Par Ahmed Halli
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A quelque chose malheur est bon: celui des uns faisant le bonheur des autres, j'ai eu le loisir de constater que l'Arabie Saoudite qui vient juste de perdre son roi, n'est pas si à plaindre que cela. N'étant plus tenu par le devoir de réserve et de contrition, qu'imposent les trois journées de deuil national, je peux dénoncer ici la «guerre du pétrole» que le royaume wahhabite mène contre nous. Oui, contre nous, car sous prétexte de frapper Réza, c'est-à-dire l'Iran chiite et rival séculaire, on étrangle Abdelkader pour ne pas dire Ahmed, c'est-à-dire l'Algérie, que la surproduction saoudienne menace d'asphyxie. Ce qui est sûr, c'est que cette guerre du baril moins cher, fortement teintée de religiosité sunnite, ne va pas abattre l'Iran, mais nous atteindre par ricochet. Il est certain et visible aussi que les pays occidentaux, et principalement l'Europe, gros consommateurs de pétrole, se frottent les mains de satisfaction et tiennent à le faire savoir. En témoigne le défilé incessant de chefs d'État et de gouvernement qui viennent présenter leurs condoléances et féliciter le nouveau souverain wahhabite.
Toutefois, le décès du roi Abdallah et les cérémonies funèbres qui l'ont accompagné ont révélé d'autres facettes de la puissance du royaume et de ses capacités de nuisance. J'ai compté au moins une trentaine de chaînes satellitaires, ayant diffusé à longueur de journée des versets du Coran, au lieu de leurs programmes habituels. Ceci, en tenant compte du fait que je ne bénéficie pas de la réception de toutes les chaînes, diffusant sur Nile Sat, avec ma parabole à demi-rouillée. Bien que l'initiative prête à sourire, je n'ai pas inclus dans la liste les chaînes de clips musicaux, régulièrement prises à partie par les rigoristes issus du giron saoudien. La vue de ces chaînes, appartenant en majorité à des émirs ou notables saoudiens, déverser des versets du Coran, au lieu des clips glamour ou torrides de Haïfa Wahbi, a quelque chose de surréaliste, en effet. Mais il doit y avoir dans l'abondante littérature fondamentaliste des textes que nous ignorons et qui autorisent à certains ce qui est interdit à d'autres. (Halaloun alaïhoum, haramoun alaïna !). Il y a aussi les chaînes dites religieuses et d'obédience wahhabite, mais il y a longtemps qu'elles ont atteint leur objectif de conquête des sociétés musulmanes. Elles se contentent désormais de fournir du «combustible» aux mouvements islamistes, comme Daesh et consorts, préposés à l'entretien de la flamme originelle.
Quant aux chaînes satellitaires, supplétives ou sympathisantes, du «Dark Vador» islamiste, elles se comptent par dizaines, y compris en Algérie où les retournements de vestes et les réajustements sont monnaie courante. Dans les démonstrations de ferveur et les concerts de louanges adressées au roi défunt, les chaînes satellitaires égyptiennes se sont particulièrement distinguées. On peut les comprendre: l'Arabie Saoudite contribue, avec les émirats du Golfe, à maintenir l'économie égyptienne à flots, et soutient le régime contre le mouvement des Frères musulmans déchu. Dans cette affaire, seul le Qatar joue encore sur les deux registres, en se réconciliant, en apparence, avec le gouvernement égyptien, tout en continuant à soutenir les Frères musulmans. Ainsi, la chaîne Al Jazeera qui a cessé ses retransmissions en direct des manifestations du Caire contre le régime n'hésite pas à diffuser un colloque organisé aux États-Unis par les sympathisants islamistes. Une opération à la «Sant’Egidio» destinée à accréditer l'idée que la révolution du 25 janvier est l'œuvre de l'organisation intégriste et terroriste, écartée du pouvoir en juin 2013. Le choix du thème «La révolution, une volonté populaire» est sans équivoque au moment où les Frères musulmans ont appelé à de nouvelles violences en Égypte.
Sur le terrain, la commémoration de la révolution du 25 janvier a déjà eu sa première victime, samedi dernier, en la personne de Sheyma Essabagh, une activiste membre de l'Alliance populaire socialiste. Les militants de ce parti de gauche, issu d'une scission du «Rassemblement», créé par Khaled Mohieddine, un officier libre proche de Nasser, s'opposent au retour des cadres de l'ancien régime. Le quotidien Al-Tahrir, qui se veut le porte-flambeau du 25 avril, abonde dans le même sens, et dénonce ouvertement les atteintes à cette révolution. Dans son édition d'hier, il a publié une liste de personnalités médiatiques et politiques qui œuvrent activement à dénaturer l'image de la révolution. Le quotidien demande, en particulier, où en est l'instruction ouverte en octobre dernier par la justice à l'encontre de cinq personnalités qui ont ouvertement injurié la révolution. Al-Tahrir cible notamment Tewfik Okacha, propriétaire de la chaîne Al-Faraeen, la célèbre animatrice de télévision Hayat Al-Dardiri, les journalistes de la chaîne Sada Al-Balad, Ahmed Moussa et Roula Kharssa, ainsi que le directeur du journal Al-Ousbou.
De ces cinq personnes, deux sont plus particulièrement connues pour leur opposition virulente au mouvement des Frères musulmans, lorsqu'ils détenaient les leviers du pouvoir. Cependant, les deux, à savoir Tewfik Okacha et Mustapha Bakri, ont une réputation assez sulfureuse, et ils sont régulièrement accusés de collaboration avec l'ancien régime. Mustapha Bakri, ancien animateur du journal Al-Chaab, proche de la mouvance islamiste, a d'abord été député indépendant sous le règne de Moubarak. Puis il est entré en guerre ouverte contre les islamistes et leur figure de proue d'alors, le Président Mohamed Morsi. Le cas du propriétaire de la chaîne Al-Faraeen est assez édifiant, puisqu'il a été député du parti au pouvoir sous Moubarak, le Parti national démocratique. Après un moment d'observation, il s'est rallié à la révolution du 25 janvier, et a fini par se présenter comme l'un de ses principaux artisans. Après l'élection de Morsi, il s'est livré à une violente campagne contre Morsi, et sa chaîne a été fermée par la justice, avant de reprendre ses émissions après la mise hors-la-loi des Frères musulmans. Comme on peut le voir, ces gens-là n'ont rien à apprendre de nous.
A. H.
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