Le hasard et la nécessité
Le hasard et la nécessité fait partie des thèmes récurrents dans la définition de la biologie moderne. Cette notion a pris naissance avec le livre de J. Monod « Le hasard et la nécessité », essai qui reste toujours d’actualité pour la communauté scientifique, bien que les expériences décrites ne sont plus au goût du jour. L’évolution nécessite la production de structures nouvelles et de plus en plus compliquées, or pour quiconque remet en cause le finalisme et l’idée de projet dans la nature, il est difficile de trouver des arguments solides, à cause de l’extrême difficulté, voir l’impossibilité de rendre compte d’expériences concrètes. Cet argument du hasard peut paraître tout à fait banal, à l’image des écoles philosophiques qui en usèrent sur les questions métaphysiques de l’origine de l’univers, mais l’insistance de certains biologistes dans son utilisation et la banalisation qu’il en surgit, nécessite que l’on s’étale sur le sujet, pour relever des excès contraires à la méthode dite scientifique ou académique.
Le postulat essentiel de J. Monod est que la vie est apparue grâces à ces « accidents » de parcours, incidents fortuits qui ont agit sur les premières cellules contenues dans une sorte de « soupe prébiotique », solution initiale théorique. Aucune finalité n’aurait poussé ces cellules à se transformer, mais bien seulement une nécessité cosmique, d’un monde en perpétuel changement :
« Nous disons que les altérations sont accidentelles, qu’elles ont lieu au hasard . Et puisqu’elles constituent la seule source possible de modification du texte génétique,seul dépositaire à son tour des structures héréditaires de l’organisme ; il s’ensuitnécessairement que le hasard seul est la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodigieux édifice de l’évolution : cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui qu’une hypothèse, parmi d’autres possibles ou moins concevables. Elle est la seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience. Et rien ne permet de supposer (ou d’espérer) que nos conceptions sur ce point devraient un jour être révisées » [1]
On peut se demander comment ce prix Nobel de Médecine ait pu soutenir que le seul hasard soit à l’origine de la vie. Une telle subjectivité l’a poussé à croire qu’il était arrivé à la connaissance ultime, de telle sorte qu’il est impossible de concevoir un autre modèle que le sien. Maurice Bucaille n’hésite pas pour dénoncer un visage tendancieux d’un système doctrinal, où vous apprend à penser, en vous dictant qu’elle est la vérité qui mérite d’être connue et quels sont donc de surcroît les méthodes reconnues comme académiques et scientifiques : une sorte de « scientifiquement correct » aux yeux de la communauté de chercheurs. En quoi l’homme peut-il avancer avec tant d’arrogance que les quelques découvertes qu’il a faites lui permettent d’exclure toute autre éventualité ? Il s’est passé 40 ans après l’écriture de ce livre et la thèse soutenue par les biologistes téléologistes semble reprendre du terrain, scientifiques dont on reconnaît l’objectivité et l’esprit critique, mais qui n’ont pas honte de soutenir que l’univers obéit à des lois cosmiques prédéfinies et invariables au fil des temps et de l’espace. Maurice Bucaille a relevé quelques passages d’un biologiste de renom PP Grassé, qui a été un des plus sévères avec l‘œuvre de J Monod, tant il voyait le danger de simplifications dangereuses, dans son œuvre commentée « L’évolution du vivant » :
« Dans le mammifère, tous les organes de sens ont évolué à peu près en même temps. Quand on se représente ce que leurs genèses ont exigé de mutations simultanées ou presque, surgissant au moment voulu, adéquates aux besoins, on reste confondu de tant d’harmonies, de tant de coïncidences, dues au seul et triomphant hasard. » [2]
J. Monod présentait à l’époque un exemple « concret » d’expérience de la nature dans l’évolution, encore visible aujourd’hui :
« Si des vertébrés tétrapodes sont apparus et ont pu donner le merveilleux épanouissement que représentent les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères, c’est à l’origine parce qu’un poisson primitif a « choisi » d’aller explorer la terre, où il ne pouvait cependant se déplacer qu’en scintillant maladroitement » [3]
PP Grassé rappela à ce propos :
« Nous sommes d’autant moins enclins à accepter l’histoire du « petit poisson Magellan » que les périophtalmes et les boléophtalmes réalisent très exactement son « expérience », ils courent dans la vase, grimpent sur les racines des palétuines et se dressent sur leurs nageoires pectorales, comme sur de courtes pattes. Depuis des millions d’années, ils vivent de la sorte, quoiqu’ils sautillent à tout instant, maladroitement ou non, leurs nageoires s’abstiennent à rester nageoires et à ne pas se transformer en pattes. Vraiment ces animaux ne sont pas compréhensifs »

On pourrait rétorquer que ce sont là les propos déformés par le prisme d’un biologiste d’un autre courant, pourtant nous voyons nettement la tendance du livre, à travers les mots d’un évolutionniste convaincu, historiens des sciences , Ernst Mayr, qui n’hésite pas à rappeler que :
« La lutte contre la téléologie cosmique (la « nécessité ») fut le principal objectif de Monod, le Hasard et la Nécessité, comme ça l’a été, explicitement ou infiniment, dans les écrits de tous les biologistes qui ont traité de ce qu’on appelle « l’évolution progressive ». Cependant, c’est une entreprise désespérée que de vouloir convaincre quelqu’un ne connaissant pas bien les mécanismes de l’évolution, que le monde n’est pas pour ainsi dire programmé » [4]
Pour finir, je vais reproduire intégralement un paragraphe très intéressant d’une analyse tout à fait pertinente de Guy Delaporte intitulée « L’œuf ou la poule ? » et qui remet totalement en cause sa lutte contre le créationnisme :
« Sommes nous face au vieux paradoxe de l’œuf et de la poule ? Monod nous le suggère lui-même en rappelant l’adage biologique : « omne vivum ex ovo ». Quelles sont les raisons qui lui interdisent de poser la poule, autrement dit l’organisme adulte, à la source de la vie, pour préférer l’œuf, c’est à dire l’ « appariement spontané » ? Nous sommes obligés de supputer, puisque l’auteur n’aborde pas le sujet. Pourtant cela semble assez clair : Monod ne pourrait accepter une affirmation aussi « créationniste ». Si, comme nous le pensons, telle est véritablement l’explication de la position de notre savant, alors disons clairement que « Le hasard et la nécessité » est le résultat d’une pure attitude idéologique, et non d’une vraie recherche scientifique. Celle-ci devrait « objectivement » conduire à d’autres conclusions.
D’ailleurs, la solution proposée par l’auteur n’en est finalement pas moins créationniste. La présence d’éléments non encore vivants prêts à s’apparier, n’est pas moins difficile à justifier que l’apparition d’un organisme adulte. Qu’on ait affaire à un objet microscopique, inerte et moins complexe ne facilite en rien l’explication de sa présence. Affirmer l’existence d’un premier nucléotide est tout aussi créationniste qu’affirmer l’existence d’une première poule. C’est seulement se débarrasser du problème en le transférant au physicien.
Sur cette question, la pensée d’Aristote et de Thomas d’Aquin est sans équivoque : l’Acte précède la Puissance, la forme est antérieure au mouvement et l’adulte accompli est la cause de l’engendré. Notre paradoxe de potache a lui aussi une solution. Puisqu’il faut supposer qu’existe au départ un œuf ou une poule, il est beaucoup plus rationnel de préférer la poule. Celle-ci en effet n’a nul besoin de l’œuf pour vivre et se développer, alors que l’inverse n’est pas vrai. Et si malgré tout, on devait constater factuellement que c’est bien l’œuf qui fut premier, alors on serait obligé de supposer quelque chose ou quelqu’un, une force ou une puissance, qui aurait activement joué le rôle dévolu à la poule dans le développement de l’œuf jusqu’à son éclosion. Tout comme il faut le supposer pour l’appariement spontané des nucléotides et acides aminés. » [5]



[1] Citation tirée du livre de J. Monod « Le Hasard et la nécessité », citée par Maurice Bucaille : « L’homme d’où vient-il ? » Editions Seghers p57
[2] Idem
[3] Le hasard et la nécessité, Jacques Monod, Point Seuil 1970, p 142-143
[4] Histoire de la biologie, Ernst Mayr, Editions Fayard p686
[5] http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Articles/Hasard.pdf
Abdelhak O.