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La journaliste Wafa Dahman a travaillé pendant dix ans pour France TV, enchaînant les CDD et subissant des insultes raciales. Blacklistée après avoir brisé la loi du silence, elle porte plainte au pénal avec deux autres journalistes.
Si vous regardez France 3, vous avez probablement dû entendre ma voix dans un reportage ou voir mon visage lorsque je présentais le journal régional. J’ai travaillé pendant dix ans pour la télévision publique, et après autant d’investissement, la chaîne m’a jetée, sanctionnée en m’interdisant aujourd’hui de travailler.
Devant cette injustice, je n’ai pas eu d’autres choix, Au printemps 2016, j’ai porté plainte au pénal contre France Télévisions, sa présidente Delphine Ernotte et le DRH pour discrimination, harcèlement et abus de CDD. Je ne suis pas toute seule puisque deux autres journalistes, eux aussi d’origine maghrébine et qui ont subi la même discrimination, se sont joints à moi.
Les journalistes précaires sont légion à la télévision publique. Mais dans nos trois cas, la discrimination et le harcèlement ont aggravé cette précarité. Laissez-moi vous peindre le tableau.
En dix ans, j’ai signé près de 500 contrats courts
En général, les journalistes en CDD travaillent trois à quatre ans sur ce qu’on appelle le “planning”, où on enchaîne les contrats courts – d’un jour et quelques à plusieurs mois tout au plus – et ce dans la France entière. Puis ils postulent à des postes en CDI et sont pleinement intégrés à la rédaction.
En 10 ans de travail pour France 3, j’ai signé près de 500 contrats, effectué 1800 jours de collaboration. J’ai postulé huit fois pour des CDI, sans succès. Je n’ai jamais eu d’entretien.
Pour comprendre cette précarité anormale, il serait trop facile de remettre en cause mes compétences. Sauf qu’en 10 ans de contrats, je n’ai jamais eu un seul blâme et tous mes reportages ont été diffusés. J’ai remplacé au pied levé des présentateurs, une mission difficile quand on débarque dans une région, avec une équipe qu’on n’a jamais vue – et il n’y a jamais eu de problèmes. Je me suis investie à fond dans ce travail.
Pendant plusieurs années, je n’ai pas pris de vacances, bougé d’hôtel en hôtel. Une année, j’ai même travaillé 260 jours alors qu’un journaliste à temps complet travaille en moyenne 180 jours. Et je peux vous assurer que passer les fêtes de fin d’année toute seule dans une chambre à Clermont-Ferrand, loin de ma famille et de mes amis, n’est pas une expérience épanouissante. Et je l’ai fait pendant des années, sans jamais me plaindre.
J’ai subi des insultes racistes et j’ai été virée
Je suis restée malgré tout. J’aimais et j’aime encore mon travail, je me suis attachée à certaines rédactions locales et à certains de mes collègues. Mais ça a empiré. J’ai été éliminée du planning.
D’abord à Grenoble, où je faisais un quart de mes contrats à l’époque. Un nouveau rédacteur en chef a été nommé et a éliminé les deux journalistes maghrébins. Puis à Lyon, où je vis et où je travaillais aussi régulièrement, j’ai été exclue de la rédaction après avoir subi des insultes racistes.
En mai 2010, j’étais en tournage avec un collègue avec qui je travaillais peu et qui avait toujours été très désagréable avec moi, il ne m’appréciait pas, sans raison, comme ça arrive parfois au travail. On était dans la voiture, alors que je lui donnais les indications pour nous rendre sur le lieu de reportage, il a mis sa main devant ma bouche pour me faire taire. Ce geste était pour moi d’un mépris sans nom et je lui ai demandé des explications. Il m’a sorti : « Tu t’es regardée, tu as vu qui tu es, tu n’as rien à faire parmi nous». Quand vous vous ramassez ça en pleine figure, c’est d’une telle violence. Vous ne savez pas comment réagir, si vous devez partir, répondre, etc. Ma seule inquiétude était de retenir mes larmes, je ne voulais pas pleurer devant lui, je voulais garder toute ma dignité. Et j’ai quand même fait mon reportage, dans un état second.
Dernière modification par luchugsat ; 20/06/2017 à 20h25. Motif: Lien non caché