Page 4/15 - Drogue : de la consommation occasionnelle à la dependence P le 5/10/2015

De la première rencontre avec une drogue au fait de ne plus pouvoir s’en passer, il y a un monde parfois vite franchi…Pour devenir dépendant à une drogue, il faut obligatoirement l’avoir prise ne serait- ce qu’une fois. Cette première rencontre avec la drogue, qui ne se pratique généralement pas par un individu seul, est nommée phase expérimentale. Pour de nombreuses raisons – curiosité, pression environnementale…– une personne essaie un nouveau produit et en ressent les effets. Si les conséquences lui déplaisent réellement, il aura alors tendance à ne pas renouveler l’expérience. Mais cela ne s’avère pas toujours vrai avec le tabac ou l’alcool.

L’étape suivante dans l’escalade de la consommation est un usage de la drogue dit récréatif. La prise de drogue est alors occasionnelle, dans un milieu festif la plupart du temps, parfois associée à certaines activités ou certaines personnes de l’entourage. De nombreuses personnes utilisent des drogues en certaines occasions particulières, sans forcément tomber dans la dépendance.

Cependant certains individus perdent ensuite le contrôle et tombent dans un usage abusif caractérisé par une fréquence de prise de produit plus élevée et ce hors contexte social. C’est le point de départ de l’utilisation solitaire de la drogue. Ce niveau atteint mène alors progressivement à la dépendance à proprement parler.

La dépendance est un phénomène complexe dont la définition diffère selon les auteurs. Quelle que soit la drogue, ce phénomène se caractérise principalement par une perte de contrôle progressive qui oriente la majorité de la vie du toxicomane autour de la recherche et la consommation de produit, au détriment du reste de sa vie professionnelle, sociale et personnelle. La naissance d’un besoin physique et/ou psychique de la substance entraîne une incapacité à arrêter les prises et ce bien que le patient ait totalement conscience des dangers de cette prise pour sa santé, et des possibles problèmes légaux encourus dans le cas des drogues illicites. On constate une tension, voire une anxiété, en cas de manque, un soulagement et une perte de contrôle accompagnant la prise elle- même.

Pour prendre un exemple plus concret, il suffit d’imaginer un individu, fumeur invétéré, qui doit se rendre à une soirée et s’aperçoit qu’il n’a plus de cigarettes. Cette prise de conscience va provoquer une tension nerveuse et l’entraîner de bureau de tabac en bureau de tabac jusqu’à ce qu’il réussisse à mettre la main sur des cigarettes. Le temps utilisé pour cette activité diminue donc le temps qu’il passera entre amis. La recherche de produit est devenue prioritaire vis- à- vis des interactions sociales.

Dynamique de la dépendance

Les différents niveaux d’utilisation d’une drogue mènent graduellement à la dépendance du sujet. Une fois la dépendance installée, il est très difficile de faire le chemin inverse et de "quitter" le produit. La période d’arrêt de la consommation, ou sevrage, peut s’accompagner de douleurs physiques plus ou moins intenses et de détresse psychologique aiguë. Dans de nombreux cas, même après sevrage, les personnes ayant été dépendantes rechutent, comme si leur susceptibilité à retourner dans cette spirale était accrue de façon définitive.

Page 5/15 - Vrais faux alcools : premix, alcopops..
Dans le commerc e, si les boissons alcoolisées sont, pour la plupart d’entre elles, bien au rayon "alcools", d’autres appelées "premix" ou "alcopops", mélange de sodas et d’alcool (vodka, rhum ou whisky), ne s’y trouvent pas toujours.
Dans ces nouveaux produits, qui rencontrent un certain succès chez les jeunes, le goût de l’alcool est masqué par l’ajout de sucre et d’arômes. Or boire un premix revient à consommer une bière ou un verre de vin.
Les effets sur la santé et les risques de dépendance sont donc les mêmes qu’avec les boissons alcoolisées traditionnelles.

DROGUES
6/15 - Réflexes, conditionnements et drogues

Beaucoup de comportements humains, y compris la prise de drogue, trouvent leur source dans les expériences passées de l’individu, des situations vécues, et dans des réflexes dits conditionnés…

La plupart des toxicomanes qui rechutent après avoir arrêté la consommation de drogue, le font dans des conditions bien particulières. Si l’on demande ainsi à un ex- fumeur quelles sont les occasions où il est le plus tenté de reprendre une cigarette, la réponse la plus souvent citée est du type "après un repas avec des amis" ou "dans un bar où j’avais l’habitude d’aller quand j’étais fumeur"… Ces réponses rendent compte de l’établissement d’un lien existant dans l’esprit du toxicomane entre la prise de drogue et d’autres références.

Celles- ci, qu’elles soient simples – comme une odeur, un goût – ou plus complexes – une personne, un lieu –, replongent toujours l’individu dans le contexte antérieur d’un besoin de drogue.

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7/15 - Le réflexe rotulien

Le réflexe rotulien, pratiqué à l’hôpital, teste les réponses nerveuses du patient. Le choc du marteau sur le tendon reliant le quadriceps au tibia donne naissance à un message "étirement du musc le" (flexion de la jambe) du récepteur vers la moelle épinière via les voies sensorielles. En réponse, les retours moteurs nerveux provoquent la contraction du quadriceps (extension de la jambe) automatique pour un retour à la normale.


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Réflexe rotulien

Ce réflexe ne fait donc pas intervenir les structures cérébrales. Ce type d’automatisme, qui se produit sans une perception consciente, existe aussi dans le cas des drogues (comme prendre une cigarette dès la sortie d’un immeuble ou du métro).

8/15 - Réflexes conditionnés : le chien de Pavlov

Les liens produits entre la drogue et différents stimuli de l’environnement ont été appris progressivement par le cerveau, à l’insu même de son propriétaire, pendant toute la phase qualifiée d’addictive : on parle alors de réflexes conditionnés. À la différence des réflexes simples comme le réflexe rotulien, ne faisant pas intervenir les centres supérieurs cérébraux, ces associations établies entre la drogue et des expériences sensorielles sont liées à un apprentissage plus complexe mettant en jeu différentes structures cérébrales.



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Le chien de Pavlov, crédits DR.

Dans l’expérience de Pavlov, le chien reçoit un entraînement. On teste d’abord séparément l’effet du stimulus porteur de sens (1), la nourriture, et du stimulus neutre (2), la cloche, pour voir leurs effets sur l’animal. Une fois les résultats préliminaires obtenus, on associe le stimulus conditionnant (1) au stimulus neutre (2) de manière répétitive. Si le conditionnement réussit – que l’animal met en mémoire le lien entre les deux stimuli – le stimulus neutre seul (2) devient conditionné et entraîne les mêmes effets physiologiques que le stimulus conditionnant (1). Ce processus de conditionnement est également à l’œuvre dans la dépendance toxicomane.

Chez tous les animaux, les conditionnements consistent à associer un stimulus dit neutre avec un stimulus porteur de sens. Le plus parlant est certainement celui que l’on appelle du chien de Pavlov. Ivan Pavlov, un scientifique russe né au milieu du XIXe siècle, travaillait sur la salivation des chiens. Au cours de ses expériences, il s’aperçut que cette salivation débutait en fait avant la présentation de la nourriture à l’animal. Ce dernier savait d’une certaine manière que l’heure du dîner approchait et préparait son corps à la prise de nourriture. En testant différents stimulus sonores qu’il répétait chaque fois avant l’arrivée de la nourriture, Pavlov réussit à faire saliver les animaux dès la perception du son. L’animal avait alors appris à associer un stimulus neutre, le son, avec un stimulus porteur de sens, la prise de nourriture. Cet apprentissage laisse une trace dans la mémoire de l’animal, qui lorsqu’il entend le son seul, pense inconsciemment à la nourriture et se mettra à saliver même si les conditions ont changé et qu’aucune nourriture ne lui est apportée.

Ce processus de conditionnement arrive à chacun dans différents domaines et permet la mise en mémoire de nombreuses associations plus ou moins simples. La prise de drogue, qui s’accompagne généralement d’une sensation de bien-être, en est le parfait exemple : l’individu se sent mieux dès lors qu’il sait avoir son produit sous la main et être en mesure de l’utiliser quand il en a envie...


9/15 - Drogues, circuit de la récompense et dopamine

Malgré leur diversité, les drogues partagent toutes une caractéristique commune : elles jouent sur le circuit de la récompense et stimulent la libération de dopamine.

Les vertus récompensantes des drogues ont été établies dès la fin des années 1960 en démontrant que les animaux s’administraient eux- mêmes du produit si on leur en donnait la possibilité. Ces expériences d’auto- administration, permettant d’observer la motivation de l’animal pour la drogue, reproduisent en fait les expériences d’Olds et Milner (voir page précédente) en reliant une action de l’animal à l’injection d’une dose de drogue. L’animal, en cas de propriété récompensante de la drogue, associe les deux stimuli et réitère de plus en plus souvent l’action entraînant l’injection.

Cet effet récompensant sur le cerveau, que les drogues partagent artificiellement avec de nombreuses expériences comme un bon repas, une relation sexuelle, un film de qualité, etc., laissait penser que les drogues agissaient sur l’organisme en modifiant de quelque manière que ce soit le fonctionnement normal du circuit de la récompense. Malgré le fait que les drogues dont abuse l’Homme soient de nature et de classe très différentes – des stimulants aux narcotiques entre autres – une cible biologique commune dans le cerveau semblait donc exister. Les connaissances de l’époque pointaient alors du doigt la voie dite "mésolimbique" reliant l’aire tegmentale ventrale et le noyau accumbens, à la base du circuit de récompense, et plus particulièrement un neurotransmetteur, la dopamine.


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L’organisation fonctionnelle du cerveau.

Toutes les drogues agissent sur le circuit de la récompense et provoquent la libération de dopamine. Mais comment expliquer le mode d’action propre à chacune ? Le but des neurobiologistes depuis plusieurs dizaines d’années est de comprendre les méc anismes cérébraux qui sous- tendent les effets aigus et chroniques des drogues, ainsi que la mise en place des phénomènes de dépendance. Le mode d’action de ces substances chimiques sur les différentes structures cérébrales est donc la clef des avancées thérapeutiques éventuelles. La mise au jour de toutes les étapes de l’entrée de la drogue dans le corps jusqu’au comportement induit est primordial pour mener ce projet à bien (© Cerveau et Psycho, mai- juin 2006).


L’hypothèse d’une action directe ou indirecte de chaque drogue sur le circuit dopaminergique et plus précisément d’une augmentation probable de la libération de ce neurotransmetteur dans certaines structures cérébrales après la prise de drogue a défié les chercheurs pendant près de vingt ans.

Les expériences réalisées en lésant chez l’animal certaines structures cérébrales ou en injectant des produits pharmac ologiques ont ainsi donné des résultats contrastés pendant deux décennies. Le manque de mesures directes et fiables des taux de dopamine in vivo a freiné les scientifiques jusqu’à ce que Gaetano Di Chiara et Assunta Imperato, deux neurobiologistes, développent un système de "dialyse cérébral" leur permettant de suivre les variations des quantités de neurotransmetteurs présentes dans différentes structures chez l’animal éveillé. Cette avancée technique, couplée à l’injection de drogue, leur a permis en 1988 de démontrer que toutes les drogues partageaient la propriété d’entraîner l’augmentation de la libération de dopamine dans le noyau accumbens. L’action des drogues sur le circuit de la récompense devint alors le point d’intérêt principal des neurobiologistes pour comprendre les phénomènes de dépendance.


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Effet des drogues sur la libération de dopamine dans le noyau accumbens.

Les psychostimulants (amphétamine et cocaïne), comme les opiacées (morphine) ou l’alcool entraînent une augmentation transitoire, de l’ordre de quelques heures, des taux de dopamine dans le noyau accumbens. Cet effet, observé ici chez le rat, est dépendant de la dose et sa cinétique est différente suivant la drogue injectée. DOPAC et HVA : produits de dégradation de la dopamine. (D’après Di Chiara et Imperato, PNAS, 1988.)