A LA UNE/EDUCATION NATIONALE
30 Avril 2015
Le sort de l’enfant dans le projet de loi relatif au livre et aux activités autour du livre
Par Malika Boudalia, membre du bureau du Syndicat national des éditeurs du livre (SNEL)
Le projet de loi en question énonce deux définitions du livre.
La première est universelle :
le livre est «une œuvre de l’esprit, …destinée à la diffusion de la pensée, de la culture, de l’enseignement, des sciences, du savoir et de la connaissance».
La seconde concerne le livre pour enfants. Elle est conjoncturelle :
le livre scolaire et parascolaire est «un ouvrage didactique, destiné par les pouvoirs publics à une utilisation obligatoire, conformément aux programmes officiels».
Le livre peut-il faire l’objet de deux définitions, l’une pour adultes, l’autre pour enfants ?
Le livre pour l’enfant d’Algérie n’est donc pas destiné à «la diffusion de la pensée, de la culture, de l’enseignement…». Le livre pour enfants est au service de programmes officiels, il répond à une commande.
Dans les faits, nous sommes en présence de deux programmes officiels :
1- La loi d’orientation de l’éducation nationale du 23 janvier 2008 parue au Journal officiel et qui reste à ce jour lettre morte.
2- Les instructions du ministère de l’Education nationale datant du XXe siècle et en particulier, celles de 1990 portant sur l’enseignement préparatoire. Le projet de loi ne nous dit pas à quel programme officiel il se réfère. L’édition scolaire et parascolaire dans son ensemble nous révèle qu’il s’agit bel et bien des programmes prescrits en 1990. Voir(*) : Document de référence pour l’enseignement préparatoire.
Vision de la langue dans les instructions de 1990 :
Plusieurs définitions sont avancées :
1- «La langue est une liste fermée de structures.» Page 34
«De plus, il n’est pas nécessaire d’enseigner toute la liste…» Page 34
2- La langue est un catalogue de mots :
«La langue est une liste de mots concrets…» Pages 32 et 33.
3- «La langue est un répertoire de dialogues, des thèmes de dialogues sont prescrits» Pages 32 et 33.
«Entraînement de l’enfant à l’expression et au dialogue à l’aide de ces structures et phrases.» Page 34.
4- La langue est simple : «La langue arabe à utiliser dans l’enseignement préparatoire doit être simple et correcte.» Page 37.
Les termes : «structure», «phrase» «mot» sont confondus entre eux.
Mot = structure grammaticale = structure linguistique = concept = phrase = notion logico-mathématique.
La liste des structures grammaticales imposée par les instructions de 1990 est une liste restreinte.
Nous sommes face à une grammaire amputée.
La notion de quantité qui donne accès au nombre (à l’arithmétique) ne figure pas sur la liste.
Linguistique et psychologie cognitive sont confondues. Les notions d’espace et de temps sont enseignées comme des mots de vocabulaire. Or, ces notions ne s’enseignent pas.
Elles sont acquises naturellement, par l’exploration, le tâtonnement, l’expérience, le vécu. Le mouvement est la condition première pour la compréhension de ces notions.
On peut lire à ce propos en page 38 du même document :
«Entraîner l’enfant à la posture assise.»
Le livre tel qu’énoncé par la deuxième définition du projet de loi est précisément un instrument qui maintient l’enfant assis. L’enfant aborde les notions d’espace et de temps à travers des centaines d’exercices qui le maintiennent assis. Ce modèle de livre s’attaque à l’inné.
Le mode de transmission de la langue est prescrit :
«Dialogues à partir d’images.» Page 35. «La langue est une liste de mots concrets… qui doivent être illustrés.» Pages 32 et 33.
La transmission se fait donc par le truchement des yeux et non plus par les oreilles, comme dans la transmission naturelle. L’image sert de stimulus. L’acquisition se fait par le stimulus-réponse. Nous concluons que la deuxième définition du livre énoncée par le projet de loi relatif au livre n’est donc qu’un arrangement au service des pouvoirs publics de 1990.
Les normes du livre scolaire et parascolaire sont donc définies par les pouvoirs publics de 1990. Or ce sont des représentants de ces mêmes pouvoirs publics, qui interviennent directement dans l’édition comme producteurs (auteurs). Une situation inédite !
Ces «auteurs» se substituent à El Mutanabbi et à Mouloud Mammeri. Ils s’imposent comme valeur culturelle.
Les éditeurs du scolaire et parascolaire appliquent strictement les instructions de 1990.
Exemples :
Document 1 : Edition Hatier-Algérie / parascolaire
Document 2 : Livre catalogue. Hatier Algérie
Document 3 : Edition Hatier-France. Parascolaire
Document 4 : Edition Hatier-France. Parascolaire
Document 5 : Editeur algérien. Parascolaire
Document 6 : Livre catalogue. Editeur algérien. Langue = énumération de mots. Mot-image.
Document 7 : Instructions 1990.
Document 8 : Liste des structures à enseigner. (Une grammaire amputée)
Hachette - Algérie, Hatier-Algérie ainsi que tous les éditeurs algériens du scolaire et du parascolaire trompent les utilisateurs en déclarant se référer à la loi de 2008 alors qu’en réalité, ils se réfèrent aux directives ministérielles de 1990.
Voir document 1 et document 5.
La deuxième définition avancée par le projet de loi débouche concrètement sur deux modèles de livres. Voir documents 2, 3 et 4.
Les livres de Hatier-France correspondent à la définition universelle du livre. En revanche, les livres de Hatier- Algérie correspondent à la deuxième définition du projet de loi. Le projet de loi relatif au livre n’est donc là que pour entériner et pérenniser cette situation de fait. Nos députés seront prochainement face à un choix douloureux : l’Enfant ou les pouvoirs publics de 1990. La langue civilisatrice ou la table rase.
M. B.