M6 souffle sa trentième bougie et s'apprête à affronter de nouveaux défis.
M6 et sa famille de chaînes de télé doivent résister à l'émergence des nouvelles formes de consommation des médias.
Le groupe doit réussir aussi l'intégration de RTL et le passage de relais après le départ de Nicolas de Tavernost.
D'une certaine manière, tout va bien pour M6. La chaîne détenue par RTL Group, lui-même dans le giron de l'allemand Bertelsmann, fête en effet ses trente ans mercredi en voyant son modèle validé, notamment par rapport à celui de son grand concurrent TF1. « M6 a toujours donné la priorité à la rentabilité tandis que TF1 jouait la maximisation de son audience pour accroître son "power ratio" [la chaîne qui a le plus d'audience accapare d'une façon disproportionnée la plus grosse partie du gâteau publicitaire, NDLR], explique Philippe Bailly, de NPA Conseil. Or cette stratégie de TF1 s'est heurtée, ces dernières années, au ralentissement du marché publicitaire. »
Les résultats sont là. Même si la chaîne M6 reste encore bien moins puissante que sa rivale TF1, la marge du groupe M6 est bien plus élevée que celle de la filiale de Bouygues, qui a annoncé le 16 février que son objectif était désormais de remonter cet indicateur. Sa capitalisation boursière est passée au-dessus de celle de TF1. Et, cerise sur le gâteau, la famille de chaînes gratuites du groupe M6 a réalisé en 2016 une part d'audience moyenne de 22,2 %, un record historique, sur la « cible commerciale », celle des responsables des achats de moins de 50 ans.
Cela n'empêche pas la direction d'avoir devant elle plusieurs défis compliqués à relever.
Valoriser l'audience hors petit écran
« On nous annonçait déjà la mort de la télévision il y a dix ans », disent ceux qui restent sereins face aux nouvelles façons de consommer les images. Et il est vrai que le numérique n'a pas tenu ses promesses face à la puissance de la télévision ces dernières années, en matière de revenus publicitaires. Sauf pour Google et Facebook... Mais, justement, leur domination croissante, comme celle des autres Gafa et des réseaux sociaux pointent vers des tendances inquiétantes pour le modèle de la télévision gratuite. D'abord, les téléspectateurs, notamment les jeunes, sont de plus en plus sollicités par d'autres types de divertissements. Ensuite, ils veulent de plus en plus consommer la télévision en délinéarisé. Enfin, les réseaux sociaux assurent qu'ils offriront bientôt aux annonceurs ce que leur procure la télévision en matière de campagnes haut de gamme.
Cela signifie que la priorité de M6, comme de toutes les chaînes gratuites, va être d'accroître les revenus publicitaires sur les plates-formes de rattrapage, notamment mobiles. « Aujourd'hui, quand un programme réalise un tiers de ses audiences en délinéarisé, il est loin d'engranger ainsi la même proportion de ses revenus, dit un bon connaisseur du secteur. Il n'y a pas encore les bons outils de mesure d'audience ou de valorisation publicitaire. » Bien valoriser les « nouvelles audiences » dans un monde de plus en plus concurrentiel, voilà le plus gros défi.
Réinventer la pub TV
Les chaînes gratuites doivent aussi absolument réussir à imposer de la publicité ciblée sur le petit écran, comme le font les acteurs du Web. Une manière, peut-être, de vendre moins d'écrans mais de mieux les valoriser. « Les téléspectateurs ont de moins en moins la patience de voir leur expérience interrompue par tant de publicités, car il existe des services payants pas trop chers, comme Netflix, qui sont sans publicité et qui se mettent sur le même créneau que les chaînes gratuites », explique Matt Heiman, de l'éditeur londonien de chaînes en ligne Diagonal View. Ce passage est d'autant plus important pour un groupe comme M6 qu'il ne mise pas sur l'augmentation de ses revenus dans la production, à l'instar d'un ITV. « Ils ont toujours été relativement sceptiques sur la possibilité d'assouplissements majeurs de la réglementation limitant la proportion d'autoproduction des diffuseurs », dit Conor O'Shea, analyste chez Kepler Cheuvreux.
Intégrer RTL pour créer un vrai groupe
Un autre grand défi des années à venir sera l'intégration du groupe de radio français RTL. Les anomalies comptables constatées dans cette entreprise ne devraient pas changer le calendrier de l'opération, estime la direction de M6. En tout cas, les analystes financiers ont plutôt apprécié l'opération. « Le prix de 219 millions d'euros, même s'il pourrait légèrement changer, est très raisonnable, explique Conor O'Shea. Et la transaction permet d'optimiser le bilan du groupe. » L'opération a deux intérêts principaux. Ensemble, les deux groupes auront une plus grande puissance publicitaire. Et ils sont persuadés que les contenus et les talents de chacun des deux médias ont intérêt à se nourrir les uns des autres.
Organiser la succession de Nicolas de Tavernost
Le patron emblématique de M6 restera à son poste jusqu'en 2020, soit deux ans de plus que prévu, a annoncé le groupe mi-février. Une décision bien perçue par les marchés. Il n'empêche qu'il faudra lui trouver un jour un remplaçant. Et qu'il faut viser juste. « Il n'est pas toujours facile pour une entreprise ayant un business qui tourne de s'adapter à la concurrence de demain, explique un observateur. Les chaînes voient-elles ce qui les attend dans dix ans ? Pas sûr. »