Faut-il traduire l’homme comme il parle ou lisser sa syntaxe hachée et risquer de laisser penser qu’il s’exprime normalement ?



Mi-décembre, Bérengère Viennot racontait sur Slate ses difficultés à traduire Donald Trump en français. D’abord des « déclarations choc » et des « tweets assassins », puis des discours, a fortiori depuis que le candidat est devenu le vainqueur. Le discours de Donald Trump est « facile à comprendre », mais son manque de vocabulaire est tel qu’il complique considérablement la tâche du traducteur. Au printemps dernier, une étude réalisée par l’université Carnegie Mellon, largement relayée aux Etats-Unis, avait démontré que le niveau de grammaire des discours de Donald Trump se situait juste en dessous du niveau sixième (6th grade).

Bérengère Viennot donne l’exemple de l’interview accordée au New York Times, fin novembre. Selon elle, dès lors qu’il doit improviser des réponses sans un discours écrit ou des notes, « il s’accroche désespérément aux mots contenus dans la question qui lui est posée, sans parvenir à l’étoffer avec sa propre pensée ». Exemple : le rédacteur en chef, Dean Baquet, lui demande s’il a tenu pendant sa campagne un discours propre à « galvaniser » (« energize ») l’extrême droite américaine, et comment il compte la gérer désormais. Sa réponse :

« Je ne crois pas, Dean. Tout d’abord, je ne veux pas galvaniser le groupe. Je ne cherche pas à les galvaniser. Je ne veux pas galvaniser le groupe, et je veux désavouer le groupe. Ils, encore une fois, je ne sais pas si c’est les journalistes ou quoi. Je ne sais pas où ils étaient il y a quatre ans, et où ils étaient pour Romney et McCain et tous les autres qui se sont présentés, donc je ne sais pas, je n’avais rien comme élément de comparaison. Mais ce n’est pas un groupe que je veux galvaniser, et s’ils sont galvanisés je veux me pencher sur la question et savoir pourquoi. »
Cet exemple illustre le fait que Donald Trump, même en lui reconnaissant la difficulté qu’il peut y avoir à improviser une réponse, se contente de « répéter les mêmes mots en boucle ».

Recréer une impression dans une autre langue

Le travail de traduction consiste moins à traduire des mots qu’à traduire des pensées, une personnalité, afin de « créer chez le lecteur la même impression, la même réflexion que celles qui ont été suscitées chez le lecteur d’origine ».

La pauvreté du vocabulaire de Trump oblige celui qui veut le faire comprendre dans une autre langue à trouver des stratagèmes pour donner du relief à son discours.

Bérengère Viennot décrit un vocabulaire monopolisé par quelques adjectifs hyperboliques. « Great » revient 45 fois dans l’interview au New York Times, avec aussi « tremendous », « incredible », « strong » et « tough ». Or il y a diverses manières de traduire ces adjectifs en français, qui renvoient à des niveaux de langue et à des degrés de correction différents. Elle donne l’exemple de cette déclaration :

« I mentioned them at the Republican National Convention ! And everybody said : “That was so great.” »
Elle choisit de la traduire dans un registre familier par « c’était trop bien ».

« Il me fallait traduire l’expression d’un enthousiasme puéril et autosatisfait, donc si j’avais choisi d’écrire à la place, par exemple : “Et mon discours a fait l’unanimité.” La signification aurait été la même mais cela aurait donné une idée fausse de l’intention et du mode d’expression du locuteur. »
Stratégie de campagne ou pensée étriquée ?

Pour illustrer l’importance du choix du registre, la traductrice fait appel au communiste George Marchais, apparemment un cas d’école pour les traducteurs : en URSS, sa parole était relayée uniquement par un interprète « au langage châtié » qui lui a prêté une réputation d’élégance, loin de celle qu’il avait en France.

C’est là la grande responsabilité du traducteur de presse, que Bérengère Viennot décrit plus longuement dans la revue littéraire américaine Los Angeles Review of Books, à quelques jours de l’investiture du président Trump.

Il ne s’agit donc pas seulement de mots mais de l’image renvoyée par un homme politique, qu’elle soit consciemment divulguée par ce dernier ou non. Tel est le dilemme du traducteur : faut-il traduire Trump comme il parle, et laisser les lecteurs Français peiner sur un texte de mauvaise qualité ? Ou lisser sa syntaxe hachée et risquer de laisser penser qu’il s’exprime normalement, comme n’importe quel autre chef d’Etat ?

Comme l’expliquait la traductrice dans Slate, employer un vocabulaire simple pour toucher les gens et se démarquer d’une élite politique jugée déconnectée aurait été une stratégie « valable » au cours de la campagne. Mais « dans le cas de Trump, ce n’était pas une stratégie : il est évident que son vocabulaire limité traduit une pensée étriquée ».