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05 Novembre 2015

Un nouveau rôle pour les pharmaciens

L’avant-projet de loi sanitaire octroie de nouvelles prérogatives au pharmacien d’officine.
Des spécialistes expliquent ces nouvelles obligations inscrites désormais sur l’ordonnance du pharmacien.

Salima Akkouche - Alger (Le Soir) - Le pharmacien retrouve sa mission initiale de professionnel de santé dans l’avant-projet de loi sanitaire. Il ne sera plus le «commerçant» qui dispense des médicaments, mais ses obligations se sont élargies. La prescription médicale, les analyses médicales et l’éducation thérapeutique, comment le pharmacien va t-il intervenir dans ces nouvelles obligations ?

La prescription médicale

Le président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (Cnop) explique que le rôle du pharmacien concernant la prescription, interviendra dans la prescription non obligatoire,
soit dans les médicaments non remboursables.

«Le pharmacien, premier maillon de la chaîne de soins, interviendra dans les petites prescriptions pour les pathologies bénignes, les petites douleurs, il donnera un produit, un conseil pour le bon usage du médicament, renouveler un traitement avec l’accord du médecin, ou orienter vers le médecin», dit-il. Selon lui, la prescription se faisait auparavant pour ce genre de petits bobos mais elle deviendra plus protocolaire,
avec des normes plus élevées et le rôle du pharmacien sera plus renforcé
après avoir acquis des informations approfondies.

Selon Lotfi Benbahmed, la nouvelle loi sanitaire va mettre seulement de l’ordre dans tout ça mais en réalité ce n’est pas nouveau. «Il s’agit de faire de la médication officinale au lieu de l’automédication car il ne suffit pas de consommer des médicaments pour guérir», dit le président du Cnop. Le pharmacien, explique-t-il, ne va pas se substituer au médecin, mais au contraire il s’agit de renforcer le rôle de ce dernier et de valoriser ce qu’il donne comme médicament, en expliquant mieux les médicaments prescrits sur ordonnance et ceux sans ordonnance. «Nous allons donner un statut à ces médicaments car contrairement aux autres pays qui autorisent la publicité sur les médicaments à prescription non obligatoire, à l’exemple du sirop contre la toux, le médicament contre la fièvre, les gouttes utilisées pour le nettoyage des yeux…, en Algérie il n’y a aucune information sur ces médicaments et les citoyens consomment sans savoir ce qu’ils consomment exactement, en prenant le risque de consommer des médicaments très lourds à des effets secondaires désastreux», explique Benbahmed. Cependant, pour ce faire et mieux encadrer ses nouvelles obligations, poursuit-il, la formation initiale du pharmacien sera renforcée ainsi que la formation continue des pharmaciens déjà en exercice dans les soins cliniques pour pouvoir leur permettre de jouer ce genre de prescriptions
et soulager le malade avant d’aller vers le médecin.

«Nous allons faire éviter les situations où le malade se soigne par lui-même et prend n’importe quoi», note l’intervenant. Selon lui, le citoyen accède facilement au pharmacien et n’a pas besoin de prendre rendez-vous. La caisse de la Sécurité sociale, poursuit-il, aura aussi tout à gagner puisqu’elle n’aura plus à rembourser ce genre de visites médicales, note l’intervenant.

Les analyses médicales

Le président du Cnop rappelle que les analyses médicales seront toujours réalisées par les laboratoires d’analyses. Cependant, dit-il, il y a certaines analyses que le pharmacien qualifié est autorisé à faire, ce qui existe déjà dans l’ancienne loi de 1985. Le pharmacien peut effectuer certaines analyses qui ne sont pas très techniques et qui n’ont pas besoin d’un appareillage que le pharmacien ne peut pas avoir, à condition de disposer d’un espace lui permettant d’assurer cette tâche.

Education thérapeutique

«80% des malades diabétiques sont déséquilibrés et ont besoin d’aide du pharmacien»,
estime Lotfi Benbahmed.

Le pharmacien s’impliquera dans l’éducation thérapeutique du malade pour assurer la durabilité et l’accompagnement du patient à travers notamment des conseils diététiques et la prise du traitement. Le médecin consacre environ 20 à 30 minutes par malade chaque trimestre et le reste du temps le patient est livré à lui-même. Or, l’accès chez le pharmacien est sans rendez-vous, rappelle Lotfi Benbahmed. Les spécialistes expliquent que le pharmacien joue un rôle clé, au côté du médecin, pour donner progressivement à la prescription médicale une allure de «projet». Cette notion de projet thérapeutique est centrale dans la construction d’une adhésion du malade à son traitement.
Dans ce sens, explique-t-on, le pharmacien, se plaçant du côté du traitement (le médecin étant du côté de la maladie), peut apporter un éclairage différent et particulièrement dynamisant. «Qui mieux que lui peut offrir une oreille attentive aux besoins, aux questions et aux doutes du patient désireux de négocier tout ou une partie de son traitement ? Qui mieux que lui peut tenter d’adapter la forme du traitement ou valider une requête pour qu’elle aboutisse au médecin, par la bouche même du patient ? Qui mieux que lui peut comprendre les difficultés liées à l’environnement
et à l’intégration de nouvelles habitudes de vie ?», s’interrogent les spécialistes.

Pour toutes ces raisons, souligne un éducateur, le pharmacien est vraisemblablement un interlocuteur privilégié de la personne affectée d’une maladie chronique, pour autant qu’il ne se substitue pas au médecin ; il devient une sorte de médiateur, aidant le patient à reformuler ses impressions pour analyser systématiquement son expérience thérapeutique et l’aider à transmettre son vécu au médecin, notamment en cas de difficultés majeures ou ponctuelles.
Selon lui, il ne suffit plus seulement de donner des conseils médicaux et pharmaceutiques, de relire scrupuleusement une ordonnance et un mode d’emploi, mais bien d’analyser et d’organiser avec le patient un quotidien intégrant naturellement la prise de médicaments. Il explique que la gestion d’un traitement chronique relève d’un certain nombre d’habiletés, tant techniques (gestes, manipulations…) que cognitives (rapports, règle de trois, gestion du temps, mémorisation, analyse et adaptation…) et psychoaffectives (communication, sollicitation d’aide, expression et explication, négociation, refus…). Il s’agit, dit-il, d’aider le patient à développer de réelles compétences afin de lui permettre de vivre au quotidien, sachant qu’il devra en permanence s’adapter, changer et qu’une prescription ne peut en aucun cas tenir compte des aléas rencontrés.

L’éducation rémunérée par la Cnas ?

Pour dispenser une éducation au profit du patient, le pharmacien sera rémunéré. Qui assumera cette charge financière ? Selon le président du Cnop, c’est le rôle de la Sécurité sociale. «Comme cela se fait partout dans le monde, c’est la Sécurité sociale qui assure la rémunération des pharmaciens
pour assurer l’éducation thérapeutique», dit-il.

D’ailleurs, selon lui, ça permettra au pharmacien d’avoir des revenus supplémentaires
lui permettant de recruter un assistant. En France par exemple,
la Sécurité sociale dépense 40 euros par an pour chaque malade.

Cependant, selon une source au niveau de la Cnas, «le système est déjà à genoux et ne peut pas supporter d’autres dépenses». Ce que supporte actuellement la Cnas, nous dit-on, c’est l’intéressement, soit la substitution du médicament princeps au générique qui se chiffre déjà «à des milliards».
S. A.