France 4 devrait disparaître à l’été 2020. Toutes les chaînes rêvent déjà de reprendre son canal 14. En coulisses, les tractations ont commencé et le nouveau président du CSA est déjà assiégé.

« Je ne vous parle que si vous me jurez que mon nom n’apparaît pas dans votre article ! » C’est à ce genre de phrase que l’on mesure l’aspect explosif d’un dossier. Celui-ci est tellement inflammable que Roch-Olivier Maistre, fraîchement nommé président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, n’a pas hâte de s’y frotter. « Ce n’est pas notre mission la plus facile… », a-t-il lancé, sourire crispé, le 29 janvier, lors de sa première audition devant les députés.
Cet ancien chiraquien est attendu au tournant sur ce qui devrait être sa première grande décision. Et la plus symbolique. Comment va-t-il gérer l’après septembre 2020 ? Quand France 4 et France Ô vont s’éteindre et laisser vacants le canal 14 et le numéro 19…

« On a jamais connu un trou dans la numérotation. La situation est totalement inédite… », reconnait-on dans les couloirs du CSA, à qui revient le privilège d’attribuer aux chaînes leurs numéros. Au lancement de la TNT en 2005, comme en 2012 pour départager les nouvelles venues dont L’Équipe, 6ter ou RMC Découverte, c’était facile : les Sages avaient organisé des tirages au sort. Mais que faire en cas de trou ? « La loi laisse le champ libre au CSA. A la condition d’agir dans l’intérêt du téléspectateur mais avec une égalité de traitement entre les chaînes », rappelle un connaisseur, pas vraiment avancé par tant de flou, et d’interprétations possibles.

LCI rêve de passer du 26 au 16

France Télévisions a une idée derrière la tête : profiter du canal 14 pour avancer franceinfo, qui végète actuellement en 27e et dernière position. « La numérotation est capitale pour l’audience. Les téléspectateurs zappent en appuyant sur le bouton « + » de leur télécommande et s’arrêtent quand ça leur plaît. Plus on est loin, moins on a de monde », explique un autre connaisseur.

Pas question pour France Télé de passer en force. Dans cette course, le service public a trouvé une alliée de poids : TF1 qui rêve aussi d’avancer LCI, actuellement diffusée sur le canal 26. Les deux géants de la télé ont des intérêts convergents. Et ont associé leur lobbying.

France Télévisions milite pour la création d’un « bloc de chaînes infos », c’est-à-dire que BFMTV s’installe sur le 14, CNEWS sur le 15 et juste après sur le 16 et le 17, LCI et franceinfo. Un rassemblement essentiel, selon le groupe public, à l’heure de la lutte contre les fake news. « Si le CSA veut les regrouper, on ne dira pas non, évidemment. Si franceinfo bouge, nous demandons la même chose. Ni plus ni moins », a prévenu Thierry Thuillier, le patron de LCI, dans le « JDD ».

« Il faudra nous déloger par la force »

Sur leur route, ils croiseront 12 chaînes en colère. « Nous refusons que CStar perde son canal 17. Il faudra nous déloger par la force », menace un des dirigeants du groupe Canal +. Quant à BFMTV ? Alain Weill, son créateur, appelle tout le monde « à garder son sang-froid ». Et fait une contre-proposition. « Il serait logique que toutes les chaînes avancent d’un numéro sinon tout le monde se demandera pourquoi celle-là et pas une autre. Ou alors faire un tirage au sort pour choisir celle qui reprend le 14. Les numéros n’ont pas été donnés par hasard mais ils sont le fruit de l’histoire de la télévision. Les chaînes les plus anciennes ont les plus petits numéros », ajoute le big boss de SFR. Un autre dirigeant s’insurge : « Pourquoi un bloc infos et pas un bloc jeunesse ou musique ? On peut aussi mettre toutes les chaînes infos à la fin pour protéger les enfants qui zappent sur la violence de l’actualité ».

Ecartelé, le CSA s’attend à un fort lobbying entre deux belligérants absolument inconciliables. Et à une bataille juridique devant le Conseil d’Etat que ne manqueront pas de saisir les éconduits. « Si on veut qu’une décision définitive soit prise à l’été 2020, il faut lancer la procédure rapidement », observe un connaisseur. Ou appeler à la rescousse le gouvernement, qui prépare de son côté une loi sur l’audiovisuel pour le début d’année 2020.

« Certains députés rêvent de s’emparer du sujet », s’amuse un proche. Et le dossier pourrait alors devenir politique. Surtout que la majorité présidentielle est très agacée par la couverture des Gilets Jaunes par BFMTV. « Le Gouvernement estime que BFMTV a fait du sensationnalisme. Non pas pour avoir diffusé les manifestations en temps réel, mais pour le ton de leur plateau, globalement anti-Macron. La demande de TF1 et France Télé est donc à prendre très au sérieux », assure un proche de l’Elysée.

« Je fais confiance au CSA pour que derrière cette histoire ne se cache pas la volonté d’affaiblir BFM », répond Alain Weill, qui rappelle que « malgré ses vives critiques envers CNN, Donald Trump n’a pas osé remettre en cause leur émetteur ».

LCP assurée de rester sur le canal 13

C8, W9, TMC et NRJ 12, comme toutes les premières chaînes de la TNT, ne se sentent pas concernées par ses changements de numéros. Même chose pour les chaînes parlementaires, LCP Assemblée nationale et Public Sénat, qui se partagent le canal 13 ?

Un temps évoqué, leur basculement en fin de peloton ne serait plus une option à en croire Bertrand Delais, le PDG de LCP. « Nous avons reçu des garanties fortes sur le fait que nous étions considérés comme une chaîne d’information », nous a assuré fin janvier l’ancien réalisateur de documentaire élu en mars dernier à la tête de la chaîne des députés, qui sera « sanctuarisée sur le canal 13 ».

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