Médias et violences à l’égard des femmes
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le 14.12.15 | 10h00
Le «reportage» controversé sur les résidentes des cités universitaires diffusé par la chaîne de télévision Ennahar
a été largement critiqué par les professionnels des médias et présenté comme une agression
et atteinte à la dignité des étudiantes, mais aussi comme
une transgression flagrante et éhontée à la profession et aux règles d’éthique et de déontologie.
L’adoption des amendements apportés au code pénal criminalisant la violence à l’égard des femmes
n’est que le début d’une longue marche pour le rétablissement de tous les droits de la femme.
Si l’on est arrivé à criminaliser la violence conjugale, il reste que les formes de violences sont multiples
et diverses, souvent insidieuses. La violence est aussi dans un certain discours véhiculé par
des médias ayant troqué leur rôle de moyen d’information pour devenir des «prêcheurs» de haine.
La matière journalistique est transformée en produit habillé, maquillé et emballé au gré des politiques
et des orientations pour être livré en produit fini à la consommation du public. Ce dernier n’est pas
appelé à réfléchir, mais à consommer passivement un flux de messages. Et c’est là que se situe le danger,
notamment lorsqu’il s’agit de traiter de questions liées aux rapports sociaux, à l’image et à la place de la femme dans la société.
La télévision devient un fabriquant de l’imaginaire social, souvent dans un sens qui ne sert pas la femme,
bien au contraire. Une violence de l’image et du discours est véhiculée pratiquement systématiquement
au nom d’une soi-disant «morale sociale»
par des chaînes de télévision soucieuses d’audimat. Le réseau Wassila/Avife et l’association Femmes
en communication se sont associés autour d’un projet de sensibilisation
des médias et des journalistes sur l’impact de l’image et du discours et de la violence contre les femmes.
Réunissant journalistes, membres du mouvement associatif et réalisateurs de cinéma, un débat a été ouvert, hier, autour de «produits» médiatiques audiovisuels porteurs de signes de violence à l’égard des femmes. Le «reportage» très controversé sur les résidentes des cités universitaires diffusé par la chaîne Ennahar, qui avait soulevé un tollé d’indignation, a été largement critiqué par les professionnels des médias et présenté comme non seulement une agression et une atteinte à la dignité des étudiantes, mais aussi comme une transgression flagrante et éhontée de la profession et des règles d’éthique et de déontologie.
Plus de vigilance
Talk-show et feuilletons ont été passés au crible lors de cette rencontre, suscitant colère et indignation. «Quand on parle de violence à l’égard des femmes, on parle de désordre social invisible comme d’une chose qu’on doit cacher. Si les médias ne réagissent pas et ne remettent pas en cause l’ordre social et politique, ils deviennent complices», souligne la sociologue Fatma Oussedik, en incitant les journalistes à combattre l’illusion de la transparence du fait social.
«Il faut s’extraire du fait social et accepter de le regarder comme une chose, nous éclairer sur les faits et nous laisser le soin d’avoir notre propre point de vue… Les journalistes doivent s’interroger sur les signes qu’ils émettent et c’est là où le rôle d’une charte de l’éthique est important», indique-t-elle. Le réalisateur Belkacem Hadjadj a, pour sa part, appelé à plus de vigilance pour décoder ou déceler les discours porteurs de violence insidieuse dans les programmes télévisés. L’audimat n’explique pas à lui seul cette orientation franchement anti-progrès et contre une image positive de la femme dans les médias.
Le sous-entendu politique est décelable dans cette volonté de maintenir la société, à travers le renvoi de modèles et d’images archaïques, dans le moule du patriarcat renvoyant lui aussi à l’inviolabilité de l’ordre politique établi. «L’émergence des femmes dans l’espace public dérange le système politique dans les pays arabes, car cette présence est porteuse de dénonciation d’un ordre social et d’appel à l’égalité et la liberté d’être et de dire», souligne Mme Oussedik.
La réalisatrice Baya El Hachemi s’interroge, de son côté, sur ce que nous avons fait pour contrer le flux d’émissions et de programmes porteurs de violence venant du Moyen-Orient. «Quand nous présentons des projets de films intéressants qui dénoncent l’ordre social établi, on se voit refuser le droit de réaliser. Si nous trouvons des télévisions qui acceptent de diffuser et de financer des programmes de qualité, on n’hésitera pas à le faire», indique la réalisatrice. Unanimement, l’assistance a appelé à plus de vigilance et à la mobilisation contre
cette banalisation d’une violence cathodique aux conséquences très dangereuses.
«L’article sur le pardon est une tare politique»
Les associations féminines ont qualifié l’adoption, par le Sénat, des amendements du code pénal
portant criminalisation de la violence à l’égard des femmes «d’avancée essentielle», ajoutant que
«ces amendements se sont substitués au projet de loi-cadre»
qui garantit la prise en charge globale de la question de la violence à l’égard des femmes.
Concernant l’article portant sur le «pardon» comme moyen d’éteindre les poursuites judiciaires
à l’encontre de l’auteur de la violence, les mêmes associations estiment qu’il est une «tare politique à ces amendements».
Les féministes justifient que «l’Etat ne peut déléguer
aux femmes victimes une disposition qui relève de ses prérogatives».
Les associations de défense des droits des femmes notent aussi qu’elles resteront mobilisées
pour l’abrogation du code de la famille. Le docteur Fadela Chitour a noté, lors d’une rencontre
sur la violence à l’égard des femmes, qu’avoir des textes de loi c’est une bonne chose,
mais il faut aussi penser à prendre des mesures concrètes pour leur application.
«Alors que la loi sanitaire n’est pas encore votée, il est important de dire qu’il est temps
d’y introduire l’aspect de la violence à l’égard des femmes, en prévoyant des dispositions comme
la dérogation au secret médical dans le cas des violences faites aux femmes. Il est utile aussi d’introduire
un article de dérogation à l’interruption de la grossesse en cas de viol conjugal ou autre.» N. B.
Nadjia Bouaricha
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