Le PDG de Total, Christophe de Margerie,21 octobre 2014 à 01:33 (Mis à jour : 21 octobre 2014 à 02:11)ALERTE L'appareil a heurté une déneigeuse sur la piste de l'aéroport de Moscou, causant la mort de cinq personnes.
est mort dans un crash d'avion en Russie
Le PDG de Total, Christophe de Margerie, au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, le 25 janvier 2014
Le PDG de Total Christophe de Margerie est mort dans le crash d'un jet privé au décollage vers Paris, alors que l'appareil a heurté une déneigeuse sur la piste d'un aéroport de Moscou. Cette information, donnée par Russia Today et l’agence de presse Interfax, a été confirmée à Libération par une source proche de Total.
Selon les premiers éléments, l'accident aurait causé 5 morts: le conducteur de l'engin, les trois membres d'équipage et Christophe de Margerie, qui voyageait seul, sans conseiller. Il revenait d'une réunion du Foreign Investment Advisory Council (FIAC), qui regroupe des dirigeants d'entreprises et des représentants du gouvernement russe.
Christophe de Margerie, 63 ans, est rentré dans le groupe pétrolier en 1974, à la direction financière. Il était PDG depuis 2007.
PORTRAIT
Jovial et prolixe, le directeur général de Total, 57 ans, tente d’humaniser l’image du richissime groupe pétrolier qui tient son assemblée générale aujourd’hui.
L’idée l’a effleuré il y a quelque temps: lancer une grande campagne avec distribution gratuite de paillassons siglés Total sur lesquels les Français pourraient s’essuyer les pieds à loisir et décharger ainsi leur agressivité contre le groupe pétrolier. Son service de communication n’a pas apprécié, il a remballé. Mais Christophe de Margerie y pense sans cesse : comment améliorer cette foutue image de Total qui, quoi qu’il fasse, s’englue dans le mazout de l’Erika ou la dramatique catastrophe d’AZF. «Les Français n’aiment pas l’industrie lourde, c’est ça notre problème. Si on ne faisait que du solaire, c’est sûr, on ne risquerait pas d’AZF ou d’Erika. Mais il faut savoir ce qu’on veut !» Il considère la situation quasi irrattrapable, mais il s’est quand même fixé comme objectif d’améliorer l’image du groupe. Ses directeurs ont la consigne de parler, communiquer, expliquer. Et lui, déjà bavard, n’hésite plus à payer de sa personne. Cela tombe bien, parler aux gens, les toucher, les faire rire, il adore ça. Il garde un souvenir ému de son passage au Grand Journal de Canal + (son entourage lui avait déconseillé d’y aller, il est passé outre), quand il s’était retrouvé face à une Miss Météo nue, enduite de mazout. Bombesque. Il avait hésité à quitter le plateau, ulcéré par la provoc, puis il était resté, et il ne le regrette pas. Un homme restant un homme, Miss Météo figure désormais au panthéon de ses fantasmes.
«Quand je suis arrivé à ce poste, on m’a dit que Total avait l’image d’un groupe arrogant, qui refusait le débat ; ça, je l’entends, dit-il. Le problème, c’est qu’à un moment, on s’est exclus du système français, accaparés par l’international et surtout par les fusions successives avec Petrofina et Elf. Mais des opérations comme ça, on ne les fait pas en discutant tous les matins du sexe des anges !».
Evoquer le sexe des anges aurait peut-être été préférable à cette annonce d’un plan de restructuration, en mars, quelques jours après avoir révélé des profits records de 14 milliards d’euros. La France a hurlé, politiques en tête, alors qu’ils avaient été briefés par Total les jours précédents. Christophe de Margerie assume : «Si c’était à refaire, je le referais, mais six mois plus tôt. Cette opération était programmée depuis longtemps mais tout le monde me disait "Attends, attends, ce n’est pas le moment". Là, on ne pouvait pas patienter plus longtemps, on a juste fait l’erreur d’annoncer ce plan le jour où Laurent Wauquiez [secrétaire d’Etat à l’emploi, ndlr] faisait une conférence de presse. Un journaliste lui a posé une question, il a été pris au dépourvu et sa réponse a sonné l’hallali sur Total. Moi, désolé, je ne suis pas payé à ne rien faire.»
Vu le niveau de son salaire, c’est préférable. Sur ce sujet aussi, Christophe de Margerie assume. Il n’a jamais caché l’ampleur de ce qu’il gagnait et il continue, même en ces temps de mise à l’index des patrons trop gourmands. «La part fixe de mon salaire en 2008 était de 1,250 million d’euros ; la part variable : 1,5 million[ça nous suffirait pour le reste de notre vie, mais il se situe dans la moyenne du CAC]. J’ai demandé aux syndicats lors de nos dernières réunions s’ils voulaient qu’on en parle, ils ont refusé.» Ce sujet sensible risque d’être évoqué ce matin par certains actionnaires, au cours de l’assemblée générale du groupe. «On me dirait qu’il faut baisser mon salaire de 50 %, si c’est étayé, pourquoi pas, je bosserais pour moins que ça encore ! Mais là, ça m’emmerde : pour les gens, ce que gagnent les patrons, c’est toujours trop ! J’ai juste demandé à ne pas être augmenté l’an dernier et cette année parce que ce n’était pas le moment.»
Il fait partie, lui qui vient pourtant d’une grande famille fortunée, de ces gens qui fustigent la relation culpabilisante que l’on entretient en France avec l’argent. «Une société qui gagne de l’argent, c’est un problème dans ce pays. Limite indécent. Mais ce n’est pas parce qu’on gagne beaucoup qu’on n’est pas humain !» Là, l’auteure de ce portrait, au risque de se faire des ennemis, doit bien le reconnaître : difficile de rencontrer plus humain que ce patron-là. Il faut le voir, à 1 heure du matin, dans cet hôtel de Cardiff (pays de Galles) où il est venu rencontrer une délégation du Qatar, proposer à ses collaborateurs et aux deux journalistes présents, de l’accompagner boire un dernier verre, histoire de refaire le monde du pétrole et de balancer quelques vacheries sur ses petits camarades patrons ou ministres (un exercice dans lequel il excelle), tout en sirotant un verre de Lagavulin et en lâchant quelques histoires grivoises. A 2 h 30, on y était encore et il se levait à 6 heures pour des rendez-vous avec la reine d’Angleterre, l’émir du Qatar et Gordon Brown. Ce n’est pas un hasard s’il est aujourd’hui le patron le plus puissant de France alors que rien ne l’y prédestinait.
Sa famille donc, impossible de faire l’impasse. On y trouve des ambassadeurs, des écrivains, les héritiers des champagnes Taittinger… Cela aurait pu en faire un fils à papa, c’est le contraire. Il connaît ces gens-là, ils ne l’impressionnent plus, il se sent socialement libre. A l’aise dans tous les milieux. Il garde un souvenir ému de ses vacances d’enfant chez ses grands-parents, en Vendée, mais glisse sur une adolescence bringuebalée entre pensions chez les jésuites et parents plutôt rigoureux. Entrer très vite dans le monde du travail était sa seule façon de prendre le large. Aucune envie de rentrer dans le moule des grands corps, ce sera Sup de Co Paris. Un stage chez Total grâce à une amie qui connaissait quelqu’un et hop, roulez jeunesse ! Il n’a cessé depuis lors de gravir les échelons de la boîte, dopé par un incroyable sens du contact, notamment dans le monde arabe, zone vitale au plan pétrolier. Les plus grands émirs, avec qui il a su nouer des relations personnelles, l’appellent par son prénom, et les diplomates n’hésitent pas à lui demander conseil. «C’est notre arabe de service. Les gens l’apprécient parce qu’il ne ment pas, il ne finasse pas, il est simple. Et on peut lui faire confiance, il est fidèle», dit l’un d’eux.
Témoin, il refuse de lâcher les has been. Il adore encore Rachida Dati et proposera aujourd’hui de renouveler le mandat d’administrateur de Daniel Bouton, le patron déchu de la Société générale. «Je n’oublie pas ce qu’il a apporté à la banque et à la France. Il s’en est déjà pris plein la tronche, ce n’est pas à nous de l’achever !» Lui n’achève que le bois mort de sa maison de Normandie, où il adore emmener ses cinq petits-enfants.
Reste un mystère : comment Thierry Desmarest, patron emblématique de Total, raide comme un piquet, a-t-il pu s’enticher d’un homme aussi différent au point de l’adouber et de lui filer le pouvoir avant l’heure ? «Ce n’est pas l’apparence qui compte. Avec Desmarest, on a plus de points en commun qu’il n’y paraît et d’abord celui-ci : on travaille pour la boîte et pas pour nous.» D’ici à la fin de l’année, Christophe de Margerie - pour l’heure simple directeur général - sera seul maître à bord, Desmarest ayant décidé de lâcher son poste de président. Et les deux fonctions seront fusionnées. Mais après ? Quel nouvel homme fort pour Total ? Les yeux ronds se plissent, la moustache frisotte. «Cela fait partie de mes tâches essentielles : trouver celui qui me succédera.»
Christophe de Margerie en 7 dates
6 août 1951 Naissance à Mareuil-sur- Lay (Vendée).
1er septembre 1974 Stage d’été chez Total.
14 octobre 1974 Intègre Total, à la direction financière.
29 janvier 1976 Mariage avec Bernadette.
15 juillet 1976 Naissance du premier de ses trois enfants.
1er janvier 1993 Prend la responsabilité de la zone Moyen-Orient.
Février 2007 Devient directeur général de Total.