Des experts avertissent contre les risques sanitaires pour l’enfant
Gare à la malbouffe !
le 27.10.16 | 10h00
L’équilibre alimentaire des enfants scolarisés est menacé. L’enquête de la Société algérienne de
la nutrition (SAN), menée dans le milieu scolaire en 2014, a révélé un sérieux problème de santé,
qui risque de compromettre l’avenir des enfants en raison de la malbouffe. Depuis, les spécialistes
ont tiré la sonnette d’alarme. Mais leurs recommandations ont-elles été respectées par les élèves,
leurs parents et surtout les autorités concernées, à savoir celles qui tiennent les cantines scolaires ?
Les parents ne cessent de se plaindre des habitudes alimentaires de
leurs enfants, qu’ils n’arrivent pas à gérer. «Je suis vraiment dépassée.
J’ai du mal à les convaincre à manger à la maison même lorsque je ne
travaille pas», se plaint une mère de famille rencontrée à l’entrée du
lycée El Idrissi, (Alger). Elle atteste que ses enfants préfèrent les
sandwichs et les boissons gazeuses que de manger les repas préparés à
la maison. «J’essaie de leur diminuer les sodas mais je n’arrive pas.
Moi-même, je bois une bouteille de deux litres en un temps record. Je
suis accro à la boisson gazeuse, même si je sais que c’est nocif»,
reconnaît cette mère. Cette attitude est confirmée par Asma, lycéenne
«Même les week-ends, je préfère manger dehors.» «Je n’aime pas les
fruits, je préfère une canette de coca que de manger un fruit. Ce sont
les sodas qui me rafraîchissent, je bois pratiquement deux canettes par
jour, surtout lorsqu’il fait chaud», relate Asma, qui cherche à présent à
acheter un appareil pour presser ses sandwichs à la maison. «Lorsque
ma mère prépare berkoukes, je prends deux cuillerées difficilement, rien
que pour ne pas la vexer», témoigne cette jeune fille. «20% des enfants
sont en surpoids», s’alarme Mustapha Zebdi, président de l’Apoce
(Association de la protection et de l’orientation des consommateurs)
renvoyant cette situation au déséquilibre dans l’alimentation. En premier
lieu, M. Zebdi charge les parents, qui donnent de l’argent à leurs enfants
pour s'acheter le repas de midi. Ces derniers optent dans la majorité des
cas pour les sucreries, la pizza et tous ce que les fast-foods proposent
(sucre et gras). Pour protéger les enfants de ce fléau, le président de
l’Apoce assure : «Il y a un travail de sensibilisation qui devrait se faire.
Celui-ci englobe la société civile, l’école et la famille. Que chacun assume
ses responsabilités.» Le rôle des cantines scolaire, qui peuvent veiller sur
l’équilibre alimentaire des enfants, n’est pas à prouver, quand on sait que
le taux de scolarité a atteint 98% en 2016, selon les statistiques du ministère
de l’Education nationale.
Manque de cantines dans les wilayas de l’intérieur
Cependant, M. Zebdi estime qu’il n’y a pas une grande nécessité pour ces
cantines dans les grandes villes. Par contre, «ce problème se pose avec
acuité dans les wilayas de l’intérieur et du sud du pays. C’est dans ces
régions qu’on peut parler de malnutrition. La responsabilité des directeurs
des établissements et des P/APC est entière», insiste-t-il. Pour sa part,
Ali Benzina, président de l’Organisation nationale des parents d’élèves,
abonde dans le même sens : «Je défie tous les responsables de me prouver
que la restauration couvre 90% des établissements scolaires. Dans les
wilayas de l’intérieur du pays, il y a un manque flagrant et les élèves
souffrent.» Bien qu’aucune enquête englobant les conditions sociales des
élèves n’ait été menée jusque-là dans ces régions, l’éloignement, la
malnutrition et le climat rude peuvent-il expliquer en partie les dernières
places qu’occupent ces régions des Hauts-Plateaux dans le classement des
résultats des examens de fin d’année ? Un conseiller de la nutrition,
exerçant dans la wilaya de Tizi Ouzou, révèle que dans cette région les
élèves des écoles primaires ont droit, en plus du repas chaud de midi, au
goûter de la matinée (un bol de lait bien chaud et une tartine à la confiture).
Il convient de noter que Tizi Ouzou demeure indétrônable en matière de
résultats des examens. Si la prise en charge des élèves du point de vue
nutritionnel ne peut pas constituer le seul facteur de réussite dans cette
wilaya, il n’en demeure pas moins qu’elle contribue dans une large mesure
à ces résultats. D’après ce conseiller, 92% des écoles primaires de Tizi Ouzou
ont des cantines scolaires et les élèves bénéficient de repas chauds. «Nous
avons interdit les repas froids dans toute la wilaya de Tizi Ouzou», assure-t-il, sachant que cette région est une zone montagneuse et que les écoles se situent parfois à plusieurs kilomètres des villages.
Le menu à 45 da dans les écoles primaires
Ce conseiller de l’alimentation juge insuffisante la somme allouée au repas de l’élève. Vu la cherté de la vie, 45 da le repas reste insuffisant.Certains présidents d'APC contribuent financièrement. Mais l’aide diffère d’une APC à une autre
en fonction des moyens financiers de chacune et l’engagement de chaque maire
à prendre en charge les enfants de sa commune. «Lorsque le maire est issu du secteur de l’éducation, le courant passe facilement», reconnaît-il. Dans d’autres
cas, les gestionnaires des cantines essaient de veiller tant bien que mal sur
l’équilibre du repas destiné aux écoliers. «La viande est proposée aux enfants
au moins une fois par semaine.Quelquefois on donne aussi du poulet. Sinon, il
y a toujours un apport en protéines animales (œufs, fromage, poisson, parfois sardines)», affirme notre interlocuteur. Ce dernier estime qu’au primaire, les
repas sont bien étudiés, du moins pour la wilaya qu’il représente. «On conseille
puis on inspecte», souligne ce conseiller qui déplore le manque flagrant de conseillers spécialisés dans la nutrition scolaire.La chose qui rend le contrôle difficile. Néanmoins, «on essaie toujours d’avoir des échos à travers les élèves
et leurs parents». Autre problème ! «Les cantines scolaires sont envahies par
les externes. Ces pratiques privent dans la plupart des cas les élèves de
bénéficier d’un repas équilibré», dénonce Ali Benzina, président de
l’Organisation nationale des parents d’élèves, regrettant la gestion irrationnelle
des cantines scolaires.
Les cantines scolaires sont une nécessité
Actuellement, le repas est donné dans un cadre social, mais certains parents interrogés réclament la cantine pour tous, y compris dans les grandes villes où
les écoles sont à proximité de la maison. Cette demande est venue
essentiellement des couples qui travaillent et dans la plupart des cas loin de
chez eux. «Je suis contraint de payer une dame qui récupère mon fils à midi
pour lui donner à manger, sinon il se retrouve à la rue. Je dépense 9000 da
par mois pour faire garder mes deux petits enfants ainsi que celui scolarisé»,
se plaint une dame infirmière de son état. Si cette femme a pu trouver une
solution, même onéreuse, les enfants des couples qui travaillent, notamment
les collégiens et les lycéens, sont contraints de déjeuner dans des fast-foods, s’exposant ainsi à tous les risques d’ordre sanitaire : intoxication et repas déséquilibré (pizza, soda, sandwich, hamburger…). M. Zebdi regrette le fait
que dans certains cas le taux de sucre dans les boissons dépasse les 140 g/l.
Certains parents ignorent ce qui guette leurs enfants en adoptant ce mode de consommation, d’autres avouent qu’ils sont dépassés. Leur fonction ne leur
permet pas d’avoir le privilège de partager un repas préparé à la maison avec
leurs enfants. «Soit je travaille pour subvenir aux besoins de mes enfants,
soit je reste à la maison pour préparer leur déjeuner. Je ne peux pas faire les
deux. Même si je prépare de la nourriture qu’ils peuvent prendre avec eux,
ils ne trouveront pas d’endroit pour la réchauffer», déplore Hakima, qui
travaille dans un laboratoire d’analyses médicales et qui se déplace chaque
jour de Boumerdès jusqu’à Alger. D’autres parents préparent des repas de
fast-food, une aubaine pour gérer leur portefeuille. Un sandwich garantita
coûte 20 à 30 Da.Une mère de famille avoue que cela lui revient moins cher
que de préparer un repas à la maison. Ainsi, les cantines scolaires deviennent
plus qu’une nécessité afin de pallier l’éloignement, l’absence des parents et le dénuement de certains élèves. En ces temps de crise économique et de politique d’austérité, les subventions de l’Etat peuvent être orientées vers les couches les
plus vulnérables, à savoir les écoliers.
Rahmani Djedjiga