Le pays qu'Obama va redécouvrir a bien changé depuis qu'il l'a quitté. Démocratie dynamique, économie émergente prometteuse, le pays est surtout un univers bien plus pieux où l'islam prend de plus en plus d'importance.


Plus grand pays musulman au monde (200 millions de fidèles) l'Indonésie est aussi la troisième démocratie de la planète, après l'Inde et les États-Unis, ce qui en fait un modèle désirable pour Washington. Comme au temps où Barack Obama tirait les cheveux des filles à l'école primaire Besuki, à Jakarta, les élèves musulmans, chrétiens et bouddhistes y étudient côte à côte, sauf pendant leur cour de religion où chaque foi se retire dans une salle spéciale. C'est une exigence de l'État: bien qu'il soit constitué à plus de 85% de musulmans, la Constitution garantit l'égalité entre les six grandes religions de l'archipel: islam, protestantisme, catholicisme, bouddhisme, hindouisme et confucianisme. Mais une chose a changé: dans un coin de la cour de récré, derrière le goal de football, un minaret et une petite mosquée, autrefois absents, ont depuis été construits.
Le pays qu'Obama va redécouvrir a, comme le reconnaît le président américain, bien changé. En 1967, lorsque le petit garçon débarque dans l'archipel, le dictateur Suharto venait de commencer ses trente-deux ans de règne, le pays était en quasi-faillite, et les musulmans de Java, l'île où se trouve Jakarta, fascinaient les anthropologues comme la mère du président pour leur pratique mystique de l'islam, teintée d'animisme et de relents d'hindouisme.
Aujourd'hui, le pays est une démocratie dynamique, une économie émergente prometteuse et, surtout, un univers bien plus pieux. Selon un sondage international PEW, 80% des musulmans indonésiens affirment s'acquitter de leurs cinq prières quotidiennes - contre 59% des Égyptiens ou 34% des Turcs. Le port du voile pour les femmes se répand, le nombre de mosquées a doublé en trente ans et les Indonésiens envoient chaque année le plus important contingent de pèlerins à La Mecque.
La réislamisation de l'archipel a commencé dans les années 1980, après la révolution iranienne qui a donné un nouveau souffle à l'islam politique mondial. Les étudiants indonésiens au Moyen-Orient, de plus en plus nombreux, revenaient de leurs voyages avec des traductions de penseurs islamistes et de nouvelles façons de vivre leur religion. Et l'espace de liberté ouvert par la démocratisation, en 1998, a permis l'essor de nouveaux courants de pensée musulmans, plus conservateurs.
Chaque année, les allées bondées de la Foire au livre musulman témoignent de la vivacité des publications sur l'islam. Livres romantiques, livres de blagues, livres sur le sexe; livres sur comment faire la prière, comment être un bon époux, comment faire la charité; quelques livres politiques aussi, sur le djihad ou le péril juif; des corans par dizaines, en indonésien ou en arabe, pour l'étude ou la récitation. «Si vous étiez au Moyen-Orient, vous n'auriez qu'un seul type de coran», explique Afrizal Sinaro, président de l'association des éditeurs de Jakarta. «Mais ici les lecteurs ont le choix. C'est la démocratie.»
La grande majorité des Indonésiens, bien que plus pieux qu'il y a trente ans, continuent à pratiquer un islam ouvert et tolérant et près de la moitié d'entre eux appartiennent à l'une des deux grandes organisations traditionnelles musulmanes modérées, la Muhammadiyah et la Nahdlatul Ulama (NU). Mais l'équilibre change lentement. L'explosion de nouvelles idées peut laisser bien des Indonésiens pieux un peu confus, d'autant plus que l'islam traditionnel, de tendance mystique, est bien moins dynamique que les nouveaux courants de pensée, plus idéologiques et normatifs, venus de l'étranger qui vont de l'islam politique des Frères musulmans ou du Hizb ut-Tahrir au fondamentalisme apolitique de la Jemaah Tabligh, en passant par le salafisme. Du coup, le croyant qui s'interroge sur sa foi trouvera plus facilement des réponses auprès des mouvements conservateurs, voire radicaux qui pratiquent le prosélytisme.
Les partis islamistes en recul

Le dynamisme de cette minorité indonésienne plus conservatrice mais très vocale se fait ressentir dans la vie publique: le mieux-disant musulman gagne du terrain, une cinquantaine de localités ont adopté des lois inspirées de la charia dans les années 2000, et le Conseil des oulémas, chargé d'émettre des fatwas, est dominé par les plus conservateurs.
Si l'islamisation par le bas ne fait toutefois aucun doute, les Indonésiens restent profondément attachés à un certain sécularisme de l'État, d'où l'échec de l'islamisation des institutions: les partis islamistes sont en recul dans les urnes, la plupart des élus locaux qui avaient passé les lois inspirées de la charia n'ont pas réussi à se faire réélire, et seuls 22% des Indonésiens sont en faveur de la transformation de leur pays en un État islamique - un chiffre qui n'a quasiment pas bougé depuis l'indépendance du pays, en 1945.