A LA UNE ACTUALITÉ_Enlèvement d’enfants
le 27.05.16 |10h00
La faille
L’enfant de Aïn Bessem disparu n’a toujours pas été retrouvé.
A Illizi et Annaba, des familles ont été endeuillées ces derniers jours
par la disparition de leurs enfants et les violences qu’ils ont subies.
Point, aujourd’hui, sur le projet «Alerte enlèvement et disparition»
qui est en phase de finalisation au ministère de la Justice.
El Watan Week-end détaille le projet et relève certaines
failles dans la prévention de l’enfance.
«Lundi, en compagnie d’amis et de proches, nous sommes partis
chercher du côté de Sidi Rached à Tipasa. Quelqu’un croyait avoir
vu mon fils. Une fois sur place, c’est vrai que la ressemblance était
frappante, mais ce n’était pas mon fils. Mardi, nous sommes ensuite
allés à Boumerdès suite à l’appel d’une personne, mais nous n’avons
rien trouvé.Je n’ai toujours pas de nouvelles de Badreddine depuis
maintenant 29 jours.» Mohamed de Aïn Bessem est un père triste,
inquiet, en pleurs mais surtout désemparé. Son fils de 13 ans a disparu
depuis maintenant près d’un mois. Il a «l’impression» que les services
de sécurité, à savoir les gendarmes, ne «bougent pas».
«Ils viennent régulièrement pour poser des questions et repartent.
Sans plus.» Même si la procédure a probablement un sens pour les
gendarmes, Mohamed n’y croit plus. De toutes les manières, il n’est pas
trop assuré, dit-il. Sur le terrain, il est seul, si ce n’est quelques amis et
voisins qui l’accompagnent à la recherche de son enfant. Pour lui,
c’est un drame que les «autorités n’arrivent pas à comprendre». A Annaba,
le 14 mai dernier, un enfant de 7 ans enlevé pendant quelques heures a été
retrouvé traumatisé après un viol collectif.Il y a deux mois, une jeune fille de
16 ans a aussi été kidnappée et violée par un groupe, puis remise à une autre
bande, pour être finalement retrouvée à Alger après avoir été enlevée à Tipasa.
Depuis déjà trois ans, le projet «Alerte enlèvement et disparition» a été lancé
par plusieurs intervenants. On apprend au ministère de la Justice que ce projet
est «presque finalisé». Selon le schéma, la première étape commencera par les
services de sécurité alertés via leur numéro vert et le site internet des gendarmes,
et ce, dans le cadre de la pré-plainte.Puis, c’est le procureur, toujours selon
le même schéma, qui est informé, ensuite vient l’étape de rassembler les renseignements et mettre en place un plan de recherche et l’installation de la
cellule de crise, ratissage de la zone et mise en place des barrages de police
et de gendarmes. Toutes ces étapes sont validées par tous le secteurs concernés, apprend-on auprès du ministère de la Justice. Entre-temps, les spécialistes
repèrent les failles qui font que les enfants disparaissent encore pour
être violentés et parfois tués.
Coordination
Premièrement, mieux s’orienter sur les vraies solutions. L’Algérie s’oriente dans
la mauvaise direction. Pour Abderrahmane Arrar, président de l’association Nada,
c’est une autre solution qu’il faut adopter maintenant. «L’urgence est de traiter les causes des enlèvements et des dépassements sur les enfants
les déliquescences et la violence au sein de la société.
Aujourd’hui, nous sommes en train de traiter les conséquences de la violence,
c’est-à-dire les enlèvement et les viols.» Mostapha Khiati, de la Forem, évoque
en effet un malaise social. «Il faut, dit-il, réfléchir à la sécurisation de la population. Celle-ci doit être sécurisée en adhérant aux mesures déployées par les services
de sécurité.»Deuxièmement, lancer le plan Alerte enlèvement. M. Arrar évoque l’urgence de cette solution en réflexion depuis quelques années déjà, mais toujours
en stand-by et Khiati explique : «Il apparaît utile de mettre en place rapidement
un plan alerte enlèvement, lequel a montré son efficacité ailleurs même s’il est relativement contraignant.» L’avocat Belkessem Naït Salah veut que ce plan Alerte
soit élargi aux enfants violentés. Dans le même sillage, le président de la Forem
attribue un rôle important aux médias. «Les médias pourraient également jouer
un rôle important, surtout en évitant de choquer la population et d’augmenter son angoisse en traitant convenablement le sujet.Pour faciliter le travail des médias,
les services de sécurité devraient à chaque enlèvement ou problème à impact
social créer une cellule de crise qui serait en contact permanent avec les médias
pour justement éviter les dérapages.» Troisièmement, le travail doit être
impérativement complémentaire entre les différents intervenants. Il faut simplement
une action multidisciplinaire. Il y a désormais lieu de coordonner les efforts.
«Chaque acteur doit jouer son rôle, c’est pour cela que la communication entre
tous les acteurs est indispensable», explique encore M. Khitai.
Belkessem Naït Salah soulève la problématique du «manque de coordination».
C’est là que la faille existe pour lui. «La coopération entre les différents intervenants
en cas d’enlèvement ou disparition d’enfant est inexistante aujourd’hui», affirme-t-il avant d’expliquer que la solution est surtout de se mettre à plat pour réévaluer la méthode d’intervention. L’avocat est convaincu qu’il ne s’agit pas seulement du
travail des services de sécurité, mais surtout c’est aux sociologues, psychologues
et psychiatres que la grande mission est attribuée.
Ambiguïté
Quatrièmement : combler le vide juridique. Le même avocat évoque cette faille
et Abderrahmane Arrar «se désole sur le fait que les textes d’application de
la loi tant attendue, adoptée en juillet 2015, n’ont toujours pas vu le jour».
Il faut, selon Naït Salah, «revenir aux journées d’études pour sensibiliser les
différents intervenants». Selon Salah Debouz, avocat, les dispositions légales
existantes ne fonctionnent pas. «C’est la faute du gouvernement qui ne trace pas d’objectif.Pas de vision. Sa politique est seulement adoptée pour qu’il s’en lave les mains et dise : ‘‘Nous avons élaboré des lois’’, vis-à-vis des institutions
internationales. Rien n’est fait concrètement pour l’intérêt de la société. Le gouvernement travaille au service minimum», explique-t-il encore. Il part loin dans
son analyse pour expliquer que même les lois élaborées sont faites sans aucune consultation. Pour M. Debouz, il ne s’agit pas seulement d’une «faille que nous
pouvons réparer, mais c’est toute la machine qui est en panne et la réparation
d’un détail ne suffira pas».Cinquièmement, responsabiliser chacun des intervenants.
La méthode est simple, selon le même avocat, «il y a lieu de prendre des dispositions juridiques plus sévères, mais aussi de définir les missions de chacun et de limiter
les responsabilités de chaque intervenant». Naït Salah exprime, dans le même
contexte, sa colère par rapport à l’ambiguïté existant dans les textes juridiques.
Même avis pour M. Arrar : «Le travail des services de sécurité vient après l’acte d’enlèvement ou de violence, mais c’est surtout un travail de sensibilisation et de prévention dans lequel il faut s’investir.» Sixièmement, spécialiser les services de sécurité dans les recherches d’enfants disparus.
Précision de Belkessem Naït Salah
«Il faut une unité spéciale et spécialisée
dans la recherche des enfants disparus, seule censée intervenir en cas d’alerte.»
«Elle sera, explique encore le même avocat, la seule institution habilitée à
intervenir immédiatement. Car dans ces cas de disparition, le temps est très
important.»De leur côté, la DGSN et la Gendarmerie nationale n’ont pas voulu communiquer sur cette question. Contactées depuis le début de la semaine,
les deux institutions préfèrent garder le silence pour l’instant.
Nassima Oulebsir