Wilkinson, le premier jour du reste de sa vie







Depuis Tignes, où il a dirigé sa pemière séance d'entraînement auprès des Espoirs toulonnais, Wilkinson renvoie l'image d'un homme enfin apaisé.




Tignes, théâtre du stage en altitude du Rugby Club Toulonnais, Jonny Wilkinson a dirigé sa première séance dans son nouveau costume d’entraîneur du club varois en charge des skills, la fameuse technique individuelle dans laquelle l’Anglais était passé maître.

L’occasion pour le jeune retraité, apaisé, mais animé toujours du même souci de perfection, d’évoquer cette reconversion.
Captivant.
Pour ne pas dire touchant. Jonny Wilkinson, même retiré des terrains, continue d’exercer chez ses interlocuteurs la même fascination, mais le joueur qui a scellé en juin dernier, par une victoire en finale du Top 14, une carrière unique renvoie désormais l’image d’un homme apaisé. Lui qui avouait encore la veille de la victoire sur Castres au Stade de France redouter un lendemain aux allures de saut dans l’inconnu, paraît aujourd’hui, depuis Tignes, où le groupe toulonnais s’est installé en stage cette semaine, enfin en accord avec lui-même.

Auprès des jeunes Espoirs toulonnais, invités à partager cette semaine avec les professionnels, Wilkinson, comme il le fera désormais à raison d’une fois par mois, distille ses conseils et son expérience, corrige son auditoire sur ces fameux skills, parent pauvre, dit-on, de la formation française.
Et l’Anglais semble à son aise, investi comme il l’a toujours été, animé toujours du même souci de perfection, mais surtout libéré de cette forme de contrôle permanent qui, jusqu’au bout de sa carrière, semblait lui interdire le moindre relâchement ou un quelconque pas de côté.

"Après tout ce que j’ai appris et fait durant les milliards d’entraînement au cours de ma carrière, je savais que ne pas utiliser ces choses, ne pas les transmettre aurait été une très grande erreur de ma part, confie-t-il dans les colonnes de La Provence. Je le faisais déjà au RCT, pendant mes trois dernières années de joueur, mais le plaisir, c’était d’abord d’être performant pour l’équipe et de gagner."
Wilkinson : "J’étais assez jaloux des mecs comme Fred (Michalak) ou Matt (Giteau)"

On le savait bourreau de travail, à la limite de la pathologie. Wilkinson peut désormais reconnaître la vertigineuse discipline à laquelle il n’a pu s’empêcher de s’astreindre à partir du moment où sa vie de sportif de haut niveau a basculé.

Quand en 2003 il est devenu l’icône de son sport en offrant le titre de champion du monde à l’Angleterre d’un drop magique et qu’il a perdu ce jour-là la spontanéité et l’insouciance, toute relative, de sa jeunesse. "Quand tout se passait bien, je me disais : « Ok, c’est fait, merci » (soupir). C’était tout." Il poursuit : "Durant ma carrière de joueur, vous avez pu constater que je ne souriais pas beaucoup. En définitive, j’étais comme ce gars qui fait tourner des assiettes au bout de ses doigts et qui n’a jamais l’occasion de dire que tout est parfait, car il doit toujours surveiller une assiette pour qu’elle ne tombe pas. En revanche, maintenant, je suis capable de m’accorder un moment dans la journée sans avoir l’obligation de faire quelque chose." Et s’il s’autorise encore quelques séance face aux perches, il ne surinvestit plus autant que de raison dans ces séances devenues au fil des années une forme de thérapie contre ses démons, au même titre que les voies spirituelles qu’il a pu emprunter, comme le Bouddhisme.

"Après la victoire à la Coupe du monde 2003, je me suis mis beaucoup plus de pression vis-à-vis de moi et de mes coéquipiers. C’était devenu quelque chose de nécessaire ; ce n’était pas du plaisir. J’ai créé l’image de quelqu’un qui, arrivé au milieu d’une montagne, regardait vers le sommet avec plaisir, mais aussi vers le bas avec la peur de tomber et de me faire mal. Je ne sais pas pourquoi j’étais comme ça, mais si j’avais pu, alors, changer une seule chose dans ma vie, cela aurait été de me dire, étant jeune : « Garde ce plaisir, ce côté ouvert et spontané. » Car, en fait, j’ai trop pensé aux autres et aux résultats. C’était bien, mais j’avais trop de stress, en somme."

Qui le faisait passer auprès du milieu et même de ses partenaires pour un extra-terrestre : "Ces dernières années, par exemple, j’observais Fred (Michalak) ou Matt (Giteau). J’étais assez jaloux des mecs comme ça (sourire). Ils s’entraînent parfaitement bien, ils accomplissent de grands matches, mais à côté de ça, ils se consacrent à des activités ludiques avec des amis, en toute détente. Or, moi, je m’enfermais dans ma maison et je me préparais pour l’entraînement du lendemain matin." Et il ajoute : "Ceci étant, si je n’avais pas été comme ça, peut-être que je n’aurais pas fait la carrière que j’ai eue..."

Que "Wilko" se rassure, sa carrière, à nulle autre pareille, est bien réelle. Quand au reste de sa vie, il a débuté sous les meilleurs auspices.