Grogne à la zone industrielle de Rouiba
Nouveau système de retraite
le 20.10.16 | 10h00
La zone industrielle de Rouiba connaît depuis quelques jours une
effervescence sans précédent. Le débat autour de la retraite anticipée agite aussi
bien les travailleurs que leurs représentants syndicaux.
«L’UGTA nous a vendus. Il est temps de nous démarquer de ses
décisions», s’est écrié hier un syndicaliste lors de la réunion
extraordinaire des représentants de 86 sections syndicales de ce
pôle industriel qui abrite 75 entreprises employant plus de 32 000
travailleurs. Une réunion qui a failli mal tourner en raison des
divergences apparues entre «certains camarades de lutte» sur
l’attitude à adopter en cas de révision de la loi sur la retraite.
«Devons-nous sortir dans la rue pour défendre nos acquis ? Ou
faut-il nous taire et jouer la compromission avec un gouvernement
qui n’a jamais manifesté sa volonté à défendre les droits des
travailleurs ?» Les participants à la réunion, dont cinq femmes
syndicalistes, se sont retrouvés face à un dilemme de taille, même
si la majorité est favorable à la première option. Les présents se
sont séparés sans toutefois s’entendre sur la réaction à adopter
pour pouvoir, à l’avenir, prendre une retraite proportionnelle ou
après 32 ans de service. «Notre objectif est de tirer la sonnette
d’alarme quant aux conséquences pouvant découler de l’annulation
de la retraite anticipée. Mais aussi rappeler la détermination des
travailleurs de la zone à défendre leurs acquis», explique Mokdad
Messaoudi, secrétaire général de l’union locale.
Le déficit de la CNR aggravé !
Les syndicalistes se sont réunis dans une salle pleine à craquer
ornée de quelques portraits de Aïssat Iddir et Abdelhak Benhamouda.
«Quand la zone industrielle de Rouiba tousse, ce sont toutes les
structures du pouvoir qui se mettent à grelotter. Il y a 1200 unions
locales en Algérie, mais pourquoi il n’y a que nous qui faisons du
bruit et luttons pour contraindre le gouvernement à faire marche
arrière», se demande un syndicaliste de la SNVI.Pour M. Messaoudi,
l’adoption de la loi sur «la retraite va aggraver le déficit budgétaire
de la CNR plus qu’elle ne le résout». «Le ministre du Travail et de la
Sécurité sociale a parlé hier de 60 000 fonctionnaires du secteur de
l’éducation qui ont déposé leurs dossiers de départ à la retraite.
C’est une véritable hémorragie», a-t-il averti, précisant que de
nombreuses entreprises ont été vidées de leurs cadres au moment
où les officiels plaident pour la relance économique.Avec des chiffres
à l’appui, M. Messaoudi a battu en brèche tous les arguments avancés
par le gouvernement pour faire passer la pilule. «Nous, nous sommes
logiques. Il est vrai que la CNR connaît un déficit. Au début, il y avait
7 travailleurs qui cotisaient pour un seul retraité. Aujourd’hui, il n’en
reste que 2. Cela est dû en partie aux licenciements massifs ayant
suivi le bradage des entreprises publiques aux privés dont certaines
sont devenues, aujourd’hui, des aires de stockage. Moi, je dirai que
c’est grâce à la retraite proportionnelle et sans condition d’âge que la
CNR n’a pas coulé. Depuis 1997, il y a 980 000 travailleurs qui ont pris
leur retraite anticipée. Mais s’ils étaient restés jusqu’à l’âge de 60 ans,
ils percevraient une retraite à 100%, donc plus que ce qu’ils touchent
aujourd’hui. Ensuite, on n’a jamais dit que la caisse des hauts cadres
de l’Etat est déficitaire et qui la finance», a-t-il appuyé. Selon lui, les
solutions aux problèmes que connaît la CNR sont à chercher ailleurs.
«L’ONS fait état de 2 500 000 employés qui ne cotisent pas à la CNAS.
Dans le secteur privé, 8/10 des employés ne cotisent pas. Le reste
sont des employés de firmes étrangères et le font par obligation, mais
ils ne déclarent jamais les salaires réels. Je connais une entreprise où
le salaire du PDG et du dernier ouvrier est fixé à 18 000 DA. Quand on
atteint l’âge de départ à la retraite, on l’augmente à 30 millions.»
Autre argument : M. Messaoudi se demande où sont partis les 180
milliards de dinars de la CNAC et dénonce le fait que c’est l’Etat qui
paye à ce jour les allocations familiales des entreprises privées,
voire même étrangères. «Si l’Etat récupère tout cet argent, on pourrait
payer les retraités en devise», ironise-t-il.Pour M. Benmiloud, secrétaire
général de la fédération des industries mécaniques, l’annulation de la
retraite anticipée pourrait provoquer une cassure sociale. Pour lui, le
gouvernement est «en train de défoncer une porte ouverte».
M. Takdjout, membre du secrétariat national de l’UGTA, dénonce la
volonté du gouvernement de faire passer la loi par un coup de force.
«C’est un déni de droit de ne pas laisser les travailleurs prendre la
retraite après 32 ans d’activité. Celui qui a commencé le travail tôt a
le droit d’aller se reposer tôt.» Très excités, la plupart des syndicalistes
ayant participé à la réunion sont favorables à une action de rue.
«Si on reste comme ça, rien n’empêchera le gouvernement d’adopter
sa loi», préviennent-ils. Les travailleurs vont-ils se mobiliser pour
défendre leurs acquis comme l’ont fait leurs aïeux par le passé ?
L’avenir nous le dira.
Les syndicalistes répondent à MM. El Ghazi et Boudiaf
Les déclarations du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité
sociale, M. El Ghazi, et du ministre de la Santé, M. Boudiaf, ont été
vivement critiquées hier par les syndicalistes de la zone industrielle
de Rouiba. «M. El Ghazi a raison de dire que les gens partent en
retraite pour aller travailler ailleurs, mais ce sont les cadres qui font
cela, pas les simples fonctionnaires.Ce sont les cadres dirigeants qui
touchent deux salaires. Ils sortent d’ici, ils sont embauchés là-bas.
Ensuite c’est à lui, en tant que ministre, de les débusquer et de
bloquer leur retraite. Pour nous, la retraite à 32 ans est indiscutable»,
a souligné le secrétaire général de l’union locale UGTA de Rouiba.
Son camarade, M. Takdjout, qualifie la déclaration du ministre
d’«inopportune». «Le fait qu’il annonce que la retraite à 60 ans sera
appliquée à partir de janvier démontre encore une fois que le
Parlement est une chambre d’enregistrement», a-t-il appuyé. D’autres
syndicalistes ont profité de l’occasion pour s’en prendre au ministre
de la Santé. «M. Boudiaf veut déplacer le débat et anticiper sur des
questions qui ne relèvent pas de son autorité. Il a déclaré que le
travail des infirmiers sera considéré comme ‘‘tâche pénible’’ alors la
commission désignée pour statuer sur ce dossier n’a pas terminé son
travail», dénoncent-ils. «On entend parler de tâches pénibles ou très
pénibles alors qu’on n’arrive même pas à statuer sur les maladies
professionnelles. Cela fait 33 ans qu’on a institué une loi pour
déterminer les tâches pénibles (art. 7 de la loi 83-02) et on ne l’a
toujours pas fait. L’espérance de vie est fixée à 77 ans, même si le
concerné est sous perfusion, sur le brancard ou handicapé, on le
considère comme tel. Pour eux, être en vie équivaut à pouvoir respirer.
Donc, ce n’est pas l’annulation de la retraite anticipée qui va augmenter
l’espérance de vie», ajoute l’un des syndicalistes. R. K.
Kebbab Ramdane