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Reclus pendant plus d'un an : "une forme de syndrome de Stockholm"

INTERVIEW - Comment les quatre enfants âgés de 14 à 20 ans retrouvés dans un appartement de Saint-Nazaire ont-ils pu vivre si longtemps sans sortir ? Etaient-ils sous le joug de leur père ? Décryptage avec une experte en psychopathologie, spécialiste du traumatisme de l'enfant.
TF1 News : Les enfants découverts dans un appartement de Saint-Nazaire (lire notre article >Le cauchemar d'une famille enfermée depuis des années ) étaient "prostrés"? Que nous révèle cette attitude ?
Hélène Romano, spécialiste du traumatisme chez l'enfant* : Plein de choses. Ce sont probablement des enfants qui se trouvent dans un contexte de terreur. Une emprise qui dure depuis des mois, voire des années. C'est l'attitude d'enfants n'étant ni en capacité de se défendre, ni de se sauver. Selon les premiers éléments, certains présenteraient des retards de développement. Ces retards sont-ils consécutifs à un contexte de violences ou ces enfants ont-ils été séquestrés du fait de leur retard ? Les deux hypothèses sont possibles, l'enquête permettra de le savoir.
TF1 News : "La séquestration n'est pas avérée", selon le parquet qui précise qu'il n'y aurait eu "ni violences physiques, ni agression sexuelle, ni viols"...
H.R. : A mon sens, il est encore un peu tôt pour affirmer que ces enfants n'ont effectivement pas subi de violences physiques ou sexuelles. Ce sont des examens très longs. Une certitude : priver un enfant d'être en contact avec d'autres de son âge, d'avoir une vie sociale, c'est en soi une cruauté mentale et une violence psychologique.
TF1 News : Mais comment le père, si sa responsabilité est avérée, a-t-il pu exercer une telle emprise sur des enfants qui ne sont pas très jeunes ?
H.R. : Cette emprise a pu démarrer il y a très longtemps. Il est possible que ces enfants n'aient pas eu d'autre modèle que leur père et qu'ils se soient construits dans cette contrainte de dépendre de l'autre, de ne pas aller vers l'extérieur. On ne sait pas encore si ces enfants ont été maintenus isolés depuis leur naissance ou s'ils ont été scolarisés quelque temps. Et quand cette violence est exercée par un parent faisant autorité, quelqu'un étant censé vous protéger, l'enfant n'a plus sa capacité de penser que cela peut être différent. Il se plie à la contrainte, il s'identifie à son agresseur.
TF1 News : Comment par exemple ?
H.R. : C'est une terreur psychologique, qui s'exerce notamment par des menaces. J'ai, par exemple, eu le cas en expertise d'une mère délirante qui a séquestré sa fille pendant trois ans. Celle-ci a été retrouvée à l'âge de 12 ans après avoir été enfermée sans verrous ni violences physiques. Sa mère lui martelait que si elle sortait à l'extérieur, elle allait être contaminée par un air extrêmement nocif et qu'elle mourrait. Ainsi conditionné, l'enfant reste chez lui. Dans le cas de Saint-Nazaire, il y avait apparemment des verrous à l'extérieur de la porte d'entrée. Mais si les enfants ont été conditionnés avec cette idée que l'extérieur de l'appartement est pire que tout, ils ne se sauveront pas. Les sectes agissent avec le même processus de terreur psychologique.
TF1 News : Peut-on parler d'un syndrome de Stockholm ?
H.R. : C'est très probablement une forme de syndrome de Stockholm. Le terme exact est "identification à l'agresseur". On l'a vu dans le cas de Natascha Kampusch. Quand elle a témoigné devant les médias de son histoire, elle était en adhésion avec l'homme qui l'a retenue. Elle l'a excusé, elle l'a justifié. Pourquoi ? Parce qu'un enfant dans une telle situation n'a pas d'autres moyens de survivre psychiquement que de se caler sur les attentes de son agresseur. Il y a probablement eu ce processus psychique de survie à Saint-Nazaire. Quand ça dure longtemps, l'enfant n'a pas d'autres ressources.
TF1 News : Comment ces enfants peuvent-ils se reconstruire ? Pour le moment, ils sont en observation à l'hôpital.
H.R. : Il est déjà important de dire qu'il y a un avenir possible pour eux. En termes de facteur de résilience, nous savons que si l'enfant a pu avoir avant une base, il pourra plus facilement survivre. Natascha Kampusch a été séquestrée des années mais elle avait tout avant.
Si ces enfants-là ont pu avoir quelque temps une vie scolaire normale, ils peuvent s'appuyer là-dessus. S'ils n'ont rien eu, ça sera en revanche plus compliqué. S'ils ne savent pas parler, écrire, évoluer à l'extérieur, vous imaginez les difficultés ? J'ai travaillé sur le cas d'un enfant séquestré pendant six ans. Il ne savait pas monter des marches, ni manger, ni aller aux toilettes...
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