A la une/Vu à la télé
le 21.01.16 | 10h00
Le dindon de la farce
De nouveau, l’Autorité de régulatation de l’audioviuel (ARAV) menace les chaînes privées qui brûlent les lignes rouges. De nouveau des sanctions sont brandies pour tenter de ramener les récalcitrants à la raison. Le refrain est connu. Il se trouve que ce sont toujours les mêmes qui sont destinataires des mêmes rappels à l’ordre sans jamais obtempérer. Ces écrans, au nombre de deux ou trois, sont facilement identifiables
à travers notamment leurs dérives et les scandales à répétition
à forte dose de provocation qu’ils signent, sans se soucier de leurs retombées dans la société.
Ils ont choisi de faire volontairement dans le sensationnel infect pour les besoins de l’audience et n’ont jamais dérogé à leur marque de fabrique malgré la série d’avertissements qu’ils ont reçus à rythme continu. Mais pourquoi changeraient-ils d’attitude face à un organisme de régulation qui semble totalement ligoté et qui donc doute lui-même sur
ses capacités d’intervention quand ce n’est pas carrément sur le but de sa mission ?
Depuis sa création, l’ARAV, en effet, n’a encore rien entrepris de concret qui puisse édifier le monde de la télé sur ses intentions réelles ou ses engagements à structurer les contours d’un cadre professionnel livré à toutes sortes de convoitises
dont celle liée à l’affairisme sauvage n’est pas des moindres, et auquel elle n’arrive pas à
appliquer des règles du jeu claires et juridiquement contrôlables.
C’est au demeurant fort de la réalité de cette faiblesse chronique à ne pas pouvoir agir conséquemment sur le terrain que traîne l’institution de supervision que les chaînes privées marquées au fer rouge se confortent à l’idée que rien de grave ne pourrait
leur arriver malgré les sérieuses atteintes qu’elles font subir aux principes d’éthique et de déontologie.
Entre l’ARAV et ces écrans libres qui semblent défier en toute impunité sa compétence, l’échec de la politique d’organisation mise en place par l’Etat pour limiter la courbe d’influence du potentiel télévisuel privé paraît à première vue consommé. Sinon comment expliquer qu’avec toute la force de persuasion que lui a confiée le Pouvoir politique l’organe de régulation se montre incapable de prendre des décisions radicales
allant dans le sens d’un assainissement du secteur qui doit passer
par des mesures coercitives lorsque la situation l’exige ?
Beaucoup pensent que quand une télé verse dans les manipulations politiques les plus sordides, porte atteinte à la dignité des familles, sème le trouble par ses mensonges et ses accointances tendancieuses, alimente en permanence les foyers de discorde,
aggrave les tensions sociales et sécuritaires, plus aucune circonstance atténuante n’est permise.
Or, paradoxalement, c’est précisément ce tableau des extrêmes qui s’offre à nous avec, d’un côté, certaines télés dites de gros calibre qui narguent l’autorité dans toute son expression, et, de l’autre, un organe officiel réduit au formalisme de la tergiversation devant des déviations flagrantes qui incitent à la fermeté et à l’intransigeance de la loi. Le dernier communiqué de l’ARAV mettant les chaînes indociles
au pied du mur est encore la preuve de l’impuissance de celle-ci à dépasser
le stade du constat pour donner un sens plus rigoureux à sa responsabilité.
A vrai dire, si la loi était appliquée dans toute sa rigueur et sans préjugés ni a priori sélectif, les écrans ciblés aujourd’hui pour dépassements et fautes professionnelles graves auraient depuis longtemps mis la clé sous le paillasson. Pourquoi ont-elles donc échappé à chaque fois aux sanctions extrêmes qui s’imposaient vis-à-vis de la loi alors que ces mêmes sanctions n’ont pas été totalement ignorées pour d’autres, plus vulnérables parce que pas protégées ? En fait, toute la question est là : si l’ARAV fait du simple chahut devant les télés privées insoumises, c’est qu’elle a ses raisons, dont la principale étant de ne jamais se mettre à dos leurs influents sponsors tapis dans les travées du Pouvoir.
Les connivences entre les hautes instances du sérail et ces chaînes n’étant plus à démontrer, il va sans dire qu’une telle proximité n’arrange pas les affaires du premier responsable de l’Autorité de régulation qui doit à chaque fois trouver une foultitude d’arrangements pour maintenir l’équilibre de l’allégeance, quitte à perdre la face et à décrédibiliser la tutelle qu’il représente. En vérité, le patron de l’ARAV ne perd pas de vue que le Pouvoir a besoin de ces télés pour sa propre propagande. Face à la déconsidération de la télévision publique, il trouve en ces chaînes privées qui se mettent à
son service le canal idéal pour faire passer officieusement ses messages.
De plus, ces chaînes par la liberté de ton qui leur est accordée se mobilisent corps et âme pour défendre ses points de vue, ses décisions, et apporter la contradiction à ses détracteurs. En somme, des écrans qui font la sale besogne à la place des hommes du Pouvoir et qui bénéficient en retour de l’assurance d’outrepasser sans risques d’être inquiétées les contingences éthiques et de recevoir une manne publicitaire
confortable qui leur permet de prospérer dans un milieu
où l’essentiel n’est pas garanti, à savoir la possession d’un statut de droit algérien.
Au même titre que le ministère de la communication qui patauge dans ce paysage médiatique où tout est à refaire, l’ARAV prend de plus en plus conscience que c’est elle qui constitue le dindon de la farce sur le dos duquel sont instrumentalisées les pires combines.
A moins d’un sursaut de vanité de sa part pour prouver qu’elle vaut plus qu’une formalité politique,
ce qui par les temps qui courent paraît peu probable.
Abderezak Merad