Les familles des victimes du 11 Septembre pourront poursuivre l’Arabie Saoudite

le 30.09.16 | 10h00

C’est une première : depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche il y a huit ans, jamais le
Congrès n’avait rejeté un de ses vetos (il en a fait passer douze). C’est en cela et sur le précédent que
la loi va créer que le vote de la Chambre des représentants et du Sénat, mercredi, est une décision historique.


Le Congrès américain a rejeté mercredi un veto de Barack Obama sur une
loi autorisant les proches des victimes du 11 Septembre à poursuivre l’Arabie
Saoudite. Le Sénat, dans un premier temps, a voté (par 97 voix) pour entraver
le veto contre une seule voix soutenant l’initiative de Barack Obama, celle de
Harry Reid, chef de la minorité démocrate à la Chambre haute. Les élus de la
Chambre des représentants se sont ensuite prononcés à 348 voix pour rejeter
le veto et 77 voix soutenant le chef de l’Etat. De nombreuses familles pensent
que le gouvernement saoudien est impliqué dans le financement et l’organisation
des attentats.
Quinze des 19 auteurs des attentats ayant fait près de 3000 morts
le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis étaient des ressortissants saoudiens.
La responsabilité de l’Arabie Saoudite n’a cependant jamais été démontrée. Mais
les défenseurs du Justice Against Sponsors of Terrorism Act (Jasta) ont insisté sur
la nécessité pour les proches des victimes de pouvoir réclamer justice. Ils estiment
que la position de l’Administration Obama est avant tout liée à la crainte de
provoquer la colère de Riyad.
«Le veto du président Obama témoigne d’un profond
mépris envers les familles des victimes du 11 Septembre», a de son côté accusé le
Parti républicain après le vote. Le candidat républicain à la présidentielle,
Donald Trump, «n’a jamais oublié l’impact tragique de cette journée et il s’assurera
que ceux qui ont subi des pertes inimaginables puissent obtenir la justice qu’ils
méritent», poursuit le parti. «C’est une erreur», a réagi le président américain en
dénonçant sur CNN un «vote politique» de parlementaires qui jouent pour beaucoup
leur réélection, le 8 novembre.
Barack Obama juge que ce texte affaiblirait le principe d’immunité qui protège les Etats (et leurs diplomates) de poursuites judiciaires et risquerait, par un effet boomerang, d’exposer les Etats-Unis à des poursuites devant
divers tribunaux à travers le monde.Ce texte «ne protègera pas les Américains
d’attaques terroristes et n’améliorera pas non plus l’efficacité de notre réponse en cas
de telles attaques», avait-il mis en garde dans une lettre adressée aux chefs démocrate
et républicain du Sénat. En vain.
Le directeur de la CIA, John Brennan, a aussi estimé
qu’un tel vote «aura de graves implications sur la sécurité nationale des Etats-Unis»
et des conséquences pour «les employés du gouvernement qui travaillent à l’étranger».
Il «marque un dangereux précédent», a encore affirmé Barack Obama sur CNN,
rappelant que le chef d’état-major interarmées américain, le général Joseph Dunford,
ainsi que le ministre de la Défense, Ashton Carter, estimaient également qu’il s’agissait d’une «mauvaise idée».

Réactions
Le texte a d’ores et déjà provoqué une levée de boucliers dans les monarchies du Golfe,
qui entretiennent des relations tendues avec l’Administration Obama à qui elles reprochent, entre autres, d’avoir réintégré l’Iran, grand rival chiite, dans le jeu diplomatique. L’Arabie Saoudite, qui ressent ce vote comme «un coup de poignard
dans le dos», pourrait riposter en réduisant sa coopération avec Washington, notamment dans le contre-terrorisme, selon des experts.
«J’ai peur que cette loi ait des implications stratégiques catastrophiques» sur les relations historiques entre Washington et Riyad, avertit Salman Al Ansari, président du Saprac, un comité privé pour la promotion des relations saoudo-américaines. La relation Washington-Riyad, nouée il y a plus de 70 ans,
a été fondée jusqu’ici sur un échange de la sécurité américaine contre le pétrole saoudien.

Les relations Washington-Riyad se sont refroidies en 2014-2015, lorsque le président américain a amorcé une ouverture vers Téhéran, qui s’est concrétisée par l’accord sur le nucléaire iranien. Mais cela n’a apparemment pas empêché la coopération antiterroriste saoudo-américaine de rester solide. Elle «a permis aux autorités américaines d’avoir des renseignements précis ayant contribué à déjouer des attentats», selon Salman Al Ansari.
En coulisses, Riyad a fait pression pour que le projet de loi soit supprimé. Un prince saoudien aurait menacé de retirer ses milliards de dollars des actifs américains si la loi venait à passer. Mais les officiels saoudiens se sont démarqués de ces propos.
«L’Arabie a été poignardée dans le dos par cette loi irréfléchie et irréaliste», a
confié Salman Al Ansari à l’AFP. «Comment pouvez-vous poursuivre un pays qui collabore contre ce même terrorisme dont il est accusé sans fondement», s’interroge-t-il.
Le royaume de Bahreïn, proche allié de l’Arabie Saoudite, a aussi déjà vivement réagi
en affirmant que les parlementaires américains avaient «décoché une flèche»
sur «leur propre pays».

Mel. M. avec agences