Zlatan et la Ligue 1
l'amour vache
Le Monde.fr | 16.03.2015 à 11h12
Mis à jour le16.03.2015 à 12h40
Dimanche soir, après la défaite du Paris-Saint-Germain à Bordeaux (3-2) lors de la 29e journée du championnat de France, trois des maux dont souffre la Ligue 1 sont entrés en collision pour faire naître une polémique qui a fait réagir au quart de tour le ministre des sports, Patrick Kanner : la médiocrité de l'arbitrage français, attestée par l'absence de représentants lors de la Coupe du monde 2014 au Brésil et dans le groupe Elite de l'UEFA, l'agressivité des joueurs, entraîneurs et présidents envers ces mêmes arbitres et surtout la Zlatan dépendance du foot français.
Une caméra d'Infosport+, dans le tunnel du stade Chaban-Delmas de Bordeaux, a enregistré dimanche les insultes d'Ibrahimovic à l'encontre du quatrième arbitre (« fucking asshole ») et de l'arbitre central Lionel Jaffredo, coupable de n'avoir pas sifflé un coup franc indirect lorsque Cédric Carrasso, gardien des Girondins, a pris à la main le ballon donné en retrait par un coéquipier.
La star suédoise, sur les nerfs après la défaite, se lance alors dans une tirade dans un anglais qui n'a rien d'oxfordien. Sur les plateaux de télévision, les journalistes se font linguistes pour tenter de comprendre ce qu'a voulu dire l'idole. Interprétation la plus courante : « En quinze ans de football, je n'ai jamais vu un [bon] arbitre dans ce pays de merde. » La suite est plus claire : « Ce pays ne mérite pas le PSG, nous sommes trop bons pour vous, vous devriez vous estimer heureux de nous voir à la télévision. » La commission de discipline de la LFP étudiera son cas jeudi et sa participation au match à Marseille le 5 avril est en péril.
En jugeant que la France n'était pas assez belle pour le club de sa capitale, Zlatan Ibrahimovic a fait, après trois saisons au Paris-Saint-Germain, la preuve de son intégration définitive à Paris et au PSG. Mais c'est surtout la réaction à chaud d'un joueur qui a, sur son torse, un tatouage disant : « Seul Dieu peut me juger. » On imagine qu'il a fallu aux dirigeants parisiens des talents de persuasion pour le convaincre de signer un communiqué d'excuses : « Je tenais à préciser que mes propos ne visaient ni la France, ni les Français. J'ai parlé de football, et non d'autre chose. […] Je tiens à m'excuser si des personnes se sont senties offensées. » Ibrahimovic n'en pense évidemment pas un mot. Dans son autobiographie, sobrement titrée Moi, Zlatan Ibrahimovic, il explique : « Je me fous de ce que les gens pensent et je n'ai jamais apprécié d'être entouré par des gens coincés. J'aime les mecs qui crament les feux rouges. »
Les remous suscités par le coup de gueule du Suédois rappellent à quel point la Ligue 1 est accro à Zlatan. Presque autant qu'Ibrahimovic est accro à lui-même. Elle le bade depuis qu'il a posé un pied à Paris et avec son maillot devant la tour Eiffel. Grâce à lui, elle obtient plus qu'une colonne de résultats dans la presse étrangère. Selon le cabinet KantarSport, le Suédois est chaque mois l'acteur de L1 dont les médias français parlent le plus, à deux exceptions près : à l'été 2013 lorsqu'Edinson Cavani est arrivé en France et lorsque Marcelo Bielsa et André-Pierre Gignac ont surfé sur le succès de l'OM, pendant qu'Ibrahimovic était blessé. La saison passée, Ibrahimovic a été cité plus de 10 000 fois par mois dans les médias français.
Le gouvernement a commenté son salaire. « Les Guignols de l'info » ont transformé son prénom en verbe. La presse s'est inquiétée de ses incertitudes immobilières. Au bout d'une saison, les médias auraient dû se faire une overdose. Mais le Suédois alimente la bête. En marquant des buts qui n'appartiennent qu'à lui, comme face à Bastia en 2013, en exhibant des tatouages éphémères pour une opération de communication tenue secrète, en chambrant les journalistes ou ses adversaires. Et, donc, en traitant odieusement le corps arbitral.
Certains acteurs de Ligue 1, comme l'entraîneur de l'OL Hubert Fournier et le défenseur de l'OM Rod Fanni, n'en peuvent plus. Pas les suiveurs, qui se raccrochent à lui car ils n'ont que ça. Joey Barton est parti. Marcelo Bielsa est bien moins « loco » qu'ils l'espéraient. La jeunesse lyonnaise est désespérément sage. Edinson Cavani n'a plus les moyens de se plaindre de son exil à droite de l'attaque parisienne. Tout continue de tourner autour de Zlatan.
L'entraîneur de Toulouse, Alain Casanova, l'assure : « Zlatan est une grande chance pour notre Ligue 1 ! On serait devenu un championnat comme la Belgique, sans être méchant, mais un championnat de deuxième zone s'il n'y avait pas eu l'arrivée du PSG et de grands joueurs comme Thiago Silva ou Ibrahimovic. » Depuis trois saisons, le Suédois fait exactement ce que les amateurs de Ligue 1 attendaient de lui. Il dynamite le championnat. Il est aussi magnétique, talentueux et imbuvable qu'il l'était aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne. Vu de loin, il ne porte aucune des valeurs supposées du sport : le travail, le dépassement, l'éthique, le respect, la solidarité. Et pourtant, tous ceux qui aiment le foot français auront du mal à se passer de Zlatan Ibrahimovic quand il s'en ira.