-
l'Everest et le Mont-Blanc menacé par la fonte des glaces
L'alpinisme dans l'Everest et le Mont-Blanc menacé par la fonte des glaces
LE MONDE | 02.05.2014 à 09h58 • Mis à jour le 03.05.2014 à 17h16 |

Les sherpas ont plié bagages. L'une après l'autre, les expéditions ont quitté le camp de base. Sur les pentes de l'Everest, la saison est terminée. Endeuillée par l'avalanche – une chute de séracs, d'énormes blocs de glace – qui, le 18 avril, a tué seize guides népalais dans la cascade de glace du Khumbu. Un passage obligé à haut risque, que les sherpas doivent équiper d'échelles et de cordes pourpermettre aux cordées de franchir crevasses et parois englacées.
Une semaine après cette tragédie, la plus meurtrière depuis la première ascension du Toit du monde (8 848 mètres) en 1953, des blocs de glace se sont à nouveau abattus sur cette voie, sans faire de victime. 
Plus que jamais, la question de l'impact du réchauffement climatique sur la stabilité des « géants blancs », ceux de l'Himalaya comme ceux des Alpes, est posée. « Le niveau de danger a nettement augmenté pour les grimpeurs », a déclaré, au lendemain du drame, Apa Sherpa, une figure légendaire de l'Everest qu'il a gravi à vingt et une reprises, entre 1990 et 2011. « La première fois que je suis monté, les voies étaient couvertes d'une épaisse couche de glace et deneige, témoigne-t-il. Aujourd'hui, il y a beaucoup de roche nue. »
« LE CHANGEMENT CLIMATIQUE RENDRA-T-IL UN JOUR L'EVEREST IMPRATICABLE ? »
Sur les réseaux sociaux, des montagnards chevronnés s'interrogent : « Le changement climatique rendra-t-il un jour l'Everest impraticable ? Ce jour est peut-être déjà arrivé. »
« On ne peut pas imputer au réchauffement cet accident, qui aurait pu se produireà tout moment. Ni dire que le changement climatique va augmenter la probabilité d'avalanches ou de chute de rochers », répond Tad Pfeffer, glaciologue à l'Institut de recherche arctique et alpine de l'université du Colorado de Boulder (Etats-Unis). « Pour autant, ajoute-t-il, les conditions climatiques, par le seul fait qu'elles changent – des températures plus hautes ou plus basses, un air plus sec ou plus humide, une neige plus abondante ou plus rare – peuvent entraîner une instabilité des systèmes naturels et les rendre plus imprévisibles. Faire, par exemple, que des avalanches se déclenchent là où n'en avait pas observé. » Simplement parce que le climat sera différent, « la montagne, naturellement dangereuse, pourraitdevenir à l'avenir plus dangereuse ».
« Le suivi des glaciers himalayens, par des mesures au sol et par satellite, est encore trop récent pour bien appréhender leur réponse au réchauffement sur le long terme », souligne Christian Vincent, du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (LGGE, CNRS-université Joseph-Fourier deGrenoble), qui étudie depuis 2007 le glacier népalais du Mera, dans la vallée de l'Hinku. La hausse des températures n'est pas le seul facteur en jeu.
« Le bilan de masse des glaciers est moins influencé par les chutes de neige hivernales, qui sont soufflées par le vent, que par les précipitations neigeuses estivales apportées par la mousson », explique le chercheur. Or « la mousson indienne a baissé d'intensité au cours des dernières décennies, ce qui explique en partie le retrait de ces glaciers ».
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) prévoit pourtant, d'ici à la fin du siècle, une « hausse des précipitations moyennes et extrêmes » associées à la mousson indienne. Cette évolution pourrait alorsentraîner davantage d'avalanches.
UNE ÉTUDE CHIFFRE À 15 CM LA DIMINUTION ANNUELLE DE L'ÉPAISSEUR DES GLACIERS HIMALAYENS
Une chose est sûre : ces glaciers fondent globalement. Même si leur recul est plus lent que celui de leurs homologues alpins et que, du fait de leur étendue – plus de 2 400 km de long –, leurs évolutions sont contrastées, ceux du Karakoram, à l'ouest de la chaîne, ayant connu un léger gain de masse au cours de la décennie écoulée. L'une des synthèses les plus complètes, publiée en août 2013 dans la revue The Cryosphere par une équipe franco-norvégienne, chiffre à 15 centimètres la diminution annuelle de l'épaisseur des glaciers himalayens sur la période 1999-2011, à comparer au 1,1 mètre de couche de glace perdu, chaque année, dans les Alpes.
Conséquence : la formation, dans les cuvettes formées par le retrait du front glaciaire, de lacs qui se remplissent des eaux de fonte et qui menacent de sedéverser dans les vallées. C'est l'un des risques majeurs pointés par le Centreinternational pour le développement intégré de la montagne (Icimod), basé à Katmandou. Celui-ci a recensé, pour le seul Népal, vingt-quatre débâcles glaciaires, parfois meurtrières, au cours des dernières décennies. « Ces réservoirs peuvent accumuler d'énormes quantités d'eau, décrit Christian Vincent.Ainsi du lac népalais Imja, dans la vallée du Khumbu, dont le volume est passé en dix ans de 35 millions à plus de 60 millions de mètres cubes.
Autre danger, la déstabilisation des glaciers suspendus, dont le réchauffement interne fragilise l'adhérence au socle rocheux. « Les glaciers himalayens, de haute altitude, sont pour l'instant moins vulnérables à ce phénomène, qui est en revanche très manifeste dans les Alpes, indique le chercheur. Par exemple, sur le glacier de Taconnaz , à l'aplomb de la vallée de Chamonix. La température à sa base est aujourd'hui de – 2 °C. Si elle devient un jour positive, il risque de décrocher. »
DES ÉCROULEMENTS DE PLUS EN PLUS NOMBREUX ET VOLUMINEUX
L'élévation des températures entraîne aussi la dégradation du permafrost, c'est-à-dire le réchauffement des terrains gelés en permanence. Avec comme résultat le dégel de la glace présente dans les fissures de la roche, dont elle assure la cohésion. On assiste alors à des écroulements rocheux.
Ce processus est bien documenté dans le massif du Mont-Blanc, depuis la thèse que lui a consacrée, en 2010, Ludovic Ravanel, chargé de recherche au laboratoire Environnements, dynamiques et territoires de la montagne (Edytem, université de Savoie-CNRS) et codirecteur du service de prévention des risques et des secours en montagne de Chamonix.
« Sur un siècle et demi, dans les secteurs des Drus et des aiguilles de Chamonix, l'instabilité des parois rocheuses est clairement corrélée aux périodes les plus chaudes, indique-t-il. Et le suivi, depuis 2007, des écroulements rocheux à l'échelle de tout le massif montre que la dégradation du permafrost est le principal facteur de déclenchement. »
Ces ruptures peuvent être dévastatrices. En janvier 1997, sur le versant italien du mont Blanc, 2,5 millions de mètres cubes de roche s'étaient détachés de l'éperon de la Brenva, provoquant une gigantesque avalanche qui avait déferlé jusqu'au fond de la vallée et remonté la pente opposée, tuant deux skieurs. « Avec le réchauffement en cours, ces écroulements vont se multiplier et ils seront de plus en plus volumineux », prévient le chercheur.
Déjà, sur la voie classique conduisant au Toit de l'Europe, les grimpeurs doivent franchir, entre le refuge de Tête-Rousse (3 167 mètres) et celui du Goûter (3 835 mètres), un passage baptisé « couloir de la mort » en raison de fréquentes chutes de pierres. Et les alpinistes évitent, l'été, des couloirs de glace devenus trop périlleux.
De l'Everest au Mont-Blanc, le risque climatique est devenu un paramètre incontournable de la quête des sommets.
Dernière modification par edenmartine ; 05/05/2014 à 11h21.
-
Règles de messages
- Vous ne pouvez pas créer de nouvelles discussions
- Vous ne pouvez pas envoyer des réponses
- Vous ne pouvez pas envoyer des pièces jointes
- Vous ne pouvez pas modifier vos messages
-
Règles du forum