«Ma visite en Algérie
un acte de témoignage et d’engagement»
ARNAUD MONTEBOURG AU SOIR D’ALGERIE
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08 Décembre 2016
Propos recueillis par Khedidja Baba-Ahmed
Arnaud Montebourg sera samedi 10 décembre (après-demain) en Algérie pour un séjour de trois jours. Ce n’est pas la première fois que l’ancien ministre du Redressement productif vient ici en visite. Cette dernière a toutefois une particularité, elle intervient alors qu’il s’est déclaré candidat, parmi de nombreux autres, aux primaires socialistes qui se dérouleront en janvier prochain. Certains n’ont pas manqué d’y voir une tentative d’allier à son programme les Franco-Algériens qui votent ici et là-bas, mais aussi une opération de séduction des officiels algériens qui pourraient l’aider. C’est de bonne guerre, rétorqueront d’autres, et beaucoup d’autres avant lui l’ont fait. Montebourg, et c’est en cela que le candidat intéresse l’Algérien, n’a jamais caché et s’est même glorifié de ses origines algériennes dans une conjoncture française marquée par le retour en force des voix de stigmatisation. «Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a pas de communauté d’origine, mais une communauté de destin.» Une réponse très forte du candidat qui n’a jamais mâché ses mots. Avant même que François Hollande ne renonce à sa candidature aux primaires, le candidat Montebourg déclarait que «le bilan de ce quinquennat n’est pas défendable». Il se présente, quant à lui, avec un programme, «Le projet France» qu’il souhaite voir amener à lui tous les autres concurrents. En attendant, et dans le cas où il gagnerait cette primaire et au-delà, une fois président, que fera-t-il de la demande de repentance ? Quelle position sur la décolonisation du Sahara occidental, et plus globalement, quel type de relation bilatérale avec notre pays envisage-t-il ?
Le Soir d’Algérie : Vous êtes à la veille d’un voyage en Algérie. Cette escale peut-elle être qualifiée d’un voyage du cœur, ou, comme certains le disent, de «l’urne», ou des deux ?
Arnaud Montebourg : Il ne s'agit pas vraiment d'une escale. Je serai en Algérie pour 3 jours. Je connais des escales plus courtes (rires). C'est un acte de témoignage et d'engagement. A travers l'étape oranaise de ce déplacement, je témoigne de mon attachement profond à mes origines algériennes.
Ma mère y est née. Une partie de ma famille y vit toujours. Ce lien avec cette terre d'Afrique du Nord constitue une richesse supplémentaire, qui a, sans aucun doute, participé à la formation de l'homme que je suis. Ce séjour en Algérie est aussi une marque d'engagement vis-à-vis de la place que je veux donner à la relation franco-algérienne, et plus généralement à ma volonté de faire de l'Afrique un axe de développement fondamental pour la France et l'Europe.
Peut-on connaître, dans ses grandes lignes, le programme retenu pour vos trois jours de visite ? Est-il envisagé des rencontres avec les officiels algériens et lesquels ?
J'effectuerai une première étape à Oran. Je visiterai l'usine Renault que j'ai contribué à installer en Algérie et qui a permis de produire des véhicules Made in Algeria, qui étaient auparavant fabriqués en Turquie. Plusieurs rencontres sont prévues. Ainsi qu'un volet plus personnel, avec ma famille. J'irai ensuite à Alger, pour y rencontrer des personnalités de la vie économique et politique. Je compte aussi rencontrer les Algérois et les Français installés à Alger.
La France connaît depuis quelques années, surtout ces derniers mois, un climat pollué caractérisé par un rejet assez important de l’autre, et notamment de tous les musulmans. Quelle est votre lecture de cet état ? Les actes terroristes abominables qu’a connus l’Hexagone expliquent-ils, à eux seuls, le basculement dans le rejet de l’autre ?
Nous vivons depuis quelques années un climat lourd autour des sujets religieux, notamment par rapport à l'islam. Les débats me paraissent dangereux et excessifs, et parfois une forme d'hystérie collective et médiatique s'en empare. Il me paraît indispensable d'apaiser les débats, et de revenir à l'essentiel. La loi de 1905, sur la laïcité, fixe très bien le cadre dans lequel le fait religieux doit se situer dans la société. Il faut revenir à la philosophie d'un Aristide Briand, grand promoteur de cette loi. Par ailleurs, une très écrasante majorité de musulmans en France participent admirablement au développement et à la cohésion de notre pays, malgré ce climat pesant, dans lequel ils peuvent parfois se sentir montrés du doigt. Le terrorisme djihadiste, qui se drape dans un extrémisme religieux se revendiquant scandaleusement de l'islam est un ennemi féroce que l'Algérie a bien connu et affronté quasiment seule, isolée du reste du monde. Depuis, ce terrorisme a voyagé, s'est déplacé, s'est transformé pour prendre des visages multiples. Ce terrorisme nous a frappés. Durement. Même si dans son ensemble le peuple français s'est montré solide et résilient, la seule réponse de la société française doit être l'unité. Je regrette donc le manque de sang-froid et l'emportement qui a conduit certains à promouvoir la déchéance de nationalité pour les binationaux, ou je ne sais quel «Guantanamo à la française». Nous devons combattre fermement ceux qui nous attaquent et condamner avec la plus grande sévérité ceux qui tentent de diffuser, notamment auprès des jeunes, les idées noires du radicalisme islamiste. C'est par la cohésion nationale que nous y parviendrons.
D'où ma proposition de rétablissement d'un service national civil et militaire.
Vous avez, en ce qui vous concerne, choisi ce moment pour vous déclarer Français et Algérien eu égard à vos origines. Plus globalement, vous avez dit : «Il n’y a pas de Français de souche, il n’y a pas de communauté d’origine, mais une communauté de destin.» Cette déclaration vous semble-t-elle partagée par beaucoup et notamment par les amis du PS ? Autrement dit, n’est-elle pas en décalage avec l’opinion publique d’aujourd’hui ?
Le brassage est une réalité puissante en France, car un tiers des Français ont un grand-parent étranger. Je pense que les Français n'accepteront jamais le projet du FN. Le problème c'est que les idées du FN gangrènent la vie politique, et se retrouvent parfois chez d'autres, de manière édulcorée, mais le venin est là. La construction de la France d'aujourd'hui s'est faite grâce à l'apport de populations venant des quatre coins du globe. Et toutes ces populations, sans exception, se sont retrouvées autour de nos valeurs. Nous devons protéger cela, tel est notre destin.
Le FN n’a jamais connu une progression aussi importante que durant le quinquennat de François Hollande. A quoi cela est-il dû, selon vous ? La crise économique qui a ouvert un boulevard aux populismes en France comme ailleurs ? Plus intrinsèquement, à la gouvernance actuelle et aux erreurs et parfois concessions qu’elle aurait commises? Nous vivons effectivement, à l'échelle mondiale, une crise économique prolongée artificiellement dans la zone euro par des politiques d'austérité destructives et d'appauvrissement des gens modestes. C'est pourquoi l'extrême-droite progresse. Mais cette dérive n'est pas reproductible à tous les pays. Voyez ce qui vient de se passer en Autriche avec la victoire du candidat écologiste. Je suis persuadé que nous pouvons convaincre nos concitoyens qu'une voie alternative est possible, pour offrir à notre pays une nouvelle dynamique, pour le progrès et la justice sociale. F. Hollande a annoncé qu’il ne briguera pas un 2e mandat. A droite, mais aussi certains à gauche parlent d’aveu d’un énorme échec (J.-L. Melenchon). Quant à vous, vous «saluez la décision sage, réaliste, lucide et hautement responsable». Mais au-delà, que permet ce jet d’éponge pour la gauche et n’allez-vous pas vers une pléthore de candidats ?
C'est un risque possible. Mais je n'y crois pas. La décision de François Hollande permet de clarifier la situation. Trop d'erreurs ont été commises. Les électeurs pourront donc choisir entre une offre alternative, que je souhaite incarner, et un candidat qui porte le fardeau d'un quinquennat raté. C'est aux électeurs de choisir. Et la différence entre ces deux offres possibles est très claire, très nette.
Vous entreprenez ce voyage dans notre pays à la veille de la primaire du PS pour l’élection présidentielle dans laquelle vous êtes engagé. Lors de l’officialisation de votre candidature, vous déclariez : «Le bilan de ce quinquennat n’est pas défendable.» Et poursuiviez : «Un sentiment de gâchis, une grande occasion manquée, un oubli général de ceux qui nous ont mandatés.» Vous dites, toutefois : «Je suis convaincu que nous pouvons, cette fois, l’emporter.» Qu’est-ce qui vous donne cette certitude alors que l’unité de la gauche n’est pas encore là pour battre l’ultralibéralisme qui semble gagner du terrain ?
Je suis tout d'abord satisfait que M. Hollande ait entendu les nombreuses voix qui lui demandaient de renoncer à se représenter. Mon objectif avec cette primaire est d'organiser une première étape d'un rassemblement qui se voudra encore plus large. Nous avons montré en 2011 que la primaire est un outil pour rassembler. Je souhaite que cette nouvelle primaire s'inscrive dans la même logique.
Qu’est-ce qui dans votre programme intitulé «Le projet France » ou projet alternatif peut amener les électeurs qui ne veulent ni de l’extrême-droite ni du programme de Fillon, qui n’en n’est pas très éloigné, à voter pour vous ?Il s'agit de changer de logiciel. Celui de la mondialisation effrénée a montré ses faiblesses. Il est temps de revenir à des échanges économiques et commerciaux justes et profitables pour tous. Je promeus ainsi le made in France, les circuits courts de production et de distribution. Je souhaite protéger nos grandes entreprises de la prédation des compagnies étrangères, venant faire leur marché, pour ensuite délocaliser nos entreprises et détruire nos emplois. Je souhaite réformer l'Europe, pour la mettre au service des peuples. L'ultralibéralisme de M. Fillon est une impasse. Et je ne peux accepter la destruction de l'unité nationale qu'impliquerait une victoire du FN. Quelle alliance possible pourriez-vous envisager dans le cas d’une victoire au premier tour des primaires ? Je parlerai avec les Verts, et Yannick Jadot. J'appellerai le Parti radical de gauche et Sylvia Pinel à rejoindre ce mouvement de rassemblement. Je souhaite aussi pouvoir dialoguer avec les communistes, pour trouver un chemin commun, et construire un programme commun avec Jean-Luc Melanchon. Plus nous serons nombreux à nous rassembler, plus nos chances de gagner en 2017 seront grandes. J'y crois fermement. Et je m'attacherai à réaliser ce rassemblement.
Le dossier de la repentance empoisonne toujours les relations entre Alger et Paris. Vous président, comment l’aborderiez-vous ? C'est un sujet douloureux et difficile. Mais il faudra l'aborder lucidement et sincèrement. Il est temps de se confronter à ce passé et d'envisager le futur avec sérénité. Je suis né en 1962, quelques semaines après l'indépendance de l'Algérie. Notre histoire commune est faite de passion, de souffrance, mais aussi d'amour. Des millions de nos compatriotes ont le cœur qui bat pour nos deux pays. Je prendrai mes responsabilités afin de nous permettre de nous projeter ensemble dans l'avenir et clore ces querelles mémorielles. De la même façon et peut-être plus encore, le soutien très fort apporté par Hollande aux thèses marocaines sur le maintien de la colonisation du Sahara occidental pollue les relations entre les deux pays et les Algériens ne comprennent pas votre position...Dans ce dossier, l'ONU et la communauté internationale disposent des moyens pour le règlement du problème. La France n'a aucune raison de se départir des orientations que prendra l'ONU conformément aux principes et au droit international.
Plus globalement, changeriez-vous quelque chose et quoi dans la relation
bilatérale ? Oui. Je souhaite donner un souffle nouveau. Et faire de la relation entre la France et l'Algérie une des priorités de la politique étrangère française.
K.B.-A.