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Discussion: Noureddine Boukrouh

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    NOUREDDINE BOUKROUH
    DIMANCHE 27 DÉCEMBRE 2015


    LA PAIX DES CIMETIERES

    Le Soir d’Algérie du dimanche 27/12/2015
    Depuis que je possède une page facebook, je n’ai pas connu d’expérience semblable à celle que j’ai vécue dans la nuit de jeudi à vendredi derniers après avoir posté sur mon mur un mot de quelques lignes où j’avais écrit : « Aït Ahmed aura été original même dans sa mort. Opposant intraitable au "système" de son vivant, il est parti en lui infligeant un dernier camouflet: être l'unique "historique" à refuser d'être enterré au cimetière officiel d'al-Alia pour s'en démarquer jusqu'à la fin des temps. Cohérent avec lui-même, seigneurial et humble à la fois, il a préféré à cet "honneur" douteux car souillé par le crime (assassinat de Abane, krim, khider, etc) et l'imposture (faux moudjahidin qui y reposent), le voisinage pur des gens du peuple de Aïn al-Hammam. Dors en paix brave homme! »
    Tout de suite les chiffres liés à la fréquentation de ma page se sont envolés et les compteurs affolés : les « j’aime », « partager » et « commenter » se sont multipliés à une vitesse jamais enregistrée. Ebranlé par ce débordement d’émotions témoignant de l’aura populaire dont bénéficie « Da Lho », Allah irahmou, je me suis mis à lire les commentaires et à répondre à quelques uns d’entre eux. C’est alors que je ressentis le besoin d’ajouter quelque chose à mon mot pour l’éclairer, ce qui donna ceci : (Début de citation): « J'ai écrit il y a un moment à l'intention des amis de la page un petit texte que m'a spontanément inspiré le dernier grand acte politique de Mr Hocine Aït Ahmed dont il est difficile de parler au passé si peu de temps après qu'il eut quitté les petites histoires algéro-algériennes pour rejoindre la grande Histoire où règne le silence définitif et où les polémiques ne servent plus de rien. Je n'ai pas vu dans son souhait d'être mis en terre au milieu des humbles de sa terre natale une concession aux traditions maraboutiques, comme l'a pensé ici quelqu'un dans un post, ni un geste de dédain envers les martyrs qui gisent à Dar al-Alia, comme voudront bientôt le lui reprocher d'aucuns à lui ou à ses proches. J'y ai vu personnellement et sans engager quiconque un choix cornélien tranché depuis longtemps en son âme et conscience, dans la douleur et le déchirement, entre le compagnonnage des martyrs tombés sous les balles ennemies pour la grande cause qui les a unis de leur vivant ou ignoblement assassinés par leurs frères d'armes, et la compagnie de ceux qui ont ordonné leur assassinat pour de misérables considérations de pouvoir qui ne leur ont été d'aucune utilité en fin de compte. Oui, la vie est malheureusement faite pour la guerre et, selon le mot d'Homère, "la guerre est l'affaire des hommes" mais, nous rassure la Bible,
    "il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix".

    Kant est l'auteur de l'expression "la paix des cimetières" par laquelle il visait la paix perpétuelle, la paix éternelle. Qu'elle règne donc aussi bien à Aïn al-Hammam qu'à al-Alia ou n'importe quel autre cimetière de notre vaste terre d'Algérie sans égard pour son statut officiel ou officieux. La paix de Dieu les recouvre tous car ils sont les antichambres du tribunal divin et de la demeure éternelle où nous finirons tous soit au chaud, soit dans la fraîcheur. Voici les beaux passages que nous propose "l'Ecclésiaste" (la Bible du semeur, équivalent en islam du livre de Solayman) : "Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil. II y a un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour arracher le plant, un temps pour tuer et un temps pour soigner les blessures, un temps pour démolir et un temps pour construire. Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser, un temps pour jeter des pierres et un temps pour en ramasser, un temps pour embrasser et un temps pour s'en abstenir. Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour conserver et un temps pour jeter, un temps pour déchirer et un temps pour recoudre, un temps pour garder le silence et un temps pour parler, un temps pour aimer
    et un temps pour haïr, un temps pour la guerre et un temps pour la paix » (fin de citation).

    S’ensuivit une autre vague de réactions saluant la mémoire du défunt et ses dernières volontés et engendrant en moi un nouveau besoin de clarification. Dans la foulée, quelques unes ont complété mon information sur les grandes figures de la Révolution non enterrées au cimetière d’al-Alia : Khider, Mohand Oulhaj, Benkhedda, Mehri et certainement d’autres. Etait-il dans mes vues de déclencher une guerre des cimetières en opposant l’un aux autres ? De cliver les héros de la Révolution en vrais et faux martyrs, en victimes et en bourreaux ? De prendre prétexte des problèmes actuels pour raviver les conflits du passé et cristalliser de nouvelles haines?
    Un ami de la page a résumé mon intention dans un commentaire que je lui emprunte : « Je m’étonne que de son vivant on ne lui a jamais consacré une heure de mérite, et que mort on lui consacre huit jours de deuil ». Oui, le “système” a sa conception de la reconnaissance du mérite et des hommages, une conception à base de ruses réelles et de bigoterie feinte car il ne croit en rien qui transcende ses mesquineries et ses intérêts. Il lamine les hommes de valeur de leur vivant et ne s’incline devant eux dans un moment de faux recueillement que lorsqu’il les sait définitivement morts. Tout le monde connaît le proverbe relatif à la datte salutaire dont on prive quelqu’un de son vivant et qu’on lui sert à profusion lorsqu’il n’est plus, il fait partie de nos « valeurs et constantes nationales ». Il ne sert à rien de frapper un mort, le critiquer ou lui monter un « dossier », il suffit qu’il se taise et s’en aille à jamais. Tout ce qu’on fait semblant de faire alors pour honorer sa mémoire ne l’est que pour célébrer son départ ; c’est un « Ouf ! » discret caché derrière le deuil décrété, un « Bon débarras ! » de soulagement dissimulé derrière les haies d’honneur et la levée des couleurs.
    Qui est encore dupe de cette incessante comédie qui dure depuis 1962 ?

    Nos dirigeants nous y ont habitués depuis l’indépendance : de leur vivant, ils se haïssent ; à la mort de l’un ou de l’autre, ils font semblant d’être contrits, inconsolables, se dépensant en éloges intarissables sur leurs ennemis ou victimes d’hier rentrés le plus souvent d’exil dans un cercueil. Les jeunes générations regardent tout cela en se demandant pourquoi ceux qui leur sont présentés comme étant des “historiques”, des “pères fondateurs”, des “héros”, ce qu’il y a de meilleur dans le pays, ne sont pas ceux qu’ils ont connus à la tête des institutions du pays. A leur place, ce sont des personnages sans passé, sans aura, sans niveau intellectuel, sans compétence, sans morale, sans rien d’autre que la force et l’ignorance, qui ont la plupart du temps trôné aux hautes fonctions de l’Etat, utilisant le pouvoir usurpé et la fraude à faire essentiellement du mal car ils ne savent ni n’aiment faire le bien.
    Le mal n’est pas le contraire du bien, c’est l’incapacité de faire le bien.

    Que peut être le sort d’un pays dirigé par sa lie au lieu de son élite? Exactement celui que nous subissons depuis l’indépendance sous le nom de « système » : une lente déchéance nationale, politique, économique, civique, morale, culturelle et historique masquée par l’argent du pétrole. La lie actuelle héritera de plus lie qu’elle. Le problème de l’Algérie avant même d’accéder à son indépendance était dans son pouvoir. Celui-ci n’a jamais été choisi, il a été imposé par ceux qui détenaient la force. Ni il a été légitime, ni il a été compétent. La force a tenu lieu de légitimité et la ruse a pris la place de la compétence.
    Comment rendre le pouvoir légitime et compétent ? Comment rétablir la confiance entre le peuple et l’Etat ? Que devons-nous faire pour y arriver faute de quoi nous avons énormément de chances de finir nos jours comme les Syriens, les Irakiens, les Yéménites, les Afghans ou les Somaliens ? Seul le peuple peut imposer la solution mais il n’en a ni conscience, ni la culture, ni la volonté ni les moyens. Il a eu un certain engouement pour l’activité politique et le militantisme entre 1989 et 1992 puis ce fut la débandade, la dérive dans la violence, la falsification du jeu politique, l’usage systématique de la fraude pour créer une scène politique fantasmagorique, artificielle, irréelle… Les cadres organisationnels qui s’offrent à lui aujourd’hui ne l’intéressent pas, il n’y croit pas. Il ne veut pas mourir pour les « autres », l’opposition, la constitution, la démocratie ou les libertés. Pour Dieu, la chariâ ou l’Etat islamique peut-être ;
    ils sont encore quelques millions à en rêver en secret.

    Les passagers du paquebot présumé insubmersible, le fameux « Titanic », évoluaient dans une parfaite ambiance de sérénité avant de se retrouver de nuit et en moins de trois heures dans les eaux glacées de l’atlantique où les deux-tiers d’entre eux laissèrent rapidement la vie. Supposons que le commandant de bord et l’équipage avaient été prévenus à l’avance du risque de collision qui allait entraîner le naufrage : auraient-ils continué leur trajectoire, ignorant le danger et cachant la vérité aux passagers, ou auraient-ils changé immédiatement de cap pour s’éloigner du danger et mis en branle les moyens de secours pour le cas où ?
    L’Algérie est dans le cas du « Titanic » à la différence qu’elle s’approche dangereusement de la zone de péril dans un tintamarre d’alertes et de sirènes que l’équipage préfère ignorer pour ne pas avoir à déranger le commandant de bord enfermé dans sa cabine. Le pays s’achemine obstinément vers l’impasse, une impasse économique et politique qui mettra à rude épreuve la cohésion de la nation, la sécurité de l’Etat, l’intégrité du territoire et l’avenir du pays.

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    Post La renaissance (nahda)

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    NOUREDDINE BOUKROUH
    Jeudi 07 JANVIER 2016


    Le Soir d’Algérie du jeudi 07/01/2016
    Pensée de Malek Bennabi
    La renaissance (nahda)


    Par Nour-Eddine Boukrouh
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    Le jeune homme bien instruit des choses qu’est devenu Bennabi entre les années 1920 et 1930 s’intéresse à l’action islahiste que développe à Constantine même Abdelhamid Ben Badis. C’est entre 1914 et 1922 que l’idée de nahda est arrivée en Algérie avec le retour de Tunis, du Caire ou du Hedjaz des étudiants comme Ben Badis, al-Okbi, Tébessi, al-Ibrahimi, al-Mili et d’autres, mais aussi avec l’apparition de la presse arabophone et l’entrée des livres de Abdou, al-Kawakibi, Tantawi Jawhari, etc. La lecture des journaux paraissant en français le met au contact d’une autre approche du réveil portée par la tendance moderniste formée à l’école française. Elle revendique des droits, demande l’assimilation des Algériens et le rattachement de l’Algérie à la France. Ce phénomène dual n’était pas spécifique à l’Algérie. La renaissance s’est présentée dans les pays arabes, en Afrique du Nord et dans le sous-continent indien sous ce double visage, celui du réformisme d’essence religieuse d’une part et du modernisme d’essence séculière, d’autre part, tendances restées à ce jour les principaux protagonistes du débat intellectuel et politique dans les pays musulmans.
    Dans les années 1930, Bennabi est le seul à poser dans le contexte algérien une franche distinction entre la nature politique et la nature civilisationnelle des problèmes, ce qui va être à l’origine d’un immense malentendu entre lui et le mouvement national dans sa triple composante (oulamas, assimilationnistes et nationalistes). Là où lui voyait une nécessité de réformer les idées et d’éduquer socialement les individus, les animateurs du mouvement national ne voyaient que des droits politiques à revendiquer. Pour lui le problème était de nature psychologique, mentale, culturelle, éducationnelle et requérait une approche qui devrait viser à transformer la mentalité de l’homme colonisé et «indigénisé» en mentalité d’homme de civilisation, tandis que pour eux le tout était de réclamer et d’obtenir des droits qui déboucheraient sur l’indépendance, laquelle réglerait automatiquement tous les problèmes.
    Pour lui, la renaissance ne peut résulter de prêches religieux ou de discours revendicateurs mais d’une mutation psychique, d’un bouleversement des mentalités, d’une révolution sociale qui doivent être l’objet prioritaire de toute action politique. Il la décrit comme «le passage solennel dans un processus de l’histoire de l’inertie anarchique des êtres et des choses à la phase de l’organisation, de la synthèse et de l’orientation… Il s’agit d’éliminer dans les usages, les habitudes, le cadre moral et social traditionnel ce qui est mort ou mortel afin de faire place à ce qui est vivant et vital» ; il prône un esprit nouveau, «une métanoïa pour rompre l’équilibre traditionnel, l’équilibre de la décadence d’une société qui cherche un équilibre nouveau, celui de la renaissance» (Les conditions de la renaissance, 1949). Mais les hommes politiques de son temps ne voient pas la profondeur du problème et pensent qu’ils peuvent le résoudre par l’imitation de l’Occident sur le plan technique, sur le plan des «choses». On lit dans la mouture 1960 du Problème des idées : «Initialement, notre renaissance n’a pas porté, comme celle du Japon, sur une révision fondamentale de nos idées intégrées pour les réadapter, d’une part, à nos archétypes héréditaires, et pour les adapter, d’autre part, aux archétypes de l’Occident. Il n’était pas dans nos dispositions mentales héritées de la décadence de le faire. En conséquence, notre renaissance n’a pas préludé par un débat sur les idées, mais sur les choses. Elle a commencé vaguement avec l’idée — répandue dans le monde musulman vers le milieu du XIXe siècle — que l’Europe nous dépassait avec les choses : la banque, l’usine, le laboratoire, l’école, les canons, les fusils…
    Nous n’avions pas compris qu’elle nous dépassait par ses conceptions, sa philosophie sociale, c’est-à-dire, en un mot, par la puissance du soubassement idéologique qui soutenait son monde des choses.»
    Même aujourd’hui, les musulmans n’ont pas encore compris cette nuance.

    Quand il entame l’exposé de sa vision de la renaissance dans Les conditions de la renaissance, Bennabi reprend les choses depuis le moment où le monde musulman est entré en décadence : «Le peuple algérien n’est pas en 1948 mais en 1368, c’est-à-dire au point de son cycle où toute son histoire est encore une simple virtualité. Le fait est d’ailleurs commun à tous les peuples de l’islam. Le problème est celui d’une civilisation à sa genèse, aggravé par les séquelles d’une décadence.» Il prend alors le verset coranique («Dieu ne change rien à l’état d’un peuple…») qui sert de fondement à la nahda et le soumet à un double questionnement : est-ce que le verset est historiquement vrai ? Est-ce qu’il est applicable au cas algérien ? Puis il répond : «L’efficacité bio-historique d’une religion est permanente et ne constitue pas une propriété exceptionnelle particulière à son avènement chronologique. Son avènement psychologique peut se renouveler et même se perpétuer si l’on ne s’écarte pas des conditions compatibles avec sa loi.» Mais comment s’y prendre ? Par où commencer ? Bennabi apparaît alors pour ce qu’il est : un planificateur de civilisation, un manager de ressources humaines à une méga-échelle. Tandis que ses prédécesseurs ou contemporains se limitaient pour la plupart à un langage théologique, littéraire, voire purement politique, lui va tenir un langage de «mécanicien» de l’histoire. Il va élaborer un système de pensée dédié à la mise en œuvre du hadith selon lequel «le dernier de cette nation ne sera réformé que par ce qui a réformé son premier» car son postulat de base est que c’est par l’islam que les musulmans peuvent se refaire.
    Le pays étant occupé, il n’est pas possible de compter sur les institutions coloniales pour qui l’Algérie est un champ d’investissement, le sol un gisement de ressources et l’«indigène» une main-d’œuvre presque gratuite. Bennabi prend alors la place d’un gouvernement et trace un programme d’action à long terme qui postule une politique de formation des ressources humaines (l’homme), une utilisation économique des richesses naturelles (le sol),
    et une organisation industrielle du travail (le temps).

    Le mouvement de renaissance apparu dans le monde musulman et connu sous le nom de «Nahda» ne remonte pas à la révolte des Cipayes qui a éclaté en Inde en 1858, mais, pour sa composante religieuse, à une époque plus éloignée. Au XIVe siècle déjà, Ibn Taïmiya avait appelé à une «réforme des gouvernants et des gouvernés» sous le nom d’«Islah». Entre 1309 et 1314, il compose le célèbre ouvrage qui est encore à ce jour une référence : Kitab as-siyassa chariya fi islah ar-raï wa raïya que Henri Laoust a cru devoir traduire en 1948 sous le titre de Traité de droit public d’Ibn Taïmiya.(1) Quatre siècles plus tard, Mohamed Ibn Abdelwahhab (1703-1792) ressuscite les idées d’Ibn Taïmiya
    dont il découvre la pensée en Syrie où il a fait ses études.

    Prédicateur en Arabie puis en Iraq et en Iran, il prêche le retour au «salaf» (devanciers) et l’abandon des «bida‘» (innovations) et s’oppose au maraboutisme, aux confréries et aux traditions fatalistes. Il trouve en la personne du chef d’une tribu de Dir’iyya, Mohamed Ibn Séoud, un protecteur et un disciple. Leur alliance conduit à la conquête de tout le Najd puis de la Mecque et de Médine. Après sa mort, la dynastie issue de Séoud (qui a épousé une fille du cheikh) adopte sa doctrine et en fait la base de son Etat. Mais ce premier royaume saoudite est détruit par Ibrahim Pacha (le fils de Méhémet Ali) en 1818 à la demande des Ottomans. A la même époque apparaît en Inde un courant réformateur de caractère moderniste mené par Shah Wali Allah (1703-1762) qui incite au rapprochement entre les valeurs islamiques et les valeurs occidentales. Les deux mouvements entrent en relation et confrontent leurs thèses, notamment à l’occasion du pèlerinage à La Mecque et des séjours d’études des étudiants arabes à Delhi. Sur le plan organisationnel, les Ottomans sont les premiers à mettre en branle un train de mesures visant à rétablir leur niveau par rapport aux Européens.
    En Égypte, province ottomane depuis 1517, une flotte de guerre française dirigée par un général de vingt-neuf ans, Bonaparte, débarque en 1798 à Alexandrie. Son but est de couper aux Anglais la route de l’Inde. Ceux-ci le comprennent et attaquent les positions françaises. Les Ottomans et les Mamelouks prêtent main-forte aux Anglais. En août 1799, Bonaparte abandonne le commandement à l’un de ses adjoints et rentre en France. Battus par la coalition anglo-ottomane, les Français quittent l’Égypte en 1801. Ceci pour les faits militaires. Sur le plan culturel, l’expédition de Bonaparte a, pour la première fois, mis en contact les deux civilisations et provoqué un bouleversement dans l’esprit de l’élite égyptienne. Mohamed Ali ayant accédé au pouvoir en 1804 avec l’aide des Mamelouks se retourne contre les Turcs et les Anglais et engage son pays à partir de 1810 dans un mouvement de modernisation. En 1812, il s’attaque aux Wahhabites et s’empare de Médine, Djeddah, La Mecque et Taïf. Séduit par la civilisation française et admirateur de Bonaparte, il veut faire de l’Égypte un Etat moderne et indépendant. Il règnera pendant quarante-quatre années au cours desquelles il jettera les bases de l’Egypte moderne.
    Son fils, Ibrahim Pacha, étend l’œuvre de modernisation à la Syrie, au Liban et à la Palestine. Il y établit l’égalité entre les trois religions (islam, christianisme, judaïsme). Ayant conquis le Yémen et la Crète, il se tourne vers le cœur de l’Empire ottoman, s’empare de Konya et arrive à cent kilomètres de la capitale quand son père le somme de s’arrêter et de revenir sur ses pas. Mohamed Ali avait les moyens de déposer le sultan Mahmoud II qui avait crû son heure venue, mais il ne se résolut pas à le faire en dépit de l’insistance de son fils qui piaffait d’impatience de parachever l’œuvre entamée. C’est alors qu’Istanbul signe des traités de défense avec la Russie et l’Angleterre auxquels
    elle accorde d’importantes concessions pour la protéger.

    En 1839, l’armée ottomane tente de reprendre la Syrie mais Ibrahim Pacha la défait. Mahmoud II s’éteint. Son fils Abdulmadjid, âgé de dix-sept ans, lui succède. En 1840, une coalition composée de la Prusse,
    de la Russie et de l’Angleterre attaque le Liban et la Syrie et les soustrait à la souveraineté de l’Égypte. Vaincue, celle-ci redevient vassale d’Istanbul. En 1848, Mohamed Ali décède à l’âge de quatre-vingt ans. Son fils Ibrahim étant mort quelques mois avant lui, c’est le fils de ce dernier, Abbas 1er, qui accède au trône et défait en peu de temps ce que son grand-père avait réalisé en une vie. Influencé par les milieux religieux, il ferme les grandes écoles fondées par son illustre prédécesseur, arrête la politique des grands travaux et chasse les coopérants étrangers.
    L’enseignement public périclite et l’Égypte se met alors à marquer le pas(2).

    En Turquie, le sultan Abdulmadjid 1er inaugure les «Tanzimat», politique de modernisation inspirée des idées politiques européennes. En 1839, un décret instaure l’égalité de tous les sujets de l’Empire (musulmans, chrétiens, juifs) devant la loi ; un code pénal éloigné de la «charia» (loi religieuse) est adopté en 1840, en même temps qu’est créée la Banque ottomane ; une nouvelle loi commerciale est édictée en 1850 ; en 1856, le sultan décrète l’abolition de la «jizya» (impôt spécifique aux non-musulmans). Une «fetwa» s’opposant à ces réformes est lancée à La Mecque,
    appelant à la révolte contre le pouvoir ottoman.
    Une frénésie de modernisation s’empare
    des sphères dirigeantes des Etats musulmans, donnant l’espoir d’une véritable renaissance. L’imprimerie est introduite en Turquie et en Égypte, ce qui favorise
    la circulation des connaissances et des idées.
    La presse écrite apparaît en 1828 en Egypte, en 1832 à Istanbul, en 1847 à Alger, en 1848 à Téhéran, en 1855 à Beyrouth, en 1868 en Iraq, en 1875 au Yémen... Les missions religieuses chrétiennes s’installent en pays d’islam, des étudiants musulmans sont envoyés en Europe, un mouvement de traduction de livres prend son essor en Turquie, en Égypte, en Iraq… En 1861, le sultan Abdulaziz promulgue un nouveau code civil
    et fonde la «Ligue de Galatasaray» pour l’enseignement du français.

    En 1866, le Khédive égyptien installe une Assemblée consultative de soixante-quinze membres élus au suffrage indirect. Cette dynamique de réformes est interrompue en 1871 chez les Ottomans sous la pression des milieux religieux.
    La même année, le bey de Tunis promulgue une Constitution instituant un conseil de soixante membres puis nomme Kheireddine Pacha Premier ministre. Ce dernier, qui est considéré comme le fondateur de la Tunisie moderne, crée le collège Sadiki où sont enseignées pour la première fois les sciences exactes et les langues étrangères et d’où sortiront les générations qui animeront le mouvement de libération de la Tunisie et construiront son Etat indépendant.
    En 1876, le sultan Abdulhamid II institue un Parlement à deux chambres. Les premières élections d’un Parlement dans le monde musulman ont lieu en 1877, revendiquées par un mouvement intellectuel, «Les jeunes Ottomans», qui cherche à concilier l’islam et les idées occidentales. En Inde, Sir Sayyid Ahmed Khan Bahador (1817-1890), disciple de Shah Wali Allah, introduit les premières réformes inspirées du modèle britannique et fonde l’Anglo-Oriental College d’Aligarth en 1875. Il critique les traditionalistes qui l’accusent en retour de matérialisme. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont on retrouve l’influence dans l’œuvre de Abderrahman al-Kawakibi. En Perse, le Shah Nasr-Eddin (1848-1896)
    ouvre son pays à l’Occident et visite plusieurs fois l’Europe.

    C’est toutefois le Perso-Afghan Djamel-Eddin al-Afghani qui va réveiller les consciences dans le monde arabo-musulman et susciter le courant que vont représenter Abdou, Ridha, Arslan et Ben Badis. Jusque-là, la modernisation avait été le fait des Etats et visé les institutions. Maintenant, elle va devenir l’affaire des intellectuels et des élites politiques formées dans l’ambiance du «réveil». Arrivé en Egypte en 1872, al-Afghani fait la connaissance, à Khan Khalili, du jeune Mohamed Abdou alors en pleine crise mystique. Conquis par al-Afghani, Abdou prend conscience de la caducité du modèle traditionaliste et se passionne à partir de là pour la recherche d’un nouveau modèle alliant les principes de l’islam et la rationalité moderne. Il s’initie au français et commence à lire des ouvrages européens. A la création du journal al-Ahram en 1876,
    il est l’un de ses collaborateurs.
    En 1879, al-Afghani est expulsé d’Égypte par le khédive Tewfik. A son tour,
    Abdou est interdit de presse et assigné à résidence dans son village natal. Un an après, il retrouve sa liberté de mouvement et est nommé directeur du journal officiel qu’il dirige pendant un an et demi. Il milite pour un régime constitutionnel et la modernisation de l’éducation en Égypte. En 1882, éclate la révolte du colonel Orabi contre la mainmise des Anglais sur l’Etat égyptien. Abdou soutient le mouvement. Il est jugé et condamné à l’exil. Il s’installe pendant quelques mois à Beyrouth avant de rejoindre al-Afghani à Paris. Les deux penseurs sont une nouvelle fois séparés en 1884. Abdou retourne au Liban où il restera jusqu’en 1889. C’est là qu’il entame la rédaction de Rissalat attawhid. Rentré en Égypte, il est nommé au conseil d’administration d’al-Azhar et au Conseil législatif. En 1899, il est élevé à la dignité de muphti.

    Rissalat attawhid est publié en 1897. Abdou y développe une conception libérale et rationnelle de l’islam et déplore que «la vie des musulmans soit devenue une manifestation contre leur propre religion». Dans ce petit livre d’une centaine de pages, il se propose de libérer l’esprit musulman de l’enseignement dogmatique et scolastique : «La religion peut nous révéler certaines choses qui dépassent notre compréhension, elle ne peut nous en enseigner aucune qui soit en contradiction avec notre raison.» Il pose que la seule source authentique de l’islam est le Coran et un nombre très réduit de hadiths, et en déduit que c’est à la raison qu’il revient d’examiner la preuve des dogmes religieux et des règles de conduite pour déterminer s’ils émanent vraiment de Dieu et note : «En cas de conflit entre la raison et la tradition, c’est à la raison qu’appartient le droit de décider.» Allant plus loin, il considère que «les prophètes jouent vis-à-vis des peuples le même rôle que l’intelligence par rapport aux individus ; leur envoi répond à un besoin de la raison». Il rejette le principe d’imitation aveugle des anciens, le taqlid : «L’imitation peut s’exercer sur le vrai aussi bien que sur le faux ; elle peut aussi avoir pour fruit l’utile comme le nuisible ; elle constitue donc un égarement que l’on pardonne à l’animal mais qui ne convient pas à l’homme.»(3) C’est de lui que vont se réclamer Rachid Ridha, Chakib Arslan, Ben Badis et ceux qui, après lui,
    voudront tenter une percée contre le modèle traditionaliste.

    Au départ donc, la renaissance était un mouvement politique qui aspirait à libérer la nation musulmane de la domination mongole à l’époque d’Ibn Taïmiya, ottomane à l’époque d’Abdelwahhab et européenne au XXe siècle. Au milieu du XIXe siècle, un courant intellectuel apparaît en Syrie, opposé à la domination ottomane. Il est animé par des associations et des journaux à dominante chrétienne et prône l’union arabe et la laïcité. On trouve parmi ses principaux animateurs appelés les «Nahdaouis» : Selim Ramadhan, Hussein Bihem, Hounaïn al-Khoury, Selim Boutros al-Boustani, Ibrahim al-Yazidji… L’Emir Abdelkader aurait fait partie de l’une de ces associations aux côtés de Iskander Alazar et Adib Ashak… C’est dans cette ambiance intellectuelle que s’est formé un grand visionnaire de la réforme du mode de pensée islamique, Abderrahman al-Kawakibi. Jeune, il avait été marqué par un article d’al-Boustani intitulé «Limadha nahnou fi taâkhour» («Pourquoi sommes-nous arriérés ?») dans lequel le confessionnalisme et les différences ethniques sont désignés comme les causes du retard arabe. Ce mouvement met en avant la renaissance «arabe» et connaîtra son apothéose entre les années cinquante et soixante-dix sous le nom de «baâth al-arabi». La renaissance arabe s’éloigne des sources islamiques et se mâtine de marxisme. Elle a pour objet l’unité du monde arabe et prend dès lors ses distances de la Turquie et de la Perse. Le Nassérisme sera l’une de ses expressions, mais c’est surtout le parti socialiste Baâth, créé par les Syriens Michel Aflak et Salah-Eddin Bitar, qui va incarner cette idéologie laïque en Syrie et en Irak.
    Il faut noter que Bennabi ne mentionne pas comme efforts de renaissance les programmes de modernisation lancés par Mohamed Ali, les Ottomans, les Persans ou les Afghans. Pour lui, la nuit couvre tout l’espace temporel qui va d’Ibn Khaldoun à Djamel-Eddin al-Afghani. Tout comme il n’accorde aucun intérêt à la «renaissance timouride», il n’en accordera pas davantage à la «renaissance arabe». De la même manière, il ignore superbement le fossé qui sépare les sunnites des chiites. Il assigne à la renaissance une double et difficile mission : rattraper le retard sur la pensée coranique et sur la pensée scientifique moderne. Il écrit : «Si la décadence est un décalage, inversement la renaissance est l’effort du monde musulman sur le plan psychologique, le mouvement de sa conscience pour rattraper son retard sur la pensée coranique et la pensée scientifique moderne» (Vocation de l’islam). Selon lui, on ne peut changer l’homme qu’en agissant sur son psychisme, ses croyances : «Au point de départ de toute transformation sociale, une réforme religieuse est nécessaire.» Il attend de la renaissance qu’elle «renouvelle l’homme conformément à la véritable tradition islamique et à l’expérience cartésienne» (Vocation de l’islam). Il s’agit donc de la réalisation d’une double révolution mentale : sortir de l’influence des écoles doctrinales qui se sont accommodées au fait accompli de Siffin, et créer les conditions d’une libération de l’esprit qui conduirait à un épanouissement scientifique et au développement économique. Mais comment faire concrètement pour «dépouiller le texte coranique de sa triple gangue théologique, juridique et philosophique» ? Il ne le dit pas frontalement, mais on trouve d’innombrables allusions à la nécessité de refonder l’enseignement dans les pays musulmans et de s’émanciper de la culture musulmane traditionnelle qui exerce toujours son emprise sur
    les esprits dans le monde musulman et dont l’islamisme actuel n’est qu’un avatar.

    Bennabi a très tôt compris que ni le courant réformiste ni le courant moderniste n’allait tirer le monde musulman de sa décadence. La première cause de l’échec de la renaissance à ses yeux réside dans l’absence d’unité au départ entre les deux courants. S’étant présentés sous forme de deux mouvements distincts, ceux-ci n’allaient pas donner lieu à une démarche cohérente mais à deux voies différentes. La voie réformiste proposait un retour au passé, sans réaliser que ce passé était lui-même problématique, tandis que la voie moderniste préconisait l’adoption d’idées
    et de modèles sans résonance dans le psychisme musulman.

    De son point de vue, la première offrait en guise de solutions des idées mortes, et la seconde des idées mortelles. Non seulement les deux tendances ne convergeaient pas, mais allaient s’employer à se neutraliser mutuellement, laissant finalement le problème entier. La seconde cause de l’échec est liée à la question du choix du modèle, un choix que la Nahda n’a pas fait de peur de heurter la culture traditionnelle et qui donnera au mouvement de renaissance les aspects d’un entassement, d’un choséisme, d’un syncrétisme. Il écrit : «Le monde musulman n’a pas encore fait le choix ni de la méthode ni du modèle. En raison de ses affinités méditerranéennes, on pouvait s’attendre à le voir se tourner vers l’Occident tout en apportant son originalité à corriger le modèle occidental, ou plutôt à l’adapter à sa propre évolution en tenant compte, d’une part, de son retard et, de l’autre, des méthodes d’accélération de l’histoire qui ont déjà montré leur efficacité ailleurs… On sent vaguement, dans un examen sommaire, que la renaissance musulmane a pour maître l’Occident. Mais en voulant tailler sur ce «patron», on a suivi vaguement les coups de ciseau du maître. Quand on veut tailler dans la matière de l’histoire, il faut se connaître et connaître son modèle pour savoir prendre à son égard les libertés nécessaires pour être soi-même et non le sosie de quelqu’un... Il ne s’agit pas de décalquer une évolution, mais de
    la résumer dans ce qu’elle a d’essentiel, d’universel» (L’afro-asiatisme).

    La troisième cause de l’échec de la Nahda réside dans le fait que les deux tendances ont manqué à la fois de l’inspiration nécessaire et de l’orientation systématique : «La cause commune de l’erreur des modernistes et de celle des réformateurs est dans le fait que ni les uns ni les autres ne sont allés à la source même de leur inspiration. Les réformateurs ne sont pas réellement remontés aux origines de la pensée islamique, non plus que les modernistes aux origines de la pensée occidentale. Sur le plan psychologique, une discrimination est toutefois indispensable : le “salafiste” porte individuellement la notion de la renaissance. S’il n’en réalise pas méthodiquement les conditions pratiques,
    du moins n’en perd-il pas de vue l’objectif essentiel.

    Il a conscience de son milieu au point de n’y revendiquer que des “devoirs”, laissant les “droits” aux modernistes... Chez le moderniste par contre, c’est cette notion même de renaissance qui fait défaut ou qui devient secondaire : le moderniste ne s’est engagé dans la vie de son pays que sur le plan politique… Pour lui la question n’est pas, avant tout, de régénérer le monde musulman, mais de le tirer de son embarras politique actuel… Le mouvement moderniste ne reflète en fait aucune doctrine précise : il est indéfinissable dans ses moyens comme dans ses buts.
    C’est qu’en réalité il ne cristallise qu’un engouement» («VI»).
    N. B.
    Prochain : PENSÉE DE MALEK BENNABI : 23) L’échec de la nahda.


    1) Ed. Enag, Alger 1990.
    2) Cf : Gilbert Sinoué : Le Dernier Pharaon, Ed. Pygmalion, Paris 1997.
    3) Op.cité

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    Post Entretien avec N. Boukrouh, disciple de Malek Bennabi

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    NOUREDDINE BOUKROUH
    Vendredi 15 2016

    Entretien avec N. Boukrouh, disciple de Malek Bennabi

    "La colonisabilité est restée intacte dans
    un grand nombre de pays arabo-musulmans"


    Disciple de Malek Bennabi, Noureddine Boukrouh est également un intellectuel de premier plan en Algérie où il se distingue par des écrits pointus et des interventions dans les médias d'une grande hauteur de vue. Dans cet entretien accordé à Oumma.com, dont nous diffusons la première partie, il rend hommage à la personnalité de Malek Bennabi en révélant des anecdotes personnelles. Il revient sur le concept de "colonisabilité" créé par le grand penseur, analyse les causes de la décadence du monde musulman, ainsi que la pauvreté du discours religieux de certains Oulamas.
    Vous avez été un disciple de Malek Bennabi. Au-delà du grand penseur qu’il a été, quelle image gardez-vous de l’homme?

    J’ai eu la chance et l’honneur de connaître Malek Bennabi chez lui, au 50 Avenue Roosevelt, à Alger, entre 1969 et 1973. Je l’avais vu pour la première fois au lycée Amara Rachid, à Ben Aknoun, en décembre 1968 où il était venu donner une conférence dans le cadre des travaux du premier séminaire sur la pensée islamique. J’ai incidemment appris par la suite qu’il animait chez lui des causeries à l’intention des étudiants et c’est ainsi que j’ai fréquenté
    cette « école » jusqu’à la fin de sa vie en octobre 1973.

    Il avait fait de son appartement le siège d’un « centre d’orientation culturelle » officieux où il recevait chaque samedi, de 16h à 19h, des étudiants et quiconque d’autre voulait bien venir entendre ses exposés. On y entrait comme dans un moulin, c’est-à-dire sans formalités, sans même décliner son identité. On s’asseyait sur une chaise vide, s’il on en trouvait, ou restait debout, si c’était le plein dans un coin du hall d’entrée
    de l’appartement (environ 20 m2) où se déroulait le séminaire.

    Bennabi se tenait assis ou debout à côté d’une table sur laquelle se dressait un tableau où il aimait illustrer ses raisonnements, en s’aidant de formules algébriques ou de figures géométriques. L’homme était affable, austère et modeste à la fois. Son appartement était humble, manquant de meubles et de décor et lui-même était toujours habillé en tenue d’intérieur, un burnous blanc souvent jeté sur les épaules. Il avait une voix forte et riait volontiers.
    Je garde de lui l’image d’un homme bon, innocent, qu’habitait un esprit systématique puissant, une véritable machine d’intelligence. Il m’apparaissait tel un sage de l’Antiquité : haute stature, cheveux blancs, debout au milieu de son auditoire, respirant le savoir et la sagesse et répondant avec douceur aux questions. J’ai eu le privilège de le présenter au public en deux occasions, en 1971-72, et je me demande à ce jour comment j’ai fait pour m’en sortir. Quand il découvrit que j’écrivais dans « El-Moudjahid », dont un article sur Maxime Rodinson qui fit beaucoup de bruit à l’époque, il s’intéressa à moi et c’est ainsi qu’il me proposa un jour de préfacer un de ses livres intitulé « Le problème de la culture ».
    Pouvez-vous expliciter le concept de « colonisabilité » développé par Malek Bennabi qui a souvent été incompris?
    Bennabi a utilisé pour la première fois cette notion dans « Les conditions de la renaissance » (1949) pour désigner la somme des conséquences mentales, sociales, économiques, politiques et militaires découlant de la « décadence ». C’est quand elle entre en décadence qu’une civilisation à bout de souffle, qu’une société fatiguée, démotivée, désarticulée, sécrète la colonisabilité, c’est-à-dire la résignation à la défaite, à la conquête, à l’occupation, au colonialisme. Dans le cas islamique, l’image est saisissante. Un grand nombre de pays musulmans ont été colonisés, placés sous protectorat, mandat ou protection extérieure au cours des derniers siècles et même jusqu’à aujourd’hui, alors qu’ils avaient été les places fortes, les villes célèbres et des empires où avait brillé la civilisation.

    Appartenant à l’école du « cycle de civilisation » inaugurée par Ibn Khaldoun (XIVe siècle) et formulée sous forme de philosophie de l’histoire par Gambattista Vico (XVIIIe siècle), selon laquelle les civilisations se réalisent en trois étapes, la genèse, l’expansion et le déclin chez le premier, ou l’âge divin, l’âge héroïque et l’âge humain chez le second, Bennabi a opéré un glissement du sens historique au sens politique qui lui a valu les critiques qu’on sait. On a failli le faire passer pour un « traître ». S’il s’en était tenu à l’emploi du terme « décadence » au lieu de lui donner pour synonyme la « colonisabilité », il n’aurait pas déchaîné la foudre contre lui comme ça été le cas en Algérie à la fin des années 1940, alors que le pays se préparait à entrer en guerre contre le colonialisme français.
    Aujourd’hui, le colonialisme n’existe presque plus alors que la colonisabilité est restée intacte dans un grand nombre de pays arabo-musulmans et africains, donnant a posteriori raison à Bennabi. Autant il était difficile d’accepter cette notion en temps de guerre, de lutte de libération, autant il n’y a plus qu’elle pour rendre compte de la réalité de beaucoup de pays. Aujourd’hui, des Etats précédemment colonisables et colonisés volent carrément en éclats, disparaissent, se suicident car leurs peuples n’ont pas été capables de fonder des Etats de droit durables, des sociétés de citoyens, des économies fonctionnelles et des armées performantes… Toutes les guerres menées contre Israël ont été perdues de 1948 à 1973 et pourtant ce n’est pas en Israël qu’existe le grade de maréchal,
    mais dans les pays arabes. Des maréchaux-ferrants en réalité…
    Peut-on situer historiquement et avec précision le début de cette décadence
    et quelles en sont les principales causes ?

    Pour Bennabi, la civilisation musulmane a connu très tôt, prématurément, la première cassure dont allaient dériver toutes les autres et dont les effets se manifestent à ce jour. Cette cassure était de nature politique et s’est exprimée physiquement sous la forme du conflit pour la dévolution du pouvoir qui a éclaté après la mort du troisième calife, Othman, assassiné par des insurgés venus de plusieurs provinces pour cause de népotisme
    et pour avoir ordonné la recension du Coran, tel qu’on le connaît aujourd’hui.

    Ali avait été désigné calife par la communauté mais le clan des Banu Omeyya (les futurs Omeyyades) refusa de le reconnaître et prit les armes contre lui, à l’instigation de Moawiya ibn Abi Sofiane qui était gouverneur de Syrie. L’affrontement armé se solda par plusieurs dizaines de milliers de morts (45.000 selon Tabari) mais sans dégager un vainqueur. C’est alors qu’un arbitrage frauduleux attribua le pouvoir à Moawiya. Tout de suite, le conflit passa de la dimension militaire à la nature idéologique et religieuse.
    Les rangs des musulmans se divisèrent aussitôt en sunnites, chiites et kharédjites, division qui prévaut à ce jour. Moawiya, usant de la force, de la ruse et de la corruption, allait aggraver les choses une quinzaine d’années plus tard en introduisant pour la première fois dans la fraîche histoire de l’islam et la longue histoire des Arabes le principe de la transmission héréditaire du pouvoir, alors que cette forme de gouvernement n’avait de fondements ni dans le Coran, ni dans la tradition des quatre premiers califes, ni dans les usages arabes antérieures à l’islam.
    Les Oulamas sunnites de l’époque durent chercher dans le Coran et la sunna les arguments justifiant cette entorse et ces viols successifs de la conscience islamique. Comme ils ne s’y trouvaient pas, ils y allèrent de leur « tafsir », de leur exégèse et de leur jurisprudence. Bennabi en a conclu que l’histoire de ce qu’on appelle la civilisation islamique n’est en fait que l’histoire d’une imposture, de l’adaptation des textes religieux au fait du prince ayant suivi la bataille de Siffin, lieu où se sont affrontées les troupes de Ali et de Moawiya. Le pouvoir des Omeyyades durera un siècle et s’achèvera sur un massacre ethnique et politique à grande échelle.
    Les Abbassides leur reprendront le pouvoir pour cinq siècles et le partageront avec les Perses avant de le perdre au profit des non-Arabes, entraînant la désagrégation du califat central et unitaire, ainsi que son morcellement en plusieurs califats et tawaifs ne se reconnaissant pas les uns les autres et se querellant sans cesse pour un motif ou un autre. Sous les Abbassides, les lumières scientifiques, artistiques et littéraires de l’islam ont illuminé le monde mais l’énergie créatrice allait petit à petit être étouffée par le « ilm » traditionnaliste, rétrograde et fataliste, jusqu’à son extinction définitive à l’époque d’Ibn Khaldoun.
    Les Croisades, la Reconquista puis la colonisation allaient l’une après l’autre s’emparer des lambeaux de la civilisation islamique dépecée par les siens. C’est de la chute de l’empire almohade que Bennabi date historiquement le déclin du monde musulman. Les causes en sont : le remplacement de l’esprit démocratique (consultation) par les intérêts dynastiques, l’asservissement des Oulamas aux volontés du despotisme, la démotivation des croyants, l’alliance avec l’étranger pour vaincre ses rivaux intérieurs, le démantèlement des structures unitaires, le triomphe du conservatisme et du salafisme sur l’esprit critique et créatif…
    Comment expliquez-vous que le discours sur l’islam de la part de ses prédicateurs, voire de ses savants, se réduise le plus souvent à des discours sur la norme avec une obsession du « haram et du halal » ?
    C’est la conséquence lointaine de l’accommodation du Coran et du hadith à ce qui arrange les affaires du pouvoir despotique et dynastique. Il s’agissait à l’époque et aujourd’hui encore de réduire l’islam à une somme de rites et de pratiques éloignant les musulmans de l’esprit critique, du libre arbitre et des affaires publiques pour en faire des « mselmin mkettfin », des individus fatalistes, littéralistes, colonisables et despotisables à merci.

    Le croyant a été ainsi subrepticement mis sous une double tutelle : celle du calife, de l’Emir, du roi, du gardien des lieux saints, de l’imam infaillible ou du président de la République à vie d’un côté, et de l’autre celle du « alem », de l’imam, du mufti, du da’iya, du télécoraniste et du cheikh de la rue. Le glaive et la sabha se sont partagé les rôles pour confiner les musulmans dans la peur de l’enfer, de l’au-delà, de la transgression des ordres du détenteur du pouvoir assimilé au Prophète et parfois à Dieu,
    et les réduire ainsi au rang de bêtes de somme, taillables et corvéables à merci.

    Le premier au moyen de la répression, le gourdin et les armes, les seconds avec le Coran, les hadiths et le « ilm » auxquels ils font dire ce qu’ils veulent, ce qui plaît au souverain, ce qui maintient l’ordre social archaïque et théocratique. Il n’y a pas mieux que l’argument du « respect de la tradition et du salaf » pour endormir et asservir une nation. Le salafisme et le wahhabisme sont des incitations à ramener les musulmans au mode de vie pratiqué par les musulmans de la première époque, jugée sacrée et à jamais emblématique, et au savoir d’Abu Hurayra. Tout ce qui en sort, tout ce qui dépasse est qualifié de déviance, d’innovation blâmable et d’apostasie passible de la peine de mort.
    A suivre...



    Dernière modification par zadhand ; 15/01/2016 à 22h28.
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    QUESTIONS AUX ALGERIENS
    Le Soir d’Algérie du samedi 16/01/2016

    Yennayer m’a plongé cette année dans des méditations que j’aimerais partager sans façons avec les lecteurs. Ca fait tout bizarre de s’entendre dire qu’on est en l’an 2966 car très rares sont les civilisations dont le calendrier en vigueur dépasse le calendrier berbère. A regarder de près le chiffre, on croirait à un film de science-fiction. C’est comme si nous étions en avance d’un millénaire sur le monde moderne. Comment avons-nous fait pour nous mettre en tête de la marche d’Homo sapiens, démarrer dans l’Histoire avant les autres, et les distancer d’un millénaire ? Nous serions-nous redressés avant Homo erectus ?
    J’ai demandé autour de moi, personne ne se souvient l’avoir jamais lu quelque part; j’ai compulsé de vielles encyclopédies, cherché sur internet, sans trouver la moindre allusion à une échappée des Amazighs à une époque ou une autre de l’évolution biologique, anthropologique ou technologique. Ils n’ont ni migré comme ils le font aujourd’hui, ni conquis d’autres territoires, ni changé le cours de l’Histoire à aucun moment. La théorie de l’espace-courbe et de la possibilité d’emprunter les trous de ver pour comprimer le temps n’était pas connue avant le XXe siècle et Einstein non plus.
    Mais qu’avons-nous fait de cette belle avance chronologique sur les autres civilisations ? Car quand on efface de notre géographie, par l’esprit, les vestiges de la présence française, ottomane, arabe et romaine, il ne reste pratiquement rien sinon l’œuvre généreuse de la nature. On n’a rien bâti, rien élevé, rien découvert sur le plan scientifique, rien inventé en matière de techniques. L’inventaire de nos biens ancestraux entre savoir-faire, outils, vêtements et plats de cuisine issus de notre génie ne remplirait pas plus de quelques pages d’un cahier scolaire. Nous savons que nous sommes arrivés pieds-nus au XXe siècle et que le désir le plus cher d’une bonne partie de notre peuple est de retourner en claquettes non pas à une date quelconque de l’ère chrétienne, ni à l’an 1437 du calendrier lunaire musulman, mais à l’époque d’Abou Hurayra et peut-être même à avant l’Hégire.
    En 2966 du calendrier universel, c’est-à-dire dans 950 ans, l’humanité aura très certainement colonisé plusieurs planètes, l’être humain ne ressemblera plus à celui que nous sommes et il est impossible de prédire ce que seront le système solaire, la galaxie et l’univers. Tous les progrès technologiques à la base de la vie actuelle n’existaient pas il y a une cinquantaine d’années et s’ils devaient disparaitre, l’humanité sombrerait immédiatement dans le chaos. Rappelons-nous où elle en était en l’an 1066.
    Non, c’est trop pour nous d’être tellement en avance ; on ne retrouvera pas notre chemin même avec les pierres du Petit Poucet si on voulait rebrousser chemin pour rejoindre les « retardataires ». Je suis personnellement très gêné car on n’a pas le profil de précurseurs, de pionniers, d’explorateurs. On devrait remettre nos pieds sur terre, rester dans la meute, ça flanque la frousse d’être si en pointe, ça paraît extra-terrestre tout ça… Il n’y aurait pas là-dedans un tour de Djouha ? Le sieur Belahmar ne pourrait-il pas nous illuminer grâce à son don de double vue?
    Notre passé pèse sur notre présent comme un péché sur la conscience. Notre ancienneté sur-souligne notre insignifiance dans l’histoire étant donné que nous n’avons rien fait de significatif pour nous-mêmes ou pour l’humanité dans cet intervalle. Trois millénaires pour rien ! Notre histoire semble concentrée dans les derniers trois-quarts de siècle, remonter au 08 mai 1945 et devoir s’achever avec la fin du pétrole. Jusque-là elle était une queue de comète faite de souvenirs de nos démêlés avec un occupant ou un autre. Depuis le congrès de la Soummam on la connaît un peu mieux : elle est celle de nos démêlés avec nous-mêmes.
    Après les écœurantes révélations sur les coulisses de la révolution qui filtraient de temps à autre depuis l’indépendance, voilà que le voile commence à se lever sur la période allant de 1988 à 1992 et bientôt au-delà probablement. De savoir par qui et comment nous sommes dirigés donne une idée des causes de notre non-historicité, de la légèreté de notre passé et de la fragilité de notre présent. Le navire « Algérie » a été arraisonné par des pirates qui en ont pris les commandes et qui sont plus près de le couler que de le rendre à ses propriétaires. C’est heureux que ces hommes s’expriment enfin sur leurs rôles respectifs dans les crises dramatiques connues par le pays. Selon Betchine, Zéroual n’a pas démissionné mais a été forcé de quitter son poste. Il doit continuer sur sa lancée, ça m’intéresse moi dont le nom a été associé depuis près de vingt ans au départ du président Zéroual. J’ai beau répéter que je n’y étais pour rien, que les raisons de son départ devaient être cherchées « entre eux », une certaine presse et quelques hobereaux jouant aux « bien informés » ont persisté à soutenir mordicus que j’y ai joué un rôle. Ca s’est vu dans l’histoire de l’Algérie qu’un ministre et encore moins un président démissionne parce que critiqué dans la presse ?
    La plume est capable de faire tomber quelqu’un en Algérie ?

    Ca semble long 54 ans, mais un des hommes qui ont joué un rôle dans les coulisses de la guerre d’Algérie est aujourd’hui encore à la tête du pays. Highlander ! L’Algérie et lui sont aujourd’hui dans le même état : lui sur un fauteuil roulant, elle sur une table de réanimation. Sous son règne, la constitution est devenue une loi faite par un homme au nom du peuple pour se prémunir contre les contestations de ce même peuple. Au terme des retouches à laquelle elle va être soumise, la politique, le vote populaire, la majorité parlementaire ne serviront plus à rien. Le temps n’a pas suspendu son temps pour Lamartine, pour l’Algérie si, depuis 2966 ans. Qu’est-ce que ça change pour nous d’être en l’an 1 de l’histoire humaine ou en 3966 ? A lui seul Boutef a bouffé notre histoire moderne. Peut-être qu’après lui on n’aura plus d’histoire du tout parce qu’on sera ensevelis sous les histoires qu’il nous aura léguées.
    J’ai posé il y a peu une question qui a fait fureur : « Et si toute l’Algérie avait été la Kabylie ? » Grisé par le succès, j’aimerais en rajouter : « Et si tous les Algériens avaient été des Kabyles ? » Un premier avantage serait qu’il n’y aurait plus de raisons de demander l’indépendance de la Kabylie. Un deuxième, c’est que nous deviendrions unanimes à vouloir nous défaire du pouvoir qui a poussé bon nombre de Ferhat Mhenni à se jeter dans le séparatisme. L’Algérie gardera-t-elle son nom
    dans ce cas ou le troquera-t-elle contre celui de la Kabylie ?

    La langue amazighe est parlée en Kabylie, dans les Aurès, à Cherchell, à Ghardaïa, dans le Hoggar, mais pas ailleurs. Ces îlots où une même langue maternelle est parlée ne sont curieusement pas frontaliers, des centaines de kilomètres, voire des milliers les séparent et pourtant tamazight y est parlée depuis toujours à quelques variantes près. Comment expliquer que la dispersion géographique n’ait pas empêché l’unité linguistique ? Par contre Jijel, Sétif, Bordj Bou Arreridj et Alger sont frontaliers avec la Kabylie mais on n’y parle pas kabyle ou extrêmement peu. Pourquoi ?
    Que parlaient les autres régions du centre, du sud, de l’est et de l’ouest du pays avant l’introduction de la langue arabe à partir du VIIIe siècle et de la « daridja » en laquelle elles l’ont transformée par la suite ? Le latin ? Des langues vernaculaires disparues? Ne parlaient-ils pas du tout, ce qui expliquerait le fait étrange que beaucoup d’entre nous s’expriment avec des onomatopées, des gestes ou carrément le visage dont on arrive à soumettre les traits à des contorsions qui permettent de communiquer ce qu’on veut : moues, grimaces, œillades, jeu de paupières, plissements du front, joues malléables, lèvres élastiques… Autre hypothèse : les régions non-berbérophones n’étaient-elles pas tout simplement inhabitées ? On avait une seule langue officielle et une autre officieuse, le français ; nous voilà avec deux langues officielles. Qu’est-ce qui va changer ?
    Quelle religion suivaient nos ancêtres avant l’islam ? Etions-nous, en l’absence de traces de l’hindouisme, du brahmanisme et du bouddhisme dans nos contrées, juifs, chrétiens, païens ou, comme on dit dans notre parler courant, « bla din wala mella » ? Ali al-Hammamy a brossé dans son roman « Idris » un portrait spectral de nos ancêtres avant leur intégration à l’islam : « Le Berbère était demeuré tel que la nature l’avait façonné au seuil de la formation des premières collectivités humaines. Il vivait dans la vie de la tribu. Individualiste malgré sa soumission aux lois du clan, anarchiste par caractère aussi bien que par tempérament, épris de liberté jusqu’à préférer les risques de la vie primitive à l’abondance et à la sécurité des sociétés organisée, le Berbère, jusqu’à l’apparition de l’islam, vivait sans ordre et sans hiérarchie. Ceci bien entendu dans l’ensemble. Païen, il n’a jamais sérieusement cru à quelque chose, ni craint quelqu’un. Vaguement naturiste, spectateur indifférent des phénomènes qui l’entourent, impulsif et méfiant, sa vie religieuse n’a jamais pu se matérialiser dans un système tant soit peu ordonné. S’il a sacrifié aux idoles ou adoré les formes de la nature, sa conviction n’a pas été de quelque force pour que l’archéologie ait pu nous
    restituer des preuves sensible de sa dévotion … »

    Nous avons longtemps cru être des Arabes et une partie intégrante du monde arabe comme continuent de l’affirmer le discours et des documents officiels. Depuis quelques décennies, nous nous réveillons à notre amazighité et rêvons de la couronner par l’édification de Tamazgha, union des pays d’Afrique du Nord boostés par le recouvrement de leur identité historique, souveraine, solidaire et capable de réussir là où a échoué l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Comme ont fait les pays de la péninsule arabique avec le Conseil de Coopération du Golfe. Car le monde arabe, jadis colonisé ou placé sous mandat, est entré dans un nouveau cycle, celui de son autodestruction. C’est concevable avec ou sans le problème du Sahara occidental ?
    Administrativement et juridiquement nous sommes un seul peuple, mais mentalement et culturellement nous sommes plusieurs peuples, parfois étrangers les uns aux autres. « Les peuples ne sont pas des unités linguistiques, politiques ou zoologiques, mais des unités psychiques. Le peuple est une unité de l’âme. Tous les grands événements de l’Histoire n’ont pas été proprement l’œuvre des peuples, mais ils ont d’abord produit ces peuples. Ni l’unité de la langue, ni celle de la descendance physique ne sont décisives. Ce qui distingue un peuple d’une population, c’est toujours l’avènement intérieur du NOUS. Plus ce sentiment est profond, plus vigoureuse est la force vitale de l’association ». Cette définition due au philosophe allemand Oswald Spengler est l’une des meilleurs et des plus justes qui aient été données de la notion de peuple. Elle propose à notre réflexion une perspective nouvelle qui recoupe la réalité des grandes nations du monde où le désir de vivre ensemble et le réaliser-ensemble sont effectivement les plus forts ciments de l’union. Mais ne va-t-elle pas à contre-sens de nos nouvelles convictions ? La question est posée.
    N.B

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    LA CIVILISATION

    Jeudi 28 Janvier 2016

    Le Soir d’Algérie du jeudi 28/01/2016
    Qu’est-ce qu’une civilisation? Pour Toynbee, c’est un certain « niveau de réalisation sociale et morale »[1]. Pour Bennabi, « la civilisation est la possibilité de remplir une fonction. C’est l’ensemble des conditions morales et matérielles qui permettent à une société d’accorder à chacun de ses membres l’assistance nécessaire : l’école, l’atelier, l’hôpital, l’organisation vicinale, la sécurité sous toutes ses formes, le respect de sa personne… L’individu se réalise grâce à un vouloir et à un pouvoir qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être les siens, mais ceux de la société dont il fait partie… C’est une construction, une architecture, un ensemble harmonieux de « choses » et de « notions » avec leurs liaisons, leurs utilités, leurs places déterminées. Un tel ensemble ne peut être conçu comme un simple entassement,
    mais comme la réalisation d’une idée, d’un idéal » (« Perspectives algériennes », 1964).

    Comme pour la culture, Bennabi donne de la civilisation une définition fonctionnelle. Les conditions morales s’incarnent dans un vouloir qui mobilise la société en vue de définir ses tâches sociales et de les assumer. Les conditions matérielles, elles, s’objectivent sous la forme d’un pouvoir traduisant la capacité de mettre à la disposition de la société les moyens nécessaires pour accomplir ses missions. C’est ce qu’il appelle la fonction civilisationnelle. Il écrit dans « Le musulman dans le monde de l’économie », 1972 : « La civilisation, c’est cette volonté et cette possibilité ». La relation entre la volonté civilisationnelle et la possibilité civilisationnelle est une relation de causalité, la volonté apparaissant comme la cause de la possibilité. C’est la civilisation qui fait ses produits, ce ne sont pas ses produits qui la font «car pour faire une civilisation à partir de ses produits, il faudrait qu’on puisse acheter tous ses produits, ce qui est du point de vue économique une pure impossibilité ».
    L’économie n’est que la forme matérialisée de ce vouloir et de ce pouvoir.

    S’il n’y a pas d’idées, il n’y a pas de culture ; s’il n’y a pas de culture, il n’y a pas de civilisation ; s’il n’y a pas de civilisation, il n’y a pas d’histoire. A l’aube des temps il n’y a que trois facteurs fondamentaux : l’homme, le sol et le temps « plongés dans un mystère métaphysique » (« Naissance d’une société», 1962). Ceux-ci peuvent rester en l’état pendant des milliers d’années sans devenir des facteurs psycho-temporels générateurs de civilisation : « Si une telle donnée avec ses trois éléments suffisait comme condition d’une civilisation, celle-ci ne serait plus qu’un phénomène spontané et général par toute la terre. En particulier, le problème ne se poserait plus pour le monde musulman qui est, hélas, loin de l’avoir résolu» (« Les conditions de la renaissance », 1949). Ces paramètres constituent des conditions nécessaires
    mais non suffisantes de l’essor d’une civilisation.

    L’homme, le sol et le temps n’agissent pas « en vrac », mais dans une synthèse qui réalise en eux le vouloir et le pouvoir d’une société. Ils doivent être coulés dans une synthèse bio-historique qui n’est pas automatique mais le résultat d’une catalyse que provoque une idée-force d’origine sacrale ou politique : « Une civilisation date sa naissance à partir de la synthèse des facteurs temporels, c’est-à-dire à partir du moment où l’idée religieuse a transformé l’homme et suffisamment conditionné le milieu (« Les conditions de la renaissance »)… Le rôle social de la religion n’est pas autre chose que celui d’un catalyseur favorisant la transformation de valeurs qui passent de l’état naturel à un état psycho-temporel correspondant à un certain stade de civilisation. Cette transformation fait de l’homme biologique une entité sociologique, du temps - simple durée chronologique évaluée en « heures qui passent » - un temps sociologique évalué en heures-travail, et du sol - livrant unilatéralement et inconditionnellement la nourriture de l’homme selon un simple processus de consommation - un terrain techniquement équipé et conditionné pour pourvoir aux multiples besoins de la vie sociale selon les conditions d’un processus de production » (« Vocation de l’islam », 1954).
    La religion dont il s’agit dans l’esprit de Bennabi est celle qui « traduit une pensée collective car à partir du moment où la foi devient centripète, c’est-à-dire individualiste, sa mission historique est finie sur la terre où elle n’est plus apte à promouvoir une civilisation » («Vocation de l’islam»). Et la synthèse dont il est question ne se produit pas d’elle-même puisqu’il existe encore de nos jours des groupements humains à l’état primitif ou, selon la terminologie de Bennabi, de pré-civilisation. Il précise dans « Naissance d’une société » : « L’existence effective d’une société commence à la formation de son réseau de liaisons… Le rôle que joue la religion à cette échelle est de provoquer une synthèse sociale sous forme de valeurs morales concrétisées en conventions, en usages, en traditions, en règles administratives, en principes législatifs… »
    Bennabi ne cherche pas à connaître le nombre de civilisations apparues sur la terre, ni ne s’attarde sur leurs origines. Il n’est pas, comme Spengler, Braudel ou Djuvara, un historien qui veut établir les lois internes qui les régissent ou les comparer entre elles. Son champ d’étude est moins ambitieux que celui de Toynbee qui veut les embrasser toutes pour les soumettre à un modèle explicatif. Lui n’est ni un anthropologue, ni un historien, mais un psycho-sociologue qui s’intéresse en particulier à l’une d’entre elles, la civilisation musulmane, sur laquelle il est penché comme un mécanicien sur une machine en panne. « Il est difficile, écrit-il dans « Vocation de l’islam» à propos du phénomène civilisationnel, de connaître les origines de ce mouvement dans l’espace et le temps, et il ne servirait à rien de se demander s’il a commencé en Egypte ou ailleurs. On constate seulement sa CONTINUITE à travers les âges. Toutefois, lorsqu’on essaie de fixer ses coordonnées « historiques », on s’aperçoit qu’elles désignent une aire qui se déplace. Si bien que la continuité que l’on constate dans la perspective générale de l’histoire peut se trouver masquée par une DISCONTINUITE qui apparaît lorsque l’on considère la succession des aires de civilisation. En fait, nous avons là les deux aspects essentiels : l’aspect métaphysique ou cosmique, celui d’un dessein général, d’une finalité, et l’aspect proprement « historique », sociologique, celui d’un enchaînement de causes… Sous ce dernier aspect, la civilisation se présente comme une série numérique se poursuivant par termes semblables mais non identiques. Ainsi apparaît une donnée essentielle de l’histoire : le cycle de civilisation. Chaque cycle est défini par des conditions psycho-temporelles propres à un groupe social : c’est une « civilisation » dans ces conditions-là. Puis la civilisation émigre, se déplace, transfère ses valeurs dans une autre aire. Elle se perpétue ainsi dans un exode infini et à travers de successives métamorphoses, chaque métamorphose étant une synthèse particulière de l’homme, du sol et du temps… ».
    Bennabi prend ici le contre-pied de Spengler qui croit fermement à la « non-continuité » de l’histoire. Mohand Tazerout, son traducteur et préfacier algérien affirme que le postulat de la « non-continuité » est « la seule hypothèse viable pour une connaissance scientifique des phénomènes de l’histoire. Il n’y a rien qui rattache nécessairement l’homme occidental à l’homme antique, et celui-ci à l’Egyptien, au Chinois, à l’Hindou où à l’Arabe authentiques… »[2] Pour Bennabi, « la » Civilisation n’est le fait d’aucune race en particulier et d’aucune époque. Elle résulte des imbrications, des migrations et des différentes contributions humaines au processus d’amélioration du sort de l’espèce.
    Ce qu’on appelle « les » civilisations ne sont que des cycles, des moments éphémères du mouvement général de l’Histoire qui est, lui, continu : «La civilisation humaine semble ainsi faite de cycles qui se succèdent, naissant avec une idée religieuse et s’achevant quand l’irrésistible pesanteur de la terre triomphe finalement de l’âme et de la raison » (« Les es « CR »). Il signale qu’Ibn Khaldoun est le premier à avoir dégagé la notion de cycle dans sa théorie des « trois générations ». Celui-ci compare la vie d’une civilisation à celle d’une dynastie. Le processus qui conduit de l’état de « badw » (primitif) à l’état de « hadara » (civilisation) est mis en branle par la « açabiya », sentiment de cohésion sociale, de conscience collective qui joue le rôle d’un Ethos. Elle se transforme en « mulk » (pouvoir) qui créé des villes, développe des activités économiques et installe des institutions… Pour Ibn Khaldoun, « ni la volonté du bien, ni la religion elle-même ne saurait suffire à qui n’est pas porteur d’une forte açabiya ». C’est donc cette dernière qui est le moteur de l’histoire en remplissant la fonction d’une idéologie qui soude les intérêts et porte la communauté aux conquêtes. Ibn Khaldoun écrit : « Il n’est pas besoin de prophétisme pour qu’il existe une vie humaine. Et un individu doué d’autorité peut très bien s’imposer aux autres de lui-même, ou en s’appuyant sur la « açabiya ».
    Ibn Khaldoun a été le premier à poser les règles de la dynamique sociale. L’idée religieuse est elle-même au service de la açabiya qui, en donnant lieu à un Etat, consacre la religion. On retrouvera l’idée du cycle chez Vico puis chez Montesquieu sous le nom de « théorie du cercle » : « Presque toutes les nations du monde roulent dans un cercle ; d’abord, elles sont barbares ; elles conquièrent et elles deviennent des nations policées ; cette police les agrandit et elles deviennent des nations polies ; la politique les affaiblit ; elles sont conquises et redeviennent barbares ; témoins les Grecs et les Romains »[3]. Hegel formule la même idée quand il écrit : «Le changement est un mouvement circulaire, une répétition du même. Tout est constitué par des cycles, et c’est à l’intérieur de ces cycles, parmi les individus, que le changement a lieu… Il ne se produit du nouveau que dans les changements qui ont lieu dans le domaine spirituel » (« La raison dans l’histoire »).
    Si, pour Toynbee, l’explication du mouvement historique réside dans le « milieu physique », et que la pensée marxiste la voit dans le jeu des facteurs économiques, Bennabi pense que le mécanisme du mouvement de l’histoire a son origine dans un processus psychologique résultant d’une tension morale. C’est l’âme qui est le moteur essentiel de l’histoire humaine. Un milieu humain est doué d’inertie comme un milieu de matière. Lorsqu’il se met en mouvement « cela veut dire qu’une cause initiale a vaincu l’inertie originelle en transformant toutes les données statiques du milieu en valeurs dynamiques » (« Naissance d’une société »). Pour lui « c’est toujours la révélation sensationnelle d’un Dieu ou l’apparition d’un mythe qui marque le point de départ d’une civilisation. Il semble que l’homme doive regarder ainsi par-delà son horizon terrestre pour découvrir en lui le génie de la terre en même temps que le sens élevé des choses » (les « CR »).
    Dans la plupart des cas, en effet, les religions ont précédé les grandes civilisations. Ces dernières sont apparues là où s’est formée une économie agricole assez élaborée pour sédentariser et favoriser par quelque culte un regroupement important d’individus jusque-là organisés en familles, clans ou tribus. Ce culte, ce mythe, cette idée, développe entre eux un sentiment collectif et une conscience de l’intérêt commun. Des villages puis des villes surgissent, soumis à des règles et des institutions fortement spiritualisées ; les arts apparaissent, le foyer s’étend peu à peu à d’autres contrées et la civilisation en formation va englober de vastes territoires et de multiples ethnies que rassemblent de mêmes croyances. Ces domaines s’érigent en entités politiques, économiques, militaires, qui s’appelleront Sumer, l’Egypte pharaonique, la Grèce, l’Inde ancienne, la Chine, les Maya, les Aztèques, les Incas, l’Islam, l’Occident…
    Ces ensembles, ces sociétés, ces civilisations ne se sont pas formées « naturellement », quelque chose a brusquement réveillé et motivé l’âme des hommes, les a dynamisés et poussés vers des buts déterminés. La cause initiale n’a rien à voir avec la qualité des terres ou les moyens physiques. Pour Bennabi, le pouvoir créateur provient nécessairement d’une source psychique, c’est un phénomène énergétique. Le premier acte historique d’une société à sa naissance est l’établissement de son réseau de relations sociales. Bennabi donne comme exemple la formation de la première société musulmane : « Le premier acte de la société musulmane fut le pacte qui avait lié « Ansars » et « muhadjirine ». L’Hégire est la première date de l’histoire musulmane non seulement parce qu’elle coïncide avec un acte personnel du Prophète, mais parce qu’elle coïncide avec le premier acte de la société musulmane. C’est-à-dire avec la formation de son réseau de liaisons, avant même que ses trois catégories sociales (monde des idées, monde des personnes, monde des choses) ne soient nettement formées… Donc, l’origine du réseau de liaisons qui permet à une société d’accomplir son action concertée dans l’histoire se trouve dans la genèse de sa synthèse bio-historique» (« NS »).
    Pour lui « Si en un lieu, en un moment donné, il y a une action concertée des hommes, des idées et des choses, c’est la preuve qu’une civilisation a déjà commencé, que sa synthèse s’est opérée déjà et tout d’abord dans le monde des personnes. Le premier acte de la transformation sociale c’est l’acte qui transforme l’individu en personne en transformant les caractères grégaires qui le lient à l’ «espèce » en affinités sociales qui le lient à la « société ». Ce sont les liaisons propres au monde des personnes qui fournissent les liens nécessaires entre les idées et les choses dans l’action concertée d’une société. Les rapports entre personnes sont des rapports culturels, c’est-à-dire des rapports assujettis aux normes d’une culture entendue comme on l’avait définie, à la fois comme ambiance et comme un ensemble de règles éthiques, esthétiques, etc… » (« NS »). Il faut retenir cette notion d’ « action concertée de la société » qui est pour Bennabi l’essence même de l’histoire : « Une société n’a pas pour unité l’individu, mais l’individu conditionné… L’intégration de l’individu à un réseau social est à la fois une opération d’élimination et une opération de sélection. Cette double opération a lieu dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire quand la société s’est déjà organisée
    par l’intermédiaire de l’école. C’est ce qu’on appelle l’éducation » (« NS »).

    Bennabi a proclamé sa différence par rapport à Toynbee dans la genèse de la civilisation et montré que le « défi-riposte » est insuffisant à l’expliquer : « Les circonstances de son apparition sont interprétées par un historien comme Toynbee comme celles où un groupe humain doit répondre à un défi par une action concertée. Cette interprétation ne donne pas cependant l’explication de la formation des sociétés historiques actuelles dont le nombre ne dépasse pas le quart de douzaine. On ne comprend pas pourquoi la société bouddhique n’a pas répondu au début de l’ère chrétienne au « défi » de la renaissance de la pensée védique qui la condamnait cependant à l’exil en Chine. On ne comprend pas davantage qu’elle ne réagisse pas plus au XX° siècle dans sa nouvelle patrie, au défi de la pensée marxiste importée par Mao Tsé Toung qui l’efface à jamais de la carte idéologique du monde » (« Le problème des ises dans la société musulmane », 1970).
    Comme s’il répondait aux remarques de Bennabi, Toynbee reconnaît qu’« au contraire de l’effet d’une cause, la réponse à un défi n’est pas invariable et, par conséquent, n’est pas prévisible. Un défi identique peut susciter une réponse créatrice dans certains cas, mais non dans d’autres ». A propos de la Chine, il précise : « L’introduction d’une idéologie occidentale étrangère n’a pas amené une rupture décisive dans l’histoire de la Chine, ni une transformation de sa configuration politique… Il est vrai qu’une fois dans le passé une philosophie ou une religion non-chinoise, sous la forme du bouddhisme, s’est emparée de la Chine »[4].
    Dans la transition de la condition statique à l’activité dynamique (du yin au yang), Toynbee ne s’en tient pas exclusivement aux facteurs « milieu » ou « race » comme causes de la genèse des civilisations et écrit : « La cause de la genèse des civilisations n’est pas simple mais multiple ; ce n’est pas une entité mais une relation… Elle peut être recherchée dans un modèle d’interaction que nous avons appelé défi-riposte. » L’idée de « défi-riposte » a été inspirée à Toynbee, selon ce qu’il en dit lui-même, par le « Prologue dans le ciel »
    de Goethe où on voit Dieu accepter le défi que lui pose Méphistophélès.

    Avant Toynbee, les historiens expliquaient la genèse des civilisations par la « race » et le « milieu ». Ce sont Jung et Goethe qui ont mis Toynbee sur la voie. Jung disait : « Tous les phénomènes sont de nature énergétique. Or, sans un contraste, il ne saurait y avoir d’énergie. Il faut toujours que préexiste la tension entre le haut et le bas, le chaud et le froid, pour que prenne naissance et se déroule ce processus de compensation qui constitue précisément l’énergie. Tout ce qui est vivant est énergie et, par conséquent, repose sur la tension des contraires ». Là où Bennabi voit un élan spirituel propulser une civilisation (la phase de l’âme), Toynbee voit un « élan prométhéen » animer la « phase de croissance ». L’élan spirituel ou prométhéen agit sur les membres de la communauté engagée dans un processus de civilisation, mais c’est une élite, la « minorité créatrice », qui porte l’essentiel de la responsabilité du mouvement vers l’avant. Encore faut-il qu’elle reste en parfaite osmose avec la communauté, faute de quoi elle n’est plus représentative et ne sera pas suivie.
    S’il arrive que l’élite ne crée plus, ne produise plus de « ripostes » aux défis incessants que génèrent la vie, l’évolution et le milieu, c’est la fin de la civilisation[5]. Toynbee appelle la faculté de conduire l’histoire par une minorité la « faculté de la mimesis» et écrit : «Pour que les personnalités créatrices puissent relever les nouveaux défis, il faut la vigoureuse communion intellectuelle et le rapport personnel intime qui transmet le feu divin d’une âme à une autre »[6]. Les « minorités créatrices » agissent à travers les institutions qu’elles créent : systèmes politiques, organisation juridique, découvertes scientifiques, créations artistiques, valeurs culturelles… Lorsque tout le monde est imprégné de ces valeurs, cela donne lieu à des réflexes sociaux, à un style général, un type psychologique, une culture, une histoire… Le penseur anglais poursuit : « La meilleure sauvegarde contre le risque de détraquement dans l’exercice de la faculté de la « mimesis » consiste dans une cristallisation sous la forme d’habitudes et de coutumes… Je crois que l’avenir d’une civilisation se trouve aux mains d’une minorité d’individus créateurs ».
    Les cycles de civilisation sont distincts des « cycles cosmiques » qu’enseigne la doctrine hindoue pour qui un cycle humain (le Manvantara) se compose de quatre âges qui correspondent aux phases par lesquelles passe la « spiritualité primordiale » avant de s’éteindre, et que l’Antiquité connaissait sous le nom d’âges d’or, d’argent, d’airain et de fer. Le quatrième âge dans lequel nous serions aujourd’hui est le « kali-yuga », l’ « âge sombre », qui aurait commencé il y a six mille ans et dont la durée totale serait égale à la dixième partie de celle du manvantara. Un manvantara comprend 14 kalpa dont chacun est formé d’un millier de « mahayurga » de 12.000 ans chacun. Un cycle de civilisation dure selon Ibn Khaldoun trois générations et un millénaire selon Spengler. Mais il existe une correspondance entre les cycles de civilisation et les cycles cosmiques dans la mesure où les deux conceptions postulent l’idée d’un mouvement de haut en bas,
    du supérieur à l’inférieur, du sacré au profane, du meilleur au pire.

    René Guénon, qui a tenté d’acclimater dans l’ère moderne la notion de « tradition primordiale » écrit : « Le développement de toute manifestation implique nécessairement un éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède ; partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin un point d’arrêt. Cette chute pourrait être caractérisée comme une matérialisation progressive, car l’expression du principe est pure spiritualité »[7]. On retrouve dans les ouvrages du métaphysicien français islamisé certaines formulations utilisées par Bennabi comme la tendance « centripète » et la tendance « centrifuge », la première ascendante et la seconde descendante. Toynbee voit dans la civilisation un « voyage, non un port », tandis que Bennabi considère que le verset coranique (« Tels sont les jours, nous les donnons aux peuples tour à tour »)
    contient une allusion directe à l’idée de « cycle ».

    On peut s’interroger sur la valeur de la théorie des cycles de civilisation aujourd’hui et par conséquent sur la possibilité d’une renaissance. De nouveaux cycles sont-ils possibles dans le monde actuel ? Bennabi s’est posé la question dans une note du 12 juillet 1964 et y a admirablement répondu, même si sa réponse porte en elle-même les limites de sa théorie de la civilisation. Cela démontre son extrême lucidité et la grande ouverture de son esprit puisqu’il n’est pas resté enfermé dans son système, sourd à ce qui se déroule sur la scène de l’histoire. Il écrit dans cette note : « Le développement de la civilisation occidentale à l’échelle mondiale pose plus d’un problème, notamment dans l’ordre métaphysique. Son échelle transgresse d’abord la loi sur les cycles car la notion de cycle est inconciliable avec un phénomène de civilisation qui recouvre toute la surface de la terre. Le cycle n’est concevable que là où il reste un champ disponible pour une nouvelle expérience, une nouvelle renaissance, c’est-à-dire pour une répétition de la naissance d’une civilisation. L’échelle mondiale de la civilisation actuelle exclut ou restreint cette possibilité. Ce fait entraîne certaines conséquences d’ordre historique et sociologique. Jadis, une société obscure comme la société arabe antéislamique pouvait attendre son tour de saisir le flambeau de la civilisation. Ce n’est plus possible. De ce fait, l’humanité semble entrer dans une ère nouvelle, l’ère où le temps historique semble figé, où les situations relatives des sociétés semblent désormais immuables…»
    Une dizaine de jours plus tard, il reprend le fil de cette méditation qui indique que lui-même est en cours de dépassement de sa pensée telle qu’il l’a exposée dans ses ouvrages jusque-là. En effet, dans une note du 23 juillet 1964 il poursuit : « Dans ma note du 12 courant sur la civilisation moderne, j’ai dit que celle-ci a pris une forme gigantesque absorbant les dimensions de la planète et qu’elle a pris de ce fait un caractère apocalyptique. C’est une civilisation qui ne peut plus compenser ses pertes, parce qu’elle ne peut plus récupérer ici ce qui lui fait défaut ailleurs. Le monde est devenu isotherme et équipotentiel : les courants de civilisation ne peuvent plus y prendre naissance… ».
    On peut s’étonner que ces « arrière-pensées » n’aient pas été prises en compte dans les écrits ultérieurs de Bennabi, comme le « PISM » ou les textes constituant « Majalis Dimashq » dont « Le rôle et la mission du musulman dans le dernier tiers du XX° siècle » où il continue sur son ancienne lancée, ne laissant rien transparaître de ces nouvelles et importantes cogitations pourtant fondamentales à la pérennité de sa pensée. Dans ce dernier texte, Bennabi continue d’affirmer que les peuples du Sud reviendront
    à la civilisation et réitère sa croyance en l’alternance des civilisations.

    N.B
    [1] Cf « La civilisation à l’épreuve ».

    [2] Cf. Préface au « Déclin de l’Occident », T.1, 1931.

    [3] « L’esprit des lois ».

    [4] Fondé par Bouddha vers 525 av. J.C en Inde, le bouddhisme est venu réformer la religion védique qui lui était antérieure de quelques siècles. Sa philosophie est athée. Il nie toute autorité et notamment la division de la société en castes. Il est opposé à l’ascétisme et aux pratiques brahmanes. Il nie les Vedas, livres sacrés de l’Inde, dénonce les castes et ne croit pas à l’existence de l’âme. L’esprit doit rechercher ce qui a une utilité pratique pour la délivrance des souffrances que sont la vie et la mort. Il rejette le monde. Après la mort de son fondateur, le bouddhisme se scinde en deux voies : le grand véhicule et le petit véhicule. Mais il n’arrive pas à éclipser le brahmanisme et l’hindouisme qui, eux, croient en un principe créateur, Varuna, qui veille à l’ordre du monde. L’Hindouisme ne repose pas sur une révélation ou une foi mais sur la connaissance que l’on peut atteindre par des intuitions et des visions. Dans le bouddhisme, la notion de dieux est présente, mais pas celle d’un Etre suprême. Il disparaît de l’Inde entre le premier et le troisième siècle de l’ère chrétienne et émigre en Chine où il est assimilé au taoïsme. Là non plus il ne fait pas racine. Le confucianisme renaissant le surclasse vers le X° siècle. Le développement du bouddhisme en Chine a été stoppé vers l’an 1000. Les mandarins confucéens le persécutent. Au XII° siècle, l’empereur Hui-Tsung le proscrit. Il trouve refuge au Japon, à Ceylan, en Birmanie et en Thaïlande. Apparu à la même époque que le bouddhisme en Inde et le Taoïsme en Chine, e confucianisme ne comporte pas de métaphysique ou d’idée de Dieu. Il canonise les vertus, la droiture, le sens filial et social, l’idée de Bien. La nature est régie par deux forces cosmiques, le yin et le yang.
    C’est le taoïsme qui constitue le volet métaphysique et spirituel de la philosophie chinoise traditionnelle.
    Il est hostile à l’existence d’un « souverain d’en haut » appelé « Tai yi ».


    [5] Spengler écrit : « C’est une minorité de cerveaux supérieurs dont les noms ne sont peut-être plus connus qui décide de tout, tandis que la grande masse des politiciens de deuxième zone, rhéteurs et tribuns, députés et journalistes, élus des horizons provinciaux, maintiennent pour la foule l’illusion de la liberté de disposer de soi », op.cité, T.1.

    [6] Prométhée, dans la mythologie grecque, est celui qui dérobe le feu et s’empare des pouvoirs de Dieu.Le Prométhée auquel se réfère Toynbee est celui de Goethe, qui co-agit avec le Prophète de l’islam pour rétablir l’Alliance entre Dieu et l’homme.

    [7] René Guénon : « La crise du monde moderne ».

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    LA THEORIE DES IDEES
    Noureddine Boukrouh·JEUDI 4 FÉVRIER 2016

    Le Soir d’Algérie du jeudi 04/02/2016

    Qu’est-ce qui incite les peuples à entreprendre, au-delà de leurs
    besoins ordinaires, de grandes choses ? Les peuples réalisent sous
    l’impulsion de leurs rois, de leurs gouvernements ou de leurs élites
    lorsqu’ils sont tendus par un idéal ou la volonté de marquer
    leur passage sur la terre. Que ce soit pour se défendre
    (muraille de Chine), perpétuer leur souvenir (mausolées) ou plaire
    à Dieu (mosquées, cathédrales, synagogues, temples…) ils entreprennent
    des ouvrages magnifiques (merveilles du monde) ou créent des institutions
    géniales (république, démocratie, assistance sociale…).
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    Post êtes-vous sûrs de vouloir la verite ?

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    NOUREDDINE BOUKROUH
    ÊTES-VOUS SÛRS DE VOULOIR LA VERITE ?

    Publié Mardi 09 Février 2016

    « Que ce qui est dans la jarre sorte au milieu de l’assemblée !"
    (( "ألي فالقسط يخرج للوسط"
    « Win rahi la verité ? » s’interrogeait Bâaziz dans une chanson de 1990. « On s’en fout ! » est-on tenté de lui répondre en restant dans l’air et les paroles de sa chansonnette alors que le pays est pris dans une furie de déballage allant de la bataille d’Alger aux tortures d’octobre 88, du départ de Chadli aux grandes affaires de corruption, de Toufik « éplucheur de patates » avant l’indépendance à « rab dzaïr » il n’y a pas longtemps…
    Quand on voit à quoi se rapporte la question on a envie de dire « On n’en a que faire de la vérité, Bâaziz, elle est trop sale !»

    Elle pleut ces jours-ci, la prétendue vérité, elle nous inonde en ces temps de sècheresse, elle tombe du ciel, monte de la terre, sort de l’oubli, rentre d’exil… Elle est sur toutes les bouches, dans les cafés, les chaumières, à la une des journaux, sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision. Elle pousse toute seule, comme le chiendent et le « cactus berberus » (hendi). On ne pensait pas la connaître de notre vivant, la voilà courant les rues comme si elle était plus pressée de se montrer que nous de la voir.
    On voulait bien être édifié sur deux ou trois évènements, prendre connaissance de quelques hauts faits cachés par modestie, deviner de l’intelligence derrière les décisions prises à certains moments cruciaux mais c’est au plus dégueulasse qu’on a eu droit : des révélations sordides, de la pure délation, des accusations mutuelles de trahison, des raisonnements enfantins, des comportements de brutes épaisses… Qu’est-ce qu’il leur a pris à ces déballeurs avares de mots durant leur vie active de devenir d’intarissables perroquets à un âge où on est généralement peu causeur ?
    Nezzar a longtemps été seul sur le créneau des scoops mais le voilà rejoint par une flopée de compétiteurs rappelant les célèbres marionnettes du Muppet Show : le colonel Benaouda, le général Betchine, l’ancien Premier ministre Abdelhamid Brahimi qui n’a pas pu patienter jusqu’à sa sortie de l’aéroport pour nous apprendre que
    Nezzar est un agent des services français et Toufik un ancien aide-cuisinier.

    On ne sait pas ce qu’il est arrivé à madame l’Histoire en Algérie, mais on dirait qu’elle a jailli des boîtes d’archives classées « top secret » pour ne laisser personne frustré de la connaissance de la vérité. Elle s’est emparée d’un mégaphone et poussé devant elle les derniers témoins en vie qu’elle a trouvés sur son chemin pour les forcer à dégurgiter
    ce qu’ils ont longtemps caché les uns sur les autres.

    Un proverbe algérien dit : « Sdour al-ahrar, qbour al-asrar » (poitrines de nobles, tombeaux des secrets). Cette belle parole valait peut-être au temps de l’Emir Abdelkader, cheikh al-Mokrani, Fatma Nsoumer ou Bouamama, elle ne convient pas à la triste époque que nous vivons et aux petits « haggarin » qui l’ont souillée de leurs vilénies.
    C’est pour vous dire, messieurs les généraux à la retraite, anciens chefs de gouvernement et anciens maquisards que nous ne voulons pas de vos vérités vengeresses, de vos dénonciations tardives, de vos haines séniles, car vous avez achevé de détruire le respect que nous vous accordions bien que nous n’étions pas dupes. Nous préférons ne rien savoir sur vous ou venant de vous.
    Nous nous doutions à la seule vue de vos personnages mal fagotés, de votre langage de rue, de ce qu’on a appris sur vous, qu’il y avait plus de mensonge que de vérité dans ce que vous nous racontiez ou que vous vous prêtiez mutuellement pour entretenir vos légendes; que la Révolution a été faite par ceux qui sont morts plutôt que par ceux qui y ont survécu ; que quelques uns de ces derniers ont aidé quelques uns des premiers à rejoindre le paradis auquel ils ont préféré
    les richesses terrestres et le pouvoir qui les permet et les sécurise.

    Mais, à bien y réfléchir, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas encourager ce désir de se confesser même si on sait que sa motivation n’est pas le témoignage mais la vengeance : « a’mili aïn » pour que mon ennemi perde les deux. C’est peut-être nous qui ne comprenons pas ces vocations tardives, cette illumination de la vieillesse, ce feu d’artifices, et continuons à voir
    du mal là où il n’y a plus que rémission et résilience.

    Oui, effectivement, pourquoi Zéroual ne nous apprendrait-il pas lui-même, au lieu de compter sur l’Histoire, dans quelles conditions il a abandonné ses fonctions moins de trois ans après que le peuple lui eut accordé sa confiance dans une ambiance patriotique mémorable ? Yacef Sâadi, malgré le grand film réalisé, le paquet de livres écrits et les interviews données tout au long de sa vie est revenu ces jours-ci sur l’ouvrage à quatre-vingt-dix ans.
    La vérité, braves Algériens, est dans l’étalage de médiocrité qui nous a dirigés en vertu des aberrations de notre histoire où la mauvaise monnaie a de toujours chassé la bonne, les voyous les fils de famille et les analphabètes les hommes de pensée, pendant la Révolution comme après l’indépendance. Elle est dans le niveau intellectuel de notre leadership de 1926 (création de l’Etoile Nord-africaine ») à février 2016 où viennent de se jouer, avec la dernière révision constitutionnelle
    et dans l’inconscience la plus totale, les 5e et 6e mandats au profit d’un homme disqualifié physiquement
    et moralement et dont on ne voit la silhouette tassée que de loin en loin.

    Si le « faiseur de rois » épluchait jadis patates et carottes à en croire les révélations d’ « Abdelhamid la science », le « zaïm » du mouvement national, Messali Hadj, les vendait sur une charrette à en croire ses biographes.
    Près d’un siècle plus tard, nous sommes dirigés par un homme qui a mis le pays à plat ventre
    comme personne avant et lui roule dessus comme on passe le fer à repasser sur un linge.

    La vérité, braves Algériens, est que tout cela ne date pas d’hier. Si on remonte plus haut dans notre histoire on tombe sur « l’homme à l’âne », Maysara « le porteur d’eau » ou le rusé Djouha. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre. Il ne pouvait qu’en être ainsi après 1962, un ignorant succédant à un autre, s’entourant de plus illettré que lui pour les postes de confiance, de légèrement plus compétent pour les postes techniques mais le compensant par une servilité illimitée,
    et de corrompus pour gérer les affaires du « système ».

    On veut des preuves « alternatives » ? Si le FIS, les GIA, l’AIS, le GSPC et AQMI avaient gagné la partie dans les années 90 on aurait aujourd’hui à la tête du califat ou de l’Etat islamique d’Algérie moult marchand de volaille, tôlier, maître d’école coranique, imam et « faqih » de rue, vite promis au despotisme et à l’enrichissement sans cause qui va avec.
    Ce n’aurait pas été l’un ou l’autre, mais les uns et les autres.

    On voudrait des preuves plus récentes ? A l’élection présidentielle de 2014 il y avait parmi les candidats, entre pelés et tondus, un marchand de légumes prospère dont le programme était de… déléguer son mandat à Ali Benhadj. Il y a même des preuves « d’à-venir » si vous voulez: un Belahmar ne sera-t-il pas élu haut la main par l’esprit du douar s’il se présentait en 2029 ? Un Benouari ou un autre « Suisse » de ce temps-là aura-t-il une chance devant un autre Benhadj
    en 3029 ou en 3979 pour être fidèle à notre vieux calendrier berbère ?

    En réalité, braves Algériens, ni le pouvoir ni personne d’entre nous ne voudra de la vraie vérité, de toute la vérité. Un morceau, quelques lambeaux par-ci par-là, de temps en temps, celle des autres, oui, c’est acceptable. La nôtre, celle de chacun de nous, non, il n’en est pas question sinon tous les tribunaux du monde ne suffiraient pas pour nous juger, le siècle s’avérerait trop court, les prisons de toute la planète n’offriraient pas assez de places pour nous héberger, les sabres d’Arabie saoudite et les pierres de son désert ne feraient pas le compte pour nous décapiter et nous lapider pour nos fautes et nos crimes cachés, non avoués et non expiés.
    « Win rahi la vérité ? » Il vaut mieux ne pas le savoir car elle serait trop honteuse pour nous, trop accablante pour notre soi-disant dignité. Elle ressemble au voleur du dernier billet de Saïd Mekbel se faufilant dans l’obscurité pour déposer son sachet-poubelle devant la porte du voisin ; elle a les traits du conducteur regardant à droite et à gauche avant de jeter quelque chose de son véhicule sur la voie publique ; elle est dans la discrétion de ce resquilleur volant avec sa progéniture sa consommation d’électricité à Sonelgaz ou d’eau à Seal avant d’aller accomplir les « tarawih »; elle est dans l’élégance des hommes d’affaires maquillant leurs chiffres pour ne pas payer ce qu’il doivent au fisc; elle est dans chaque construction illicite, dans l’absence de toilettes publiques dans l’ensemble du pays, dans l’irrespect mutuel dans lequel nous nous tenons, dans la culture
    de « takhti rassi », dans les viols incessants de la Constitution…

    Qu’enseigne-t-on à nos enfants à la maison ? De laisser passer quelqu’un devant soi ? De céder le passage à un autre ? D’aider un vieillard à traverser ? De se lever pour laisser s’asseoir une vieille ? D’être poli avec les autres ? De ne pas escroquer autrui ? On ne sait même pas ce que c’est tant que ces règles ne sont pas estampillées d’un verset, confirmées par un hadith « çahih » ou imposées par la loi moyennant sanctions. C’est la « kfaza », la « chtara », la débrouille, la méfiance des autres et leur mépris qu’on leur apprend : « tag âla man tâg », « adarbou ya’raf madarbou » et autres directives du même genre ponctuent le langage quotidien. On n’est pas content de se l’entendre dire ? Ce n’est pourtant que la vérité.
    Nous sommes tous, de haut en bas de l’échelle sociale, de petits, moyens ou grands criminels, permanents ou intermittents. Nous sommes tous, d’une façon ou d’une autre, des voleurs, des menteurs, des transgresseurs des lois, des corrompus ou des corrupteurs, réguliers ou occasionnels. Le tout est de ne pas être vu, surpris, arrêté ou tué, sinon nous sommes prêts à tous les attentats civiques, à tous les terrorismes intellectuels et religieux, à toutes les trahisons politiques et lâchetés sociales. En suivant à la télévision le vote de la Constitution, je me suis demandé combien de députés et sénateurs auraient voté en sa faveur si le scrutin avait été réellement secret. Car les Algériens sont très rarement les mêmes selon qu’ils agissent en secret ou en public.
    Notre vie nationale telle que faite, notre mentalité et nos traditions telles que nous en avons hérité, nous portent, nous obligent, nous condamnent à ces maladies sociales. On ne résiste pas à la force gravitationnelle, on n’échappe pas à son naturel et à son patrimoine génétique. Ce qu’on reproche aux autres, ce pour quoi nous les haïssons et les insultons dans leur dos, c’est d’avoir pris au-delà de ce que nous avons pu prendre nous-mêmes parce que nous n’en avons pas eu la possibilité ou l’audace : « alli ykhaf, razkou klil » dit un adage algérien, et c’est pourquoi il y a plus de pauvres que de riches. Un autre proverbe atteste de l’ancienneté de notre inclination à la cachoterie et à la duperie: « Qui t’aime voilera tes défauts »
    (elli ihebak yastor aybek), il faut laisser « lbir baghtah »…

    La culture étatique et politique du secret remonte, pense-t-on, à la Révolution. En effet il fallait se cacher pour ne pas être pris, ne pas laisser de traces, brouiller les pistes, masquer la vérité… Quelques uns, arrêtés dans le souffle de la bataille, ou pour éviter de l’être, ont été contraints de « donner » leurs frères. D’autres, venus à la Révolution dans on ne sait quels buts et circonstances et ayant donc plus de raisons de dissimuler leur itinéraire et leurs « faits de guerre », y ont trouvé un prétexte inespéré.
    Lorsqu’on réfléchit un peu plus, qu’on relie le présent au passé, on s’aperçoit que la tendance à la dissimulation, à la fourberie, au « dribblage », plonge ses racines dans notre inconscient collectif millénaire. Et si nous creusons davantage, on le trouve intriqué avec la culture religieuse : un péché caché est à moitié pardonné ; « essatra mliha ! », « astar ma star Allah » et autres sentences, surtout quand elles arrangent nos petits calculs, sont pieusement recommandées.
    Lorsque le projet de révision de la Constitution avait été rendu public, j’avais compris comme tout le monde que la langue tamazight avait définitivement conquis son statut de langue nationale et officielle mais qu’il faudrait du temps pour uniformiser son usage et son écriture (dix à quinze ans a dit Ouyahia), ce qui était compréhensible. Puis il m’a paru incongru, incompréhensible, de donner d’une main ce que de l’autre on retirait car dans la même Constitution il était dit une chose et son contraire, à savoir que tamazight était langue officielle mais que l’arabe demeurerait l’unique langue officielle de l’Etat.
    Où était le problème, me suis-demandé ? Dans la conception des amendements ou dans les mots utilisés ? Comme il est plus facile d’entrer dans un dictionnaire que dans la tête de l’auteur des amendements, je me suis précipité sur le Larousse pour m’assurer du sens du mot « officiel » et j’ai lu, comme je m’y attendais : « qui a un caractère légal, qui émane du gouvernement, de l’administration ». Mais en descendant plus bas dans la note de définition je suis tombé sur un autre sens
    « qui est donné pour vrai mais qui laisse supposer une autre réalité ».

    Là j’ai compris que Djouha venait encore de frapper : tamazight sera officielle sans être utilisée par l’Etat et l’administration. Comme pour notre système politique, notre économie, notre culture : la forme ne correspond pas au fond, la lettre au fait, l’étiquette à la marchandise, le discours à la réalité, le promis au tenu : tout est faux et usage de faux, apparences et artifices, ruses et tromperies… Je retrouvais la patine qui a laissé sa trace sur tout ce qui s’est fait depuis 1999. Je me suis imaginé la scène
    « Et les Kabyles, qu’est-ce qu’on va leur donner pour les calmer ? » Réponse : le mot mais pas la réalité !

    Il n’y a plus rien à faire ou à attendre quand c’est du plus haut niveau de l’Etat que viennent les pires exemples, les atteintes à l’unité nationale, à l’intérêt général, à la morale publique, à l’échelle des valeurs... Que retiendront les nouvelles générations de cette attitude systématique de mépris et de ruse fourbe envers la nation ? De leur Président recevant n’importe quel quidam étranger de passage et refusant de dire le moindre mot à son peuple depuis plusieurs années ? De telles attitudes incitent-elles au respect de l’Etat et des dirigeants, au bon exemple et à l’amour du pays ? Et ces scandales incessants, quotidiens, ce viol permanent de la souveraineté populaire, cet abaissement systématique des institutions?
    Au regard de ce qui précède, braves Algériens, les carottes sont bel et bien cuites. Il n’est plus possible dans notre pays de croire à la Constitution, aux promesses publiques, d’espérer du bien des politiques suivies, de filer droit en tant que citoyen, de respecter la loi par conviction et non par peur d’être pris, d’être honnête, bien éduqué, propre au physique et au moral. Il n’y a plus comment…
    NB

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    NOUREDDINE BOUKROUH
    LE GÉNIE DES PEUPLES

    12 Mars 2016

    "La critique et l’autocritique sont un devoir pour chaque militant. Elles permettent de renforcer la combativité du Parti, stimuler ses activités créatrices et ses liens avec les masses. Chaque militant doit pouvoir défendre courageusement ses opinions, dénoncer les insuffisances et proposer des corrections."Charte Nationale » (p.47)
    Le "génie des peuples"(abqariyat ech-chouoûb) est une expression qu’a particulièrement chérie le discours public algérien des vingt dernières années. Mais il n’en a pas toujours fait un usage raisonné. Affirmer la fierté et la grandeur de son peuple est peut-être une bonne chose, l’intention est certainement louable, mais c’est aussi une bonne chose que les mots aient un sens, un contenu, une vie même, et qu’ils tiennent à être protégés de l’abus,
    du non-sens, de l’emploi inconsidéré qui peuvent leur être fatals.

    Le génie" d’un peuple (du Latin genicus, mais surtout ingenium, c’est-à-dire le caractère distinctif d’un être, d’une race, etc), c’est sa marque particulière, ce par quoi il brille par rapport aux autres peuples, son type de "réponse au vide cosmique" comme dirait Bennabi. C’est sa manière, mais une manière positive, créatrice, de vivre sa chance d’exister dans l’Histoire, ce sont ses triomphes sur la nature et sur lui-même, ses réalisations techniques et spirituelles, ses découvertes scientifiques et sociales, son apport au reste de l’humanité, sa poésie de la vie, sa prestance architecturale…On a pu ainsi parler de génie grec, de génie romain, de génie islamique, de génie russe (pour Pierre Le Grand qu’on a aussi surnommé le "Préobrazovatel", c’est-à-dire le "transfigurateur", le "civilisateur"), etc, pour exprimer les performances morales et matérielles d’une nation, l’empreinte de sa main et de son esprit sur l’espace et le temps. Le "génie des peuples" n’est donc pas une fiction, une "qualité" vague et indéterminée, un artifice du langage politique,
    mais une réalité sublime, prouvée et reconnue de tous.

    Certes, la conjonction de l’ignorance et de la démagogie peut en faire un slogan, une flatterie, un mythe - et elle l’a fait - mais en général ce genre de slogan, de flatterie et de mythe ne durent pas, ne résistent pas à la critique. C’est d’ailleurs le sort de tous les mots menteurs que d’être tôt ou tard démasqués, démystifiés, puis abandonnés au profit de la vérité.Et la vérité aujourd’hui pour nous Algériens et Algériennes, c’est l’état dans lequel nous surprend la "lutte contre les fléaux sociaux", une lutte contre nous-mêmes (al-djihad al-akbar) que nous appelions du fond de l’abime social où nous nous trouvions, malheureux et impuissants. Ibn Khaldoun n’a jamais eu autant raison que lorsqu’il a écrit : "Tout dépend du gouvernement : quand celui-ci évite l’injustice, la partialité, la faiblesse et la corruption, et qu’il décide à marcher droit, sans écart, alors son marché ne traite que l’or pur et l’argent fin. Mais que l’Etat se laisse mener par l’intérêt personnel et les rivalités, par les marchands de tyrannie et de déloyauté, et voilà que
    la fausse monnaie seule a cours sur place" (Al Muqaddima).

    Le "génie" tout court cette fois, a-t-on dit, c’est 25% d’inspiration et 75% de transpiration. L’Allemand, par exemple, est réputé pour son sens du travail et de la discipline, le Britannique pour sa sobriété et sa retenue, le Suisse pour sa manie de la propreté publique, le Japonais pour sa précision et son affabilité, etc. Mais l’Algérien ? Qu’est-ce qui fait notre "génie" ? Par quoi nous distinguons-nous des autres? Quelle idée a-t-on de nous à travers le monde (du moins là où nous ne sommes pas, quoique nous fassions, le "bougnoule")? Que pensent de nous en réalité les étrangers résidant dans notre pays? Que dit-on de nous dans les rapports diplomatiques? Et même sans référence aux autres, qu’est-ce qui nous singularise? Qu’est-ce qui nous est commun ? En quoi consiste ce "génie" dont on nous a tant rebattu les oreilles ?Nous fonctionnons, ô combien, en-deçà de nos capacités économiques ; nous proclamons, avouons une réalité mais en vivons une autre ; nous nous sommes implicitement entendus sur le mal ; nous nous sommes mis d’accord sur l’indifférence à l’égard de la chose publique ; nous nous sommes accordés sur la démagogie, le sabotage le contournement des lois, le détournement des moyens de l’Etat, l’absentéisme, la vie facile, la spéculation, la saleté, l’achèvement des malades… Nous nous comportons exactement comme si la vie devait cesser avec nous!Tout nous est indifférent tant que cela ne touche pas nos intérêts ; délits et crimes de toutes natures se commettent sous nos yeux sinon avec notre approbation, du moins avec notre tacite complicité ; nous avons abjuré Dieu, trahi l’esprit de la Révolution, nous avons fait toutes les concessions du monde, nous nous bluffons à l’envi, nous mentons, nous raillons, nous soudoyons, nous trafiquons, nous "brossons", nous nous bagarrons, nous convoitons la fille, la sœur ou la femme de l’autre, nous lui manquons de respect dans la rue, nous sommes vulgaires, obscènes, nous blasphémons,
    nous nous parjurons, nos enfants s’élèvent à notre images…

    Et nous « militons » par-dessus le marché pour n’avoir l’air de rien ou pour l’impunité. "Maudit instinct de la médiocrité!" (Nietzsche). Développées, généralisées, démocratisées, ces marques sont devenues notre "génie". "Hchicha talba maïcha", "haff taïch", et bien d’autres tournures du même crû fournissent à notre comportement leur justification "philosophique".L’Algérien est sorti de l’ère pré-économique pour tomber dans l’économisme. Celui-ci nous a avilis, abrutis, dénaturés. Il nous a précipités dans un ilotisme sans nom, il nous a réduits à l’état honteux de consommateurs, de tubes digestifs, il a fait de nous des "minus habens". L’économisme n’est pas un mal de socialisme, il aurait aussi bien germé en terrain capitaliste ; l’économisme n’est pas une doctrine économique, mais une vision erronée du rôle de l’économique dans un processus de développement. C’est l’attitude qui consiste à ne voir dans les phénomènes que leur aspect matériel, c’est l’illusion de croire qu’ayant hissé l’homme à un certain PNB on l’a développé, c’est l’erreur de penser qu’on n’est au monde que pour assumer la charge d’argent économique (de préférence, celle de consommateur).Il y a une trentaine d’année, l’"homme" c’était le fétichisme de la moustache dans un univers mental où valeurs et non-valeurs faisaient bon voisinage. De nos jours, le "radjel" c’est celui qui touche gros, qui loge en résidence, qui roule en seize chevaux, qui se soigne à l’étranger, qui échappe aux lois et ne rend de comptes à personne. A l’origine de cette métanoïa vous avez justement l’économisme. Entre autres méfaits celui-ci a désarmé l’honnête homme, il l’a déclassé, humilié, vaincu. Il l’a livré aux sarcasmes de l’arriviste bien pansu, il en a fait un objet de risée. L’économisme a agi de même avec la révolutionnaire authentique, avec l’intellectuel désintéressé, il a pointé un doigt railleur sur la pensée, sur les idées, et déclaré l’une et les autres actes honteux et inutiles. D’où le "choséisme" effarant de nos conceptions,
    notre étroit concrétisme, la myopie de nos vues.

    Notre culture? Elle consiste en quelques misérables scénarios de films où les sempiternels personnages du fou (la conscience populaire), de l’imam (la réaction) et du propriétaire (la bourgeoisie compradore) se disputent la palme du grotesque et du simplisme "engagé", quelques cheikhs de la musique trônant avec toute la majesté de leur "djahl" sur un domaine ouvert à des ouailles mi-artistes, mi-voyous, en trois ou quatre romanciers insipides et arrogants qui ont un pied dans les petites "affaires" et un autre dans la harangue télévisée…Nos beaux-arts? Voyez un peu ces minables statues dans quelques-uns de nos jardins publics, au "Padovani" ou au souk al-fellah de Chéraga par exemple, voyez cette monumentale et innommable crotte juchée en face du Mazafran comme pour offenser les cieux, voyez ces hideuses peintures sur panneaux un peu partout dans la capitale… Qui donc est derrière cette prostitution de l’art? Qui nous inflige avec tant de générosité ce "réalisme socialiste"? Qui est à l’origine de la baptisation des villages agricoles "Guaâdat at-tarfas" (intraduisible),
    "Fartassa" (chauve), "Magoûra" (trouée), et j’en oublie…

    Notre économie? Elle ne repose pas sur la sueur, sur le travail, sur la production de richesses, mais sur le troc d’une "rahma" du Ciel ou du hasard, comme bon vous semble. Nous vivons en rentiers de nos sols et sous-sol. Nous sommes pour si peu dans notre survie que nous aurions mille et une fois crevé si nous n’avions compté pour vivre comme nous le faisons que sur ce que nous produisons réellement. Mais, insolents et pleins de gloriole, nous ne voulons pas qu’on le sache. Nous nous le disons bien entre nous mais il ne faut pas l’admettre, le reconnaître: par "principe"!Pour davantage nous leurrer nous remercions à tout de champ les "oummal", hurlons à la réaction ou à l’impérialisme dès que ça ne tourne pas rond, après quoi nous nous retrouvons Gros-jean comme devant face à nos éternels problèmes. C’est que les slogans, tout comme Dieu, " ne transforme (nt) rien à l’état d’un peuple tant que celui-ci n’a pas transformé son âme" (Coran). Et "production et productivité", "bataille de la production", "bataille de la gestion", etc, ne sont rien d’autre que des slogans, des litanies qui n’élèveront jamais la courbe de notre croissance, tout au contraire. Ouvrons ici une petite parenthèse : il est pour le moins curieux que nous ne voyons jamais les choses que sous un angle belliqueux, belliciste, que tout se présente à notre esprit sous forme de mêlée, d’échauffourée, de bataille,
    donc de confusion, de désordre, de kahlouta…

    Le "génie du peuple"…Trêve! Trente-six articles, cent discours sur la place publique, mille sermons télévisés de Ali Chentir sur Bliss, un million de banderoles au-dessus de nos artères ne changeraient rien à rien. Ce qu’il fallait, c’était des décisions, des mesures, des actes! Que soient louées les instances dirigeants, et à leur tête le Président de la république, pour avoir pris celles-ci. "Rien n’est assez désastreux pour que la destinée ne puisse en faire un bien" disait Goethe.Quelle joie, quel bonheur, quelle satisfaction! Nous étions donc capables de traverser au passage clouté, de respecter une chaine (je veux dire de l’observer car on aurait voulu que jamais on n’en connût), de nettoyer nos rues, de céder une priorité, de ne pas cracher rageusement notre chique à l’émoi des passants… Nous pouvions donc sans risque de mourir nous conduire en gens sensés, nous conformer aux règles universelles de la vie en société, circuler dans la rue Ben Mhidi à quinze heures sans redouter une agression armée, aller au cinéma et suivre paisiblement son film…Inouï! Pendant dix-sept ans nous pouvions vivre ainsi, la paix civile était si près de nos moyens - nous ne nous sommes pas ruinés aujourd’hui à l’établir - et pourtant nous vivions un véritable enfer, l’enfer de ceux qui doivent gagner laborieusement leur vie d’honnêtes gens, l’enfer de ceux qui doivent emprunter les transports publics, l’enfer de ceux qui sont contraints de faire toutes les chaînes du monde pour ne pas crever, l’enfer de ceux qui envoient travailler leur fille ou leur épouse pour boucler le mois. L’agent de l’ordre dans la rue ne nous a jamais paru aussi sympathique, aussi bien mis dans sa tenue, aussi vigilant. Il ne nous a jamais semblé aussi propre, aussi vigoureux, aussi propre, aussi imbu de son rôle social. L’état désormais est là, sous nos yeux, fort, actif, soucieux du bien du citoyen.Et foin de ceux, ici ou à l’étranger, qui raillent, qui persiflent, qui tournent en dérision. Certains se sont déjà manifestés, d’autres guettent l’occasion, attendent patiemment le détail qui libérera leur hargne, leur venin, leur rage. Ils nous parleront à coup sûr de respect des libertés, de répression, de fascisme, d’intégrisme… Mais nous les connaissons assez maintenant pour les avoir eus maintes fois sur le paletot. Ils sont ceux-là qui veulent nous faire croire que le "génie des peuples" c’est l’état dans lequel nous étions avant le déclenchement de la lutte contre les fléaux sociaux, ils sont ceux-là qui ne veulent à aucun prix de l’Algérien du 1er novembre, un homme inébranlable,
    intransigeant, moral, sérieux, fraternel, désintéressé…

    Cet homme leur a fait du mal, il a déplacé des montagnes, il a donné ses biens et sa vie, il a soulevé l’admiration du monde, il a incarné l’idéal du Héros. Après l’indépendance cet homme, avant d’être déçu, écœuré par le comportement de certains de ses chefs, a encore donné la mesure de son amour pour sa patrie, pour un socialisme authentique, pour une justice intégrale. Cet Algérien qui a fait la gloire de notre pays par ses valeurs morales principalement, on ne veut pas de lui. Il est dangereux, il ne permet aucun laisser-aller, ne ferme les yeux sur nulle magouille. Quand il est pris par l’idéal du bien, quand il n’entend plus que la voix du devoir, il va jusqu’au bout : d’une guerre contre l’ennemi, d’une lutte contre soi-même, ou pour triomphe du sous développement. "Ô heureux le peuple dont l’âme a frémi et qui s’est recréé lui-même avec sa propre argile! Pour les anges qui portent le trône de Dieu,
    c’est un matin de fête que le moment où un peuples se réveille" (Iqbal)

    (« El-Moudjahid »» du 8 octobre 1979)

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    NOUREDDINE BOUKROUH



    Une fausse nation
    09 Juin 2016

    Ayant été mal faite, l’Algérie est appelée à être refaite.
    On ne sait quand ni à quel prix, mais presque tout devra
    être refait un jour. Surtout dans la tête, l’esprit,
    les idées des Algériens car c’est là que
    les plus grands dégâts ont été Suite...

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    Dernière modification par zadhand ; 09/06/2016 à 17h24.
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    Une vraie nation




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    NOUREDDINE BOUKROUH

    L’impact produit par ma contribution intitulée
    «Une fausse nation» parue la semaine dernière
    ici m’a surpris par son ampleur mesurable,
    notamment, au nombre de lectures, de partages
    et de commentaires sur ma page Facebook.
    Parmi eux, beaucoup m’ont reproché mon
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