A la une Actualité_Les ménages taxés et des fortunes épargnées
le 07.12.15 | 10h00

Une fiscalité qui consacre l’inégalité

La loi de finances qui vient d’être votée par le Parlement alimente un sentiment
de frustration au sein des ménages en raison des inégalités grandissantes.

L’opinion publique a du mal à assimiler l’instauration de nouvelles taxes sur l’énergie,
le logement et la vignette automobile au moment où les entreprises profitent
d’allégements fiscaux et que le seuil d’imposition au titre de l’impôts sur la fortune
est relevé de 50 à 100 millions de dinars. La colère gronde au sein
d’une population qui peine à comprendre pourquoi ce serait aux ménages
de payer la facture de la crise qui s’annonce.

La perception de la situation actuelle n’est pas sans rappeler le procédé utilisé
par le gouvernement Ouyahia, lorsqu’il a décidé, en 1997, d’une ponction sur
les salaires des fonctionnaires pour faire face à la crise. Il est vrai que du point
de vue purement pragmatique et économique, la situation actuelle demande des mesures
pour contrer le choc qui s’annonce. Il faut à la fois réduire les dépenses, augmenter
les ressources budgétaires de l’Etat et promouvoir l’activité économique.
Objectifs assignés à la loi de finances 2016. Il est légitime de se demander
pourquoi cette loi suscite tant d’appréhension et d’inquiétude.

Le fait est que le nouveau texte aggrave les disparités et le sentiment d’inégalité
face à l’impôt. Inégalité d’abord dans les régimes imposés aux entreprises
et aux activités productrices de biens et de services, la démarche du
ministère des Finances s’étant appuyée sur un système de deux collèges.
Elle approfondit également le sentiment d’injustice chez les moins nantis face
à des catégories fortunées et chaque jour plus riches.

Dans le cas contraire, de nouvelles taxes seraient certes douloureuses,
mais n’auraient pas cette charge de frustration et n’alimenterait certainement pas
un sentiment d’injustice. D’ailleurs, dans le contexte actuel, la question
des fortunes dissimulées et du système d’imposition de la fortune revient,
en ce sens, au devant de la scène, d’autant que ces fonds constituent
une niche importante et des ressources précieuses pour la collectivité.

Malgré l’existence de textes complets, les lacunes dans la mise en œuvre des lois
ont fini par générer un système fiscal algérien à deux vitesses : une fiscalité propre
aux salariés, ponctionnés à la source — les contribuables honnêtes — et
une fiscalité pour les autres. Les chiffres du ministère des Finances sont là
pour le démontrer. Durant les sept premiers mois de l’année 2015,
l’IRG sur salaires a rapporté 327 milliards de dinars au budget de l’Etat,
soit plus de 3 milliards de dollars.


3 milliards de dollars versés par les salariés au Trésor

Un montant largement supérieur à ce que rapporte l’activité des entreprises via
l’IBS, la TVA et les taxes douanières. C’est même cinq fois plus important que
le produit de six classes d’IRG restantes, qui englobent l’impôt sur
les dividendes des patrons actionnaires, et sur les plus-values de cession
que réalisent les rentiers et spéculateurs qui font florès dans l’immobilier.
Une situation qui s’explique d’abord par la faiblesse des recouvrement fiscaux
dès que l’on s’éloigne du salariat, du fait d’abord de l’étendue de la fraude,
de l’évasion fiscale et des activités informelles, mais surtout de l’incapacité
de l’administration fiscale à maîtriser son assiette.

Le cas de l’impôt sur la fortune, qui existe en Algérie sous la dénomination d’impôt
sur le patrimoine, est le plus édifiant ; cependant il n’est pas appliquée ou,
à défaut, il est perçu lorsqu’il est appliqué de manière arbitraire. En 2013,
la Cour des comptes avait déjà mis à l’amende le fisc à sujet et critiqué
«l’incohérence des recouvrements fiscaux dans la mesure où la fiscalité
s’appuie sur les retenues à la source, notamment l’IRG sur salaires,
alors que le patrimoine est rarement taxé, ne représentant que 0,043% du total des impôts recouvrés».


Où sont les brigades d’investigation fiscales ?

Au pied du mur, le département de M. Benkhalfa a tenté d’«innover»
en mettant en place un processus de bancarisation des ressources de l’informel,
qui promet une amnistie fiscale dès lors qu’on remet ses fonds dans le circuit bancaire
et qu’on paye un droit d’entrée de 7%. Au-delà du fait que l’opération rencontre
un succès mitigé, celle-ci consacre l’impunité. Pourtant, l’administration fiscale,
qui avance l’argument de la «difficulté de l’application de certaines disposition
sur le terrain, et l’absence d’une échelle d’évaluation des fortunes»,
dispose de nombreux outils pour taxer les plus fortunés et mettre fin à l’évasion
et au défilement de certains contribuables.

Ainsi, au titre de l’IRG et de l’impôt sur le patrimoine, l’article 98 du code des impôts
directs et taxes assimilées permet à l’administration fiscale d’effectuer une évaluation
forfaitaire minimale des revenus imposables à travers les signes extérieurs de richesse,
comme les résidences principales et secondaires, les véhicules automobiles
et motocycles, les bateaux de plaisance ainsi que les chevaux de course.

Roumadi Melissa