Souk Ahras selon Chakib Hammada
Chronique du jour
Ici mieux que là-bas
31 Mai 2015
Souk Ahras selon Chakib Hammada
http://www.lesoirdalgerie.com/articl...ezkimetref.jpgA vrai dire, à cette époque-là, la connaissance de la géographie était plus qu'approximative. Et celle de l'Histoire, si possible, pire encore. La faute aux programmes scolaires ? Je ne crois pas. Ou peut-être un peu, allez, ça a le dos large ! La poésie, par sa force de diversion, —d'égarement même, et parfois de perdition : voyez Holderlin – y était pour une part substantielle. Bref, lorsque j'ai connu ce condisciple au lycée Abane-Ramdane d'El Harrach, au tout début des années 1970, j'étais incapable de situer avec précision Souk-Ahras sur une carte. A supposer, au préalable, que je fusse capable de savoir comment tenir une carte géographique. Et pour ne pas se dérober aux délices de la digression, ne convient-il pas de déplorer qu'aujourd'hui encore, à l'heure du numérique à tout berzingue, on voit sortir de nos écoles des élèves infichus de tenir une carte à l'endroit ? Revenons à ce condisciple. C'était un garçon d'une grande qualité. Pacifique, il était aussi bien élevé, jamais un mot plus haut qu'un autre, attentif à autrui. Mais, il avait sa part de passion et, ce faisant, il était capable de grandes envolées pleines de fraîcheur et d'indignation. Il s'appelait Chakib Hammada et il venait de la lointaine Souk-Ahras. Comme on le dit vulgairement, il tutoyait la muse. En fait, Chakib Hammada était tout simplement poète. Avec la force que peut insuffler un jeune dans un monde qu'il découvre, et qu'il reconstruit selon ses propres plans sur la comète ! Il était non seulement un grand lecteur des poètes, avec, si mes souvenirs sont bons, une spéciale dédicace pour Kateb Yacine et pour Paul Eluard, mais il commençait déjà, en début de ces années 1970, à écrire lui-même. J'eus le privilège de lui avoir servi quelquefois de premier œil ou plus exactement de première ouïe. Je l'entends encore déclamer ses vers en en accentuant la musicalité comme s'il s'agissait de melhoun, testant la prosodie, et puis la viabilité d'un mot. Puis, quand il devait rectifier quelque chose, il passait le mot au test de musicalité. La poésie de Chakib Hammada lui ressemblait. Elle émergeait presque aboutie déjà, ce qui est le signe non d'une spontanéité facile mais d'une longue et lente maturation qui emmène le poème vers l’accomplissement. Chakib Hammada était passionné par sa ville, Souk Ahras. Il nous a appris qu'elle s'appelait Taghaste et qu’elle fut le berceau d'Augustin. Mais le poète ne se réfugiait pas, pour le plaisir, dans le passé. S'il nous a appris – ouvert les yeux, devrais-je dire - le rôle de Taghaste (son premier recueil de poésie s’intitulait Fleurs de Taghaste), et son incandescence intellectuelle antique, il ne se départait pas du présent ou de l'histoire immédiate. Il est arrivé à nous faire savoir, à nous ses amis qui n'avions pas un frémissement d'idée de Souk-Ahras, qu'elle était la ville de Badji Mokhtar et que le quartier populaire de la ville s'appelait Tegtaguia. Lorsque nous avons quitté le lycée, Chakib Hammada avant moi s'inscrivit à l'ENS avec l’objectif d'enseigner la littérature. Il publiera, pendant sa période universitaire, des recueils de poésie. Je me souviendrais toujours de la gêne qu'il m'occasionna lorsqu'il demanda au quasi-gamin que j'étais de lui rédiger une préface à Fleurs de Taghaste. Je n'avais rien publié alors, je n'avais aucune expérience de la littérature et je ne savais pour finir comment se rédigeait une préface. Il n'en a pas démordu et j'ai fini par céder. Qu'y ai-je écrit ? Je n'ai plus jamais relu ce texte. Mais je suppose que j'ai dû reprendre tous les clichés de cette époque de l'immédiat après- Senac sur la poésie de la révolte juvénile, l'exaltation artificielle de la marge, les poncifs déjà éculés de la supposée confraternité dans le cercle des poètes et d'autres balivernes. Le fait que Chakib Hammada, qui venait de finir ses études loti d'un diplôme en littérature n'ait pas eu à redire, et qu'il m'ait assuré qu'il a fait lire la préface à ses éminents professeurs à la fac, ne me console pas. Chakib avait fini à Souk Ahras. Au début, nous nous écrivions puis la vie quotidienne a fini par accomplir son implacable érosion. J'étais revenu à Souk Ahras vers 1989, et je l'ai revu. Puis de nouveau, la décennie noire nous éparpilla. Ce n'est que quelques mois avant son décès subit d'une crise cardiaque que j'eus de ses nouvelles par email. Il enseignait, me dit-il alors, à l'Université de Souk Ahras. On se promit de se revoir si possible chez lui. Le sort en a décidé autrement. Au moment où je me trouve à Souk Ahras, cité berbère s'il en fut, pour un colloque sur Apulée, je voulais évoquer la figure de Chakib Hammada, qui a chanté sa ville et son histoire, et que cette dernière ne reconnaît pas assez. Nous sommes quelques-uns à qui il apprit des tas de choses sur Taghaste, Augustin, la Numidie. Et ces choses ne s'oublient pas. Et puis, chapeau, Chakib, parti faire des études à Alger, il ne s'est pas fait prendre par l'attrait de la capitale. Il revint vivre chez lui, à Souk Ahras.
A. M.
Rafale et droits de l’Homme
Chronique du jour
Ici mieux que là-bas
14 Juin 2015
Par Arezki Metref
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Rafale et droits de l’Homme
http://www.lesoirdalgerie.com/articl...ezkimetref.jpgOn a l’impression que la conscience droit-de-l’hommiste est indexée sur le prix du Rafale. Il y a tout lieu de croire que le candide Kadhafi ne se serait pas fait flinguer comme un vulgaire malfrat s’il avait eu la bonne idée d’acheter à Sarkozy quelques Rafale ou quelques navires de guerre. Dans ce cas, on aurait certainement assisté à ces courbettes serviles coutumières aux hommes politiques occidentaux devant les dictateurs, dès lors que les méchants mettent la main à la poche sans sourciller ! Un exemple canonique : cette théocratie dictatoriale et néanmoins richissime qu’est l’Arabie Saoudite. Aussi longtemps que l’argent du pétrole wahhabite irriguera de ses bienfaits les économies de l’Occident, soi-disant en crise, elle n’encourra aucune remontrance droit-de-l’hommiste. Le royaume médiéval a les moyens de se payer jusqu’à la bonne conscience des veilleurs. Ce n’est pas le seul. Toute dictature qui casque a une chance d’aveugler hommes politiques et de médias. Raef Badawi, blogueur saoudien de 31 ans, est en train de jouer à son corps défendant les lignes de fracture. Condamné en 2012 à 1 000 coups de fouet - 50 par semaine durant 20 semaines -, 10 ans de prison et 240 000 euros d’amende, autant de sévices procédant d’atteinte aux droits de l’Homme, tout cela pour avoir exprimé une idée réformatrice sur la religion. La main lourde du royaume sur un blogueur ne faisant qu’exprimer, avec les limites que cela comporte, une libre opinion, est perçue par les ONG des droits humains comme outrancière et attentatoire aux libertés. Si l’Arabie Saoudite n’avait pas cette attractivité économique, à n’en pas douter, on aurait assisté à une véritable surenchère de condamnations à son encontre. Mais non, l’Occident sait éluder l’angélisme quand les enjeux sont économiques et géostratégiques. L’Occident ? Les Etats-Unis bien sûr qui viennent de se réveiller pour exprimer du bout des lèvres une légère protestation pour le moins disproportionnée par rapport à la cruauté d’une condamnation d’un autre âge. Et puis la France ! La France de Hollande qui se découvre un grand amour pour ce producteur d’hydrocarbures, chef de file du sunnisme. Cet amour subit aveugle Hollande et sa diplomatie au point que la France fait mine de ne pas voir que l’Arabie Saoudite est l’antre d’un fondamentalisme rétrograde qui nourrit idéologiquement et logistiquement le djihadisme que les wahhabites n’hésitent pas à propager et à exporter. Du coup, au moment où la cour d’appel confirme la peine infligée à Raef Badawi, le Quai d’Orsay se contente, pour ne pas contrarier Riyad, d’inviter à la clémence. D’ailleurs, il est étonnant que les experts en démocratie et les docteurs ès droits de l’homme qui, à l’occasion, vont jusqu’à rayer de la carte des nations vieilles comme le monde sous prétexte de non-respect des droits de l’Homme – Irak, Syrie –, ne trouvent rien à redire à cette absurdité qui nous saute aux yeux. En effet, tandis qu’une lourde peine frappe un blogueur qui a exprimé par ses mots une simple opinion, on a assisté à une indulgence surprenante à l’égard du téléprédicateur saoudien, Fayan Al- Ghamadi. Ce dernier dont les outrances verbales sont mille fois condamnables, et cependant restées impunies, a en outre commis un acte abominable. Il a violé et tué sa propre fille de 5 ans en 2013. Ce crime sans commune mesure avec l’infraction de Raef Badawi lui a valu la peine suivante : 8 ans de prison, 800 coups de fouet et 200 000 euros au titre de prix du sang versé à la mère égyptienne de l’enfant dont il est divorcé. Belle justice ! Donc, concernant les Etats, pour être absous de ses actes dictatoriaux, des atteintes aux droits de l’Homme, mieux vaut avoir les moyens. Et dans ce cas, on pourra même se payer la presse libre et indépendante des vieilles démocraties occidentales pour assurer sa défense. Ainsi en va-t-il du Figaro, le plus vieux quotidien français paraissant à ce jour, qui appartient au marchand d’armes Dassault. Ce dernier qui vient de vendre des Rafale à l’Egypte d’Al-Sissi, impose à la rédaction de son journal un traitement très compréhensif de la gouvernance musclée du maréchal égyptien. Alexis Brézet, patron des rédactions du Figaro, répondant à une protestation émise par la SDJ (Société des journalistes) concernant la complaisance du quotidien, ne trouve rien d’autre à répondre en guise de ligne indépendante : «Il faut être particulièrement rigoureux, avoir conscience de la surinterprétation à l’extérieur des articles que nous écrivons, sur les pays dans lesquels notre actionnaire a des intérêts.» Le Canard enchaîné, qui rapporte cette information, révèle aussi l’interdit de critiques qui frappe les journalistes à l’endroit de l’Inde, acquéreur de Rafale Dassault, et du Qatar, excellent client lui aussi. Tiens, si Daesh, l’Iran ou même la Corée du Nord achetaient des Rafale, peut-être leurs responsables auraient-ils eux aussi droit à la légion d’honneur à l’instar du grand ami de la France démocratique, le P-dg de Qatar Airways. A quoi tiennent les droits de l’Homme ? A un Rafale pardi !
A. M.
Complot ourdi comme d’hab…
Chronique du jour
Ici mieux que là-bas
19 Juillet 2015
Complot ourdi comme d’hab…
http://www.lesoirdalgerie.com/articl...zki-Metref.jpgUn nouveau traumatisme, une trentaine de morts et quelques pensums plus tard, Ghardaïa, c’est déjà du passé ? Ça se pourrait… Bof, quelques ecchymoses, mais l’habitude…
Dans ce pays remarquablement amnésique, le sang, comme l’encre et la salive, sont vite absorbés par la grande éponge du néant. Tout passe, et tout casse… Et reste l’oubli. Et domine l’impunité. Et le laxisme fleurit !... Fais un régime avec ça !
Et puis, ça recommence. Et puis ça recommencera ! Culture de l’asthénie. Du secret. De la manipulation. Des manœuvres de sérail débordant dans la rue…
Pourtant, ne faut-il pas encore et encore interroger cet énième épisode d’une tragédie commencée il y a fort longtemps ? Essayer de comprendre ?
L’innocent «Je suis mozabite» poussé ici la semaine dernière ne m’a pas valu que des messages amicaux. On imagine ! Mais tant pis ! Il y a des inimitiés qui sont des compliments ! Des insultes qui sont des louanges. Des diatribes qui sont des éloges !
Au contraire, j’ai la funeste impression d’avoir posé le pied sur un nid de frelons. J’ai beau expliquer que le dire comme ça, c’est prendre le parti de la victime, et incidemment dénoncer le bourreau, mais c’est justement là que le bât blesse. Victimes, les Mozabites ? Tu n’as rien compris !
Les sectateurs du «complot ourdi», les affidés de l’unité nationale soudés au jacobinisme non dénué de favoritisme régionaliste des oligarques du FLN voient dans une telle affirmation l’attisement de tensions intercommunautaires télécommandées comme d’habitude par l’impérialisme pour porter atteinte à notre idyllique nation.
Du vrai là-dedans ? Peut-être ! Mais pas là où on voudrait nous le faire croire. Un complot ? Plus que probable. Mais un complot ourdi par les Mozabites eux-mêmes ? Allons donc ! Un peu léger. Inconsistant ! Faut voir du côté de Daesh plutôt. Et des commanditaires wahhabites, et de leurs complices des bureaux sombres des officines occidentales. Ce sont eux qui savent fabriquer ce type de Frankenstein, salafiste et mafieux !
J’avoue que j’ai la flemme de reprendre tous les arguments éculés, surannés, redondants et parfois risibles, mille fois entendus pour montrer cette remarquable continuité dans l’usage d’une langue taillée dans le bois le plus vulgaire. De la vulgate nationalo-machin tout droit sortie des laboratoires où sont usinés les copeaux.
J’ai l’impression de lire cette rhétorique convenue, dopée aux hormones, que le FLN effarouché a jadis développée pour dénigrer le Printemps berbère de 1980. On devrait se souvenir qu’à l’époque, pris de court et désemparé, le pouvoir n’a pas trouvé mieux que d’incriminer la fameuse «main de l’étranger». Pour autant, il n’est jamais parvenu à délégitimer les profondes revendications du Printemps berbère : la démocratie et l’amazighité…
On ne devrait pas non plus oublier la supercherie de l’affaire de Cap Sigli de 1978, un largage d’armes censé ressouder l’unité nationale présumée tellement fragile qu’elle pouvait partir en miettes à la mort de Boumediène. Bien entendu, c’était aussi l’occasion de dénigrer les militants berbères et de suggérer une sujétion aux services secrets étrangers. On pourrait croire que l’Algérie d’aujourd’hui est une nation harmonieuse, paisible, un ciel sans nuages, une mer étale, que les tensions de Ghardaïa, dues évidemment aux Mozabites, viennent perturber. La thèse la plus simpliste étant la plus efficace, gardons celle-ci. Une nation de rêve, irréprochable, que l’impérialisme ou ses suppôts régionaux déstabilisent en agitant le particularisme mozabite. Et le tour est joué ! Un peu court, quand même !
Ce qui n’a pas marché avec les Kabyles a toutes les chances de passer avec les Mozabites ? Et on nous raconte pour parachever cette délicate aquarelle, que les Mozabite berbères et les Chaâmbas arabes ont toujours cohabité dans la concorde et l’harmonie.
Deux remarques qui valent ce qu’elles valent.
La première porte sur ce raccourci adopté par la presse française qui caricature tout conflit au Sud, et en particulier en Afrique, en tensions communautaires, voire tribales. L’inconvénient avec ce type d’approches, c’est qu’il privilégie une vision de différend basé sur des grégarités plutôt que sur les réels objets de tensions que sont les questions géopolitiques de territoire et de pouvoir rattaché aux intérêts économiques. Abderrahmane Hadj Naceur, dans une contribution publiée par Tout sur l’Algérie (TSA), montre l’imbrication de ces intérêts – notamment les intérêts mafieux – dans l’explosion de la poudrière de Ghardaïa. Cependant, et comme on devrait le voir, la vulnérabilité de la communauté mozabite, historiquement persécutée et depuis l’indépendance ostracisée, la désigne comme victime propitiatoire.
Deuxième remarque : dans une contribution publiée sur sa page Facebook, le chercheur Ahmed Benamoum avance que les Chambaâs ne sont pas ces descendants d’Arabes de la tribu de Banu Hillal comme on le soupçonne, mais bien des Berbères zénètes arabisés. Quelle que soit la valeur de cette affirmation, elle ne change rien au fait que les Chambaâs ont de longue date une hostilité des Mozabites et c’est chez eux que semblent avoir été recrutés les salafistes acquis à l’épuration, relayant les appels contre les ibadites lancés à partir de La Mecque. Contrairement à ce que claironnent les hérauts du nationalisme version kasma du coin, incantatoire et irascible, le conflit au MZab est une plaie ouverte depuis deux ans sous l’œil grand ouvert d’un pouvoir qui a préféré regarder ailleurs. C’est facile après de venir dédouaner l’incurie des gouvernants en criant au complot. Si complot il y a, ce qui semble vraisemblable, ne fallait-il pas anticiper, prévenir ?
A. M.
ZI 460, le vol maudit d’Aigle Azur(1)
Chronique du jourIci mieux que là-bas
16 Août 2015
ZI 460, le vol maudit d’Aigle Azur(1)
Par Arezki Metref
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Plus que d’habitude, en me levant ce matin du 13 août à 5h, j’appréhendais une embrouille. Je ne sais pas quoi, ni qui me le disait. Un pressentiment. Le périscope invisible. Le sixième sens. Le démon de Socrate. Le fait est que les augures semblaient avoir la gueule de traviole. Les choses n’allaient pas filer droit, je le savais.
Pourtant, ça démarrait plutôt cool. J’avais peur de rater l’avion à cause d’une panne d’oreiller et me voilà, aux aurores, frais comme un gardon. Et j’ai du temps devant moi. Je me fais un café serré que je bois avec une délectation juste altérée par un fond d’angoisse impalpable. Mais t’occupes pas, ce n’est rien, le stress du voyage.
A sept heures tapantes, et comme convenu, Hocine sonne. Il doit me déposer à l’aéroport. La circulation est fluide mais au moins à trois reprises, nous faillîmes être envoyés valdinguer par les slalomeurs, ces criminels qui s’amusent avec de vraies bagnoles à jouer comme s’il s’agissait d’un jeu virtuel. Ils sont à l’origine de centaines de morts par semaine. Ils savent pourtant que leur jeu est dangereux. C’est pourquoi ils devraient être jugés comme des criminels avec préméditation, circonstances aggravantes.
Mais au lieu de quoi, on les laisse faire. Ils doublent indûment même des voitures de flics.
Grâce à la dextérité de Hocine, instruit des turpitudes des conducteurs algériens, on arrive à l’aéroport sans anicroche et en un quart d’heure.
Le vol ZI 460 d’Aigle Azur à destination de Paris que je dois prendre décolle à 9h40.
Je regarde l’écran qui indique les départs. Le vol est bien inscrit, sans précision de retard.
Avec la cohue nationale ordinaire et obligatoire, qui commande qu’on se bouscule même si on n’est que deux, je préfère venir en avance.
De fait, j’ai les deux heures d’avance recommandées par la compagnie.
Au comptoir d’Aigle Azur, je remarque un truc anormal. Il y a deux vols pour Paris à la même heure, 9h40 à deux extrémités du comptoir.
Du côté gauche, il y a moins de monde que du coté droit. Je m’y place. Je montre mon billet à un agent d’Aigle Azur et il m’oriente vers l’autre guichet. Là, sitôt placé dans la file, j’avise une employée d’Aigle Azur. Elle vient vers moi et me dit, sur le ton commercial sirupeux et faux qu’utilisent les commerciaux quand ils vont annoncer au client qu’ils vont les arnaquer et qu’il ne faut pas qu’ils se révoltent, que le vol en question est retardé jusqu'à 22 heures, soit environ douze heures de retard.
Devant l’énormité de l’annonce, l’employée essaye de rester le plus pro possible :
- Vous attendrez dans un hôtel de Fort de l’eau et votre billet vous sera remboursé à 80%, lâche-t-elle, formelle.
Mais dans la soirée, je découvrirai que cet engagement est du vent. Un autre agent d’Aigle Azur, juste avant l’embarquement, une fois donc la tempête évitée, tergiversera en disant que le remboursement est subordonné à des conditions et qu’en conséquence, il se fait rarement. Il ajoute même que c’est la raison pour laquelle il ne fait pas peur à la compagnie.
Il y a aussi l’arrivée. Je fais un rapide calcul et je m’aperçois qu’en partant à 22 heures, l’arrivée à Paris se fera fatalement, avec le décalage horaire, après la fermeture des transports en commun. Je m’en ouvre à l’employée et là encore, elle reste pro jusqu’aux bouts des ongles. Aigle Azur a prévu, quelle que soit l’heure d’arrivée, deux navettes, l’une ralliera à partir de Roissy l’aéroport d’Orly, destination initiale, et l’autre un quartier de Paris, je ne sais plus lequel. Sur ce point, il s’avèrera qu’elle avait raison.
Derrière moi, un septuagénaire probablement européen, du moins à l’allure caucasienne, proteste auprès de la femme d’Aigle Azur. Il me semble l’avoir entendu lui dire qu’il fallait absolument qu’il prenne un avion car il avait un rendez-vous capital à Paris. Elle l’oriente vers un autre agent, visiblement plus gradé. Je vois le septuagénaire sortir des tas de paperasses de son attaché-case. Le responsable se penche sur les papiers puis il l’oriente vers l’autre guichet. A ce moment,
je comprends que l’un des deux avions d’Aigle Azur devrait décoller à l’heure prévue.
Je décide de tenter ma chance. Un autre agent me fait face. Il a l’air patibulaire des videurs de boîte de nuit. Je lui dis qu’il fallait absolument que je sois à Paris ce jour-là. Il me répond, l’air encore plus dur, que c’est ce que tout le monde prétend. Pas même un peu de cette amabilité commerciale que mettait sa collègue de tantôt. Lui, il fonce. Il n’a pas peur d’agresser verbalement des clients qui non seulement ont payé leurs places et se sont trouvés pris en otages de l’incurie de sa compagnie mais qui, en plus, devaient lui servir de punchingball. Je m’aventure à lui préciser que j’avais, moi aussi, un rendez-vous à Paris que je devais absolument ne pas rater, sous peine d’en subir des dégâts. Ne cherchant même pas, comme l’avait fait tantôt son collègue avec le septuagénaire, à vérifier la véracité de ma prétention, ainsi qu’il siérait de la part d’un commercial en pareille circonstance, ni d’apaiser l’angoisse d’un client, il coupe court à ma préoccupation :
- Vous n’avez qu’à intenter un procès à Aigle Azur !
Il n’était pas difficile de décrypter son invite : pousse avec eux !
Bravo Aigle Azur pour l’accueil des clients en difficulté !
Je m’avance vers le guichet d’enregistrement. Le préposé procède au protocole comme si le vol ne devait souffrir d’aucun retard. Il m’enregistre, prend ma valise et me tend le ticket d’embarquement. Que faire maintenant que j’ai le OK pour un vol qui ne décolle que dans plus de dix heures ? Je revérifie le tableau des départs. Evidemment, pour ne pas susciter une émeute, on a pris soin de ne pas mentionner le retard. D’ailleurs, chose surprenante, plus de quinze heures plus tard, au moment où le vol maudit allait décoller dans la nuit, le tableau des départs indiquait toujours invariablement : ZI 460 Paris-Orly 9h40.
Peut-être ai-je convaincu par la sagesse des flemmards que «koul aâtla fiha kheir» (toute temporisation procure son bien). Je finis par accepter la fatalité en me promettant que j’allais m’enfermer dans la chambre d’hôtel
et que je rattraperai un peu de ce satané boulot que j’avais en retard.
J’achète les journaux, avale un café sur le pouce et me rend
au comptoir d’Aigle Azur pour prendre la navette qui doit nous conduire à l’hôtel…
A. M.
(Suite demain)
ZI 460, le vol maudit d’Aigle Azur(2)
Chronique du jourIci mieux que là-bas
17 Août 2015
ZI 460, le vol maudit d’Aigle Azur(2)
Par Arezki Metref
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Ni une ni deux, j’ai suivi le troupeau et je me retrouve dans la navette, un microbus vraisemblablement chinois qui tangue comme un esquif dans la tempête. Nous quittons l’aéroport sur les coups de 10h30 et le tableau des départs donne toujours le ZI 460 partant à 9h40. Aucune mention de retard n’y a été ajoutée. Etrange ! Je saurai, plus tard, que tout le monde n’a pas suivi le troupeau comme je le fis moi-même. Une dame, qui en a été, racontera dans la soirée qu’un groupe s’était constitué pour tenter de contraindre Aigle Azur à trouver une solution pour faire partir la totalité des passagers. Deux hommes et une femme ont, semble-t-il, été reçus par une huile de la compagnie. Ce groupe aurait voulu être suivi pour créer un rapport de forces qui oblige la compagnie à dépêcher un autre avion. Mais ils n’étaient qu’une poignée et ils ne possédaient pas tous les atouts de la négociation. Cette femme qui a assisté à l’entrevue rapporte que l’un des deux hommes avait fini par imposer qu’on lui trouve une place sur un autre vol. Comme quoi ! Au cours de la conversation, l’huile d’Aigle Azur aurait dit – je mets cela au conditionnel, s’agissant d’un témoignage de seconde main mais que je n’ai aucune raison de suspecter – que, de toutes façons, la colère des passagers tomberait dès qu’un avion se pointerait. Et à cet instant, tout le monde courrait benoîtement vers l’appareil. Quant au remboursement du billet, un dû de la part de la compagnie coupable d’avoir occasionné ce retard aux passagers, les responsables savent très bien que les formalités consistant à remplir de la paperasse et à les envoyer, découragent une écrasante majorité de gens. Au total, aurait-il évalué, Aigle Azur rembourserait trois ou quatre personnes.
C’est cela, l’hôtel ? Une bâtisse carrée ripolinée de bleu et plantée en face de la mer, sur la plage du Lido, à Bordj El Kiffan. Je connais bien le quartier. Gamin, je venais m’y baigner. Dès l’entrée, les narines sont saisies par une odeur de graillon et vos yeux ont du mal à s’accommoder de la pénombre. Je ne sais pas qui a fait quoi dans cette construction, mais il paraît invraisemblable de bâtir un tel bunker dans un endroit où la lumière du soleil se déverse si généreusement. La qualité de l’établissement est loin d’être au top et c’est sans doute la modicité du prix qui a été à la base du choix par Aigle Azur de cet établissement. Passagers sous-dev, nous ne valons pas mieux ! Nous avons droit à une chambre pour attendre le vol de ce soir. Mais à la réception, on avise tout de suite : pas de chambre individuelle ! On vous colle quelqu’un ou on vous colle à quelqu’un ! Pas le choix. Ou bien tu refuses la chambre. Nous voilà une seconde fois otages !
Vers 13 heures, on a droit à un repas. La qualité est plus que médiocre. Dialogue entre un gamin de 11 ans et sa maman. Le gamin : c’est pas très bon mais c’est gratuit. La maman : ce n’est pas gratuit, tu payes ce repas d’une journée de ta vie.
Et comme par hasard, c’est ce jour-là que cet hôtel ne dispose pas de Wifi. Jamais, en partant le matin vers l’aéroport pour prendre un avion pour Paris, je ne me serais imaginé atterrir deux heures plus tard dans un hôtel sombre et envahi d’odeurs de cuisine au Lido, à me demander ce que je faisais là. Qui allait bien pouvoir s’occuper de tout ce que j’avais à régler comme affaires personnelles ? Aigle Azur n’en avait cure. Ou alors comme le suggérait l’un de ses employés, je n’avais qu’à les traîner devant les tribunaux.
J’ai l’impression d’avoir passé une vie d’ennui et de colère dans cet hôtel, à attendre un hypothétique vol du soir. Vers 19 h, on nous convie à un dîner avant de prendre la navette pour l’aéroport. D’après ce qu’on nous a promis ce matin, le vol ZI 460 partirait à 22h. Le dîner est encore plus médiocre que le déjeuner. Passons. A 20h, nous grimpons dans les microbus.
A l’aéroport, nous nous précipitons vers le lieu idoine en la circonstance : le tableau d’affichage. Ce dernier dit désespérément que le ZI 460 part à 9h40 pour Paris-Orly. Personne d’Aigle Azur pour nous rencarder sur le pourquoi du comment. Quelqu’un propose qu’on gagne la zone internationale puisque nous avons de toutes les façons le ticket d’embarquement. Le policier qui contrôle mes documents de voyage me demande ce qui se passe. Je lui explique que l’avion est en retard de dix heures et que nous ne savons pas encore s’il est arrivé. Optimiste, il me rassure. Il finira bien par arriver. Dans la zone d’embarquement, c’est la débandade. Tandis que nous voyons, meurtris, les derniers avions s’envoler pour Istanbul et Marseille, nous sentant comme des otages incapables d’autre chose que de voir partir les autres, notre malheur est aggravé par l’incapacité à nous renseigner des petits jeunes d’Aigle Azur que les responsables, invisibles, eux, ont jeté en pâture à la colère des passagers.
Il doit être 21 heures. Les gamins commencent à se fatiguer. Certains fondent en larmes. La compagnie n’a prévu ni boisson, ni nourriture à boire pour les enfants, pas plus que pour les malades. Et il y en a parmi les passagers. A un moment, pris d’assaut, un employé d’Aigle Azur promet un décollage à 23 heures. Puis il se ravise : ce sera à minuit. Des groupes de passagers se forment. On sent la tension monter dangereusement. Un jeune demande à l’employé si après ce calvaire, la compagnie allait au moins avoir la décence d’appliquer la loi sur le remboursement. Le type d’Aigle Azur dit qu’il allait nous remettre une attestation de retard mais que, par la suite, ça dépendait du service juridique de la compagnie et que lui, il ne pouvait rien. Une incertitude en totale contradiction avec l’engagement formel du matin. L’employée disait que le remboursement à 80 % était acquis. Quels pigeons nous faisons ! Le jeune réclame une attestation de remboursement menaçant d’inciter les autres à ne pas embarquer. «Dussé-je m’étaler à l’entrée de l’avion, ils me piétineront s’ils veulent embarquer». Au moment de l’embarquement, je remarque que le jeune révolté est le premier à se précipiter vers l’avion, reniant son accès d’héroïsme. Pendant ce temps, le tableau d’affichage n’a pas varié : ZI 460, 9h40.
Je me trouve dans un cercle de révoltés qui surenchérissent dans l’héroïsme. «Moi, je leur ai dit ceci…», clame l’un. «Et moi j’ai envoyé balader un responsable», surenchérit un autre. «Moi, ils vont entendre parler de moi», promet un troisième.
Un des impétrants à l’héroïsme exprime une idée géniale : «Quelqu’un connaîtrait-il un journaliste ? Il faut appeler un journaliste, il tiendrait un scoop.»
- Laisse tomber, tempère un voisin, les journalistes sont tous des carpettes…
Je surprends, à un moment, ce dialogue savoureux entre deux vieux Kabyles émigrés que le double accent trahissait :
- J’aurais presque de la tendresse pour Air Algérie, dit l’un.
- Air Algérie et Aigle Azur, on est pris entre la peste et le choléra, ce n’est pas de chance, rétorque l’autre…
- Oui, Air Algérie, ils font plein de conneries comme ça mais au moins le fric qu’ils nous chipent ne va pas dans la poche d’actionnaires privés…
Il se passera comme ça encore cinq heures d’incertitude, de colère, d’impuissance, et de mépris qu’on manifeste à notre égard. Une passagère :
- Et dire que j’ai payé 500 euros le billet !
Puis vers 1h ou 1h30 du matin, on voit des passagers débarquer. Oui, il est là, l’avion maudit. On s’aligne fiévreusement devant le guichet comme si nous avions peur que l’avion reparte sans nous.
Le miracle se produit. Nous embarquons. On nous délivre une attestation de retard qui, même si elle aboutit, ne dédommage pas de la souffrance et des pertes occasionnées par plus de douze heures de retard.
Dans l’avion, après que nous ayons pris place, le commandant s’excuse de ce retard. Comme s’il ne s’agissait d’une heure ou deux. Le vol maudit ZI 460 qui devait décoller à 9h40 le 13 août s’envole le 14 à 1h30 du matin. Lorsque je me retrouve dans un lit le lendemain à 8h du matin, je m’aperçois que cela faisait 26 heures que j’étais sorti du précédent. Il m’aura fallu 26 heures pour faire Alger-Paris. Et si avec ça, ils ne remboursent pas le billet…
A. M.
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Que cachent les monstres ?
Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
11 Octobre 2015
Que cachent les monstres ?
Par Arezki Metref
[email protected]
Que s’est-il passé à Zéralda cet été ?... Pourquoi un des colonels les plus puissants du DRS se retrouve-t-il du jour au lendemain en taule ? La retraite du général Toufik est-elle le fait du Président Bouteflika ou la décision a-t-elle été inspirée par les Américains comme le laissent entendre certaines sources ? Et pourquoi ?.... Et cette histoire d’arrestation rocambolesque du général Benhadid ? Et le feuilleton naissant de Rebrab ? Et… Et…
C’est entendu, le sommaire de la vie politique, sociale, intellectuelle de l’Algérie tient dans trois mots carrés : convulsions de sérail.
A lire la presse – répétitive –, à suivre les réseaux sociaux, déchaînés, eux, on a la funeste impression qu’il n’existe que des affairistes insatiables et des gouvernants se tapant dessus pour le pouvoir et les intérêts qu’il génère, et qu’il n’y a, dans ce pays, aucune force sociale, pas de citoyens, pas de peuple même. Et encore moins de société… Le désert, quoi !
En dehors du feuilleton de la conquête du pouvoir total et les dégâts que cela inflige à la partie adverse, il ne se passe rien… Le pouls se tait… Et il n’y a personne dans ce pays…
Erreur. Le silence ou la visibilité insuffisante des sociologues, censés décrypter ces phénomènes, ne signifie pas la mort de la sociologie algérienne. Lassé des commentaires circulaires – auxquels, d’ailleurs, je participe – et inapte à capter les incandescences sociales, je me suis tourné pour un échange informel vers Abdelkrim Elaidi, professeur de sociologie à l’Université d’Oran. Deux questions simples ont vite surgi : y a-t-il encore des forces sociales en Algérie ? Comment se comportent-elles par rapport aux intrigues centrifuges de palais ? Les réponses sont là, dans ce que l’on regarde sans forcément le voir. On pourrait croire que l’Algérie est un peu comme une succession de cercles concentriques où tout se passe dans un noyau dur – pouvoir et périphéries immédiates, clientèles – et plus on en est éloigné spatialement et socialement, moins on se sent concerné. Là aussi, erreur ! En fait, c’est peu dire que nous sommes un pays de paradoxes.
Paradoxale en effet cette impression que des événements importants, auxquels est suspendu le destin du pays, se déroulent sans que les Algériens non seulement n’y prennent aucune part mais qu’ils n’y accordent qu’un intérêt presque voyeuriste.
C’est à croire qu’en dehors de certains milieux surpolitisés aux allures de microcosmes, ce qu’on appelle les «masses» – terme noble autrefois, aujourd’hui ringardisé – commentent ces faits politiques avec le détachement que l’on met face à un événement extérieur au pays chargé d’indifférence.
On a même l’impression, déroutante, que les Algériens s’impliquent émotionnellement davantage dans ce qui se passe en Syrie que dans leur propre pays.
Mais – attention ! – cette distanciation parfois ironique d’avec les luttes au sommet qui envahissent la presse et la sphère politique ne signifie pas un décrochage des forces sociales par rapport à l’enjeu que représente leur devenir, sinon leur avenir.
Les 13 000 conflits sociaux officiellement recensés en 2014, d’amplitudes différentes (grèves, émeutes locales, occupations de lieux de travail, blocages de routes, etc.), pour chaotiques et spontanés qu’ils soient, n’en montrent pas moins la combativité des forces sociales décidées à défendre leurs intérêts dans des formes et des cadres hors contrôle des structures politiques et syndicales classiques que sont les partis et les syndicats qui ne jouissent plus que d’une confiance restreinte. Quand ils ne se sont pas compromis carrément, les partis se sont au bas mot fait rouler dans la farine par un pouvoir rusé. Quant aux syndicats, l’UGTA se confond avec l’appareil d’Etat, donnant le spectacle d’une décomposition avancée. Les syndicats libres ? Libres ?...
Peut-être que ce détachement par rapport aux luttes au sommet qui font les délices des microcosmes procède-t-il d’une forme d’irréalité de la chose politique nimbée dans la brume de la rumeur et du mystère ? L’accélération des luttes au sommet depuis Hassi Messaoud semble imposer une forme d’urgence et de gravité ostentatoire de la chose politique.
Peut-être aussi que ces événements centralisés contraignent au décrochage en réaction à la déliquescence de la centralité – amenuisement de la surface de l’Etat et privatisation de certaines de ses fonctions – et la consécration du local. Les luttes locales qui culminent dans le réveil des régions du Sud – In Salah, Ghardaïa ? – pourraient être la naissance au forceps d’une forme de régionalisation de fait, un processus en cours que l’Etat est bien loin de maîtriser. Les luttes contre le gaz de schiste d’In Salah sont passées de l’international au local sans l’escale du national….
Pour autant, les Algériens paraissent plutôt percevoir la sphère politique, et ses spasmes d’agonie, comme irréelle, écrasés qu’ils sont par ce contrepoids, bien réel lui, constitué par leur quotidienneté éprouvante faite de dégradation du pouvoir d’achat, de recherche d’emploi, de problème de logement, d’incertitude de la jeunesse par rapport à l’avenir, etc. L'observation sociologique a raison de substituer au constat de ce prétendu naufrage des valeurs, la métamorphose du lien social…
Les valeurs sociales échappent à l’immuabilité, sinon à la permanence, pour épouser les contours des conditions objectives d’existence. Pendant qu’on regarde le sommet, c’est l’Algérie profonde qui est en train de changer. Mais les sciences sociales suivent-elles ?
La question mériterait d’être approfondie. Car il paraît évident que nous sommes à une charnière, la configuration sociale est en train de se transformer et ce qui paraît comme les indices d’un naufrage ne sont que des signes de changement…
Certaines choses paraissent énormes ? Sans doute ! Le constat d’Antonio Gramsci reste valable ici et maintenant : «Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.»
A. M.
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De la dignité nationale fouillée au corps
Chronique du jour_Ici mieux que là-bas
11 Octobre 2015
De la dignité nationale fouillée au corps
Par Arezki Metref
[email protected]
Pièce jointe 19320
Question qui ne va pas manquer de fâcher plus d’un et qui, du même coup, exacerbera le scepticisme national : pourquoi et en quoi la fouille à Orly, le 17 octobre dernier, du ministre de la Communication, M. Hamid Grine, serait-elle cette gravissime offense à la dignité nationale que de nombreux commentateurs… indignés… évoquent ?
Avec, parfois, un lyrisme bodybuildé…
J’ai même lu un commentaire gratiné dont l’auteur — tenez-vous bien ! — percevait en cette palpation très peu diplomatique, difficile d’en disconvenir, le coup d’éventail
du dey d’Alger, mais à l’envers cette fois-ci.
Conclusion immédiate : ça doit appeler illico presto la seule et unique riposte valable
en la circonstance : laver l’honneur ! …
Toute outrance mise à part, il n’est pas inutile de rappeler que si la regrettable mésaventure de M. Grine a eu une résonance médiatique, il n’en a pas toujours été ainsi. Le communiqué publié par notre ministère des Affaires étrangères le reconnaît, sans guère plus de précisions : au moins deux ministres algériens avaient été auparavant fouillés au corps dans un aéroport français.
Les précisions, il a fallu les pêcher dans la presse. Deux ministres en effet, et pas n’importe lesquels, des proches du chef de l’Etat dit-on, Abdesselam Bouchouareb (Industrie) et Abdelmadjid Tebboune (Habitat) auraient connu le même désagrément dans un silence assourdissant.
La loi des séries n’étant pas toujours l’effet d’un simple hasard hostile, cela donne à cogiter.
Le fait même qu’il y ait au moins trois fouilles à ce niveau incite à envisager le problème autrement. Et si, plutôt que la dignité nationale, cette notion bateau dans laquelle on peut mettre tout
et n’importe quoi, c’est un système qui est visé ?
Car avant de dégainer de grands mots sonores, il faut se demander où se niche cette amovible dignité nationale. Où est-elle ? Chez qui se réfugie-t-elle ? Qui la détient, qui l’incarne ? De quelles valeurs est-elle constituée ? Quels traits a-t-elle donc pris ? La question n’est pas seulement philosophique. Elle est tragiquement pragmatique. Et la réponse nous implique tous dans notre comportement,
et a fortiori ceux qui nous gouvernent…
En général, il y a des Hautes Consciences pour faire ce boulot.
Définir ! Proclamer. Edicter ! Séparer le Bien du Mal !
Je ne vais pas les spolier de ce monopole quasi-messianique. Comment définir ce qui a coûté aux Algériens, à travers leur Histoire depuis Massinissa et même au-delà, les lourds sacrifices dont leur Histoire est jalonnée. Dans chaque combat pour la liberté, l’indépendance,
il y a un combat pour la dignité. L’intégrité. La droiture.
Plutôt que de délayer des citations d’auteur, j’emprunte cette définition à un vieux paysan qui avait coutume de s’enorgueillir que les Algériens, les siens, qui étaient pauvres, restent en toutes circonstances dignes. Ça veut dire quoi ? Ils ne se bradaient pas pour de l’argent. C’est simple. Et c’était juste. Revenons à nos ministres malmenés par les pafistes français… Il paraît plausible de supputer que si des fonctionnaires français agissent ostensiblement dans le sens contraire aux usages diplomatiques, c’est qu’il y a une raison supérieure — au moins à leurs yeux. Ils s’encombreraient moins du respect de notre dignité nationale – c’est à nous de la respecter et d’abord chez nous, et de la faire respecter — que de celle du respect de leurs lois et de leurs institutions. A charge pour nous d’en faire autant !
Dans le cas de Hamid Grine, il semble que les pafistes en question lui aient précisé qu’ils ont reçu l’ordre de le fouiller. L’ordre venait de qui ? Ils le lui ont peut-être dit ou peut-être pas, mais on ne le sait pas, nous autres qui sommes indignés par ce qui lui est arrivé.
L’ordre émanait forcément d’une autorité supérieure. Mais de quel secteur ?
L’autorité qui a donné cet ordre devait aussi savoir que ce contrôle au corps allait provoquer l’indignation diplomatique qu’il n’a pas manqué d’obtenir. S’il a maintenu l’ordre,
en dépit de ses effets prévisibles, on peut supposer plusieurs choses :
1. S’agit-il de l’action néfaste d’un responsable provocateur qui est situé à un niveau hiérarchique où il peut nuire aux relations entre l’Algérie et la France, plus ou moins bonnes
depuis l’arrivée de Hollande au pouvoir en 2012 ?
Si cette supposition est crédible, on se demande pourquoi alors cela tombe précisément sur MM. Bouchouareb, Tebboune et Grine, alors qu’il semble que beaucoup de nos ministres
sont au moins aussi souvent à Paris qu’à Alger.
2. Cette autorité avait-elle des motivations supérieures à la raison diplomatique, qui l’ont conduite à estimer comme un moindre mal l’effet forcément négatif
de cette fouille sur les relations entre les deux pays ?
3. S’agit-il d’une bavure pure et simple.
Dans cette hypothèse, il faut se demander pourquoi la bavure s’est répétée impunément.
En tout état de cause, si l’acte est en soi choquant, force est de le nuancer. Ce qui attente, et gravement, à la dignité nationale, c’est cette réputation de l’Algérie, et d’abord de certains de ses gouvernants, qui fait peser sur nos hauts responsables la suspicion. Cette suspicion est hélas parfois avérée. La justice, y compris algérienne, a établi qu’il existe un transfert illégal de fonds et l’acquisition en France et en Espagne de biens avec de l’argent mal acquis. Cette réputation est attentatoire à l’Algérie et si nos ministres et nos hauts responsables sont ainsi traités, que dire alors des citoyens qui n’ont pas de passeports diplomatiques ? Eux aussi participent de la dignité nationale. Il faut avoir le courage de se dire que cette réputation n’est pas toujours volée. L’affaire Khalifa et son extension internationale, l’affaire Sonatrach et ses ramifications dans de nombreux pays et d’autres affaires moins connues, impliquant des responsables algériens de haut niveau,
ont porté un sacré coup à notre crédibilité collective.
C’est ça qui écorne notre dignité : finir par produire de l’Algérie une image de république bananière où ceux qui font les lois sont les premiers à les piétiner…
Ce que je sais de Hamid Grine, un homme calme et posé, respectueux des règles, tout le contraire d’un partisan de l’éclat et du scandale, explique peut-être qu’il se soit prêté à la fouille.
Mais ne fallait-il pas s’y opposer ?
A. M.