MARECHAL NOUS VOILA !

Le maréchal Philippe Pétain était âge de quatre-vingt-quatre ans lorsque les Français l’ont mis à la tête du pays en 1940 pour les « sauver » car ils croyaient à l’époque aux miracles que peut réaliser un homme du seul fait d’être « ancien moudjahid ». Finalement il les a livrés à la puissance occupante au point que même l’hymne national, « La Marseillaise », composé en 1792, fut remplacé par un chant patriotique plus approprié aux nouvelles circonstances, « Maréchal nous voilà ! ». On trouve dans ce chant une petite phrase qui a du marquer Boutef, « Français, levons la tête !» qui, rendue en patois marocain, a donné « Arfâa raçak ya bâ ! ». Nous aussi nous assistons depuis le feuilleton du Val-de-Grâce à un réchauffement énigmatique entre l’ancien colonisé et l’ancienne puissance occupante, dont on ne nous dit rien bien sûr.

Abdelaziz Bouteflika, venu à l’histoire du pays dans le mystérieux sillage de Boumediene qui l’a gâté comme un enfant, tient entre ses mains, en vertu d’une succession d’aberrations, le sort d’une nation de quarante millions d’âmes non instruites des causes de la vie et de la mort des nations et s’amuse avec notre destin comme un enfant avec un hochet. Il n’y a pas que les enfants qui jouent avec des hochets, au sens figuré le mot est utilisé dans l’expression « le pouvoir et ses hochets ». Ce n’est pas tant à Boutef que je m’intéresse, c’est au hochet qui se trouve être non pas les hurluberlus, les corrompus, les valets et les malotrus qu’il agite sous nos yeux atteints de trachome mais notre pauvre pays, nos misérables vies, l’avenir de cette nation qui n’a jamais connu d’avenir mais seulement les abysses du passé, qui est restée coincée dans une aube éternelle, une « perpétuelle aurore ».

A l’âge où un vieil homme croyant pense à faire le maximum de bien pour compenser le mal fait volontairement ou non tout au long de son existence, cet homme multiplie envers le pays qui lui a tout donné en échange de rien les actes de mal, les complots et les putschs comme on vient de le voir une fois encore au FLN et au RND. Pour ne prendre que les faits saillants et notoires de la saison II de sa vie au pouvoir il a violé en 2008 la constitution pour rester au pouvoir par la ruse, l’intrigue et la fraude jusqu’à sa mort; il a postulé à un quatrième mandat alors qu’il se savait fortement handicapé, montrant ainsi qu’il n’a cure de l’intérêt du pays ; il a fait la chasse aux hommes compétents, honnêtes et patriotes dans les rouages de l’Etat et cherché à la bougie les profils d’hurluberlus, de corrompus, de valets et de malotrus qui conviennent à son style et à ses plans, leur confiant les structures de l’Etat et des partis dont il a besoin pour consolider son pouvoir jusqu’à ce que Dieu le rappelle,
échéance qu’il tient à reculer le plus longtemps possible.

Ce n’est pas une coïncidence, ce n’est pas par hasard ou par accident qu’il a placé les personnages qui sont aujourd’hui aux postes stratégiques du pays et dont le dénominateur commun est l’intérêt personnel en échange d’une fidélité animale. De nombreux indices montrent à tout le monde que le pays s’en va à vau-l’eau, qu’on ne cherche pas des solutions pour le long terme mais juste pour le temps qui reste, et pourtant on continue de se comporter comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des pays.

Sans parler de ce qu’on ne sait pas, de ce qu’on découvrira peut-être un jour et qui est probablement plus grave que ce qu’on a vu ou sait et qui donne sens aux manœuvres en cours. Les « affaires » sont expédiées au pas de charge par une justice encadrée au plus près pour que les corrompus, aux plus hauts postes de l’Etat, en retrait ou en fuite, ne soient pas inquiétés. C’est dans cette ambiance surréaliste qu’un Ouyahia, actionné comme un hochet, est sorti en pleine lumière pour nous assurer que tout va pour le mieux et qu’en guise de reconnaissance nous devrions entonner à haute voix, dirigés par sa baguette de maestro, « Maréchal nous voilà ! » : « Tous tes enfants qui t’aiment/ Et vénèrent tes ans/ A ton appel suprême ont répondu « présent »/ Maréchal nous voilà !.../ En nous donnant ta vie/ Ton génie et ta foi/ Tu sauves la patrie/ Une seconde fois/ Maréchal nous voilà !... ». N’avait-il pas raison le général de Gaulle de traiter les Français de « peuple de veaux » ?
Mais que devrions-nous dire de nous-mêmes ?

A peine lâché, Ouyahia accourt à perdre haleine pour révéler en toute urgence aux médias que les Algériens ne savent pas à quel malheur ils ont échappé si Boutef ne s’était pas sacrifié en se résignant à son corps défendant à un quatrième mandat. Retrouvant son souffle de commis de l’Etat comme il aime à se définir, il nous a appris dans la foulée un secret que seuls les proches de « Hulk al-adjib » connaissaient mais cachaient au peuple pour ne pas heurter sa légendaire modestie : Boutef a récupéré 150% de ses capacités intellectuelles ! Voilà qui va faire oublier Benyounes. On ne peut jamais récupérer que 100% de quoi que ce soit, ya Si Ahmed, car le verbe s’applique à ce qu’on avait déjà, sans dire qu’à partir d’un certain âge aucune récupération n’est possible et que la mort cellulaire poursuit son œuvre irréversible. Mais comme on est au pays de la « chèvre qui vole » où Ouyahia compte parmi les grands maîtres du culte, a beau mentir qui vient de… haut. Ce n’est pas vrai ?
Alors que Boutef parle au peuple, qu’il nous montre ces fameux 150% !

Emporté par son excès de zèle habituel, convaincu d’en savoir plus que les autres car se mesurant à l’aune des incultes qu’il fréquente, dupe ou voulant nous duper sur les vraies raisons pour lesquelles on lui a très tôt confié des responsabilités et confondant le parterre de journalistes qui l’interrogent avec le reste du pays, Ouyahia profère très souvent des bêtises, des faussetés et des inepties.
Il ne dit pratiquement que les unes ou les autres de son air le plus sérieux, donc à son insu,
et en est encore à croire qu’il suffit de dire quelque chose sous le sceau de l’officialité pour qu’elle soit vraie.

Ainsi par exemple de cette phrase lâchée par lui il y a longtemps et que personne n’a corrigée jusque-là : « L’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec son destin ». A l’origine elle était « Une élection présidentielle est une rencontre entre un homme et un peuple » et l’auteur en est le général de Gaulle. Ouyahia s’est emmêlé les pinceaux en voulant dissimuler le plagiat mais il reste que devenir président de l’Algérie n’a rien à voir ni avec le peuple ni avec le destin. On ne peut pas prétendre avoir un « destin » quand on a quitté le RND et qu’on y est revenu sans raisons, sans causes visibles, sans que la composante du conseil national qui l’a destitué et celle qui l’a réinvesti ait changé, diminué ou augmenté. C’est la même volonté extérieure au RND qui l’a déposé puis ramené sans que lui-même ne fasse ou dise quoi que ce soit. Idem pour Bensalah mais lui ne l’a pas caché ni menti, il s’est réfugié dans le mutisme et c’est plus digne que l’esbrouffe.

Ouyahia peut prétendre avoir une vie et même plusieurs mais pas un destin même en devenant président de la RADP. Le destin c’est « l’autre », ça a toujours été et sera « l’autre », la main invisible qui l’a enlevé puis remis au gouvernement, au RND et d’autres endroits ou postes, et qui pourrait bien sûr le mettre encore plus haut ou plus bas. Ouyahia n’est pas le seul dans ce cas, et très nombreux sont ceux qui doivent à l’encanaillement ce qu’ils font passer pour un fabuleux « destin » de surdoué, la bonne étoile d’un enfant béni ou un « rizk min indillah » quand on est un islamiste encanaillé comme il y en a tant.

Le « destin » de l’Algérie n’a jamais aimé les hommes intelligents, brillants, visionnaires, compétents, se suffisant à eux-mêmes, dignes et indépendants car ils sont son antithèse, sa négation, sa réfutation, son surmoi. Ils lui font perdre sa contenance et sa superbe quand il a affaire à eux, il ne peut les asservir ou les humilier et en est maladivement jaloux car l’intelligence ne s’achète pas, ne s’improvise pas, ne s’octroie pas, ne se retire pas et n’est ni un grade ni un uniforme ni une médaille. On l’a ou on ne l’a pas, et nos dirigeants actuels ne l’ont pas. Il faut ajouter que cette prévention contre l’intelligence est largement répandue dans l’inculture sociale qui nous tient lieu de culture et vient de loin dans notre histoire. En fait tous nos malheurs sont venus de cette prévention contre l’intelligence, la rationalité, la liberté de pensée, la distinction, la grandeur…

Les Algériens en vie actuellement n’étaient pas là il y a deux mille ans pour reprocher à Massinissa et Syphax de diverger sur l’attitude à adopter face aux guerres puniques, divergence qui allait entraîner notre colonisation par les Romains ; ni quand nos ancêtres firent appel aux frères Barberousse pour les défendre contre les Espagnols au XVIe siècle et qui finirent par s’installer à demeure jusqu’à ce que les Français les en délogent en 1830. Nous n’étions pas là non plus pour adjurer l’Emir Abdelkader, cheikh Boumaza et le bey Ahmed de coordonner leur résistance face à l’ennemi, ni pour conseiller aux cheikhs al-Mokrani et Ahaddad de placer leurs forces sous un commandement unique pour mieux résister à une armée coloniale affaiblie par la guerre franco-prussienne.

Mais aujourd’hui nous sommes là, en chair et en os, bien portants physiquement et mentalement, instruits pour la plupart, fiers de nos moustaches, rotant de gaz et de pétrole et normalement conscients que notre intérêt est de veiller à la sauvegarde notre pays, un pays que nous n’avons pour nous tout seuls que depuis un petit demi-siècle. Or nous assistons à sa liquidation morale, politique et économique en continuant de ruminer comme des vaches qui regardent le train passer en broutant paisiblement. Le règne de Bouteflika ne sera pas sans conséquence sur l’histoire de l’Algérie et nous le paierons très cher.

La situation que nous vivons n’est pas normale, naturelle, rationnelle. Cette période n’est pas une période comme une autre, elle est au plan interne le stade terminal d’une maladie chronique contractée à l’indépendance et jamais soignée, et au plan externe un encerclement effectif et complet de notre pays. Elle a été rendue possible par l’inconscience d’à peu près la moitié du peuple algérien, enfants et vieillards mis à part, mais surtout par la passivité d’une catégorie qu’on pourrait évaluer à quelques centaines d’individus, peut-être même moins.

Ceux-là avaient et ont toujours les moyens de faire quelque chose pour stopper la dérive suicidaire mais ils ne l’ont pas fait. Mais eux aussi, s’ils devaient parler, tiendraient des propos qui pourraient rappeler ceux de Chadli Bendjedid en septembre 1988, quinze jours avant l’explosion qui allait conduire aux 200.000 morts que nous avons déjà oubliés, passés par pertes et profits. Chadli s’était égosillé dans un discours officiel retransmis à une heure de grande écoute : « Pourquoi le peuple ne bouge-il pas ? Pourquoi accepte-t-il tout ?

Ils feraient valoir des arguments difficiles à récuser : à quoi servent ces dizaines de partis et de personnalités qui ne savent que bavarder, donner des interviews, signer des communiqués, étaler leur médiocrité et leurs ambitions sur les plateaux de télévision sans avoir une quelconque vision de ce qui devrait être fait pour construire une nation viable, ni un diagnostic convenable de la situation, ni même un programme économique ?

Les milieux « bien-pensants » (ce ne serait pas un abus de langage ?), les partis, les intellectuels, les universitaires, la presse, les classes moyennes, tout ce beau monde a pris l’habitude de compter sur la dialectique des « clans » et la pluralité des « décideurs » pour maintenir les équilibres et empêcher que la balance ne penche trop en faveur d’un côté. Or tout indique que le clan présidentiel est désormais en position dominante, faisant perdre le sommeil à ce beau monde qui a la désagréable sensation d’être livré pieds et poings liés à l’ennemi. Que ne se réveille-t-il ? Le moment n’est-il pas venu de se prendre en charge, de compter sur soi, de se battre pour empêcher que ce qui se trame et a pour nom le pire ne survienne?

Le feu est partout autour de nous mais on continue de se dorloter : « Il est encore loin ! » Si nous continuons de laisser faire, si chacun attend que les autres commencent, plongent en premier, soient tabassés, emprisonnés ou abattus, le pays s’écroulera et Daech qui n’est plus très loin de nos frontières et dont les bases morales sont déjà solidement installées en Algérie nous réduira à l’esclavage. On surveille peut-être du ciel, de terre et de mer les voies et pistes menant à notre territoire oubliant que Daech est déjà là, dans nos murs, sous l’aspect de dizaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui n’attendent que le moment de faiblesse propice pour s’habiller de noir et commencer à décapiter et à charcuter. Nos maréchaux peuvent continuer à nous endormir avec des mots et bomber le ventre, ils ne nous y prendront pas une deuxième fois. Ils n’ont pas prévenu la formation des GIA et de l’AIS avec qui ils ont été contraints de négocier à la fin, mais cette imprévoyance a couté 200.000 morts et des dizaines de milliards de dollars de destructions économiques. Et ce n’est pas fini…

Nous avons pris un exemple de l’histoire de France où un homme, le maréchal Pétain, appelé pour sauver son pays, l’a coulé par aveuglement, incompétence et mégalomanie. Il y a un autre exemple dont pourrait s’inspirer l’opposition si elle souhaite vraiment sauver l’Algérie. Il s’agit de l’épisode connu sous le nom des « Six bourgeois de Calais ». Au XIVe siècle, la Guerre de cent ans bat son plein entre la France et l’Angleterre. Le roi anglais Edouard III traverse la Manche en 1346 et attaque la ville de Calais qu’il assiège et affame sans parvenir à la prendre. Après une vaillante et longue résistance, assiégés et assiégeants s’entendent sur un compromis : les Français livreront six de leurs plus honorables personnalités qui seront pendues en échange de la vie sauve à la population. Cas de conscience digne d’une tragédie grecque, sujet de prédilection pour un Shakespeare, mais exemple qui ne risque pas de faire école dans l’Algérie des Djouha.

A l’intérieur de la ville encerclée où on mourait de faim par dizaines chaque jour, le plus en vue et le plus riche des notables, le sieur Eustache de Saint-Pierre, s’avance et dit au gouverneur de la ville, le seigneur Jean de vienne, au milieu d’une émotion sans pareille : « Seigneur, il serait grand malheur de laisser un tel peuple mourir ici de famine quand on peut trouver un autre moyen. J’ai si grande espérance de trouver grâce et pardon envers Dieu si je meurs pour sauver ce peuple, que je veux être le premier ; je me mettrai volontiers en chemise, nue tête, la corde au cou, à la merci du roi d’Angleterre ». Car on était fort croyant au Moyen âge et craignait de se damner en se « suicidant » même si c’est pour sauver autrui. Deux autres riches bourgeois, cousins du premier, se portent volontaires pour la mort et très vite le quorum est atteint.

Les six candidats au martyre sortent et se rendent auprès du roi Edouard III qui ordonne aussitôt qu’on leur tranche la tête. Mais voilà que la reine, son épouse, se jette en larmes à ses pieds et le supplie de les épargner, ce à quoi consent finalement le roi qui occupe Calais et oublie l’affaire qui rentre par contre dans l’Histoire de France comme un de ses moments les plus épiques et que Rodin fixera dans le bronze au XIXe siècle. La ville restera anglaise jusqu’en 1558, quand Henri II la reprendra à Marie Tudor.

Notre opposition qui adule le peuple, qui le trouve très « adhim » (grand) comme aime à le flatter le sieur Benflis ne recèle-t-elle pas dans ses rangs peuplés de visages barbus, imberbes et moitié-moitié quelque héroïque Moustache qui, à l’image d’Eustache le calaisien, voudrait donner de son propre chef l’exemple, un exemple qui serait suivi d’autres et délivrerait le peuple algérien du pouvoir honni ? Ou bien préfèrent-ils, en bon Djouhas, attendre patiemment l’ « élément déclencheur » comme aime à dire sire Benbitour, lequel provoquerait « l’explosion populaire » qui, selon le modèle mathématique élaboré sous une tente à Zéralda, ferait tomber le pouvoir au beau milieu de leur écuelle. Au prix de combien de vies humaines, de vies des autres, bien sûr ?
Contrairement à Edouard III, l’honorable CNLTD ne l’a pas encore fixé.

Il est faux de prétendre que les Algériens « n’étaient pas comme ça autrefois », sous-entendant que nous étions meilleurs, que nous étions pétris de qualités à ne savoir où en mettre et que nous les avons perdues par on ne sait quel mystère. Non, on se trompe ; c’était de fausses impressions, des illusions, on se mentait, on se gonflait la gandoura pour cacher combien nous étions chétifs sur ce plan. Nous n’avions que la peau et les os, le reste étant l’effet du pétrole et du gaz. Si nous avions été tels, valeureux et conscients, nous n’aurions pas eu pour dirigeants le grand nombre de Djouha, d’« aghiouls » et de bandits que nous avons eus à notre tête depuis 1962.
Notre « nif » était en fait le nez de Pinocchio,
un nez s’allongeant à chaque mensonge proféré comme dans le conte de Carlo Lorenzini.

Le mal est toujours venu de nous-mêmes, des plus mauvais d’entre nous, de nos innombrables Djouhas, de ceux qui n’ont en vue que leurs intérêts, des ignorants et des incompétents à l’affût des bonnes et lucratives occasions ou places à prendre. Lorsqu’eux osent, nous reculons ; tandis qu’eux se permettent ce qu’ils veulent, nous faisons semblant de protester du bout des lèvres ou de la plume ; pendant qu’eux agissent et avancent de moins en moins masqués, nous nous aplatissons de plus en plus jusqu’à ne plus être visibles pour ne pas entraver leur avancée ; quand eux piétinent les lois, nous nous ligotons avec son respect;
alors qu’ils nous assènent des gifles retentissantes, nous leur tendons l’autre joue…
Ils sont forts de notre faiblesse, audacieux de notre mollesse, impudiques de notre pudeur.

Eux forment un « Nous » parce que peu nombreux et disposant des moyens de l’Etat, de la collectivité, c’est-à-dire les nôtres. Nous, nous sommes des millions mais désaccordés, dispersés, non reliés par des liens nationaux de nature morale, culturelle et politique. Il y a un peu de « Nous » à In Salah, Ghardaïa et en Kabylie mais ailleurs il n’y a toujours que des « moi », des poussières de « moi ». J’ai déjà utilisé une image emprunté à la médecine : le corps est une nation biologique. Nous ne sommes pas un corps, un ensemble cohérent d’individus, mais des cellules non assemblées pour former des molécules, un tissu, des organes, un organisme et enfin une entité animée par une conscience… Mais nous pouvons devenir un corps social, une nation biologique.

Nous savons comment naissent les sociétés : par l’apparition en leur sein du « désir de vivre ensemble », par leur solidarité instinctive devant un péril global, par leur réaction commune à un mal venant de dirigeants inaptes ou corrompus comme ont fait les Tunisiens et les Burkinabés. L’impératif de bâtir notre nation sur des bases saines, rationnelles, modernes et démocratiques nous interpelle. Peu importe notre passé récent ou lointain, seul compte notre présent précaire et notre avenir menacé. L’Algérie a mal existé ? Il est temps de la stabiliser à jamais. Il y avait comme un doute sur notre passé ? Effaçons-le par un coup d’éclat psychologique digne du 1er novembre 1954. L’Algérie a été mal construite depuis l’indépendance ? Il faut la reconstruire de fond en comble. Maintenant, tant qu’il y a du pétrole et du gaz, plutôt que demain quand on sera sans ressources, réduits à l’impuissance. Maintenant plutôt que demain car le temps presse, le monde change et les Etats précaires s’effondrent
sous nos yeux et à nos portes comme des châteaux de sable.

Ce chantier sera celui où se formeront notre « Nous » et la société que nous serons devenus. L’œuvre entreprise en commun sera l’usine de transformation d’où, rentrés encanaillés, nous sortirons lavés de nos anciennes lâchetés, libérés de notre mauvaise conscience, de notre égoïsme, de notre « fhama » héritée des siècles de la décadence et de la mentalité de Djouha. Cette victoire sur nous-mêmes sera la défaite des ennemis de la société algérienne, ceux qui ont tout fait jusqu’ici pour empêcher son avènement, s’ingéniant à nous maintenir à l’état de populace, de masses populaires, de population à nourrir... La lutte est en nous, en chacun de nous, entre la volonté veule de garder les avantages que nous croyons tirer de notre soumission, de notre abdication, et la prise de conscience que nous perdrons ces avantages et le reste aussi quand la précarité sera devenue une banqueroute nationale,
une catastrophe générale.

Passés de la colonisabilité à l’encanaillement, il est temps d’inaugurer l’ère qui marquera notre passage de l’encanaillement à la renaissance, de l’assistanat à l’édification d’un nouveau pays sur des bases morales, culturelles, sociales, économiques et politiques nouvelles, un pays qui ressemblera aux autres, aux gagnants, à ceux qui avancent, aux nations fortes, homogènes, éternelles. Un pays où aucun individu ou clan ne pourra plus jamais nous subordonner à sa maladie mentale ou physique, à sa mégalomanie, ses ruses ou son satanisme.

Pendant la lutte de libération nationale il y avait un grand nombre d’Eustache, de Zabana, de Badji Mokhtar, de Larbi Ben M’hidi, de Hassiba Ben Bouali, de P’tit Omar, de Maillot et d’Audin dans les effectifs de la révolution. Quand ils l’ont engagée, nos aînés, pères ou grands-pères selon notre propre âge, étaient peu nombreux et n’avaient que leur détermination et leur acceptation du sacrifice pour la réalisation de l’idéal commun que les dirigeants actuels ont foulé aux pieds des hurluberlus, des corrompus, des valets, des malotrus et des oligarques comme dirait… Poutine. Plus jamais nous ne devrons chanter une version ou une autre de « Maréchal nous voilà ! »
mais uniquement « Algérie nous voilà ! »