La crise en Ukraine place la Serbie face � ses contradictions

La plupart des leaders serbes ont choisi de ne pas choisir leur camp. La Serbie doit �s'occuper de ses affaires� a expliqu� Igor Mirovic, vice-pr�sident du SNS, appel� � diriger le pays.
� Belgrade,
Seul pays d'Europe � avoir sign� un trait� de libre-�change avec la Russie, mais engag�e sur le chemin de l'adh�sion � l'Union europ�enne, la Serbie sait que la crise ukrainienne la place en porte-�-faux. Ses dirigeants ne se sont pas �pargn�s durant la campagne l�gisla*tive qui s'est conclue dimanche, mais ont, d'un commun accord, �cart� ce dossier br�lant. Igor *Mirović, vice-pr�sident du SNS, appel� � diriger le pays, a ainsi expliqu� que la Serbie devait �s'occuper de ses affaires�. Comme lui, la plupart des leaders serbes ont, sur l'Ukraine, choisi de ne pas choisir leur camp.
� Belgrade, la rh�torique du Kremlin, imposant un parall�le entre Crim�e et Kosovo, en a pourtant g�n� plus d'un. Ont criss� des dents les plus �pres d�fenseurs de l'appartenance du Kosovo � la m�re patrie serbe, qui sont les *d�fenseurs les plus acharn�s de Moscou. Ce sont les m�mes qui chantent l'histoire, en partie fictionnelle, de l'amour �ternel entre les deux pays slaves, et qui rappellent que seule leur relation privil�gi�e a conduit la Russie � ne pas *accepter que l'ex-province du Kosovo, dont l'Occident a reconnu l'ind�pendance en 2008, puisse obtenir sa place � l'ONU.
Derri�re les beaux atours de cette amiti�, le Kremlin veille � maintenir la Serbie sous son emprise
Oblig� du Kremlin, Du�an Bajatović, vice-pr�sident du SPS, l'ex-Parti communiste devenu socialiste, affirme que le pr�sident de la Russie a compar� ce qui ne peut l'�tre. �Je ne pense pas que le Kosovo a eu le droit � l'autod�termination, puisqu'il est historiquement serbe, mais, de l'autre c�t�, la Crim�e est historiquement un territoire russe.� Bajatović n'est pas un simple homme politique: il dirige Srbijagas, la compagnie �nerg�tique serbe contr�l�e par le russe Gazprom, et partie prenante du gazoduc South Stream destin� � acheminer du gaz russe en Europe de l'Ouest en contournant l'Ukraine.
Derri�re les beaux atours de cette amiti�, le Kremlin veille � maintenir la Serbie sous son emprise. �Le Kosovo n'est pas important pour la Russie, souligne l'analyste belgradois Dejan Vuk Stanković. C'est un alibi pour pr�server ses int�r�ts, hier quand elle a attaqu� la G�orgie, aujourd'hui pour prendre la Crim�e. La Russie utilise cette rh�torique pour entretenir des sentiments anti-occidentaux dans l'opinion serbe et surtout pour �carter la Serbie le plus loin possible de l'Otan.� � Belgrade, bombard�e par l'Otan en 1999, aucun politique n'�voque en public une adh�sion de la Serbie � l'Alliance atlantique. Mais en priv�, nombreux sont ceux � penser que l'adh�sion � l'UE, qui prendra du temps, porte en germe une entr�e dans l'Otan.

VOX-HUMEUR- L'�crivain et journaliste au Figaro Magazine Jean-Christophe Buisson compare les r�actions des pays occidentaux aux deux r�f�rendums qui ont eu lieu en 2008 au Kosovo et dimanche en Crim�e. Il pointe quelques pertes de m�moire m�diatique.
C'�tait hier mais tout le monde semble l'avoir oubli�. Le 17 f�vrier 2008, les parlementaires kosovars albanais votent par proclamation une d�claration d'ind�pendance du Kosovo, province m�ridionale d'un �tat souverain reconnu par l'ONU: la Serbie. Une d�cision unilat�rale approuv�e par certains membres de l'Union europ�enne, rejet�e par d'autres comme l'Espagne, la Slovaquie, la Gr�ce, la Roumanie et Chypre - c'est encore le cas en 2014. Sur place, ce jour-l�, des journalistes du monde entier multiplient les reportages sur une population qui �pleure d'�motion dans la liesse de l'ind�pendance proclam�e�. Partout, ce sont des visages d'hommes, de femmes et d'enfants heureux, soulag�s, bonhommes, affables: la libert� en marche. Qui, alors, songe � interroger les quelques milliers de Serbes retranch�s depuis 1999 dans des villages entour�s de barbel�s et de v�hicules blind�s de la force de protection internationale, la KFOR? Personne ou presque. Qui donne la parole aux moines et aux moniales des �glises et des monast�res orthodoxes locaux qui n'ont pas encore �t� attaqu�s ou br�l�s par les extr�mistes albanais r�vant de purification ethnique et religieuse? Personne ou presque. Qui s'int�resse � cette population minoritaire du Kosovo albanais? Personne ou presque.
Cette fois, il est d�cr�t� que le droit du peuple de Crim�e � disposer de lui-m�me (en l'esp�ce : de demander son rattachement � la Russie) est � ill�gal � (Laurent Fabius) et qu'il ne saurait �tre identique � celui du peuple kosovar
Six ans plus tard, la Crim�e, province m�ridionale de l'Ukraine, proclame, � l'issue d'un r�f�rendum populaire, son v�u de se d�tacher de la m�re patrie, comme le Kosovo d'avec la Serbie. Va-t-on, dans les Chancelleries occidentales, saluer cette sympathique d�marche d�mocratique approuv�e par 96,6 % des �lecteurs? Va-t-on, sur les cha�nes de t�l�vision, montrer les m�mes images d'effusion de joie � S�bastopol et Simferopol comme nagu�re � Pristina et Prizren? Pas exactement. Cette fois, il est d�cr�t� que le droit du peuple de Crim�e � disposer de lui-m�me (en l'esp�ce: de demander son rattachement � la Russie) est �ill�gal� (Laurent Fabius) et qu'il ne saurait �tre identique � celui du peuple kosovar (pas plus qu'� celui des peuples slov�ne et croate en 1991, bosniaque en 1992 et �cossais, sans doute, en septembre prochain). Jamais �voqu� en 2008, rejaillit m�me dans la bouche de certains commentateurs le principe d'intangibilit� des fronti�res h�rit�es de 1945 - comme si, depuis 1989, ce principe n'avait pas perdu toute pertinence avec la d�sint�gration de l'empire sovi�tique et la naissance de dizaines de nouvelles nations sur ses d�combres! Quant aux reporters d�p�ch�s en Crim�e ce funeste 16 mars 2014, entre deux interviews de babouchkas caricaturales se r�jouissant de voir leur r�gion revenir sous la protection de �saint Poutine�, ils n'ont de cesse d'interroger ceux qu'ils consid�rent comme les plus purs des Crim�ens: les Tatars. Ah, les opportuns Tatars! Si pr�sentables, si attachants, si �loign�s des horribles Serbes du Kosovo! Ils sont minoritaires dans la p�ninsule depuis son repeuplement russe au XIXe si�cle puis leur d�portation massive en Asie centrale sur ordre de Staline en 1944 ; on les plaint d'avance, on leur pr�dit un destin � l'abkhaze, on les suppose destin�s demain aux pires pogroms. Et si on rappelle � l'envi qu'ils furent les premiers � habiter la Crim�e (ce qu'on se gardait de souligner � propos des Serbes, qui avaient pourtant fait du Kosovo le c�ur de leur empire m�di�val d�s le XIIIe si�cle quand aucun chroniqueur byzantin ne mentionne la pr�sence d'Albanais dans la r�gion � cette �poque), on oublie volontiers de noter combien ces musulmans sunnites aux m�urs aussi sauvages que violentes �taient consid�r�s, jusqu'au XVIIIe si�cle, comme des monstres absolus: pillards de villages chr�tiens, marchands d'esclaves, ils avaient m�me br�l� Moscou en 1571. Seuls les Cosaques parvenaient alors � leur tenir t�te - et encore.
Ainsi va la m�moire m�diatique occidentale: � circulation altern�e.
Dernier d�tail: l'Ukraine n'a jamais reconnu l'ind�pendance du Kosovo, donnant � son hostilit� de principe � l'initiative unilat�rale du Parlement de Crim�e une certaine coh�rence. Ce n'est pas le cas de la France et des �tats-Unis, qui, eux, furent les premiers pays � reconna�tre le Kosovo comme un nouvel �tat d�s f�vrier 2008. En m�me temps que l'Albanie, la Turquie et l'Afghanistan�