Que souhaite faire Naguib Sawiris d’Euronews, ce richissime homme d’affaires ayant développé la branche télécommunication du groupe familial Orascom ?
Pour connaître ses motivations, il faut remonter à l’origine de son arrivée. Jusqu’en 2011 Euronews est encore profitable mais va connaître un essoufflement et doit faire évoluer son modèle. Malgré le soutien, depuis la création d’Euronews, de l’actionnariat public, composé de 21 chaînes de télévision européennes et du bassin méditerranéen à l’époque, ces dernières n’ont plus les moyens de suivre, contraintes, elles aussi, à des réductions budgétaires dans leur pays. Des chaînes qui lui demandent de tenir compte du contexte économique et d’analyser un plan de restructuration.
Suite à ce constat d’impuissance, la chaîne s’émancipe économiquement et se met en recherche d’un actionnaire. Toutefois, l’incursion d’un investisseur privé dans une chaîne d’information créée à l’initiative de l’Union européenne de radio-télévision (UER), dans le but à l’époque de contrer l’hégémonie de CNN International sur le continent, passe difficilement chez certains membres fondateurs et salariés.
Présenté par la banque Lazard, mandatée pour l’occasion, Naguib Sawiris rencontre Michael Peters président du directoire en 2014. Mais un autre nom circule, celui de Patrick Drahi. Le magnat aurait été intéressé par ce rapprochement, mais son projet aurait pu menacer davantage les emplois et la singularité de la chaîne.
Le 19 juin 2015, Naguib Sawiris, via sa holding familiale Media Globe Networks, entre donc au capital de la chaîne, en prenant une participation de 53 %, soit 35 millions d’euros (qui s’affiche en net à 30 millions). Le reste, 47 %, se répartit entre les groupes audiovisuels publics historiques – dont les majoritaires : France Télévisions, la Rai (Italie), la TRT (Turquie), la SNRT (Maroc), RTR (Russie) et la SSR (Suisse) -, qui font partie du comité de surveillance, et des trois collectivités locales : la Métropole de Lyon, le Département du Rhône et la Région Auvergne Rhône-Alpes (mais avec seulement 3 % du capital).
Contrôlée désormais par un acteur privé, et d’ici à la fin de l’année par un second, NBC News devant entrer au capital à hauteur de 15 à 30 % , Euronews dispose donc des moyens pour combler les dettes et développer le nouveau plan stratégique en phase avec le contexte, baptisé Next.
Mais quel est l’intérêt du milliardaire ? Il pourrait s’agir d’une affaire rentable pour l’homme d’affaires. Le patron de la chaîne prenant l’exemple d’Eurosport, revendue l’an passé par TF1 pour 491 millions d’euros à Discovery, croit potentiellement à la valeur qu’Euronews pourrait représenter.
D’autres avancent l’hypothèse que ce média permettrait aussi au magnat égyptien, impliqué en politique, fondateur du Parti des égyptiens libres, de faire prospérer ses affaires en Europe, comme lui permettent déjà de le faire ses deux chaînes de télévisions ONTV et ONTV Live en Égypte. Sans oublier Africanews, filiale d’Euronews, basée au Congo-Brazzaville et qui émet depuis avril 2016 sur l’ensemble du continent africain, qui est une chaîne qui d’ailleurs pose moralement problème, en interne à Lyon, mais qui « donne du travail et une identité aux Africains ». L’État congolais aurait débloqué la somme de « 30 millions d’euros », par le biais de son groupe audiovisuel public, pour l’installation de la chaîne sur son territoire, avance une source.
Nombreux reconnaissent que l’arrivée de Naguib Sawiris a permis de « sauver » Euronews, ses emplois et son cœur de métier, soit la diffusion d’informations européennes. L’incursion d’un investisseur privé dans une chaîne d’information, créée à l’initiative européenne, suscite néanmoins des interrogations quant au respect de l’indépendance éditoriale. Depuis un an, un comité éditorial a été mis en place veillant au respect de la mission d’intérêt général. Personne pour l’heure n’a constaté l’immersion du milliardaire dans l’éditorial. Mais « pour combien de temps encore ? », s’inquiète-t-on en interne. Alors Naguib Sawiris, miracle attendu ou mirage égyptien ?
By Latribune.fr