Célèbre pour ses émissions sur Ennahar TV



Rencontre avec Chems Eddine, un mufti atypique « made in Algeria »

Après deux échanges au téléphone, le rendez-vous est finalement pris chez lui, à Diar El Babour, un quartier populaire, situé près de Belcourt. En ce premier vendredi du Ramadan, Chems Eddine Bouroubi, célèbre animateur de l’émission « Insahouni » (conseillez-moi) sur la chaîne privée Ennahar TV,


est habillé comme à la télé : chéchia, kamis blanc et une épaisse barbe grise. L’accueil est sobre. Il est en compagnie de sa fille ainée, Niamatou Ellah, 20 ans.

Il entame la conversation avec une précision : « Moi, je suis un made in Algeria. Je n’ai étudié ni en Arabie Saoudite, ni en Iran, ni au Soudan ». Agé de 48 ans, l’homme a appris l’islam à la mosquée auprès de cheikh Mohamed Rahou, qu’il décrit comme un « grand savant malikite » et « mufti pendant la Guerre de libération ». En parallèle, il fréquente l’école jusqu’à la terminale. Il repasse le bac cinq fois, mais sans succès. Pourtant, « j’étais un génie ! Et j’obtenais des 16 en philosophie », assure-t-il. Pourquoi a-t-il alors échoué au bac ? C’est à cause des questions « débiles » de culture générale. « La première fois, la question portait sur l’année au cours de laquelle un but avait été marqué par l’équipe nationale, et une autre fois, elle portait sur l’année pendant laquelle Warda avait chanté une chanson », explique-t-il.

Mais, il y a une vie sans le bac. Celui qui se fait appeler « cheikh », dès l’âge de 15 ans, anime sa première conférence, au siège d’une Kasma du FLN, autour des « significations religieuse et scientifique des faits », alors qu’il venait tout juste d’avoir 17 ans. Avant d’embrasser une carrière d’animateur tv, cheikh Chemsou publie de nombreuses contributions dans la presse et même des livres. « J’écrivais dans douze journaux. Même Boukerzaza, quand il était ministre de l’Information, me disait que j’étais, à moi seul, une entreprise médiatique », se rappelle-t-il. L'un de ses premiers ouvrages, « Taaniss El Awaniss », est consacré au célibat des femmes en Algérie. « Une catastrophe ! », estime Chems Eddine. « Pourquoi quatorze millions de jeunes femmes sont-elles restées célibataires ? », s’interroge-t-il dans le livre avant de fournir des réponses. Cheikh Chems Eddine y donne 22 raisons dont certaines sont d’ordre politique, social et psychologique. Parmi ces raisons, l’obsession des femmes à vouloir vivre une histoire d’amour à l’égyptienne, à la brésilienne et maintenant à la turque.

« Les Algériens ont trouvé leur cheikh »

Cheik Chems Eddine dit avoir aussi beaucoup voyagé à travers l’Algérie. Mais sa notoriété a explosé avec son émission sur Ennahar TV. Son histoire avec cette chaîne privée commence avec une fatwa décrétant l’obligation de voter aux élections législatives de mai 2012 pour se prémunir du printemps arabe. « Personne ne m’a demandé de la faire contrairement à ce qui a été dit sur Internet dans des commentaires évoquant le DRS », jure-t-il. C’était de l’« idjtihad ». « Cette fatwa a eu un grand écho. Et les milliers de personnes, décidées à boycotter les élections ou restées jusqu’ici hésitantes, ont voté », s’enorgueillit-il. Pourtant, Chems Eddine Bouroubi affirme n’avoir jamais voté dans sa vie. « Je n’y crois pas. Tout est truqué », avoue-t-il, avant de se reprendre rapidement : « Mais j’ai voté en mai 2012 ». Lors de l’enregistrement de sa fatwa, il rencontre un responsable de la chaîne et profite de l’occasion pour lui parler de son rêve de faire une émission. Une émission intitulée « Insahouni » pour « conseiller les Algériens à l’algérienne ». Il accepte. « Dès que je suis rentré chez moi, j’ai vu l’annonce concernant l’émission sur la chaîne, alors que je n’avais même pas commencé à me préparer pour le premier épisode », ajoute-t-il.

Quelques mois à peine après son lancement, « Insahouni » est un grand succès. L’imam reçoit une centaine de SMS par jour, des fax, des emails et des appels téléphoniques. Des questions lui parviennent de tous les pays du monde, selon lui. « Quatorze jeunes filles travaillent, avec moi, au centre d’appels, situé au 1er Mai », indique-t-il. Les gens posent toute sorte de questions. « Je lis tout et je sélectionne les sujets qui se répètent pour répondre et faire bénéficier tout le monde », détaille-t-il.

Sur internet, Chems Eddine a déjà eu droit à plusieurs sobriquets : Chemssou, Chemissou ou Chemoussi. Il ne le prend pas mal. Il y voit même une marque de sympathie et de respect. « J’utilise l’humour en donnant des conseils, parce qu’il ne faut pas oublier tout ce qu’a vécu le peuple algérien. Il ne faut pas trop forcer », explique-t-il. Et puis, il y a aussi cette image du barbu, l’homme dur, archaïque, qui ne sourit pas, qui ne comprend rien à la vie, et qu’il faut absolument changer, selon lui. Chems Eddine est certain : les Algériens ont trouvé « leur cheikh » en sa personne. Quelqu’un qui parle leur langage. « Je ne fais pas, tout le temps, des blagues mais c’est mon style, je ne peux pas être autrement. Mes conseils sont sérieux. Les gens me prennent au sérieux parce qu’ils savent que je suis sincère », assure-t-il. Et puis « Insahouni » n’est pas une émission religieuse, selon lui.

Lutter contre le salafisme, « un mouvement diabolique »

Parmi ses fans, certains la regardent comme un "One-man-show" d’un cheikh décontracté et pas comme les autres. Ses détracteurs le taxent de clown égayant les gens à travers la religion. Mais sur internet, ses vidéos sont parfois regardées par plus de 200.000 personnes. Un record pour une émission algérienne. Chems Dine en est conscient et tente d'en profiter pour lutter contre son seul ennemi : le salafisme. « C’est un mouvement diabolique », lâche-t-il. Il le conçoit comme un danger qui guette la Nation et surtout l’islam. « Quand le salafisme est entré en Algérie, les gens ont commencé à se tuer. Toute fille violée, toute entreprise incendiée, toute mosquée détruite, tout être humain tué, c’était suite à une fatwa salafiste », affirme-t-il. Le problème des Algériens est le culte qu’ils vouent pour le produit étranger. « On aime le produit étranger : des chaussures italiennes en passant par la veste suisse ou allemande, jusqu’à la fatwa de l’étranger », poursuit-il. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce à son émission, pense-t-il. « La plupart des gens ne regardent même plus El Jazeera. Ils suivent notre émission », affirme Cheikh Chems Eddine.

Une popularité difficile à gérer

Devenu donc très connu, il avoue avoir du mal à gérer sa popularité. La star d’Ennahar TV est souvent interpellée dans la rue par des jeunes. « Ma mère va devenir une secrétaire, elle reçoit beaucoup de messages. On est partis à Ardis, il y avait presque 200 téléphones portables pour la prise de photos », assure-t-il. « L’émission est devenue populaire en Algérie et à l’étranger ». Sa fille Niamatou Ellah renchérit : « Chaque fois qu’on nous voit, on nous arrête pour prendre des photos avec lui ».

Marié avec deux femmes, Cheikh Chems Dine est père de dix enfants : six filles et quatre garçons. « Ce sont mes amis. Je m’occupe d’eux et j’essaie de les aider à régler leurs problèmes ». Le cheikh est plutôt casanier. « Je n’ai pas le temps pour sortir et papoter à l’extérieur. Je n’ai pas l’habitude de rester dans la rue à surveiller celui qui arrive et celui qui part, comme je n’ai jamais fréquenté les cafés. Et puis je suis quelqu’un qui sacralise la famille ». Il dit passer le plus clair de son temps à lire, à faire des recherches et à travailler dans son bureau, à la maison. Un 59 m² où il vit depuis quinze ans, à proximité de sa maison familiale à Belcourt. « C’est étroit. J’ai demandé un logement cela fait 20 ans, mais on n’a rien eu jusqu’à maintenant ».



Source : TSA