A la une/International/U.S.A_La course à la Maison-blanche est lancée
le 16.02.16 | 10h00
L’effet SandersPar Ammar Belhimer
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Sceptiques et pessimistes qui désespèrent des luttes sociales depuis la déferlante néolibérale
des années 1990 en ont pour leurs frais. Qu’il s’agisse du retour avec succès
d’une nouvelle génération de politiciens de gauche en Espagne et en Grèce avant
la reddition de Tsipras, ou de la vague révolutionnaire qui se propage en Amérique latine,
ou encore du regain de luttes syndicales partout ailleurs, la prise de conscience est évidente.
La dernière surprise est venue de là où on s’attendait le moins : les Etats-Unis.
En donnant le coup d’envoi des primaires démocrates et républicaines aux États-Unis,
en vue de l'élection présidentielle du 8 novembre, l'Iowa a révélé un retour en force des jeunes
en politique et l’éclosion de ce que tout le monde est unanime a qualifier déjà de
«phénomène Sanders «, du nom du candidat démocrate – le sénateur «socialiste»
du Vermont âgé de 74 ans -, qui talonne Hillary Clinton, sa rivale de démocrate l’establishment
qui malgré son image de femme compétente ne suscite plus d’enthousiasme ou de sympathie,
alors que des doutes planent sur son honnêteté.
Après avoir fait avec elle score égale dans l’Iowa, il va la battre dans une autre primaire
celle du New Hampshire, organisée mardi 9 février. Dans le New Hampshire, Bernie Sanders
avait obtenu 60 % des suffrages, contre 39 % pour Mme Clinton.
Même si au final les chances de Bernie Sanders d’accéder à la magistrature suprême dans l’antre
du capital financier semble relever de l’impossible, il n’en demeure pas moins que le mouvement
des Indignés contre Wall Street aura trouvé là une expression forte.
Certes, Sanders n’a pas cartonné dans l’Iowa, mais il aura mis en mouvement une force capitale
les jeunes, qui constituent plus de 80% de ses soutiens. Ils viennent de ce qu’on appelle
«la génération millenium».Dans sa rivalité avec Sanders, Hillary Clinton vient d’enregistrer
un soutien intellectuel de taille : celui du prix Nobel d’économique Paul Krugman qui estime
que les promesses de Sanders sont irréalistes, en prenant appui sur l’échec de la réforme
de l’assurance-santé dans le Vermont, le bastion de Sanders.
Sanders évalue à 1 380 milliards de dollars par an (soit près 8 % du PIB des États-Unis)
le coût de son plan.
Le plan Sanders serait favorable aux travailleurs américains. Selon les calculs de
Gerald Friedman (université du Massachussetts), une famille de quatre personnes
gagnant 50 000 dollars par an (4 000 dollars par mois) paierait 466 dollars en impôts
supplémentaires, mais économiserait plus de 12 000 dollars nets en frais de santé grâce
à de meilleurs remboursements.Krugman assimile le plan de généralisation de
l’assurance-maladie proposé par Sanders à «un petit peu semblable aux plans Républicains
de baisses d’impôts» dans lesquels des gains farfelus pour les finances publiques sont
attendus des baisses d’impôts.Sur la finance, autre thèse de prédilection de Sanders,
Krugman ne soutient pas le retour au Glass-Steagall Act, c’est-à-dire une nette séparation
entre banques d’affaires et banques de dépôts. Il y voit un risque majeur d’alimenter
la «finance de l’ombre» (shadow banking) en poussant les banques à développer
les activités risquées loin des zones les plus régulées.
L'abrogation de la loi Glass-Steagall Act en 1999 (celle loi date de 1933) a aboli le mur,
pare-feu, de séparation entre les banques de dépôts et les banques d’investissements,
provoquant dans son sillage la ruine des petits épargnants, propriétaires et retraités.
Au-delà du système de santé et de la finance, Sanders s’attaque aux questions politiques
pour toucher du doigt la dépossession des Américains de leur pouvoir de décision dans
le choix de ceux qui les gouvernent : «Les principaux obstacles au changement nécessaire,
a-t-il expliqué, sont d'ordre politique. La réalité est que nous avons l'un des plus bas taux
de participation de tous les grands pays de la planète parce que beaucoup de gens
ont renoncé à la vie politique. La réalité est que nous qui ont un système de financement
électoral assis sur la corruption, qui sépare les besoins et les désirs du peuple américain
à partir de ce que le Congrès est en train de faire. Donc, à mon avis, ce que nous avons
à faire est de mener une révolution politique pour que des millions de personnes
qui ont abandonné la politique se lèvent et se battent, exigent un gouvernement qui
nous représente et pas seulement une poignée de [contributeurs de campagne]».
Martelant l’idée d’«un vrai changement», il a soutenu mardi dernier dans
le New Hampshire : «Ce que les gens ont dit ici c’est que, compte tenu des énormes crises
auxquelles notre pays est confronté, c’est juste trop tard pour [avoir] la même élite politique,
la même élite économique.»Même s’il n’ira pas jusqu’au bout, l’effet Sanders sur Clinton
est déjà manifeste : elle a gauchi son discours, soutenant notamment vouloir généraliser
l’Obama Care, la fameuse assurance maladie pour 18 millions d’Américains démunis,
et si la bataille avec Sanders continue, elle sera poussé à un vrai débat à gauche,
axé sur des thèmes de société.D’autres intellectuels de renom sont moins critiques
que Paul Krugman. «Pour Robert Reich, professeur à Berkeley et ancien ministre du
Travail de Bill Clinton, les sceptiques ont tort : Sanders est un bon candidat, et
il peut être élu Président des États-Unis», note Gilles Raveaux dans un excellent point
de situation.Gilles Raveaux soutient par ailleurs que «si l’on en croit les intentions de vote,
Sanders battrait aussi bien Trump que Cruz lors de l’élection présidentielle, réalisant
à chaque fois de meilleurs scores face à eux qu’Hillary Clinton, qui serait notamment battue
par Cruz selon les sondages actuels. Si l’on en croit les intentions de vote, Sanders
battrait aussi bien Trump que Cruz lors de l’élection présidentielle Par ailleurs, même
si le fait que les deux chambres du Congrès soient aux mains des Républicains est
indéniablement un problème, Reich estime que les Démocrates auraient plus
de chances de les reconquérir si la «révolution politique» proposée par Sanders
était couronnée de succès.»Reich ne croit pas à l’aversion des Américains pour
le socialisme, estimant que les États-Unis se caractérisent par un «socialisme des riches».
Cette caractéristique du socialisme américain fait que les Afro-Américains ne votent pas
pour lui : «Son électeur type est plutôt un Blanc marqué à gauche conduisant une Volvo
et financièrement à l'aise», relève le «New York Times».
Vu les pesanteurs du système, «Sanders fera douter le plus possible Hillary Clinton,
= mais il ne semble pas pouvoir l’emporter au final.
Il aura été le pot de terre contre le pot de fer.
A. B.(*) Paul Krugman, Democrats, Republicans and Wall Street Tycoons, New York Times, 16 octobre 2015.
(**) Gilles Raveaux, Croire au candidat Bernie Sanders, Alterécoplus, 29 janvier 2016,
HTTP://WWW.ALTERECOPLUS.FR/CROIRE-AU...BERNIE-SANDERS