A la une/Actualité_Chafia Mentalecheta. Députée de la communauté algérienne établie en France
le 12.02.16 | 10h00

Chafia Mentalecheta
Dénigrer ouvertement le patriotisme des binationaux sous prétexte de multinationalité est une of.jpg

Née en 1958 à Clermont-Ferrand en France, Chafia Mentalecheta est aujourd’hui
non seulement députée, mais aussi membre de la commission des Affaires étrangères,
de la Coopération et de l’Emigration auprès de l’APN.

Diplômée en psychologie de l’université de Clermont-Ferrand, elle a été pendant
plusieurs années représentante au Parlement européen de
l’observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes.


Les binationaux sont devenus des étrangers
de chaque côté de la Méditerranée

Des huit députés qui représentent la diaspora algérienne dans le monde,
seuls deux ont boycotté la nouvelle Constitution. Une position qui a provoqué
la colère des Algériens résidant à l’étranger, surtout en France,
qui contestent les articles 51 et 73. Chafia Mentalecheta, députée de la zone 1 en France,
qui a boycotté le scrutin, revient sur cette polémique.

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- Vous faites partie de la minorité parlementaire qui a boycotté la séance
de vote de la nouvelle Constitution dimanche dernier. Pourquoi ?

J’ai trouvé anormal que la Constitution algérienne soit révisée pour la troisième fois
en moins de 14 ans, sans que le peuple n’ait son mot à dire ni directement via
un référendum ni indirectement via un débat démocratique au Parlement.
Je suis élue par la communauté nationale établie en zone 1 en France au regard
des valeurs que je défends et de mes convictions fondamentales. A ce titre,
j’avais des choses à dire au sujet de cette Constitution et en particulier concernant
les articles dédiés à la diaspora.
En interdisant le débat au sein de l’Assemblée nationale
populaire, le pouvoir en place a sciemment empêché la diaspora de lui porter
la contradiction et de formuler ses protestations dans le seul espace officiel
et constitutionnel d’expression du peuple. Dans les faits et en langage populaire,
les hautes autorités ont donc tout bonnement boycotté le peuple. Il n’y avait
donc aucune raison valable, y compris et particulièrement en qualité de représentante
de ce même peuple que je sois présente à la séance de vote de la Constitution.

- Qu’en pense la diaspora algérienne notamment en France ?
J’ai fait le choix de passer la journée du vote du 7 février dernier auprès de nos
compatriotes en France pour partager leur tristesse et essayer de transformer
leur colère en mobilisation pacifique et citoyenne. Des associations organisaient
une votation citoyenne dans le Val de Marne, je suis allée à leur rencontre.
J’ai pu constater sur le terrain combien le désarroi, l’incompréhension et la désolation
étaient sur toutes les lèvres. Le fossé est bien et bel creusé entre nos dirigeants
et nos compatriotes établis à l’étranger.
Cet acte brutal d’exclusion, posé gratuitement,
restera, me semble-t-il, gravé longtemps dans la mémoire de la diaspora qui n’aspire
pas dans sa grande majorité à occuper des hautes responsabilités ou des fonctions
politiques. Car, entendons-nous bien, la protestation des binationaux n’est pas
une controverse qui porte sur la matérialité des postes, mais une contestation basée
sur le principe de la pleine citoyenneté, de l’entière algérianité
et du rejet de la suspicion systématique et de la stigmatisation.

- Parlons justement de ces deux articles, 51 et 73, largement contestés
par la diaspora, notamment en France…

Les arguments avancés sur la nécessaire protection de la souveraineté de l’Etat
ont contribué à amplifier l’indignation de nos compatriotes établis à l’étranger.
Dénigrer ouvertement leur patriotisme sous prétexte de multinationalité est
une offense à leur dignité et une insulte à l’histoire. La nationalité exclusive n’a jamais
été l’inaltérable synonyme de défense de la patrie, sinon que dire de Frantz Fanon,
Maurice Audin, Fernand Yveton, Francis Jeanson et tant d’autres qui se sont sacrifiés
aux côtés de Larbi Ben M’hidi, Mustapha Ben Boulaïd, Hassiba Ben Bouali et tous
nos martyrs pour permettre aux Algériens d’être des citoyens égaux en droits et
en devoirs dans une Algérie libre et indépendante.

- Sur les 8 députés de la diaspora, seuls vous et Belkacem Amarouche,
député FFS de la zone 4, ont boycotté. Comment un député peut-il approuver
des articles qui vont à l’encontre de son électorat qui ne peut plus aspirer
maintenant à des postes de responsabilité ?

Concernant mes collègues, je crois que c’est à eux qu’il faut poser la question.
Je ne souhaite pas répondre à leur place. Quant à la diaspora, elle est bien évidemment
surprise, surtout après les prises de position très déterminées de certains de mes collègues
contre l’article 51. Il faut attendre les prochaines échéances électorales pour savoir quelles
seront les conséquences des différents positionnements. Chaque prise de position
peut être sujette à incompréhension, y compris la mienne concernant le boycott.

Et même si nous sommes élus, je sais que nous ne pouvons pas représenter la pensée
de chacune et chacun pris individuellement. L’essentiel est donc d’être en conscience
avec soi-même, de rester fidèle aux engagements pris pour pouvoir assumer
sereinement sa responsabilité devant les citoyens.

- Les binationaux font aussi l’actualité en France sur la proposition de la loi
sur la déchéance de la nationalité. Cette communauté qui se sent aujourd’hui
visée par les deux pays, comment vit-elle tout cela ?

En effet, la déchéance de la nationalité proposée par le Président français a suscité également
de grands questionnements. Très vite, la société civile et les parlementaires français se sont
emparés du sujet. La qualité et la puissance du débat ont d’ores et déjà permis que
la terminologie «binationaux» soit exclue du texte constitutionnel car les parlementaires
français et particulièrement ceux issus de la majorité présidentielle ont refusé qu’une catégorie
de citoyens soit discriminée du fait de ses origines. Mais, curieusement, nous avons constaté
une réelle similitude dans les arguments des défenseurs de la déchéance de la nationalité
et ceux de l’article 51.
Comme si les gouvernants en général et une certaine classe politique
en particulier n’avaient trouvé que la solution du repli sur soi pour remédier aux effets de
la mondialisation. Et, de fait, les binationaux sont devenus des boucs émissaires de choix
mais aussi des étrangers de chaque côté de la Méditerranée. La similitude dans le timing
a également surpris. Les deux pays ont pris la décision de réserver un sort à leur société
commune pratiquement en même temps. Cependant, le résultat escompté ne sera,
de toute évidence, pas le même d’une rive à l’autre.

- Selon vous, l’adoption de ces deux articles aura-elle un impact
sur les relations binationaux - Algérie ?

Les Algériens binationaux ou non font la différence entre les dirigeants et le pays.
Personne et pas même un article inscrit dans la Constitution ne peut les priver de leur
algérianité, leur faire oublier leurs racines et diminuer leur ferveur pour leur pays d’origine.
Si la rupture du pacte de confiance est consommée avec les responsables de cet article 51,
l’Algérie restera toujours bien plus grande aux yeux de tout le peuple algérien, binationaux
y compris.
La diaspora dans son ensemble est tout à fait consciente de son rôle de premier
rempart contre les velléités de déstabilisation du pays. Tous les spécialistes internationaux
en géopolitique s’accordent à dire que sans sa communauté aussi nombreuse et autant
attachée à ses racines, l’Algérie aurait déjà fait les frais d’un scénario à la libyenne ou
à la syrienne. Il n’est pas nécessaire de sortir de Sciences Po pour savoir que notre pays,
encerclé de toutes parts, est une cible de choix.

C’est une raison supplémentaire pour ne pas tomber dans le piège de la division.
Consciente de cela, la diaspora va renforcer ses relations familiales et populaires et
va être encore plus attentive à ce qui se passe dans le pays. Mais elle continuera aussi à
se mobiliser pour défendre l’indivisibilité du peuple afin de lutter contre les discriminations
et pour participer à la construction d’une Algérie forte et leader africain.
Meziane Abane