Trois questions :1) Que signifie le verset coranique : "des cœurs par lesquels ils raisonnent ou des oreilles par lesquelles ils écoutent" ?
2) Est-ce le cerveau ou le cœur qui est le siège de la pensée, de la réflexion et du raisonnement ?
3) Est-ce le cœur ou le cerveau qui est le siège des émotions, des sentiments et des qualités spirituelles ?
-
Réponse :
Ce que d'emblée il faut dire c'est que, même à discuter du lieu où elles se trouvent et des mécanismes par lesquels elles s'expriment, on ne peut nier l'existence chez l'homme des deux facultés de la "raison" et du "cœur". En effet, ces deux termes renvoient à des réalités connues et répertoriées, quelle que soit leur localisation : dans la poitrine (le muscle cardiaque) ou dans le cerveau. Le terme "raison" désigne ainsi la faculté humaine de comprendre, de raisonner et de penser ; le mot "cœur" exprime quant à lui la faculté d'aimer, de détester et d'émettre des critères éthiques.Ce rappel effectué, nous pouvons maintenant aborder la question de la localisation de ces deux facultés que sont "le cœur" et "la raison"…-
1) Est-ce le cerveau, ou bien le cœur, qui est le siège de la pensée, de la réflexion et du raisonnement ?
Cette question a fait l'objet, comme l'a rappelé an-Nawawî, d'une divergence d'avis bien connue entre les ulémas.Un certain nombre de ulémas disent que la faculté de raisonnement se trouve dans le cœur (ici dans le sens de muscle cardiaque) et non dans le cerveau : il s'agit entre autres de Mujâhid, de Ibn Hajar (Fat'h ul-bârî, commentaire du hadîth n° 52 rapporté par al-Bukhârî), et, d'une façon plus générale, des ulémas de l'école shafi'ite (Shar'h Muslim, commentaire du hadîth n° 1599). Plus récemment, un savant comme al-Albânî (mort en 1999) pensait de même : raisonner et penser, écrit-il, sont des actes du cœur qui se trouve dans la poitrine, et non du cerveau qui se trouve dans la boîte crânienne ; al-Albânî se fonde pour cela sur les versets suivants du Coran : "Ils ont un cœur (mais) ne comprennent pas par son moyen" (Coran 7/179). "N'ont-ils pas parcouru la terre afin d'avoir des cœurs par lesquels ils raisonnent, ou des oreilles par lesquelles ils écoutent ? Car ce ne sont pas les regards qui s'aveuglent, mais s'aveuglent les cœurs qui sont dans les poitrines" (Coran 22/46). Voyez, dit al-Albânî : ces versets disent bien que c'est le cœur qui comprend et qui raisonne ; or, souligne-t-il, le "cœur" ne peut être compris comme désignant le cerveau, car la fin du verset dit explicitement qu'il se trouve dans la poitrine (Silsilat ul-ahâdîth as-sahîha, tome 6 p. 468).D'autres ulémas pensent pour leur part que la faculté de penser, de comprendre et de raisonner se trouve dans le cerveau. Parmi ces ulémas se trouve Abû Hanîfa (voir Shar'h Muslim, commentaire du hadîth n° 1599). Et cet avis est également relaté de Ahmad ibn Hanbal ("وقد يراد بالقلب باطن الإنسان مطلقا فإن قلب الشيء باطنه كقلب الحنطة واللوزة والجوزة ونحو ذلك ومنه سمي القليب قليبا لأنه أخرج قلبه وهو باطنه وعلى هذا فإذا أريد بالقلب هذا فالعقل متعلق بدماغه أيضا ولهذا قيل: إن العقل في الدماغ. كما يقوله كثير من الأطباء ونقل ذلك عن الإمام أحمد" : Majmû' ul-fatâwâ, Ibn Taymiyya, 9/303).J'ai questionné Cheikh Khâlid Saïfullâh au sujet du premier avis et de l'argumentation sur laquelle il repose, il m'a répondu en substance que d'une part il est aujourd'hui démontré scientifiquement que la faculté de raisonnement se trouve dans le cerveau, et que d'autre part il y a depuis les premiers siècles de l'Islam deux avis chez les savants. "Je pense donc que dire le contraire serait contraire à ce qu'a prouvé l'observation ("mushâhadé ké khilâf")" a-t-il conclu (cela relève donc du cas B.2.2.2 dans un autre de nos articles).Comment, me direz-vous, comprendre alors les deux versets coraniques sur lesquels les tenants du premier avis ont fondé celui-ci ? Nous allons y revenir dans les points 2 et 3, à travers les explications de al-Ghazâlî, de Shâh Waliyyullâh et de al-Jûzû.-
2) Est-ce le cœur, ou bien le cerveau, qui est le siège des émotions, des sentiments et des qualités spirituelles ?
D'après les savants musulmans, d'après aussi les poètes et les mystiques occidentaux, c'est le cœur qui est le siège des émotions, des sentiments, des critères éthiques et des qualités spirituelles.A cela des scientifiques occidentaux contemporains objectent que le cœur n'est qu'un muscle qui fait office de pompe envoyant le sang dans le reste de l'organisme. D'après ces scientifiques, c'est plutôt le cerveau qui est le siège de sentiments et de qualités ; et ce qu'on nommait auparavant "émotions" et "valeurs" n'est en fait que l'expression de gènes, d'hormones et de connexions entre neurones (comme l'a écrit Jean-Pierre Changeux)…Mais en fait il faut nuancer ce propos. En effet, que le cœur soit un muscle servant à envoyer le sang dans tout le corps par l'intermédiaire des artères, on le sait en Occident depuis 1648 avec Harvey (en terre musulmane, la petite circulation du sang avait été mise en évidence 400 ans plus tôt, par Ibn un-Nafîs ; cf. Le soleil d'Allah brille sur l'Occident, Sigrid Hunke, pp. 152-155). Certes. Mais que le cœur soit une pompe pour le sang n'implique pas qu'il ne puisse pas être plus que cela.Déjà il faut dire que certains ulémas précisent que "le cœur" dont parlent le Coran et la Sunna en tant que siège des qualités ne désigne pas toujours le muscle cardiaque, mais l'intérieur de l'homme, soit l'âme humaine. Ibn Taymiyya l'a écrit : "Parfois, par "cœur" on entend "l'intérieur de l'homme"" (Majmû' ul-fatâwâ, tome 9 p. 303). Al-Ghazâlî écrit pour sa part : "Lorsque nous employons le mot "cœur" dans cet ouvrage, nous n'entendons pas désigner [le muscle cardiaque]" (Al-Ihyâ', tome 3 p. 5) mais l'âme humaine (c'est ce qu'implique ce qu'il a écrit dans les lignes et les pages suivantes). Al-Ghazâlî souligne que quand "il est employé dans le Coran et la Sunna" également, le mot "cœur" désigne aussi l'âme humaine ; de plus, cette âme humaine y est parfois désignée par les termes : "le cœur qui se trouve dans la poitrine" (Idem, p. 7). Or, précise al-Ghazâlî, "il y a un lien particulier entre cette âme, qui est immatérielle, et le cœur physique" ; en fait, souligne-t-il, l'âme est liée à tout le corps, de même qu'elle donne des influx à tout le corps, mais son lien avec le cœur est de nature particulière (Al-Ihyâ', tome 3 p. 4 et p. 7). Les qualités, les critères éthiques, les sentiments, se trouvent dans l'âme (voir Hujjat-ullâh il-bâligha, Shâh Waliyyullâh, tome 1 pp. 66-67) ; or l'âme ayant un lien avec tout le corps mais particulièrement avec le cœur physique, ce dernier serait une sorte de réceptacle de ces qualités et sentiments.
Ces explications ne sont nullement impossibles scientifiquement. Une américaine, Claire Sylvia, relate : "En 1988, alors que je suis presque mourante, atteinte d'une maladie grave et fatale, on m'ouvre la poitrine et on m'en extrait le cœur et les poumons. Dans une tentative désespérée de me sauver la vie, les médecins transplantent, dans cet espace vide et creux, les organes d'un jeune homme qui vient de mourir dans un accident de moto. (…) En me réveillant de l'opération, je pense que mon long voyage est enfin parvenu à son terme. En fait, il ne fait que commencer. Très rapidement, je sens que j'ai reçu bien davantage que simplement deux organes. Je commence à me demander si le cœur et les poumons transplantés ne portent pas en eux leurs propres inclinations et souvenirs. Je fais des rêves et constate des changements qui semblent suggérer que certains aspects de l'esprit et de la personnalité du donneur existent à présent à l'intérieur de moi" (Mon cœur est un Autre - Le miracle des greffes, le mystère de la mémoire cellulaire, Claire Sylvia, Jean-Claude Lattès pour la traduction française, 1998, pp. 13-14). ""Le cœur n'est rien d'autre qu'une pompe." Telle est la vision de la médecine contemporaine. Je précise "contemporaine" parce que jusqu'au XVIIè siècle, le cœur n'était pas du tout considéré comme une pompe. Dans l'Antiquité, on le voyait comme le centre de la sagesse et de l'émotion. (…) En 1648, lors d'une des plus importantes découvertes de l'histoire de la médecine, le médecin anglais William Harvey proclamait au monde que le cœur, au travers d'une série continuelle de contractions, pompait le sang qui circulait dans le corps pour revenir à sa source. Aujourd'hui personne ne le conteste, mais reconnaître l'évidence – à savoir que le cœur est une pompe – ne revient pas à affirmer que c'est uniquement une pompe. Comme nous le verrons, certains scientifiques croient que le cœur est peut-être bien davantage" (Idem, pp. 259-260). "Toute ma vie on m'a affirmé, en dépit des protestations des poètes et des convictions des mystiques, que le cœur humain n'était qu'une pompe. Une pompe incroyablement importante, certes, mais rien de plus qu'une machine monotone et indispensable.Conformément à ce point de vue, qui est celui généralement accepté par la médecine occidentale contemporaine, le cœur ne contient aucun sentiment et n'abrite aucune sagesse, aucune connaissance et aucun souvenir. Et si celui d'une personne a précédemment résidé dans le corps d'une autre, cela ne présente aucune signification ou implication particulière. Je croyais à ces idées, mais aujourd'hui je sais qu'il en va autrement. Peut-être y a-t-il d'autres façons d'envisager les choses. Peut-être certaines des nombreuses qualités attribuées au cœur depuis des siècles ne sont pas seulement métaphoriques. Même aujourd'hui, à une époque éclairée et scientifique, nous invoquons encore notre cœur pour décrire nos sentiments et nos valeurs. Lorsque l'amour meurt ou que la mort frappe, nous disons que notre cœur est brisé. Nous prenons à cœur ou nous n'avons pas à cœur de faire quelque chose. Si l'on est généreux, on a le cœur sur la main. Si l'on est insensible, on est sans cœur. Cœur pur, cœur gros, cœur sensible, cœur dur, cœur noble, cœur tendre, cœur d'or ou de pierre – la liste est longue. Ces expressions recèleraient-elles une vérité littérale ? Même les cardiologues les plus conservateurs reconnaissent que la santé et le fonctionnement du cœur sont affectés par certaines réalités émotionnelles telles que la solitude, la dépression ou l'aliénation. Et s'il est communément accepté que l'esprit et le corps sont profondément liés, il n'existe pas autant d'images ou d'expressions se référant au foie, au pancréas ou même au cerveau" (Idem, p. 15). Nous avons parlé là du lien qui existe entre l'âme humaine et le muscle cardiaque.
D'un autre côté, l'âme humaine semble être liée de façon particulière au cerveau aussi. Un savant musulman indien, Mujâhid ul-islâm Qâssimî, écrit : "On sait maintenant que la mort humaine est liée de façon essentielle à la mort du cerveau : la mort survient quand meurt la partie du cerveau que l'on nomme "le tronc cérébral". (…) L'arrêt des battements du cœur entraîne l'arrêt de la circulation sanguine, ce qui arrête l'irrigation du cerveau en sang. Sans être irrigué en sang, le cerveau ne peut demeurer vivant que quelques quatre ou cinq minutes. (…) Et lorsque le cerveau meurt, alors même si on maintient pour un moment les battements du cœur de façon artificielle, l'homme ne peut revenir à la vie. Au contraire du cas où le cerveau est vivant : même si les battements du cœur s'arrêtent pendant quelques minutes, du moment où le cerveau reste irrigué en sang [par une machine], alors l'être humain est toujours vivant"(Dimâghî mawt-o-hayât kâ mas'ala, p. 5). Mujâhid ul-islâm poursuit : "C'est pourquoi les médecins disent que le centre de l'âme humaine se trouve dans le cerveau (…) ; c'est le cerveau qui est le centre de la pensée, et c'est lui qui donne aux membres du corps les influx leur ordonnant de faire telle ou telle chose" (Idem). "On dit que c'est cette partie du cerveau [le tronc cérébral] qui est le centre de la conscience humaine" (Idem). Plus loin il écrit : "La mort survient quand le tronc cérébral meurt ; d'après les savants musulmans, elle survient quand l'âme quitte le corps. (…) On peut concilier ces deux perceptions en disant que l'âme, qui est immatérielle, n'est pas l'objet des investigations scientifiques de la médecine, contrairement au cerveau, qui, lui, est matériel. (…) L'âme agit sur le corps par l'intermédiaire du tronc cérébral, qu'elle prend comme centre. Mais quand le tronc cérébral meurt, l'âme le quitte" (Idem, pp. 7-8).– Serait-il dès lors possible de proposer la synthèse suivante : d'un côté, comme l'a écrit Shâh Waliyyullâh, c'est dans le premier niveau de l'âme – confluent entre le corps et le niveau supérieur de l'âme – que se localisent les qualités et les sentiments profonds ; or, comme l'a écrit al-Ghazâlî, l'âme a un lien particulier avec le cœur physique ; le cœur serait donc une sorte de réceptacle des qualités et des sentiments. D'un autre côté, comme l'a écrit Mujâhid ul-islâm Qâssimî, l'âme a aussi un lien d'attache particulier avec le cerveau. Dès lors, l'explication pourrait-elle être la suivante : l'âme humaine agit sur le corps par l'intermédiaire du cerveau, mais tout ce qu'elle recèle en elle a pour réceptacle le cœur physique. L'âme serait donc liée de façon particulière et au cerveau et au cœur. Cette synthèse est-elle possible ? Prière aux frères et sœurs compétents d'en faire une critique constructive.-
3) Le cœur avec lequel l'homme raisonne :
Selon les explications citées ci-dessus, la faculté humaine du "cœur" n'est pas la même chose que celle de la "raison" : le cerveau est le siège de la pensée, tandis que le cœur est le réceptacle des sentiments et des qualités. Le Coran utilise cependant une formule originale, qui mêle les deux termes : il exhorte les hommes à avoir "un cœur par lequel ils raisonnent" : "N'ont-ils pas parcouru la terre afin d'avoir un cœur par lequel ils raisonnent ou des oreilles par lesquelles ils écoutent ?" (Coran 22/46). Comment comprendre cette formule ?Pour al-Jûzû, le cœur et la raison ne sont en effet pas une seule mais deux facultés différentes. Cependant, selon lui, le cœur et la raison ont chacun leur intelligence : comme le cerveau raisonne, le cœur a son intelligence propre ; les deux modes de raisonnement sont différents, mais ils ne sont pas antinomiques. Et le Coran exhorte donc les hommes à utiliser l'intelligence de leur cœur pour appréhender les choses de l'univers, comme ils utilisent d'habitude le raisonnement de leur raison pour le faire (voir Maf'hûm ul-'aql wa-l-qalb fi-l-qur'ân wa-s-sunna, al-Jûzû, pp. 275 et suivantes).Pour Shâh Waliyyullâh également, le cœur et la raison ne sont pas une seule mais deux facultés différentes (Hujjat ullâh il-bâligha, tome 2 p. 235 et p. 273). Cependant, à la différence de al-Jûzû, pour Shâh Waliyyullâh seule la raison raisonne, et si le Coran et la Sunna attribuent parfois au cœur les qualités qui relèvent en fait d'autres facultés, c'est qu'ils utilisent parfois ce terme "cœur" d'une façon large (tassâmuh) : il s'agit de l'intérieur de l'homme. Le Coran et la Sunna attribuent donc au "cœur", dans un sens figuré, de nombreuses qualités, qu'il s'agisse de qualités qui sont réellement celles du "cœur" ou qu'il s'agisse en fait de celles de la "raison" ou encore de celles relatives aux pulsions corporelles naturellement présentes chez l'homme (Idem, p. 273).Serait-il possible de proposer l'humble explication suivante : comme l'ont écrit Shâh Waliyyullâh et al-Jûzû, "cœur" et "raison" sont deux facultés différentes. Mais à la différence de ce que al-Jûzû a écrit et en conformité avec ce que Shâh Waliyyullâh a expliqué, seule la raison raisonne, tandis que le cœur, lui, est le réceptacle des sentiments et des qualités. Serait-il possible alors de dire que ce que ce verset demande à l'homme, c'est que lorsqu'il pense avec sa raison, il le fasse avec l'accompagnement de son cœur ; que sa raison agisse en s'orientant de ce que lui souffle en amont le cœur ? En fait tout repose sur la compréhension de la particule "bâ'" employée dans le verset : "qulûbun ya'qilûna bi-hâ" : l'explication de al-Jûzû semble reposer sur l'avis qu'il s'agit d'une particule exprimant le moyen ("ba' ul-isti'âna") ; mais pourrait-il s'agir d'une particule exprimant l'accompagnement ("bâ' ul-mussâhaba") ? Selon l'explication de al-Jûzû, il serait question de raisonner par le moyen du cœur même. Dans le cas où il s'agirait d'une particule exprimant l'accompagnement, il serait question de raisonner par sa raison maisavec l'accompagnement du cœur. Ce n'est qu'une tentative d'explication. Est-elle possible ? Prière aux lecteurs et lectrices compétents d'en faire une critique constructive.
En tout état de cause et quelle que soit l'explication retenue, le résultat est le même. Est-ce que le cœur humain a son raisonnement propre, différent de celui de la raison, le verset exhortant alors les hommes à utiliser le raisonnement de leur cœur comme ils utilisent d'habitude celui de leur raison ? Ou bien est-ce que seule la raison raisonne, le verset exhortant alors les hommes à raisonner par leur raison mais avec l'accompagnement de leur cœur ? Le Coran évite ce genre d'explications abstraites pour aller à l'essentiel et aborder le côté concret des choses. Et cet essentiel est de rappeler aux hommes que leur faculté d'appréhender les réalités du monde ne doit pas être l'œuvre d'une raison pure et froide, mais d'une intelligence du cœur… d'un "cœur par lequel ils raisonnent". Cette formulation fait apparaître une dimension originale au raisonnement humain : il est demandé à l'homme d'avoir une intelligence active mais qui ne se limite pas à un côté des choses ; d'avoir une intelligence où la pensée et le sentiment se trouvent en interactivité ; d'avoir une intelligence où la réalité matérielle comme la réalité spirituelle sont prises en compte... Il est demandé à l'homme de développer en soi un mode de raisonner où la mécanique de la raison se trouve accompagnée par la chaleur des sentiments et de la spiritualité.
-
Un écrit de Ibn Taymiyya sur le sujet :
Après avoir proposé mon humble réflexion sus-citée concernant le fait que l'âme est liée aussi bien au cerveau qu'au cœur, j'ai découvert que Ibn Taymiyya avait en fait écrit la même chose :"والتحقيق أن الروح التي هي النفس، لها تعلق بهذا وهذا؛ وما يتصف من العقل به، يتعلق بهذا وهذا. لكن مبدأ الفكر والنظر في الدماغ، ومبدأ الإرادة في القلب" (Majmû' ul-fatâwâ, tome 9 p. 304). Je suis heureux d'avoir découvert cet écrit confirmant mon humble réflexion. Wa-l-hamdu lillâh 'alâ dhâlik.Concernant le fait que l'intelligence humaine est liée au cerveau comme au cœur, je n'ai pas trouvé un texte approuvant ce que j'ai proposé, à savoir que la particule bâ' exprimerait peut-être l'accompagnement et que seul le cerveau raisonne, mais l'islam lui demande de le faire avec l'accompagnement du cœur ; l'écrit de Ibn Taymiyya sur le sujet ne confirme pas ce que j'ai proposé, néanmoins le résultat concret est assez proche : lui écrit que le raisonnement est lié à la fois au cerveau et au cœur : "وما يتصف من العقل به يتعلق بهذا وهذا" (Majmû' ul-fatâwâ, tome 9 pp. 303-304).-
4) L'oreille par laquelle l'homme écoute le message venant du dessus du ciel étoilé:
L'intelligence du cœur, c'est la Lumière que l'homme possède en son intérieur, c'est sa source d'orientation spirituelle et éthique. Mais pour protéger, développer et orienter cette Lumière première, il est une autre Lumière : celle qu'offrent à l'homme les textes de la révélation. Pourquoi le besoin d'une seconde lumière en plus de la première, cliquez ici pour le découvrir à travers un autre article. Ces deux lumières orientent l'homme pour son lien spirituel avec Dieu, et pour son éthique liée aux différents aspects de sa vie.
Le verset que nous avons cité ci-dessus évoque, à côté de la Lumière que l'homme reçoit de son cœur qui raisonne, la Lumière que l'homme reçoit en écoutant le message : "N'ont-ils pas parcouru la terre afin d'avoir un cœur par lequel ils raisonnent ou des oreilles par lesquelles ils écoutent ?" (Coran 22/46).
Ibn Taymiyya et Ibn ul-Qayyim ont employé ces deux termes : "al-'aql" – raisonner par son cœur – et "as-sam'" – écouter et comprendre le message de la révélation – pour décrire respectivement les aspects des croyances et de l'éthique que l'homme possède de façon quasi-naturelle, et la révélation qui vient protéger, orienter et développer cette perception globale. Ainsi emploient-ils de nombreuses fois la formule "ad-dalâ'ïl ul-'aqliyya, wa-d-dalâ'ïl us-sam'iyya" : "les preuves provenant de la raison, et les preuves provenant de ce qu'on entend", c'est-à-dire de la révélation.
Ainsi, écrit Ibn ul-Qayyim, le fait qu'il doit se produire un jour où les hommes seront justement rétribués pour leurs actes relève, en son essence, de ce que l'intelligence du cœur ressent intuitivement ("al-'aql") ; la façon exacte selon laquelle cette rétribution se déroulera ne peut cependant être comprise qu'en se référant aux textes de la révélation ("as-sam'") (cf. Hâdi-l-arwâh, pp. 499 et 502). Selon ce commentaire, "al-qalb alladhî yu'qal bih" désigne donc bien la Lumière intérieure de l'homme, et "as-sam'" désigne bien la Lumière de la révélation.
"Il y a là un rappel pour celui qui a un cœur ou qui a prêté l'oreille tout en étant présent" (Coran 50/37). Ce verset-ci parle quant à lui du cœur (et pas de la raison), mais il s'agit du cœur qui raisonne – car le terme "qalb" ici employé a été commenté par : "'aql" (cf. Tafsîr Ibn Kathîr) –, donc de l'intelligence du cœur, conformément au verset 22/46."Et ils diront : "Si nous avions écouté ou si nous avions raisonné, nous ne serions pas parmi les gens de la fournaise"" (Coran 67/10). Ce verset parle quant à lui du fait de raisonner, mais il s'agit non pas du raisonnement de la raison pure et froide mais de l'intelligence du cœur, conformément au verset 22/46 et aux verset 50/37 que nous venons de citer. Ici encore, écouter concerne le fait d'écouter ce que Dieu a révélé (cf. Tafsîr Ibn Kathîr, commentaire de ce verset).-
5) Les propos de deux philosophes occidentaux et quelque chose de voisin et différent en islam :

Blaise Pascal disait : "Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point".
Chaque musulman(e) peut dire : "Le cœur a ses raisons, qui sont différentes de celles de la raison. La raison ne pouvait produire d'elle-même ces raisons du cœur. En revanche, elle peut et doit les connaître, les reconnaître et les prendre en considération."-
Emmanuel Kant
disait : "Deux choses ne cessent de remplir mon cœur d'admiration et de respect plus ma pensée s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale en moi".
Chaque musulman(e) peut quant à lui(elle) dire : "Deux lumières ne cessent de remplir mon cœur d'admiration et de respect plus ma pensée s'y attache et s'y applique : la lumière qui est en moi, qui est celle de mon cœur avec l'accompagnement duquel je raisonne ; et la lumière qui vient d'au-dessus du ciel étoilé au-dessus de ma tête, qui est la lumière de la révélation divine. Dieu dit : "Lumière sur lumière" (Coran 24/35)."

Wallâhu A'lam
(Dieu sait mieux).