« la main invisible » du pouvoir sur les médias

Algérie / Reporters sans frontières dénonce
LE MONDE Le 23.12.2016 à 13h32
Mis à jour le 23.12.2016 à 14h33


Dix jours après la mort en détention du journaliste Mohamed Tamalt, l’organisation publie un rapport alarmant sur les entraves à
la liberté d’informer en Algérie.


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Pressions politiques et économiques, procédures judiciaires c’est
un tableau inquiétant pour la liberté de la presse en Algérie que
l’ONG Reporters sans frontières (RSF) a dressé jeudi 22 décembre
à Paris, lors de la présentation de son rapport « Algérie la main
invisible du pouvoir sur les médias ». L’organisation passe en revue
les obstacles mis au travail des médias dix jours après la mort du
journaliste Mohamed Tamalt, qui a constitué un coup de tonnerre.
Mohamed Tamalt, condamné cet été à deux ans de prison pour
« atteinte à la personne du président », s’était mis en grève de la
faim pendant trois mois, avant de tomber dans le coma et de mourir,
le 11 décembre. L’administration pénitentiaire a mis en avant les
problèmes de santé de la victime, mais les défenseurs de la famille
attendent toujours d’avoir accès à son dossier médical et exigent
qu’une enquête indépendante soit menée. « Depuis, on se dit que
tout peut arriver », dit Noureddine Ahmine, avocat du journaliste
Hassan Bouras, lui aussi en prison, et dont il exige la libération.
Incarcéré à la prison d’El-Bayadh (Ouest), M. Bouras a été
condamné le 28 novembre pour « outrage à corps constitués » après
avoir enregistré des vidéos dans lesquelles des citoyens dénonçaient
des cas de corruption.Pressions sur les titres critiques.Dans un pays
noté 129e sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse, le
pluralisme des médias existe pourtant : la presse écrite compte 150
titres ; les chaînes de télévision privées sont une cinquantaine. Après
les mouvements de contestation de 2011, une forme d’ouverture a eu
lieu. La réforme constitutionnelle de 2016 garantit la liberté de la
presse et établit que le délit de presse ne peut être sanctionné par une
peine privative de liberté.Mais, dans la pratique, la situation est bien
différente, estime RSF. Dans la presse écrite, de nombreux titres ont
une ligne éditoriale « peu voire pas du tout critique envers les
dirigeants ». Ceux qui le sont en paieraient le prix, selon l’ONG. RSF
fait ainsi témoigner le directeur du quotidien arabophone El Khabar,
Cherif Rezki, pour qui il y a une volonté politique de nuire aux titres
critiques. « Nous savons de source sûre que les autorités […]
n’hésitent pas à contacter les grands industriels pour nous priver de
publicité », dénonce-t-il, précisant qu’El Khabar a perdu 50 % de ses
recettes publicitaires en 2015. Pour les chaînes de télévision, c’est
l’absence de régulation claire qui est un danger : la majorité a un
statut d’entreprise offshore, « une zone juridique grise », qui les rend
vulnérables au bon vouloir des autorités. En 2015, la chaîne El Watan
TV (sans lien avec le quotidien francophone) a été brusquement
fermée « pour des propos tenus par l’un de ses invités ». RSF note
l’existence d’une presse en ligne « combative mais fragile ». « La
précarité juridique dans laquelle nous exerçons nous fait vivre dans la
peur constante d’une perquisition », raconte Ihsane El Kadi, directeur
d’Interface Médias, qui édite le site Maghreb émergent. Quant aux
réseaux sociaux, ils sont, selon RSF, à la merci de l’Etat, l’accès à
Internet étant fourni par une entreprise étatique.Détentions arbitraires.
L’ONG rappelle que les pressions peuvent se faire plus brutales avec le
recours au code pénal, « cauchemar des journalistes », selon RSF, qui
punit la diffamation, l’outrage et l’injure de peines allant de deux mois
à cinq ans de prison. Mohamed Tamalt avait été condamné sur la base
des articles 144bis et 146 du code pénal pour « outrage à corps
constitués » et « atteinte à la personne du président ».Dans ce contexte,
le rapport décrit « l’épée de Damoclès » que constitue la détention
arbitraire pour les professionnels des médias, qui peuvent se voir détenus
avant leur procès. En juillet 2016, deux responsables de la chaîne KBC
ont ainsi été mis en prison, officiellement pour « fausses déclarations »
liées à des autorisations de tournage. A l’époque, les observateurs avaient
plutôt pointé les émissions satiriques diffusées sur la chaîne. RSF cite le
cas de « Djornane el Gosto », émission très populaire, souvent qualifiée
de « Guignols de l’info » à l’algérienne : « A partir de 2014, les pressions
sur l’émission se sont accentuées. En 2015, des avertissements verbaux lui
sont adressés par l’Autorité de régulation de l’audiovisuel. Le 23 juin 2016,
c’est le coup de grâce. L’émission est censurée en plein tournage par la
gendarmerie nationale. »Selon Yasmine Kacha, directrice du bureau Afrique
du Nord de RSF, ces difficultés se sont accentuées depuis 2014 et le début
du quatrième mandat du président Bouteflika. RSF note également avec
inquiétude une récente initiative officielle : l’appel lancé en juin 2014 par le
ministre de la communication, Hamid Grine, aux éditeurs, annonceurs et
journalistes à respecter « le cercle vertueux » de l’éthique. Autrement dit,
à faire les « bons » choix.