«La marche universelle pour l’abolition de la peine de mort n’est pas terminée»
«Abolition now», l’abolition c’est maintenant. Tel est le nouveau message
lancé par le Congrès mondial contre la peine de mort,dont les travaux de
sa 6e session ont été ouverts mardi après-midi à Oslo, en Norvège.
Organisée par l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM),
la rencontre se tient, cette année, avec la participation de 1400
personnes représentant plus de 90 pays : Premiers ministres, ministres,
avocats, représentants d’ONG et militants des droits de l’homme. Ils sont
venus évaluer la longue marche entamée depuis 2001, date de la tenue
du premier congrès. Ce combat pour mettre un terme à cette peine
infamante, comme le soulignent l’ensemble des intervenants, s’est soldé
en 2015 par deux faits contradictoires.Le premier est positif ; il concerne
le nombre, toujours croissant, des pays et territoires ayant répondu
favorablement à l’appel des abolitionnistes. «L’abolition s’inscrit comme
une tendance universelle. Aujourd’hui, 160 pays et territoires ont banni
la peine de mort en droit ou en pratique. Le nombre de pays procédant à
des exécutions est en diminution», se réjouit Raphael Chanuil-Hazan,
directeur de l’association ECPM. Mais cette euphorie est perturbée par
deux faits majeurs enregistrés l’année précédente. Il s’agit d’abord du
nombre d’exécutions de condamnés à mort.
«Au cours de l’année 2015, au moins 1634 prisonniers ont été exécutés
dans 25 pays et 1998 personnes ont été condamnées à mort dans 61 pays.
C’est un record depuis 25 ans», ajoute-t-il. Le second fait qui déçoit encore
les abolitionnistes est l’adoption, ces dix dernières années, par de nombreux
pays de lois antiterroristes qui élargissent le champ d’application de cette
sanction infamante. «Récemment, le Pakistan, la Jordanie et le Tchad ont
repris les exécutions au nom de la lutte contre le terrorisme après
des années de moratoire», regrettent-ils.
L’Asie et le monde arabe, mauvais élèves
Dans ce triste paysage, le continent asiatique et le Monde arabe continuent
de résister à tous les appels à l’abolition de la peine de mort. Selon le rapport
du Congrès mondial, c’est dans cette région du monde que la résistance à
l’avancée abolitionniste est fortement constatée. Trois pays, le Pakistan,
l’Arabie Saoudite et l’Iran, sont responsables, lit-on dans le même document,
de 89% du total des exécutions enregistrées au cours de l’année 2015.
Outre ces deux faits, les abolitionnistes notent avec inquiétude la montée en
puissance du mouvement pro-peine de mort dans certains pays qui tentent de
remettre en question l’abolition. Afin de maintenir le cap et essayer de donner
un nouvel élan à la dynamique abolitionniste, Raphael Chanuil-Hazan interpelle
la société civile «dans toute sa composante». «Les acteurs de la société civile
doivent s’impliquer encore plus pour éviter un recul sur les avancées enregistrées
jusque-là», lance-t-il. En plus des constats et des intentions, les participants
s’accordent tous sur un seul objectif : mettre en place un monde «humain» où il
n’y aura plus de place pour les exécutions et condamnations à la peine de mort.
«Il faut combattre l’inhumanité par l’humanité.On peut punir les auteurs des crimes
sans pour autant verser dans l’inhumanité», plaide le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, qui a présidé conjointement avec son homologue norvégien, Borge Brende, la cérémonie d’ouverture de ce 6e Congrès mondial
contre la peine de mort qui se tient dans le majestueux opéra d’Oslo.
«Le chemin parcouru par l’humanité est très positif. En 1945, seulement 8 Etats
avaient aboli la peine de mort. En 2016, 140 pays ont franchi le pas. Nous ne
pouvons plus accepter un retour en arrière», soutient Borge Brende.
«Non au retour à la loi talion»
De son côté, Robert Badinter, ancien ministre français de la Justice qui a aboli
la peine de mort dans son pays en 1981déplore «une reviviscence du fanatisme
et une inflation de la peine de mort». Selon lui, «la marche vers l’abolition
universelle de cette peine n’est pas terminée». «Il ne faut pas accepter un retour
de la loi talion», lance-t-il, sous les applaudissements de l’assistance. Pour le
champion de l’abolitionnisme en France, la peine de mort sévit «surtout dans
les pays musulmans où règne l’islamisme radical». «Les responsables ne sont
pas l’islam ou les musulmans qui souffrent aussi de la peine de mort ; ce sont
les terroristes qui ont un lien étroit avec la mort qui en sont à l’origine.
Ils sont même fascinés par cette dernière, comme le confirment les exactions
de Daech», précise-t-il. L’Europe également, ajoute-t-il, est passée par cette
phase, rappelant «le terrorisme de l’ETA en Espagne, l’IRA en Angleterre et
les Brigades rouges en Italie». Ce faisant, Robert Badinter appelle à ne pas
tomber dans le piège des terroristes en adoptant des législations instituant
la peine capitale. «La vie doit l’emporter. Vive la vie !» clame-t-il.
Madjid Makedhi