Grèce et Gilberto Gil au Brésil de Lula…

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    Post Retour sur le duo dialoguistes-éradicateurs

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    19 Avril 2015
    Retour sur le duo dialoguistes-éradicateurs



    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Eh bien voilà le ministre du Commerce contraint à faire machine arrière dans sa tentative d’assainir le commerce des boissons alcoolisées ! Sport d’élite : de l’art d’amortir sans ciller ! L’autorisation préalable pour l’exercice de ce commerce aurait pourtant été tout bénéfice. La morale nationale n’y aurait rien perdu, et l’économie aurait gagné à ce que ce secteur soit soustrait aux magouilles des requins, souvent barbus du reste, de l’informel. Quand je dis la morale nationale n’y aurait rien perdu, je fais référence au fait que la consommation est sans doute plus importante quand elle est favorisée par la transgression de l’interdit.
    Mais la salafisation même plus rampante niche désormais à des niveaux respectables de ce qui reste de l’Etat. ça fait longtemps qu’on a cédé et le doigt et la main, maintenant il faut donner le reste.
    Le commerce des boissons alcoolisées a toujours existé et depuis l’indépendance, l’Etat algérien l’a géré avec – allez, disons-le – une relative neutralité, parfois bancale il est vrai, cédant souvent aux extrémismes de la purification.
    Face à l’hystérie de la revendication de l’interdiction totale, la réponse a été jusqu’alors tant bien que mal la raison. Mais l’émiettement de l’autorité de l’Etat, la dislocation sous les coups de boutoir de l’islamisme de la protection de l’intérêt privé, a conduit à une situation où un Premier ministre dédit son ministre du Commerce. Cette compromission en dit long sur l’abdication de la résistance à l’islamisme.
    L’agrément délétère de cet islamisme en Algérie contraste avec la nouvelle tendance à la chasse aux islamistes qu’on peut observer dans les pays occidentaux.
    Aujourd’hui, tout mène à la conclusion qu’on a intégré la nocivité à l’échelon international de l’islamisme. Quand on oublie ou feint d’oublier à quel point il est terrifiant, Daesh s’évertue à nous le rappeler. Daesh, comme jadis Al-Qaïda ou les divers groupes qui se font et se défont à la vitesse d’un massacre, sont-ils des créations d’officine destinées à mettre en place de nouvelles situations géostratégiques ? ça ne change rien au fait de la manipulation du désespoir social. Et rien à l’horreur de la boucherie…
    Sans remonter trop loin dans le temps, l’hécatombe des étudiants au Kenya est emblématique tout à la fois de l’horreur, de la cécité et, tout compte fait, de l’absurdité de la violence djihadiste. C’est pour ainsi dire dans l’ordre des choses. Mais cet ordre des choses est-il naturel ?
    Comment en est-on arrivé là ? Je ne vais pas rappeler tous ces processus mortifères qui, pas après pas dans l’abomination, ont mené à des formes d’horreur inédites que l’on ose encore rattacher à quelque chose qui se revendiquerait de la religion. Le mal est fait mais ne peut-on pas tout de même remonter à ses origines ?
    Puisque l’Algérie a le funeste privilège d’avoir été le laboratoire natal de l’expérimentation dans l’extermination d’une partie de la société pour instaurer l’ordre islamiste, c’est chez nous qu’il faut reconsidérer certaines balises. Souvenons-nous de ces deux grands courants diffus qui se sont affrontés dans les années 1990 entre, d’un côté, les «éradicateurs» et de l’autre les «dialoguistes». Les grandes puissances occidentales, de la France aux Etats-Unis en passant par la Grande-Bretagne, étaient plutôt favorables aux dialoguistes, pour ne pas dire aux islamistes. Mais entretemps, il y eut les attentats du 11 septembre, ceux de 2005 à Londres, 2012 en France avec l’affaire Merah, et les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015. Ces attentats ont transformé les doux dialoguistes en féroces éradicateurs. Les Etats-Unis qui, avant le World Trade Center, voyaient plutôt d’un bon œil l’arrivée des islamistes au pouvoir en Algérie, changèrent du tout au tout avec à la clé un Patriot Act pour oindre de légitimité le contrôle des libertés individuelles, Guantanamo et les avions clandestins de la CIA. La France est en train de leur emboîter le pas. Quant à la Grande-Bretagne, sa bienveillance à l’égard des islamistes s’est tarie il y a bien longtemps.
    Tout cela pour dire que l’advenue de l’horreur a commencé, chez nous comme ailleurs, dans un affrontement de deux forces qui ne pouvaient se défaire de leur radicalité. Les dialoguistes doivent, du moins pour ceux qui assument leurs responsabilités, se mordre les doigts d’avoir préconisé une voie qui a quelque part mené à cette abomination que l’on vit aujourd’hui.
    On a accablé les éradicateurs, les tenant pour responsables de toutes les vilénies. Les dialoguistes devraient, eux, avoir toutes les raisons du monde de pavoiser du fait du triomphe de leur poulain. Pavoiser ? Oui, ils peuvent car la société algérienne a tant et tant été perfusée à un islamisme frivole du point de vue de la spiritualité, et gorgé de violence, qu’elle en est devenue méconnaissable en deux petites décennies. Des exemples ? Une forme d’hystérie dans l’adhésion pas toujours platonique à Daesh suffit à montrer à quel point la radicalité est à fleur de peau.
    Ce qui est paradoxal et qui serait amusant en d’autres circonstances, c’est que ce ne sont plus guère les éradicateurs d’hier qui résistent à cet islamisme bicéphale – une tête dans les institutions de l’Etat et l’autre dans les marges de la société – mais certains des dialoguistes qui, aujourd’hui, essayent vainement de contenir une progression qu’ils ont grandement facilitée. Il est patent qu’on ne peut plus identifier de la même manière les acteurs politiques et leur positionnement par rapport à l’islamisme, notamment depuis l’accession de Bouteflika au pouvoir. A sa charge ou à sa décharge, il a commis l’exploit de retourner les pires éradicateurs en zélés dialoguistes et très, très rarement l’inverse. L’attrait du pouvoir a été efficacement utilisé par Bouteflika qui fait coexister depuis 1999, dans les divers gouvernements, islamistes et démocrates réversibles.
    Le recul le plus spectaculairement notable est celui de la notion même de laïcité. Dans les années 1990, le mot laïcité était presque perçu comme une insulte. Aujourd’hui, c’est carrément un blasphème. Faut-il rappeler que la laïcité n’est pas plus française que la démocratie n’est grecque et le capitalisme protestant ? Et faut-il souligner aussi que la laïcité n’est pas contre une religion mais qu’au contraire, elle la protège ?
    A. M
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    Dernière modification par zadhand ; 19/04/2015 à 22h45. Motif: Retour sur le duo dialoguistes-éradicateurs
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    Post Topographie de l’illusion

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    26 Avril 2015
    Topographie de l’illusion

    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Tu broies du noir, bonhomme ! Comme devant une bobine qui fait défiler des images voilées, je revois comme ça des lieux qui ont, par leur fréquentation inopinée, acquis du sens. Le hasard des déambulations d’un après-midi enfin ensoleillé peut réserver bien des étonnements.
    Voici une brasserie où il y a vingt ans, j’ai passé des heures et des heures à tirer avec Abdelkrim Djaâd des plans sur la comète. En voici une autre où, avec Azzedine Meddour, nous avons éclusé maintes conversations autour d’un projet de film qui ne se fera jamais au bout du compte. Et là, oui là, c’est avec Ahmed Azeggagh que j’ai passé près d’une journée à vider un malentendu futile mais coriace.
    - Pourquoi as-tu mis le mot «crevettes» dans un si beau poème ? Lui dis-je.
    J’ai reçu une réponse à la Azeggagh :
    - T’as qu’à pas lire !
    Une journée de dialogue du même cru !
    Traces dans l’air qui se fluidifie. L’errance se poursuit, métaphore de la course à l’inaccessible ! Course de l’illusion !
    Je me souviens de l’ami Sadek Aïssat qui sillonnait Paris au hasard de ses pas, les écouteurs du walkman vissés aux oreilles à écouter El Anka. Le trip ! Il avait la sensation, confia-t-il un jour, de se trouver au point de jonction d’un télescopage des mondes. J’écoute, pour ma part, par la plus grande des énigmes, Lmut d’Idir. Tu broies du noir, bonhomme ! Allez, un peu d’optimisme !
    Et voilà que je me suis retrouvé dans ce quartier où j’ai vécu jadis. Comme la Madeleine de Proust, quelque chose de diffus dans l’air m’a transporté illico dans les premières années de l’exil. Et je ne sais pas pourquoi ce retour s’avère si douloureux. Peut-être est-ce parce qu’il renvoie aux bruits, à la fureur de la décennie sanglante qui a emporté nombre d’entre nous et qui en a déporté beaucoup d’autres. Ces cafés où nous nous réunissions à plusieurs pour tenter de créer une association, pour partager la souffrance et mutualiser l’espoir !…
    Sans trop savoir comment ni pourquoi, je suis passé devant un vieux cinoche de quartier comme il en existe encore à Paris. Un panneau affichait le début de séance d’un film dont j’avais vaguement entendu parler. Je me suis laissé guider –mais était-ce vraiment le hasard – et je suis entré. Une heure 30 plus tard, j’en suis sorti, bouleversé au point d’en modifier mes projets de chronique que je souhaitais initialement consacrer à la peinture.
    Tu broies du noir, bonhomme ! Allez, un peu d’optimisme !
    Je parlerai donc de ce film et à ce propos de ce passé marqué par la mort qui s’éternise dans un présent lui aussi guetté par la mort. Le film s’intitule Une belle fin (Still life) d’Uberto Pasolini. Peut-être est-ce le patronyme du réalisateur qui a déterminé mes pas. Contrairement à Pier Paolo Pasolini, l’icône italienne des années 1970, l’auteur de l’inoubliable Théorème, Uberto Pasolini - neveu de Luchino Visconti- est plutôt versé dans la comédie britannique. Comédie triste dit-on à propos d’Une belle fin, ou comédie sociale, douce-amère. On lui doit notamment la production de The Full Monty, l’histoire d’une bande de chômeurs à bout de ressources qui se voient contraints de verser dans le striptease pour survivre. Un énorme succès international !
    Tu broies du noir, bonhomme ! Allez, un peu d’optimisme !
    Retour à mon cinéma de quartier. La salle était quasi vide. Ce qui prouve au bas mot que le film n’est pas commercial, ce qui peut aussi être un gage de qualité. En fait, on en sort complètement plombé de cette «Belle fin», comme un cercueil. L’histoire est simple. John May, la quarantaine, célibataire, un homme gris au sens kafkaïen du terme, travaille dans un service de recherche des familles de défunts morts dans la solitude. Petit employé méticuleux et obsessionnel, son univers est balisé par les chemins qui conduisent de son domicile à son bureau, de son bureau à la morgue et de la morgue au cimetière. Il collectionne les photos des défunts dont personne ne veut.
    L’acteur britannique Eddie Marsan campe avec beaucoup d’intensité ce personnage insipide et invisible. Son visage est comme un écran où défilent les images sordides de ces logements ayant appartenu aux défunts – ici des slips alignés sur les radiateurs, là des collants suspendus au plafond de la cuisine –.
    Elle a beau être triste, cette comédie l’est pourtant bien moins que la réalité qu’elle dénonce. Le désespoir normalisé d’une vie ordinaire qui prolonge la solitude jusque dans la mort. Voilà un instantané implacable de la société occidentale.
    Quand le générique de fin a été happé par l’écran noir, les lumières se sont rallumées et j’ai commencé à entrevoir le sens de cette conjoncture astrale qui m’a bandé les yeux pour me conduire ici et maintenant.
    Ce sentiment de solitude dans les métropoles occidentales dopées à la vitesse et à la performance, c’est la première chose que j’ai ressentie quand j’ai quitté ma tribu agitée pour me jeter dans la topographie de l’illusion. Plus que dans l’exil, le voyage vers la mort nous laisse nus et démunis. Tout ce qu’on accumule avec amour, rage ou délectation devient un fossile de la dérision. A la sortie, le soleil avait décliné.
    …. Allez, un peu d’optimisme !

    A. M.

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    Post Le train de 12h45 pour Turin

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    03 Mai 2015
    Balade dans le Mentir/vrai(49)
    Le train de 12h45 pour Turin


    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Juste le temps de grimper dans le train numéro 9244 en partance pour Turin ! Il est très précisément 12h45 sur l'horloge à cristaux liquides de la Gare de Lyon à Paris. A peine ai-je posé le pied sur le marche-pied que la machine s’ébranle dans la stridence d'un sifflet. Les portières du TGV se verrouillent alors avec la brutalité de la chute d'un couperet de guillotine.
    A vrai dire, je suis tellement en retard que je n'ai guère le temps de choper à la volée quelque chose à lire. Vu la durée du trajet, quelque 6 heures, c’est plutôt ennuyeux. J'en suis là de mes regrets, quand m'installant à ma place, je trouve sur la tablette posée là, Moïse d’André Chouraqui paru chez Flammarion en 1997. Ce n'est pas exactement le type d'ouvrage que j'aurais volontiers emporté pour combler les blancs d'un voyage en train, mais je ne suis pas mécontent de devoir le lire. Pas de doute, ce serait plus utile que les Chase habituels. Ah oui, il faut que j'avoue que je suis un cas. Depuis le temps, je continue à lire des James Hadley Chase lors de mes voyages. Que le polar ait changé, que de nouveaux auteurs soient apparus sur la scène, je n'en ai cure. Je suis resté bloqué aux Chase. Oui, on est comme on est et il n'y a rien de criminel dans le péché de ringardise. Je lis et relis sans cesse les Eva, La chair de l’orchidée, Chambre noire ou Pas d’orchidée pour Miss Blandish.
    Mais bon, Moïse est là, et pas Chase. C'est peut-être un signe.
    André Chouraqui, je l'avais rencontré dans des circonstances qu'on ne peut oublier. C’était un 16 novembre à l'occasion de la Journée internationale de la tolérance, instituée par les Nations unies. Je ne sais plus quelle année c’était : 1997 ? 1998 ? Pas trouvé le moyen de vérifier. Le fait est que cette année-là, la Cinquième organisait une émission sur la tolérance animée par Claude Serillon. Par deux défections successives, je me suis trouvé à jouer les roues de secours. Lorsque j'avais donné mon accord, j'avais négligé de demander le nom des autres invités. Arrivant dans les studios, j'apprends que j'allais donner la réplique à deux des plus grands penseurs du XXe siècle. Je comptais faire demi-tour lorsque j’appris que je serais assis entre Jürgen Habermas et André Chouraqui. Grimper à cette altitude était définitivement au-dessus de mes moyens.
    Je n'en menais pas large. Pourtant, dès mon premier contact avec eux une demi-heure avant l’entrée en studio, je pus vérifier l'intuition que le gigantisme intellectuel et l’humilité vont de pair. J'eus la surprise d’être accueilli comme un égal, sans aucune réserve. J'en ai connu, par la suite, des petits qui refusaient de partager la tribune avec quiconque était jugé indigne de boxer dans leur catégorie.
    Pas Habermas, réservé mais avenant et souriant, écoutant avec un sérieux bienveillant les vétilles que je débitais. Pas Chouraqui qui m'accueillit avec la faconde méditerranéenne qui est la sienne.

    - Vous êtes algérien ?
    - Oui, fis-je.
    - Je le suis de naissance. Vous connaissez Aïn-Témouchent ?
    - Bien sûr, fanfaronnai-je
    - J'y suis né.
    J'avais un avantage. Célèbre comme il l'était, j'avais beaucoup lu sur lui comme, du reste, sur Jürgen Habermas qui, lui, silencieux, suivait avec un sourire notre échange.
    Puis on vint nous annoncer que nous devions passer au maquillage pour le fond de teint qui empêche la réverbération de la lumière sur les visages. En marchant vers la cabine de maquillage, André Chouraqui continua d'exprimer une curiosité à l'endroit de l’Algérie qui traduisait vraisemblablement une forme de nostalgie. J’ignorais où il en était. Je savais seulement que ce juif algérien érudit, ancien résistant au nazisme, avait décidé d'émigrer dès 1958 en Israël. Il fut, à un moment, vice-maire de Jérusalem.
    - Avec un prénom comme celui que vous portez, vous venez probablement de Kabylie, supposa-t-il.
    - Oui, d'Ath Yani, fis-je, mais je n'y suis pas né.
    - J'étais juge de paix à Fort National en 1947.
    Puis, on nous mit entre les mains d'une charmante maquilleuse. Je n'ai gardé aucun souvenir de l'émission en elle-même. Je ne l'ai jamais vue et ne voudrait pas la voir. Sans doute, ai-je étalé quelques lieux communs pour ne pas donner l'impression que je n'avais rien à dire.
    Habermas fait partie de la deuxième génération de l’École de Francfort. Il était une des figures de la réflexion sur les fondements de la théorie sociale et de l’épistémologie. André Chouraqui, lui, était magistrat puis avocat, à moins que ce soit dans l'autre sens. Mais il était surtout connu pour ses travaux pour ainsi dire pharaoniques, comme la traduction de la Bible. Le train de Turin s’arrête à Chambéry. J'ai lu quelques pages de Moïse. Le train redémarre et mon attention est attirée par les paysages de montagne. Je replonge dans le livre. J'en suis là où le père des Hébreux erre avec eux dans le Sinaï.

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    Post Des mots et des noms ou de l’art et de l’illégitimité

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    10 Mai 2015
    Des mots et des noms ou de l’art et de l’illégitimité

    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Occasion pour parler de Fen’art(1), collectif d’artistes visuels algériens qui vient de naître. Ils se sont regroupés pour faire des choses ensemble, exposer, réfléchir, projeter… Première action : expo collective à Paris, RéZolution… Et une causerie sur l’art algérien le 11 avril dernier où on m’a fait l’honneur de m’inviter avec Camille Penet-Merahi et Nourredine Saâdi. Je publie ici l’intervention que j’ai faite.
    En vérité, je suis un peu embarrassé car je suis venu à cette rencontre avec des idées un peu confuses et un certain malentendu pour ne pas dire un malentendu certain.
    Parce que j’ai, il y a quelque temps, écrit un texte sur la peinture de Kamel Yahiaoui, comme je le fis jadis pour des amis, Ali Silem, Belkacem Tatem et d’autres, on m’a pris pour un spécialiste de la peinture algérienne.
    Ce malentendu a été lourdement aggravé par un petit billet que j’ai écrit à la mort de Wahab Mokrani. Réaction éruptive qui m’a été arrachée par la violence de la mort de Wahab, connectée à la violence de sa vie…
    Je vous rassure ou plutôt je me rassure moi-même : je ne suis pas un spécialiste de la peinture algérienne, ni un critique ni un historien de l’art. Je n’en ai pas le savoir. Mes propos ne portent donc pas d’autre responsabilité que celle de ma subjectivité.
    J’avoue que je ressens, pour encore corser l’affaire, derrière ce malentendu comme une forme d’illégitimité. Illégitimité ? Voilà le mot lâché.
    Oui, je ressens profondément comme une illégitimité à parler de peinture et encore plus à en faire, car j’en fais un peu ou plus exactement j’en ai fait à un certain moment.
    Il n’est pas impossible que mon manque d’assiduité dans la pratique de cet art provienne de ce sentiment. J’ai l’impression d’être un squatteur en peinture. Et cette impression corrosive fragilise, met même en péril le processus de création.
    Vous voyez ! N’est-ce pas confus de commencer un propos sur la peinture lesté de ce sentiment d’illégitimité ?
    Ce serait sans doute fatigant et relativement vain, pour ne pas dire inutile, de remonter aux sources de ce sentiment d’illégitimité. Il faut prendre très certainement en compte un élément psychologique personnel, difficile à capter et à expliquer. Mais je suis persuadé qu’il y a aussi des effets ou des restes de cette gangue idéologique nationaliste dans laquelle les gens de ma génération ont été élevés et qui a incrusté ce manichéisme quasi religieux en toute chose entre légitimité et illégitimité. Peut-être qu’un fond de haram, qui appelle de façon pressante à la transgression, et dont je ne me suis pas encore totalement libéré, agit-il encore en ce moment ?
    Mais je ne vais pas vous assommer avec des états d’âme. Et voilà qu’en prononçant ce mot- le deuxième, après illégitime, qui m’a construit comme regard sur les cimaises – il s’impose à moi à la fois une figuration et une question.
    En lisant Kandinsky pour qui les couleurs et les formes de l’abstraction lyrique sont d’une manière ou d’une autre l’une des expressions d’une fêlure de l’âme, je me demande si la peinture n’est pas tout bonnement un état d’âme. Personne ne bondit ? Je m’explique : il y a, à partir de l’âme, certainement une connexion avec le spirituel et avec le psychisme.
    Et la question, que j’ai promise, est la suivante : exprimer un état d’âme est-il légitime ou non ?
    Je vais faire un aveu. Je me suis demandé pourquoi des gens comme nous (qui ont eu la chance d’accéder à l’école, à l’instruction) n’ont pas été préparés à avoir une curiosité vis-à-vis de cet art qu’est la peinture ?
    Les rares fois où j’ai exposé dans les milieux de l’immigration ou que je me suis rendu à des expositions dans les lieux de cette dernière, j’ai toujours été frappé par une sorte d’indifférence et même une commisération par rapport à la peinture et à ceux qui la pratiquent ou l’apprécient.
    Voici prononcé le troisième mot de cette série. C’est en fait le même mot, seulement il est pourvu ici d’un autre sens : illégitimité ? C’est la peinture elle-même qui serait illégitime dans notre univers culturel Si c’est le cas, pourquoi ? Vaste question pour un colloque…
    Je vais tenter un commencement d’ébauche de doute qui serait un début de réponse interrogative, si je puis me permettre cette circonlocution… Personnellement, l’un des motifs de mon intérêt tardif pour la peinture est peut-être dû au fait que j’ai appris à l’école la plupart des arts, mais je n’ai pas eu la chance d’y être initié de quelque manière que ce soit à la peinture.
    A l’école, on a étudié la poésie, le théâtre, le roman, etc., mais de peinture, point.
    Dans cette école primaire de la banlieue d’Alger que j’ai fréquentée pendant la guerre, il y avait même une salle de cinéma et des instituteurs qui nous expliquaient que le cinéma était un art. Mais point de peinture.
    Au lycée, nous faisions un peu de dessin et même de la peinture, mais c’était une matière technique. Je ne me souviens pas que notre brave professeur, un artiste lui-même au sens du comportement, nous ait un jour incités à aller visiter une exposition. Et encore moins nous y emmener. De mon temps, il n’y avait pas de visite de musée. J’irais au Bardo sur mes jambes d’adulte. Chez moi, il y avait une bibliothèque montée grâce au volontarisme passionné de mon paternel, mais je n’ai jamais vu de reproduction de peinture accrochée au mur, pas même dans ces almanachs des PTT qui étaient courants à l’époque.
    Je m’arrête deux secondes sur la séquence du lycée (j’y suis entré en 1964) qui est pour moi celle d’un paradoxe. A l’exception de quelques noms (Azwaw Mammeri, dont on parlait dans le village, Issiakhem, Khadda, Racim), je ne savais rien de la peinture algérienne. Je n’irais pas jusqu’à dire que, dans mon ignorance, j’allais jusqu’à me demander comment une peinture peut être algérienne mais je n’en étais pas loin. Par contre, je m’intéressais, par une sorte d’acculturation réalisée par le système éducatif, à la peinture comme passion des poètes que j’admirais. Mon penchant pour la poésie m’a fait découvrir des noms de peintres, à défaut de leurs œuvres, notamment ceux dont parlait Baudelaire – un bon critique – qui avait une admiration pour Delacroix, ou Apollinaire dont la tombe, au Père – Lachaise, présente un monument conçu par Picasso lui-même et qui a été financé par la vente aux enchères de deux œuvres de Matisse et de Picasso en juin 1924.
    Voilà la peinture et la poésie comme des sœurs siamoises dans mon esprit. L’intérêt que j’ai ressenti pour le surréalisme, mouvement mené par des poètes, m’a fait découvrir les peintres comme Picasso, Dali, Miro, Chagall, Masson. Mais aussi Baya. La première fois que j’ai rencontré ce nom, c’est sous la plume d’André Breton.
    La relation siamoise entre écriture et peinture m’a été révélée incidemment par une appréciation de Baudelaire disant de Fromentin, écrivain parisien et peintre orientaliste, que «ses toiles soulèvent en moi des vapeurs enivrantes». Sainte-Beuve, lui, voyait en Fromentin un homme «armé des deux mains», la peinture dans l’une et l’écriture dans l’autre.
    Alors, quand on vient d’un désert pictural comme le mien, comment finit-on par peindre ? En 2003, j’ai commencé à peindre. Comme une prédestination, je le faisais la nuit, à la lumière artificielle, clandestinement, balafrant de traits insomniaques une matière inerte et trop étroite à mon goût. Une toile a toujours été pour moi un espace trop réduit pour contenir l’infini des angoisses qui président à Je cherchais moi-même l’explication et c’est bien plus tard que je le rencontrerais dans cette sentence d’Edward Hopper (peintre américain) : «Si vous pouvez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre».
    Mon propos resterait encore plus illégitime que la moyenne si je n’ajoutais aux quelques mots autour desquels il s’articule des noms qui comptent dans ce chemin de découverte de la puissance ontologique de la peinture.
    Denis Martinez, chez qui j’allais à Blida dans les années 1970, et chez qui cohabitaient peintres et poètes dans une seule et unique passion. J’y ai rencontré Oussama Abdedaïm, Silem, Laghouati (qui est lui aussi peintre d’une main et poète de l’autre), Tibouchi et d’autres… Sans compter Denis — lui qui a publié de la poésie.
    Khadda, avec qui j’ai eu de très longues discussions, dont j’ai publié une partie dans Parcours Maghrébins en 1987, sur la critique ou plutôt l’absence de critique d’art en Algérie à l’époque. Je crois pouvoir observer que les choses ont empiré depuis sur le plan de la critique, pas de la peinture elle-même.
    Tahar Djaout. De mes pérégrinations dans le journalisme culturel depuis 40 ans, Tahar est le seul journaliste qui a été attentif à la peinture et aux peintres de façon permanente et talentueuse. Je me souviens de discussions âpres à Algérie Actualités, lorsqu’il réclamait des pages pour des papiers sur des expos.
    Hamid Tibouchi, ce vieux compère, est un peu comme une balise d’intégrité. Poète, il s’est donné à la poésie. Puis peintre, il s’est fait une place dans… la marge. C’est à lui que je dois de me complaire dans l’illégitimité comme dans une œuvre en soi.
    Et enfin, la bande de Nacib, Yahiaoui, les jeunes quoi, qui apportent un tonus nouveau et une audace nouvelle renouvelée à la peinture algérienne. Un dernier mot… En quoi une peinture est-elle algérienne ? En vertu de cette généralité invisible observée par Kandinsky : «Toute œuvre d’art est l’enfant de son temps et bien souvent, la mère de nos sentiments. Ainsi de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété.»
    Je cite encore, à propos de cette fusion écriture-peinture, René Char, le grand poète que l’on sait, qui disait des peintres que ce sont des «alliés substantiels». Je cite enfin Voltaire : «L’art de la citation est l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir par eux-mêmes.»
    Je savais que je n’avais absolument aucune réflexion là-dessus. Merci de m’avoir écouté. Ou lu !
    A. M.

    1) Pour en savoir plus sur le collectif Fen’Art, on peut consulter la page Facebook :
    https://www.facebook.com/groups/fenArt/?fref=ts
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    Post Lecture burlesque d’un lifting

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    17 Mai 2015
    Lecture burlesque d’un lifting



    Par Arezki Metref
    [email protected]



    Dans la diversité des sujets qu’offre l’actualité et la mémoire, s’il y en a un que je ne voulais absolument pas aborder, c’est le remaniement. Pourquoi ? C’est simple : rien à râper. Oui, tu as bien lu, même pour un journaleux, c’est de l’écume. ça ne change rien à rien, vois-tu. Moussa Hadj ou Hadj Moussa, ce sont des frères siamois s’adonnant à ce jeu de miroir qui nous fait enfoncer le doigt dans l’œil.
    Je m’en remets à la vox populi : on les connaît, ceux-là, depuis le temps qu’ils nous bernent ! La rouerie en est devenue de la routine et la routine du grand art !
    Découvrant que le mouvement, c’est du surplace revu à la lumière de la méthode Coué, voilà un gouvernement qui n’arrête pas de se remanier et c’est comme un ventilateur enfermé qui ne brasse que l’air vicié de l’intérieur. On s’ennuie, il ne se passe rien, on nous dénonce pour immobilisme ? Allez, un petit remaniement !
    Une crise interminable, l’impasse, comment sortir du chantier qui vire au marécage de la révision constitutionnelle ? Allez un petit remaniement à ronger ! Donc, à quoi bon en parler ! Mais… Il y a toujours un mais et même un mea-culpa, c’est le dégommage presto de Nadia Labidi du ministère de la Culture, après la démente cabale menée contre elle par le Parti des travailleurs, qui a déterminé à regarder de près ce remaniement ministériel – partiel, dit-on – qui a tout l’air d’un lifting, autrement dit d’une coquetterie destinée à rendre artificiellement une situation plus belle qu’elle ne l’est en réalité. Après tout, peut-être que tout cela nous renseigne sur quelque chose. Comme par hasard, la suite donnée au raid de Louisa Hanoune contre Nadia Labidi s’est terminée par le débarquement de la ministre de la Culture. Fallait-il s’y attendre ? A croire que l’attaquante connaissait l’issue du match avant même de l’engager. Je ne sais pas exactement quel bilan est celui de la ministre sortante, mais il paraît évident qu’elle a servi de roue de secours pour passer notamment le cap difficile du démarrage de «Constantine, capitale de la culture arabe». Maintenant que c’est fait, ciao Pantin !
    Les esprits éclairés rétorqueront que, le sachant sans doute, elle n’avait qu’à ne pas y aller ! Ils n’auront pas tort : quand on plonge dans un bassin de requins, il ne faut pas s’étonner d’en sortir déchiqueté ! Mais ont-ils raison au regard de la cruauté de cette gouvernance de gladiateurs où, dans l’arène, on se bat moins qu’on ne regarde la direction de la main de César ? Pouce en bas : achevez-les !
    J’avoue que sans cette concordance curieuse et amusante entre des attaques bille en tête de Louisa Hanoune et ses militants et la survenue de ce replâtrage, il y avait de quoi prendre l’événement pour ce qu’il est, c’est-à-dire un non-événement. On observe, tristement, d’ailleurs, que c’est là la réaction presque unanime des Algériens. Ils regardent ce jeu de chaises musicales avec la placide indifférence de spectateurs revenus de maintes duperies.
    Oui, au point où nous en sommes, rien ne peut changer la marche triomphale du schmilblick vers le néant. Ce n’est pas un replâtrage de plus ou de moins qui aura raison de la dérive. Quels effets salutaires aura cette anecdote sur le déroulement général de la tragédie ? Hum !
    La plupart des analystes et des journalistes extralucides qui, habituellement, nous dictent ce qu’on doit penser, sont à peu près tous d’accord pour déclarer que ce remaniement n’est pas spécialement significatif, pour ne pas dire pas du tout. Voyez-vous !
    Pourtant, comment le vider de toute signification politique alors qu’on constate que des ministres aussi importants que ceux des Finances et de l’Energie ont été débarqués. Si cette forme de disgrâce n’a rien de politique, c’est que les événements qui l’ont probablement motivée n’ont, eux non plus, aucun contenu politique.
    Pas politique ? Tu plaisantes !
    Mais non, bien sûr, il n’y a rien de politique dans le renvoi d’un ministre des Finances dont le nom semble avoir été murmuré dans l’un des dossiers brûlants en cours !
    Mais non, encore, rien de politique dans la destitution du ministre de l’Energie pour n’avoir vraisemblablement pas anticipé les effets de la chute du prix du baril sur l’économie algérienne, pas plus qu’il n’y en a dans l’entêtement de celui-ci à exploiter le gaz de schiste ! Résultat : des révoltes dans le Sud qui auraient pu, comme ailleurs, livrer les protestataires aux griffes de Daesh.
    Mais non, rien de politique dans la fin de mission de ministres dont les noms sont présumés publiquement dans des affaires ! Enfin, il n’y a rien de politique dans la volonté du gouvernement de se débarrasser de ministres encombrants. S’en séparer, c’est préserver ceux qui ne sont pas éclaboussés, ou pas encore du moins.
    Les analystes qui contestent tout sens politique à ce remaniement, le font en s’appuyant sur des faits indiscutables. Salah Gaïd, le ministre de la Défense, aussi inamovible qu’un monument, est maintenu malgré son grand âge qui lui octroie la médaille du militaire encore en exercice le plus âgé au monde.
    Donc, il est vrai qu’il n’y a rien de politique dans tout ça. Cela ne répond-il à aucune exigence visible ? Serait-ce seulement l’un des tours de passe-passe qui trahit ce qu’Ali Benflis nomme, avec une certaine dramaturgie, une «gestion pathétique» ? Peut-être !
    Bis repetita : c’est le débarquement de Nadia Labidi qui a motivé ce propos. Encore une fois, j’ignore quel est son solde. Mais je crains fort qu’elle ne se soit fait avoir. Pressentie en urgence pour rattraper un dossier pourri, elle se retrouve à terre après qu’on eut lâché les fauves. Tu parles d’un système !
    Difficile de ne pas se convaincre que la nomination puis la relégation d’un ministre sous Bouteflika ne relèvent que du fait du prince. Choix éminemment politique puisqu’il n’est possible que dans un système où le pouvoir finit par devenir absolu, même s’il procède d’une savante et retorse alchimie clanique. Et celui qui prend les décisions n’a de comptes à rendre à personne. Ou à pas grand monde autour de lui !
    A. M.
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    Post Le demi-mot de Georges Conchon

    Chronique du jour
    Ici mieux que là-bas
    24 Mai 2015
    Balade dans le mentir/vrai(52)
    Le demi-mot de Georges Conchon

    Par Arezki Metref
    [email protected]

    Nous étions dans les décombres encore fumants des événements d’Octobre 1988 lorsque l’on m’invita à faire
    partie du jury du Festival international des Migrations-Immigrations.
    C’était un festival de cinéma qui se tenait du 15 au 22 octobre 1988 à Lyon. A Vénissieux, plus exactement.
    L’atmosphère tendue, confinant au tragique, conférée à l’Algérie par ce qui venait de se passer avait fini par traverser la Méditerranée. Les Algériens vivant en France en étaient tout imprégnés et, parmi eux, on ne parlait que de ça. Que s’est-il passé ? Y a-t-il eu des manipulations ? Quel clan a agi en défaveur de quel autre ?
    Est-il vrai que l’armée a tiré sur des mioches ? Soif d’infos... Et colère ! Désenchantement !
    A peine arrivé, un étudiant algérien en cinéma me mit le grappin dessus. Il tournait un documentaire sur le retentissement de la cassure d’Octobre dans l’immigration algérienne. Mon appartenance à l’équipe d’Algérie
    Actualité l’intéressait en tant qu’observatoire de la vie sociale et politique en Algérie.
    Cependant, je refusai. Pour quelle raison ? Sincèrement, je ne saurais le dire. Peut-être que, consumé encore par le chaudron algérien, je n’avais guère envie de participer à ce discours formaté, de mise en France en ce temps-là.
    Et de ce point de vue, je ne crois pas que les choses aient radicalement changé.
    Ou peut-être alors avais-je peur qu’on me reproche de dire ce que je pensais depuis le territoire de l’ancien colonisateur. J’avoue que je n’étais pas encore vacciné contre le délire obsidional. La trouille des procès en sorcellerie à quiconque exprimait un point de vue critique depuis l’étranger, et singulièrement la France pour les raisons que l’on sait, était alors bien plus forte qu’aujourd’hui. Il a fallu passer 20 ans en France pour comprendre que le lieu où l’on vit ne change pas profondément ce qu’on pense, à condition bien sûr que ce que l’on pense ait été construit sur du solide. Peut-être enfin, et vraisemblablement, n’avais-je pas tout compris. Avais-je agi avec cette humilité qui vient de l’inconscient ? Quoi qu’il en soit, même en Algérie, à ceux qui, par excès d’optimisme ou de pessimisme, tirent des conclusions définitives trop hâtivement, je préférais plutôt cette catégorie de personnes qui ont la conviction que tout événement, a fortiori historique, a besoin d’une décantation pour livrer tous ses sens, ou à tout le moins quelques-uns.
    Donc je refusai. Et aujourd’hui, en y repensant, je le regrette. Si cet étudiant algérien dont malheureusement je n’ai pas retenu le nom, lit ces lignes, qu’il sache que si c’était à refaire, je ne refuserais pas. Pourtant vingt-sept ans plus tard, je ne suis toujours pas certain de savoir quoi déclarer sur les faits.
    Mais revenons au cinéma. A vrai dire mes souvenirs sont assez confus. Parmi tous les participants à ce festival – Rachid Bouchareb alors jeune cinéaste, Medhi Charef, Rochdy Zem peut-être, l’acteur Hammou Graïa, Hocine Boukela futur Cheikh Sidi Bémol, Rezki Harani, …
    – je me souviens plus précisément de deux d’entre eux.
    Le premier, Georges Conchon, écrivain et scénariste reconnu, siégeait dans le même jury que moi. Il était l’auteur d’un roman intitulé L’Etat sauvage dont on avait tiré un film en 1977. Avec ses grosses lunettes de matheux, ses cravates de fonctionnaire des impôts, il donnait l’impression d’être un homme austère. Il n’en était rien. Il fallait décoder son humour sophistiqué.
    Les organisateurs du festival nous réunissaient parfois dans un salon privé chez Bocuse, à Lyon. Un jour, Georges Conchon, très pince sans rire, appelle le serveur. Dialogue entre un garçon en livrée et un client encravaté :
    - Je vous prie ! le héla l’écrivain avec componction.
    - Oui monsieur ! s’empressa le garçon raide dans sa solennité.
    - Auriez-vous l’obligeance de voir si dans cette auguste maison
    il serait possible que l’on nous serve une dose de ce jus de houblon qui nous vient d’Ecosse ?
    Sans sourciller le garçon répondit :
    - Bien sûr Monsieur ! Je vous apporte immédiatement la carte des whiskys.
    - Inutile, ce sera un Chivas 12 ans d’âge.
    Il racontait encore comment il s’était fait avoir pour l’adaptation au cinéma de son roman L’état sauvage, prix Goncourt 1964. Au lieu d’accepter de se voir rétrocéder un pourcentage sur les recettes, son incrédulité quant à la carrière du film lui avait fait préférer des droits forfaitaires. Or, le film de Francis Girod, sorti en 1978, avait eu beaucoup de succès. Conchon s’en mordait les doigts !
    Ce n’est que plus tard, en me penchant sur sa bio que je compris deux choses. Un : d’où lui venait le goût des cravates réglementaires. Deux : pourquoi L’état sauvage, son roman le plus important, se passait en Afrique.
    Les cravates viennent de ses fonctions, des années durant, de secrétaire général de l’Assemblée législative en République centrafricaine. La même cravate devait être de rigueur pour lui lorsque, de retour en France, il devint secrétaire des débats au Sénat à partir de 1960. Quant à l’Afrique comme théâtre des péripéties de L’état sauvage, la réponse est sans doute dans cette expérience africaine.
    L’intérêt de ce roman réside dans le fait qu’à travers l’histoire de la liaison d’une Française blanche avec un ministre noir d’un pays africain nouvellement indépendant, après avoir abandonné mari et amant, on voit se dessiner les frictions postcoloniales et les tentatives néocoloniales.
    J’eus la chance ou la curiosité d’avoir eu de longues discussions avec Georges Conchon, en marge du festival. A aucun moment je n’ai eu la présence d’esprit de l’interroger sur le making off du film L’étranger de Visconti, tiré bien sûr du roman de Camus, dont il fut le coscénariste avec Emmanuel Roblès. Pourtant, j’aurais bien aimé en savoir davantage sur la façon dont le scénario avait été reçu par la famille de Camus, et toutes les vicissitudes du tournage.
    Quant à lui, il fit preuve d’une délicatesse qui l’honore en étant l’un des rares à ne pas me harceler à propos des événements d’Octobre. Les autres me considéraient soit comme un émeutier en mesure de révéler qui le manipulait, soit comme un agent du gouvernement. Lorsque le sujet venait en discussion, il écoutait avec un intérêt manifeste sans pour autant participer à la curée.
    Je me souviens aussi de ce jour où un jeune participant au concours de scénarios du festival se présenta à lui :
    - Monsieur Conchon, vous habitez Paris ?
    Du tac au tac, Georges Conchon répliqua :
    - Vous voulez mon adresse ?
    - Non, non. C’est parce que j’y habite aussi et que je voudrais vous soumettre un manuscrit de roman.
    - Oui, poursuivit Conchon, aimable et même intéressé. De quoi s’agit-il ?
    Le jeune homme raconta son histoire.
    - Ça a l’air intéressant en effet, concéda le scénariste.
    - Puis-je venir vous voir alors ? Insista l’importun.
    - Bien sûr, avec plaisir.
    Il sortit son agenda, tourna longuement les pages, et fit un rapide calcul mental :
    -Je vous propose … mars 1989.
    Il lui fixait rendez-vous cinq mois plus tard tant il était surbooké comme on dirait aujourd’hui.
    Le second personnage que je vous ai promis d’évoquer est Georgio Arlorio, un scénariste italien siégeant lui aussi dans le même jury que moi. Mais ce sera pour une autre fois.

    A. M.
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