Jugé en Arizona pour le double meurtre d’un couple de retraités, meurtre perpétré après une évasion de prison où il purgeait une lourde peine pour des faits similaires, John McCluskey ne semblait guère pouvoir espérer échapper à la peine de mort. Pourtant, ses avocats sont parvenus à semer le doute dans l’esprit des jurés. En s’appuyant sur plusieurs images du cerveau de McCluskey, ils ont effet suggéré qu’ils souffraient de multiples anomalies expliquant son impulsivité, un « diagnostic » devant concourir à lui accorder des circonstances atténuantes. Le raisonnement n’a pas laissé de marbre la justice de l’Arizona et face à l’incapacité du jury d’obtenir une décision unanime, le recours à la peine capitale a été écarté.


Neurosciences : un outil juridique comme un autre


A l’instar du cas McCluskey, le recours à la neuro-imagerie devant les tribunaux connaît une ampleur croissante aux Etats-Unis. Pierre Barthélémy qui rapporte l’histoire de John Mc Clustey dans une récente note postée sur son blog Passeur de Sciences (que l’on ne présente plus ici) signale ainsi que « selon des travaux de la chercheuse américaine Nita Farahany, spécialisée dans la complexe confrontation entre biologie et tribunal, le nombre de décisions judiciaires présentant des arguments neuroscientifiques a plus que triplé entre 2005 et 2011 ». Cette « irruption de la neuro-imagerie » n’aurait guère rencontré d’obstacles et suscite à peine l’étonnement de la part des jurés.


A la recherche du détecteur de mensonge moderne


Si les interrogations soulevées par ce rôle accordé aux neurosciences ne sont pas neuves, elles sont très loin d’avoir été toutes résolues. Ces dernières mettent pourtant en cause l’efficacité et l’équité de la justice. Plusieurs sont évoquées par le journaliste : « La justice recherche une version moderne et plus fiable du très décrié détecteur de mensonges, dont la justification scientifique n’existe pas. Mais on peut aussi se demander si l’interprétation d’une IRM fonctionnelle ou d’un EEG possède aujourd’hui une valeur scientifique supérieure. La question fondamentale autour de ces sujets est : les neurosciences sont-elles suffisamment mûres pour que leurs produits aient valeur de preuve devant un tribunal, avec, par exemple, la même certitude qu’une analyse ADN ? » interroge ainsi Pierre Barthélémy.


La justice en danger ?


La persistance de ce type d’incertitude quant à la force de la preuve apportée par l’IRM n’empêche pas le développement de l’utilisation des neurosciences par la justice. Qu’en est-il en France ? Le flou prévaut : « La loi française prévoit que des techniques d’imagerie cérébrale peuvent être utilisées à des fins d’expertise judiciaire, sans dire lesquelles ni dans quel but » nous rappelle en effet Pierre Barthélémy. A cette imprécision de la loi s’oppose la franche réticence de nombreux responsables et spécialistes de l’éthique. On se souvient ainsi qu’en mars 2012, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avait estimé dans un rapport urgent de « préciser, voire supprimer » la possibilité d’utiliser l’imagerie cérébrale en justice. De même, quelque temps plus tard les sages du Comité consultatif national d’éthique considérait qu’un recours à l’IRM fonctionnelle dans le cadre judicaire mettrait profondément à mal « les principes cardinaux de la justice : les interrogatoires croisés, l’établissement de la vérité à partir d’arguments contradictoires, les droits des prévenus de se taire, de ne pas répondre ». A contrario, la même année, le chercheur Serge Stoléru (INSERM) considérait dans une tribune publiée dans le Monde que « malgré les dérives possibles, les avancées en neurosciences recèlent un potentiel de progrès en matière de justice et d’éthique ».


Le cerveau pas encore décrypté !


Au-delà de ces prises de position souvent plus idéologiques que scientifiques et pour reprendre le sens premier de la question posée par Pierre Barthélémy, il nous appartient de déterminer quel niveau de connaissance la neuro-imagerie peut aujourd’hui nous apporter sur le fonctionnement du cerveau d’un prévenu ? Sur ce point, les experts semblent moins divisés. Ils mettent ainsi tous en garde contre le risque de voir l’IRM comme un outil permettant de décrypter le cerveau. « Les mesures physiologiques relevées par l’IRMf sont incertaines pour évaluer la pensée d’un individu » soulignait ainsi le Comité consultatif national d’éthique. De son côté Serge Stoléru constatait « On a décrit un « brain overclaim syndrome », dérive consistant à prétendre de façon infondée que le cerveau est impliqué dans la causalité d'un acte criminel. La neuro-imagerie fonctionnelle a été particulièrement mise en cause, car les images du cerveau peuvent, par leur aspect spectaculaire et "objectif", impressionner exagérément jurés et juges. C'est pourquoi les spécialistes doivent toujours rappeler de façon très précise ce que signifient ces images ».


Qu’est-ce que la pensée ?


Le débat est on le voit loin d’être clos, ne serait ce parce que les progrès des neurosciences sont constants. Le sujet est d'autant plus passionnant qu'au delà du fonctionnement de la justice il touche à des questions aussi fondamentales que la notion de libre arbitre ou la définition de la pensée ! Aussi, beaucoup d’entre vous souhaiteront sans doute aller plus loin et pourront pour se faire lire la note de Pierre Barthélémy et les nombreux articles vers lequel il renvoie.