Le «printemps arabe», cinq ans après
Par Hassane Zerrouky
«Ben Ali dégage», c’était il y a cinq ans. Un 14 janvier 2011. Un mois plus tard, le 11 février, ce fut le tour de Hosni Moubarak. Deux jours après, le 13 février, une attaque suicide contre une caserne à Benghazi donnait le signal d’une insurrection armée en Libye qui allait embraser le pays. Enfin, le 15 mars à Derâa, près de la frontière jordanienne, débutait la révolte syrienne. A l’exception du Maroc (le mouvement du 20 février) et de Bahreïn, les monarchies arabes ont été curieusement épargnées par l’onde de choc partie de Tunisie, même si en Arabie Saoudite la minorité chiite a tenté de faire entendre sa voix mais sans conséquence majeure sur la situation interne au royaume. En revanche, à Bahreïn, c’est l’intervention militaire saoudienne, non dénoncée par Washington et ses alliés, qui a permis de mater la protestation populaire. Et en Algérie ? Les manifestations auxquelles a appelé la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) n’ont rassemblé que quelques milliers de personnes. La faiblesse de cette mobilisation est plus à imputer au fait que l’Algérie venait de sortir de dix ans de violence ayant fait des dizaines de milliers de morts qu’à la répression policière (on y reviendra prochainement). Cinq ans après, la vraie question est de savoir pourquoi ce mouvement protestataire sans précédent a échoué. Pourquoi ce mouvement porté initialement par la partie la plus éduquée de la jeunesse, acquise aux idéaux et aux valeurs de la démocratie, ce printemps dit arabe, n’a pas débouché sur un changement progressiste des sociétés. Très vite, il a été détourné, au nom de la démocratie bien sûr, et pris en main par des forces obscurantistes. Des forces, en l’occurrence les islamistes, que les régimes autoritaires avaient auparavant utilisés contre les progressistes et les démocrates, des forces disposant du soutien financier des pétromonarchies et, surtout, de la puissance médiatique et manipulatrice des chaînes Al-Jazeera et Al-Arabyia. Cela s’est vu en Tunisie où Ennahdha, ayant pris tardivement le train de la protestation politique, a rapidement pris la situation en main non sans faire croire qu’il avait changé et qu’il était un parti politique comme les autres, aidé dans son entreprise par certaines forces de gauche obnubilées par une certaine idée du «grand soir» de la révolution ! Même cas de figure en Égypte où durant plusieurs jours, la jeunesse égyptienne a fait de la place Tahrir le symbole de la révolte contre Moubarak. Là encore, les Frères musulmans, seule force organisée, ne s’étaient décidés à rejoindre le mouvement de révolte que huit jours plus tard si ma mémoire est bonne, et ce, après s’être assurés que la majeure partie de la société égyptienne était en train de basculer. Et, ne nous leurrons pas, les documents existent, Hilary Clinton n’avait d’yeux que pour les islamistes en qui elle voyait une force de stabilisation en mesure de préserver les intérêts américains dans la région. De son côté, Alain Juppé, alors ministre français des Affaires étrangères, cherchant à corriger l’image ternie de la France en Tunisie – Paris avait proposé à Ben Ali son aide pour réprimer la contestation – était sur la même ligne que son homologue américaine. Il a ainsi poussé à une alliance entre les islamistes et certaines forces démocrates tunisiennes. Cela a donné un pays dirigé par un gouvernement dominé par Ennahdha qui a tenté jusqu’au bout d’effacer les acquis hérités de l’ère bourguibienne. A la limite, les pays occidentaux se satisfaisaient de la situation créée quand ils ne poussaient pas au pire comme en Libye où, sous prétexte d’aider les Libyens, l’intervention de l’Otan a plongé le pays dans un chaos destructeur et déstabilisant pour tous les pays de la région. Ou comme en Syrie où pourtant, le régime d’Al- Assad, aux abois, était prêt à des concessions. L’ancien chef d’Etat finlandais et prix Nobel de la paix avait révélé au journal britannique The Guardian que le régime de Bachar Al-Assad était prêt à laisser la place en 2012. Mais convaincus, selon l’ancien Président finlandais, que le régime syrien serait renversé avant la fin 2012, Washington et ses alliés ont préféré appuyé la militarisation de la protestation syrienne. En 2012, on comptait autour de 10 000 morts et 12 000 réfugiés syriens, cinq ans après on dénombre 250 000 morts et quatre millions de réfugiés. Le printemps dit arabe –Tunisie exceptée quoique la situation y reste très fragile – a surtout eu pour effet un essor sans précédent de la mouvance islamiste avec à la clé la naissance de Daesh en Irak et en Syrie et, depuis le début de 2015, en Libye, aux portes de la Tunisie… et le retour de l’autoritarisme en Égypte.
H. Z.