Le Mawlid, la fête de tous les dangers
le 16.12.16|10h00
Brûlures aux mains, inhalation de fumées, lésions de l’œil,«Je ne peux pas interdire à mes enfants de jouer avec des pétards
amputation de doigts, incendies… chaque année, la fête du
Mawlid Ennabaoui se transforme en soirée d’angoisse pour les
parents, les urgentistes et les unités de la Protection civile.
Bien que le nombre d’accidents soit en baisse par rapport
à l’année dernière, il n’en demeure pas moins que les blessures
causées par les jeux pyrotechniques sont de plus en plus graves.
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Grave brûlure de la main d’un enfant due à un pétard
alors que tous nos voisins font la fête dans le quartier depuis deux
jours», avoue Mohamed aux urgentistes de l’hôpital de Douéra, à
l’ouest d’Alger. Père de quatre enfants, Mohamed a dépensé plus
de 12 000 DA pour l’achat de feux d’artifice, fusées et autres pièces pyrotechniques. Son fils Nabil, âgé d’une dizaine d’années, a fait
explosé quelques pétards en début de soirée. Ayant presque épuisé
son quota de jeux, Nabil s’est servi dans le sac de ses frères ainés,
où il a pris un pétard serpentin. «Mon fils l’a allumé par le mauvais
bout, ce qui a causé d’importantes éruptions sur sa main droite.
L’engin s’est enroulé autour de son bras. Dans un mouvement de
panique générale ses frères n’ont pas pu le secourir» explique
Mohamed «L’un de ses frères s’est protégé le visage et lui a retiré
cette abomination qui a coûté d’importantes blessures à mon jeune
fils ainsi que son frère ainé» précise-t-il.Le médecin qui s’est occupé
de Nabil et de son frère a été serein et rapide dans la prise en charge
de ces jeunes patients «Nous sommes ici pour soigner tout le monde
et non pour réprimander des parents inconscients des dangers qu’ils
mettent entre les mains de leurs enfants. Ce type de ‘jeux’ doit être
surveillé constamment», affirme-t-il. Plusieurs cas de brûlures et
blessures corporelles et aux yeux ont été enregistrés par les services
des urgences médicales des hôpitaux de la capitale suite à l’utilisation
de pétards et jeux pyrotechniques lors de la célébration de la fête du
Mawlid Ennabaoui, dans la nuit de dimanche à lundi passés.
Dangers
Des dizaines d’enfants et adolescents ont été admis aux services des urgences des hôpitaux de Bab El Oued, Mustapha, Douéra, Beni
Messous et à la clinique Pasteur pour brûlures et blessures de degrés différents. Les services de la Protection civile de la wilaya d’Alger ont enregistré, dans la nuit de dimanche à lundi, six incendies dans
différentes communes d’Alger causés par les produits pyrotechniques
utilisés à l’occasion du Mawlid Ennabaoui.Le bilan des unités de la
Protection civile est de 2779 interventions à l’échelle nationale, sans blessures graves ni décès. Selon le chargé d’information auprès des
services de la protection d’Alger, le lieutenant Khaled Benkhalfallah,
«ces incendies causés par les produits pyrotechniques ont éclaté sur
des balcons et dans des cours de maisons dans différentes
communes de la capitale comme à Birtouta, à Belfort (El Harrach),
à Bab El Oued et dans un hangar de fabrication de poteries aux
Eucalyptus». Et d’ajouter que « ces feux n’ont fait aucune victime».
Dans les couloirs des urgences de l’hôpital de Douéra, des bras ensanglantés, des pansements sur les yeux, des gémissements se
font entendre ça et là. «Pas plus que les autres jours», soupire un
infirmier «Chaque année c’est la même chose, avec mes confrères
des autres hôpitaux nous déplorons ces situations», commente
Riadh S., infirmier depuis 11 ans.«Ce n’est pas comme si c’était un
accident de la route ou une maladie. Dans le cas de jeux
pyrotechniques, les parents sont conscients des dangers. Plus
l’enfant est jeune plus le danger est grand, car il n’y a aucune
surveillance et assistance de la part des adultes. Je regrette que
ces pétards ne soient pas retirés du marché, car les conséquences
sont désastreuses. On n’en parle pas assez malgré les campagnes
de sensibilisation», déplore-t-il. La plus grave blessure sera une
amputation d’un doigt effectuée sur un enfant de sept ans de la
commune d’El Hamiz. La majorité des blessés soignés sont âgés
de trois à quinze ans. «Les dommages causés par les pétards
peuvent ressembler à de véritables blessures de guerre. Les
mutilations ainsi que les blessures thermiques et chimiques
peuvent toucher plusieurs parties du corps, principalement la
main, et les séquelles sont parfois définitives et irréversibles»,
affirme Khadidja Houda Khaoua, médecin généraliste. «Selon
l’importance de l’explosion, les lésions peuvent varier de la
simple brulure, en passant par le décollement des tissus, la
destructions squelettique, ligamentaire, vasculaire et nerveuse
avec un risque très important de gangrène, jusqu’à
l’arrachement de la main» explique-t-elle.
Acouphènes
D’ailleurs, lors de la soirée de la Fête du Mawlid, pas moins de
quatre interventions chirurgicales ont été effectuées sur des
enfants aux services d’ophtalmologie, de pédiatrie et de
chirurgie maxillo-faciale. Selon le docteur Khadidja Houda
Khaoua, «l’opération de la main est souvent un traitement
chirurgical complexe qui peut durer plusieurs mois. Les
explosions de pétards sont aussi responsables de lésions
auditives importantes. Selon les niveaux des décibels et la
proximité des déflagrations, ces dernières sont responsables
de l’apparition d’acouphènes, mais aussi de surdité partielle
ou totale»,. A l’hôpital de Beni Messous, un enfant âgé de
onze ans a été secouru et opéré dans la soirée de lundi,
souffrant de graves lésions aux yeux.Son cas a sérieusement
inquiété l’équipe médicale qui s’est occupée de lui. «Nous
sommes désespérés de voir des cas similaires, tant de dégâts
peuvent être évités si les responsables évaluaient les risques
potentiels. Que ce soient les parents, l’Etat et les importateurs
de ces jeux sans intérêt aucun pour les enfants. Un pétard,
une bombe ou une fusée peut condamner une personne à vie»,
se plaint un chirurgien.
Odeurs
La grande inquiétude du docteur Khadidja Houda Khaoua est
que «la projection dans l’œil peut causer d’énormes dégâts,
tels que des plaies profondes de la cornée, une cataracte
traumatique, un décollement de rétine allant jusqu’à la perte
définitive de l’œil». «Les déflagrations peuvent aussi entrainer
des poussées hypertensives ainsi que des problèmes
cardiaques, en particulier chez les personnes âgées et les
femmes enceintes. Des symptômes dépressifs pouvant
s’accompagner d’anxiété et d’insomnie ont été constatés chez
les personnes qui ont subi de graves séquelles physiques»,
conclut-elle.Les plaintes se multiplient, d’année en année, sur
les fumées émises par certains pétards et fusées. «Ces jeux
dégagent des odeurs suspectes, ça mériterait que l’on fasse
des analyses de leurs composants. Ces objets qui sont
potentiellement destructeurs», propose Djaafar Meslem,
chirurgien. «J’ai toujours interdit à mes enfants de jouer avec
ces pétards et autres feux d’artifice dont on ignore la
provenance. Il y a deux ans, j’ai opéré à l’hôpital un enfant de
cinq ans qui a perdu deux doigts à cause d’une fusée
surchargée en produit. Il n’a jamais récupéré la mobilité de sa
main. Depuis ce jour, il souffre de problèmes respiratoires
aggravés par l’inhalation des fumées certainement toxiques.»
Malgré ces graves incidents signalés, les autorités notent un
recul du nombre des blessés par rapport à l’année dernière
grâce, en partie, aux mesures prises par les services de sûreté
qui ont saisi des quantités importantes de pétards et aux
campagnes de sensibilisation, même sur les réseaux sociaux.
Faten Hayed