Les voyages spatiaux accélèrent le vieillissement cellulaire
Des cellules humaines placées en situation de microgravité dans la Station spatiale internationale ont vieilli plus vite qu'elles l'auraient fait sur Terre. De quoi laisser planer un doute sur l’innocuité de longs voyages interplanétaires.
Le corps humain pourrait ne pas apprécier d'être plongé dans la microgravité, caractéristique des voyages dans l'espace. En effet, les cellules endothéliales vieillissent plus vite. En est-il de même pour d'autres tissus ? © Nasa
Quand la science veut rattraper la fiction, elle risque de se heurter à une dure réalité… À l’heure où certains envisagent, dans un avenir pas si lointain, d’envoyer des Hommes dans des voyages spatiaux au long cours, se pose en effet la question de l’impact de la microgravité sur la santé humaine, c’est-à-dire une situation où les corps sont si éloignés des planètes qu’ils ne subissent presque plus les effets de l’attraction universelle. Attention, cette notion ne doit pas être confondue avec l’impesanteur, qui apparaît au voisinage d’un corps céleste, lorsque l’accélération subie par un objet compense la force de pesanteur.Si de simples vols touristiques à la limite de la stratosphère ou de la mésosphère ne permettent pas d’atteindre l’état de microgravité, la Station spatiale internationale (ISS), située à plus de 330 km de la surface de la Terre, y est plongée en permanence. Les chercheurs, comme Silvia Bradamante (Institut des sciences et technologies moléculaires de Milan), en profitent pour mener des études sur la survie des cellules.Le travail rédigé avec ses collègues dans le Faseb Journal devrait inciter à la prudence. Car il semble que l’absence d’attraction terrestre dérègle l’horloge biologique cellulaire et accélère les processus de vieillissement.
Les cellules endothéliales, ici représentées, tapissent l'intérieur de la paroi des vaisseaux sanguins et sont sensibles à la microgravité, qui les fait vieillir plus vite. © NIH, Wikipédia, DP
Le voyage dans l’espace fait vieillir, n’en déplaise à Langevin
Cette étude a été menée sur des cellules endothéliales, celles tapissant la face interne des vaisseaux sanguins, cultivées sur Terre ou dans l’ISS. Après 10 jours dans ces conditions, les scientifiques ont examiné les différences dans la modulation des gènes et leur expression à travers les profils protéiques constatés.En tout, ils ont dénombré des divergences dans l’activité de 1.023 gènes, dont la majorité est impliquée dans des événements tels que l’adhésion entre cellules, la réponse au stress, le cycle cellulaire ou l’apoptose (suicide cellulaire). Mais les auteurs ont également noté dans l’espace une hausse de la production de deux cytokines pro-inflammatoires : l’interleukine-1α et l’interleukine-1β. Celles-ci provoquent un stress oxydatif important aboutissant à l’inflammation des cellules endothéliales, qui se rencontre normalement en cas de lésion ou de pathologie. Cette situation accélère la sénescence cellulaire et augmente le risque de troubles du système circulatoire, comme l’athérosclérose.Ainsi, le fameux paradoxe des jumeaux, énoncé par Paul Langevin il y a un siècle maintenant, et qui consiste à dire qu’un jumeau envoyé dans l’espace à une vitesse proche de celle de la lumièrevieillirait moins vite que son frère resté sur Terre selon les règles de la relativité restreinte, pourrait finalement trouver ses limites dans la biologie.
VIP, la molécule qui limite l’effet du décalage horaire
Une petite protéine, appelée VIP, participe à la coordination de l’horloge biologique du corps. En l’utilisant à bon escient, les chercheurs pourraient mettre au point un traitement contre le décalage horaire.
Le décalage horaire se produit lorsque l'on voyage rapidement à travers plusieurs fuseaux horaires. L'organisme n'a pas le temps d'adapter son horloge biologique, et il faut en moyenne une journée pour se remettre d'une heure de décalage. © Mike Miley, Flickr, cc by sa 2.0
Notre organisme est réglé comme une horloge en fonction de la luminosité. La majorité du temps, nous sommes actifs la journée et nous dormons la nuit. Cette horloge biologique est essentielle et contrôle de nombreuses fonctions physiologiques. Son dysfonctionnement augmente le risque de développer certaines pathologies, telles que le cancer et le diabète. Des études ont même pointé un lien entre le cycle biologique, ou circadien, et le développement de maladies mentales comme la bipolarité et la schizophrénie.Chez les mammifères, le cycle circadien est contrôlé par le noyau suprachiasmatique (NSC), une minuscule région du cerveau qui synchronise toutes les cellules du corps au même rythme. « Le NSC est en quelque sorte une société de neurones qui ont chacun leur propre opinion de l’heure, explique Erik Herzog, le directeur de l’équipe. Ils se mettent donc d’accord et coordonnent ensuite le métabolisme de l’ensemble des cellules du corps. »Les cellules nerveuses du NSC communiquent par l’intermédiaire d’une molécule appelée VIP (vasoactive intestinal polypeptide). « C’est grâce au VIP que les cellules s’accordent sur le moment de la journée. Si on l’élimine, elles ne peuvent plus se synchroniser », précise Erik Herzog. En étudiant le mécanisme d’action du VIP, des chercheurs de l’université Washington de Saint Louis (Missouri, États-Unis) ont obtenu des résultats inattendus qui pourraient conduire à la mise en place d’un traitement contre le décalage horaire. Leur étude est publiée dans la revue Pnas.
Lorsque l’on voyage à travers plusieurs fuseaux horaires, il est souvent assez difficile de remettre ses pendules à l’heure. Insomnies, réveils difficiles, fringales nocturnes, etc. : les premiers jours loin de sa routine peuvent relever du cauchemar. © Heart Industry, Flickr, cc by nc 2.0
L’horloge biologique à zéro par la protéine VIP
Tout a commencé quand les chercheurs ont voulu tester l’effet d’une quantité excessive de VIP dans le cerveau de souris. Au lieu de synchroniser les neurones de manière excessive, cette expérience a eu l’effet inverse : les cellules nerveuses n’ont pas réussi à s’accorder sur l’heure de la journée. En d’autres termes, trop de VIP conduit à un dysfonctionnement de l’horloge biologique. « Nous étions étonnés d’observer qu’à partir de certaines doses de VIP, les neurones se désynchronisaient. Comme s’ils devenaient muets les uns envers les autres », poursuit Erik Herzog.Les chercheurs n’étaient pas au bout de leurs surprises. Ils ont également montré que la présence d’une grande quantité de VIP dans le cerveau de souris leur permettait de s’adapter beaucoup plus rapidement à un nouveau rythme biologique. Selon les auteurs, augmenter la quantité de VIP permettrait de remettre les compteurs à zéro et de se régler de manière plus efficace sur un nouveau fuseau horaire.La VIP, molécule miracle pour aider les voyageurs réguliers à remettre leur pendule à l’heure ? Les chercheurs sont enthousiastes, mais de nombreux obstacles doivent encore être franchis avant de parvenir à ce résultat. À l’avenir, ils souhaiteraient développer des médicaments pour augmenter lasécrétion de VIP dans le cerveau et réduire l’effet du décalage horaire.