Ce ne sont plus des faits divers
Violences contre les femmes
le 11.09.16 | 10h00
Ce n’est pas un fait divers. Et l’information mérite mieux que les quelques lignes qui
lui ont été consacrées dans les pages locales de la presse nationale.
Une jeune femme de 34 ans a été brûlée vive, il y a une semaine
à El Khroub, 16 km au sud de Constantine. Un acte prémédité qui
renseigne sur l’état de déliquescence de la société. Un acte qui a jeté
l’émoi au sein de la population, mais n’a suscité aucune réaction.
C’est un cas de violence.Encore un. L’acharnement contre les femmes
ne cessera-t-il donc jamais dans un pays qui, il y a tout juste dix mois,
a adopté une loi criminalisant ces violences ? Amira, c’est elle la victime
cette fois-ci. En ce matin du 29 août, elle s’apprêtait certainement à
rejoindre son travail. Il était 8h passées dans cette rue de la cité du
20 Août à El Khroub. Elle allait probablement entamer une journée
ordinaire en cette fin d’été 2016, mais un homme en a décidé autrement.
Il s’approcha d’elle, l’aspergea d’essence et la transforma en une torche
humaine. Une fois le temps de l’émotion et de la compassion écoulé,
la société a repris le cours de sa vie. Ce n’est qu’un cas de violence qui
vient s’ajouter aux statistiques morbides. Les médias ont expédié une
information, sur un ton laconique, sans lui accorder le traitement qui
s’impose. Personne n’a dénoncé cette agression.Les forces vives se sont
tues devant une agression innommable. Les associations féministes et
autres se sont murées dans le silence. Les organisations des droits de
l’homme n’y ont pas décelé une atteinte physique à un être humain et à
sa dignité. Pas de position, encore moins de déclaration. Une victime est
morte et son assassin, bien qu’identifié, court toujours. La seule réaction
qui mérite d’être citée est venue d’une internaute.Une amie ou une inconnue,
seule ou avec un groupe, peu importe. Amel a lancé un cri à la face d’une
société, devenue aphone, insensible et inerte «Assassinée dans l’insouciance... assassinée avec la bénédiction des médias silencieux de mon pays... assassinée
sous les yeux de ma société qui s’en fout... Que faire ? Dénoncer le féminicide...
ou dénoncer le silence d’une société sans voix devant un crime aussi crapuleux,
juste... parce que crapuleux pour elle devient droit et nature quand on est un
homme ?» Là où les rédacteurs de ce réquisitoire auront le mérite, à défaut de
ne pas ébranler les consciences, de rappeler que les violences faites aux femmes
ne sont pas une vue de l’esprit, c’est une réalité, une tare que la société, au nom
de la sacro-sainte loi des us et traditions, couvre et minimise la portée.
En décembre 2015, la Chambre haute du Parlement a enfin consenti à l’entérinement
de la loi contre les violences faites aux femmes, dix mois après que le projet ait été
adopté par l’Assemblée. Le combat pour faire aboutir ce texte n’a pas été de tout
repos. C’est le couronnement d’une lutte ininterrompue menée à bras-le-corps par
des associations qui ont tiré la sonnette d’alarme sur un phénomène étouffé par
le poids du patriarcat. Une avancée, saluée par les uns et décriée par d’autres.
Un crime de lèse-majesté pour les conservateurs qui ont qualifié cette loi de
«liberticide vouant aux gémonies le socle familial et la dissolution
de la cellule sociale».
Le poids du conservatisme
La loi en question prévoit, notamment, des peines d’emprisonnement mais
aussi la perpétuité «si les coups portés ou les blessures faites volontairement,
mais sans intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée».
Le harcèlement dans la rue, autre visage de la violence, est sévèrement puni.
Le texte a toutefois été critiqué par bon nombre d’associations et ONG, dont
Amnesty International, en raison d’une clause relative au «pardon» de la
femme qui peut mettre fin aux poursuites judiciaires contre son agresseur.
Une disposition qui n’est autre qu’une «pression supplémentaire sur les
victimes déjà fragilisées pour ne pas aller jusqu’au bout de leur demande de
justice…Très peu de plaintes atterrissent au tribunal parce que l’agresseur,
la famille, l’entourage, les difficultés d’accès à la justice, le manque
d’autonomie et de ressources obligent les victimes à se résigner, subir la
violence jusqu’à ce que mutilation ou mort s’ensuive», avait analysé la
sociologue Dalila Djerba, du réseau Wassila. D’où les statistiques faussées
concernant le nombre d’agressions contre les femmes qui, même s’il est
élevé, demeure en dessous de la réalité. Soumia Salhi, coordinatrice
du collectif Stop à la violence !Les droits aux femmes maintenant composé
de diverses associations et activistes, qui s’est constitué en 2010 pour
mener une campagne de plaidoyer en faveur de l’avènement d’une loi-cadre
sanctionnant les violences à l’encontre des femmes avait mis le doigt dans
un ancrage, presque immuable, dans la société lors de l’une de ses
interventions. «La société demeure dominée par une religiosité traditionnelle.
Les progrès sont immenses mais l’adaptation des mentalités est en retard.
Pour une militante féministe, le plus difficile est de faire accepter ses
revendications et ses comportements par sa famille et par son quartier.»
La loi est aujourd’hui effective. Les agressions contre les femmes le sont aussi.
En principe, la force de la loi est dissuasive, mais le conservatisme est très
puissant dans notre société. Un anachronisme manifeste qui place, selon des
associations, «les femmes dans une position subordonnée, sous autorité
masculine dans la vie familiale et conjugale, et ceci même si une égalité formelle
est inscrite dans la loi pour ce qui concerne la vie politique».
Naïma Djekhar