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Discussion: Noureddine Boukrouh

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    Post Ce que nous réserve l’avenir

    Par Nour-Eddine Boukrouh
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    Ce que nous réserve l’avenir

    «Comme toute civilisation dépend, pour son organisation sociale et économique, de la vision du monde qui domine parmi ses membres, les changements de vision du monde sont
    les évènements les plus importants de l’histoire humaine.»

    Jean Staune (Les clefs du futur).
    Héritiers d’une longue tradition d’oralité du fait d’une langue originelle qui a failli disparaître faute de s’écrire, le tamazight, d’une langue qui a longtemps été réduite à leurs besoins religieux, l’arabe, et d’une langue étrangère condamnée du fait des mauvais souvenirs auxquels elle est liée, le français, les Algériens lisent très peu les livres : très rarement en tamazight car il n’y en a presque pas, de moins en moins en français, et des ouvrages religieux en arabe en forte croissance. Peut-on, avec ces caractéristiques, prétendre à une place de choix parmi les sociétés du savoir de demain ?
    Nous accordons peu d’importance au savoir contenu dans les livres, nous intéressant pour la plupart aux questions religieuses comme si l’islam venait d’être révélé, le Prophète de mourir et le Jugement dernier pour demain. «Plus tard», pour nous, ce n’est pas l’avenir, l’Histoire, la réalisation des buts terrestres et cosmiques pour lesquels l’être humain a été créé, mais l’«autre demeure» dans laquelle nous allons bientôt déménager pour un établissement définitif et une vie de félicité sans fin. Il n’y a plus que les musulmans sur la terre à avoir une vue aussi étriquée des choses et, plus grave encore, à mourir et à tuer pour des idées fausses qu’ils persistent à croire vraies. Quelle différence entre une idée fausse et une idée folle ? Entre fous n’est-on pas toujours sains d’esprit ? Cela étant, peut-on se considérer comme la «meilleure communauté sortie parmi les hommes» ?
    L’ancien «îlm» (savoir religieux) nous dit en nous tapotant sur l’épaule, sur la conscience, qu’il n’est pas une créature sur la terre dont les besoins ne soient à la charge d’Allah («wa ma min dabbatin fil-ardh illa wa ‘âla llahi rizkouha», Coran) idée qu’il nous a présentée il y a quatorze siècles comme la garantie que nous n’avons pas à nous en faire pour notre subsistance alors que ce verset vise la notion de chaîne alimentaire, la nature ayant assigné à chaque organisme vivant, non seulement un système d’alimentation approprié, mais relié à celui d’autres êtres vivants pour que la vie puisse se dérouler comme elle le fait. Ces organismes vivants sont classés en producteurs (végétaux), consommateurs (herbivores et carnivores) et décomposeurs (bactéries et champignons). Dans quelle catégorie nous placerions-nous de notre propre chef ?
    Nous nous trompons sur la religion, croyant à tort que nous n’avons été créés que pour «adorer» Dieu. C’est ce qui est effectivement répété plusieurs fois dans le Coran mais le problème n’a jamais été avec le Coran, surtout dans l’ordre où il a été révélé, mais avec les interprétations qui en ont été tirées à une époque où c’est tout ce qui pouvait en être tiré. Adorer Dieu à travers l’exercice de rites se comprend, encore que le rite est plus utile à l’homme qu’à Dieu, mais c’est l’adorer mieux en tendant vers Lui, en allant à Lui en assumant les tâches historiques et cosmiques pour lesquelles il nous a conçus. N’est-ce pas parce que nous portons un savoir obsolète que nous nous trouvons à contre-sens de l’évolution humaine ? Nous sommes hypnotisés par l’incompréhensible autodestruction de plusieurs pays musulmans, horrifiés par des bains de sang absurdes, abasourdis par le bruit des explosions détruisant la ville de Palmyre à qui aucun évènement, aucune folie humaine n’a fait subir un tel sort depuis son édification, son extension et son embellissement successivement par les juifs (Salomon, selon la Bible), les Grecs et les Arabes qui la conquirent deux ans après la mort du Prophète (Khaled ibn al-Walid). Ces derniers n’ont touché à aucun vestige de la ville prestigieuse et ajouté à ce qu’ils ont trouvé de grandioses constructions comme des palais, des voies de circulation et des établissements commerciaux. Même Tamerlan qui pilla ses richesses en 1401 a épargné son patrimoine architectural.
    Le Coran demande à l’homme, vicaire de Dieu sur la terre (khalifatû allahi fi-l-ardh), de bâtir des civilisations, de conquérir l’espace, de protéger la nature, mais c’est à peine si l’ancien savoir religieux nous rappelle de ne pas oublier «nacibaka mina dounia» (notre part de ce monde). C’est différent de dire à quelqu’un «fais ceci» ou «n’oublie pas de faire cela», le premier visant quelque chose d’essentiel, le second quelque chose d’accessoire. Quelle sera notre attitude face aux révélations de l’avenir qui risquent d’engloutir par pans entiers nos représentations mentales et beaucoup de nos croyances ? Que ferons-nous lorsque nous les verrons s’écrouler les unes après les autres comme les pans de glace qui tombent de la banquise sous l’effet du changement climatique ? Le monde connaît des révolutions épistémologiques, scientifiques et technologiques d’une ampleur sans précédent, mais nous n’en avons pas conscience, attendant de trouver leurs produits sur le marché pour nous les payer avec l’argent du pétrole.
    Au cours de ce siècle, les conditions de la vie humaine vont se transformer, dépassant tout ce qu’on savait et faisait. Tout va aller très vite et à très haut débit. Ces mutations ne sont pas prédites, elles sont déjà pensées, expérimentées et ne tarderont pas à être mises en application. Que ferons-nous dans ce nouveau monde avec nos mentalités réfractaires à toute remise en question de notre conception de l’univers, de Dieu, des autres et de notre raison d’être sur la terre arrêtée il y a bien longtemps ?
    Nous recevons les transformations qui se succèdent à grande vitesse en consommateurs, sans qu’elles ébranlent nos convictions ou bouleversent notre vision archaïque des choses. Nous nous y faisons sans en parler ou y réfléchir, nous contentant d’en acquérir les codes nécessaires à leur mise en marche pour en tirer profit. C’est l’apprentissage par le marché et le mimétisme, non par les idées. Puis tout le mode s’y met, jusqu'à la prochaine technologie, le dernier cri ou le meilleur crû qui les remplacera. Quand on n’aura plus de quoi les payer, nous serons éjectés du monde et jetés dans ses caves parmi les peuples sous-classés. Un ami, Youssef Messaoudène, «chercheur isolé» qui en a remontré à des savants patentés en physique théorique, cosmologie et biologie, passionné par les points de convergence entre la science et la métaphysique, vient de me ramener de Paris le dernier livre de son ami le philosophe français des sciences Jean Staune, Les clés du futur, réinventer ensemble la société, l’économie et la science. C’est un ouvrage prospectiviste de sept cents pages paru aux éditions Plon avec une préface de Jacques Attali qui m’a (le livre) subjugué. Il m’a également apporté de sa part un autre ouvrage, Science et quête de sens, que l’auteur m’a dédicacé à la suite d’une conversation téléphonique que nous avons eue il y a quelques semaines.
    J’ai connu Youssef Messaoudène lorsqu’il m’a écrit à mon adresse email publique en 2011 pour me proposer de l’aider à la révision de l’écriture de deux études qu’il venait d’achever et destinées à l’Université d’al-Azhar, l’une sur la «Théorie M», l’autre sur le «code génétique». Puis nous nous sommes rencontrés au mois de Ramadhan 2014, car il souhaitait m’entretenir d’un projet lui tenant à cœur : organiser, sous l’égide de l’Etat, un colloque international sur la thématique développée dans le livre qu’il vient de cosigner avec le professeur François Vanucci, professeur émérite de physique, chercheur au CERN de Genève et spécialiste mondial des neutrinos, sous le titre de Dialogue entre foi et science. J’ai eu, là aussi, le plaisir de contribuer à la mise en forme rédactionnelle de la partie échue à notre compatriote.
    Youssef a soumis son idée de colloque aux autorités publiques (Présidence, ministère de l’Enseignement supérieur, ministère des Affaires religieuses, Conseil supérieur islamique), il a été reçu par le précédent ministre de l’Enseignement supérieur pour une éventuelle prise en charge de l’évènement, mais, cinq mois après, aucune suite concrète n’a été donnée à la proposition dont le but est de faire profiter le public algérien spécialisé et profane d’une information sur les dernières découvertes scientifiques. Sans parler de l’impact culturel et médiatique d’un tel regroupement de scientifiques mondialement connus à Alger.
    Les personnalités susceptibles de participer à ce colloque, en plus des professeurs Staune et Vanucci, pourraient être : l’astrophysicien Hubert Reeves ; les frères Igor et Grichka Bogdanov ; l’Américain d'origine vietnamienne, Trinh Xuan Thuan, professeur d’astrophysique en Virginie, auteur du best-seller La mélodie secrète et découvreur de la plus jeune galaxie connue à ce jour ; I Zwicky ; le Dr Sylvie Déthiollaz, biologiste moléculaire à Genève ; le Dr J. J. Charbonnier, spécialiste des expériences de vie après la
    mort ; le philosophe Frédéric Lenoir, auteur dont les œuvres sont traduites en vingt langues ; le polytechnicien François de Witt qui vient de publier La preuve par l’âme, et plusieurs autres savants et spécialistes. Youssef m’a montré un courrier où les frères Bogdanov lui disent : «Nous serions ravis de venir à Alger pour présenter nos travaux sur l’avant-Big Bang à des universitaires et nos idées sur la cosmologie au grand public au cours d’une conférence non technique…» Comme ils y affichent leur intérêt pour la mise en place d’un laboratoire de cosmologie générale avec l’aide d’une institution algérienne. Youssef et Jean Staune, philosophe, anthropologue, mathématicien, informaticien et professeur dans le MBA du groupe HEC sont des amis depuis que le premier est parti à Paris porter au second la contradiction sur la base de certaines notions biologiques et anthropologiques en rapport avec les sujets traités dans ses livres.

    Youssef est convaincu que les thèses issues de ses recherches et de sa réflexion atypique peuvent aider à faire avancer les théories actuelles en matière de cosmologie, de physique, de mécanique quantique et de biologie. Et chose étonnante, ses «objections» destinées, si elles sont prises en compte par la communauté scientifique internationale, à réaliser ces avancées sont regardées avec sérieux par les authentiques et très académiques savants que sont Staune, Vanucci et d’autres.
    Il n’aurait pas capté leur attention s’il ne les avait épatés avec ses consternantes connaissances alors qu’il a fait des études basiques et exercé dans sa vie professionnelle dans l’art culinaire ; mais cet autodidacte en sait autant que des enseignants universitaires et auteurs reconnus dans leurs spécialités, et c’est ainsi que ces savants sont devenus ses amis et qu’il les a fait venir en Algérie pour des conférences.
    En 2012, les physiciens du monde entier sont persuadés que la famille des neutrinos est complète avec trois types : électronique, muonique et tauique. Youssef Messaoudène, lui, soutient dans ses échanges avec le professeur Vanucci la probabilité de l’existence d’un quatrième. En 2013, il reçoit un courriel de ce dernier qui lui écrit : «On parle de nouveaux neutrinos appelés “stériles” qui seraient plus pesants que les trois connus et l’un d’eux pourrait former la matière manquante de l’univers»… S’il a obtenu gain de cause sur ce point, Youssef s’attend à une autre reconnaissance : la dualité onde-corpuscule n’existe pas, tout au plus devrait-on parler de «complémentarité…» Rien ne le fait ciller, et il attend que de nouveaux travaux ou découvertes entérinent ses certitudes intuitionnelles.
    Nous avons décliné le profil multidisciplinaire du Dr Staune qui compte à son actif un autre best-seller paru en 2007, Notre existence a-t-elle un sens?. Son dernier livre, Les clés du futur, m’a tout de suite rappelé le livre de l’Américain Alvin Toffler paru en 1970, Le choc du futur, qui a connu un retentissement mondial et auquel Malek Bennabi, je m’en souviens, avait consacré plusieurs séances de son séminaire.
    Jean Staune a abattu un travail colossal pour dresser ce bilan des plus récentes découvertes et mises au point technologiques et même celles en cours pour les présenter au large public dans un langage intelligible afin de l’affranchir sur le monde dans lequel vivra bientôt l’humanité. Au fur et à mesure que j’en tournais les pages grandissait en moi la question centrale de ma vie : qu’allons-nous devenir, nous autres Algériens, dans ce monde si proche dans le temps mais à des années-lumière de nos idées actuelles, de nos mentalités séculaires, de nos très pauvres rendements dans tous les secteurs d’étude et d’activité, de nos classements parmi les derniers du monde dans l’ensemble des domaines ? Car toujours je ramène les choses à notre cas, notre état, notre niveau, notre réalité. Mon impression est que nous sommes à la veille d’un moment de l’histoire humaine semblable par ses répercussions à celui où l’évolution naturelle a détaché l’homme du primate (pour ceux qui croient à la sélection naturelle).
    Le nouveau monde, nous apprend Les clés du futur, sera l’œuvre de firmes planétaires activant dans les NTIC comme Google à qui 3,5 milliards de demandes sont quotidiennement adressées, Facebook chez qui un milliard de personnes possèdent déjà un compte et Apple, la plus importante capitalisation boursière du monde et qui possède plus de réserves financières que les Etats-Unis. Auxquels il faut ajouter des organismes publics comme la Darpa (Defence Advanced Research Projects Agency), l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense. Cette agence et Google sont en pointe au niveau international dans la recherche en intelligence artificielle.
    Internet a déjà changé notre vie, nos relations, nos idées, nos sentiments, l’organisation de notre budget et celle de notre temps. Il a contribué aussi à renverser des régimes politiques, sauvant les uns du despotisme et basculant d’autres dans la guerre civile ou les livrant à la barbarie. Il va nous permettre à l’avenir des choses encore plus fabuleuses comme produire chez soi des objets grâce à une nouvelle technologie, l’imprimante 3D. Des imprimantes de plusieurs mètres de haut pourront «imprimer» des anneaux de 125 grammes pouvant soulever un véhicule d’une tonne, des prothèses d’organes humains et même des maisons en vingt-quatre heures à partir d’un mélange de ciment et de déchets de construction recyclés… Chacun pourra fabriquer à domicile pour ses besoins ce qu’il voudra.
    L’auteur nous signale qu’un groupe d’ingénieurs algériens a réussi à fabriquer des briques en utilisant le sable du Sahara qui était considéré comme impropre pour un tel usage et note : «Imaginez le potentiel de l’association des briques faites en sable du désert aux imprimantes 3D géantes capables de construire des maisons !» Il nous donne une adresse pour joindre ces compatriotes : April, 2013 | Green Prophet. Quelqu’un a-t-il entendu parler de cette innovation qui pourrait faire sensiblement baisser le coût du logement dans notre pays ? Quelqu’un, institution publique ou entreprise, va-t-il s’intéresser au sujet ?
    D’ici vingt à trente ans, annonce Staune, l’utilisation des robots dans la production industrielle va faire disparaître entre 150 et 200 millions d’emplois surtout dans les pays émergents à qui les délocalisations ont considérablement profité ces dernières décennies. Les usines vont être rapatriées et la main-d’œuvre peu coûteuse remplacée par des automates qui feront disparaître beaucoup de métiers : «Il faut bien avoir en tête une règle simple : tout ce qui est automatisable sera automatisé.
    La grande question est donc : qu’est-ce qui n’est pas automatisable ? Les chauffeurs de taxi sont-ils à l’abri de cette évolution ? Probablement pas. Dans les grandes villes du moins, il paraît très probable de voir apparaître des voitures sans conducteur comme celles que Google teste actuellement. Les secrétaires ? Elles commencent déjà à disparaître en masse avec le progrès de la reconnaissance vocale… Les standardistes ? On n’en parle déjà plus car elles sont toutes remplacées par un menu vocal… Les traducteurs ? Il suffira à l’avenir d’un seul pour relire et corriger de nombreuses traductions automatiques… Les professeurs ? Même pas ! Aujourd’hui, un professeur peut enseigner à des milliers d’élèves.
    Ce ne seront pas des vidéos préenregistrées, mais un automate programmé pour, à partir d’une base de données, fournir les réponses aux questions les plus fréquentes…» (p 44-45)
    Que feront tous ces hommes et femmes libérés du travail par le progrès technologique, devenu depuis un demi-siècle la première cause véritable de chômage ? De quoi vivront-ils ? A quoi occuperont-ils le temps ? Quelle société sera possible avec une majorité de désœuvrés qu’il ne sera plus nécessaire de former, d’instruire, puisque l’économie n’aura pas besoin d’eux ? Le remplacement des énergies fossiles par l’énergie solaire rendra la production encore moins chère, mais avec quoi payera cette production un consommateur privé de travail, de pouvoir d’achat ? : «Un grand effondrement de l’économie se produira mathématiquement dans le futur, seule sa date reste encore inconnue. Il lui succédera une société relocalisée, agraire, stable, et ne cherchant plus la croissance comme l’a fait une bonne partie de l’humanité depuis des millénaires.» (p.74).
    Les perspectives ouvertes par l’automatisation et la miniaturisation, «small is powerful», semblent illimitées et effrayantes : «Et si l’homme était automatisable dans son ensemble ?... Un jour, grâce à une étude suffisamment poussée des mécanismes du cerveau, nous arriverons à comprendre le fonctionnement de la conscience et nous pourrons alors fabriquer une machine susceptible d’arriver au même niveau de conscience, et donc d’évolution, que l’espèce humaine… La super-intelligence sera la dernière invention de l’espèce humaine et marquera la fin du règne de celle-ci sur la terre… Oubliez les risques du nucléaire civil ou militaire, le réchauffement climatique, la pollution : au XXIe siècle, la plus grande menace pour l’espèce humaine, c’est de très loin la possibilité que nous avons de susciter l’apparition d’une super-intelligence… Nous pouvons être sûrs que, si une intelligence artificielle capable de dépasser l’homme est possible, elle sera forcément réalisée un jour» (p.47 et 56). La convergence de l’intelligence artificielle et des biotechnologies (manipulations génétiques, nanotechnologies) rendra disponibles, vers 2045, des nano-robots capables de parcourir le corps humain pour réparer les cellules et des micro-drones-tueurs, l’arme «la plus décisive et la plus terrifiante inventée par l’humanité» (p. 60).
    Après ces annonces qui ont émaillé la première partie du livre, la seconde est consacrée au passage en revue des doctrines économiques libérales et des politiques économiques suivies en Occident entre la fin du siècle dernier et la crise financière de 2008 dans laquelle Staune voit une crise de modèle, une rupture systémique : «Comme la crise des subprimes l’a parfaitement démontré, la recherche de l’intérêt individuel économique d’un petit nombre d’acteurs peut aller à l’encontre des intérêts de quasiment tous les acteurs économiques et gravement menacer l’équilibre de la société… C’est pourquoi, entre étatisme et interventionnisme et libéralisme et privatisations à tous crins, le rôle des Etats dans une société complexe comme celle du XXIe siècle est entièrement à réinventer.» (p. 304)
    La troisième partie du livre porte le titre de «Modernité, postmodernité et transmodernité» et s’ouvre sur cette sentence : «La modernité est morte mais elle ne le sait pas encore.» L’auteur veut dire que la prédictibilité n’est plus possible, qu’on ne peut pas modéliser l’avenir, comme personne n’avait prévu que l’immolation de Bouazizi allait déclencher le printemps arabe ; mais de tels évènements «vont augmenter de façon exponentielle» (p. 319) et ce seront des révolutions sans leader, le savoir cessant d’appartenir à des «maîtres» et les bibliothèques de la planète ouvertes à tous, consultables depuis chez soi, sans limite ni paiement. Le savoir n’est plus infus, il est étalé sur la toile avec connexion gratuite et mise en réseau illimitée, il est popularisé et démocratisé, ce qui induira, à terme, une transformation complète des rapports sociaux.
    Les relations ne seront plus à l’avenir hiérarchiques mais horizontales et transversales ; les modes de communication et d’échange ayant été renouvelés, ils entraîneront une modification des modes de pensée et une extension des échanges qui ne se feront plus à l’intérieur d’une société mais entre toutes les générations, tous les pays, toutes les cultures et langues…
    Dans les deux dernières parties de son ouvrage, l’auteur examine les bases d’une nouvelle économie qui ne reposera pas sur les ressources financières ou naturelles, mais sur la connaissance, l’information et la créativité : «C’est la force intellectuelle qui est la ressource essentielle.» (p.395). Ce sera la troisième révolution en Occident en trois siècles, la première ayant consisté à appliquer le savoir à la technique (savoir-faire des artisans), la deuxième à appliquer le savoir au travail (taylorisme) et la troisième à appliquer le savoir au savoir lui-même. Des concepts scientifiques nouveaux sont apparus qui nous permettront de mieux nous diriger dans la mondialisation complexe devenue notre quotidien. L’éducation, associée à la révolution de l’informatique et de l’Internet, a radicalement changé le potentiel et les structures mentales des personnes qui travaillent en entreprise… Vous venez d’être recruté par une grande entreprise industrielle dont certains produits sont connus dans le monde entier. Vous arrivez dans l’entreprise pour la première fois et demandez à la personne qui vous accueille où est situé votre poste de travail. Quelle n’est votre surprise quand on vous répond : «C’est à vous de l’inventer.» (p. 534-540).
    En conclusion, nous apprend le professeur Staune, les composantes de la mutation qui va nous transporter dans une nouvelle époque seront : 1) la révolution technologique des quatre Internet (de la communication, des objets «imprimés» à domicile, des objets connectés et de l’énergie) qui sont «rendus possibles par une augmentation exponentielle des capacités de traitement, de stockage et de transmission de l’information.
    Cette révolution est la plus visible, et c’est elle qui a le plus de conséquences sur notre vie car elle modifie notre façon de produire, de consommer, de se comporter, et inversera les rapports de pouvoir entre les particulier, les Etats et les entreprises» (p.660). 2) La révolution conceptuelle (changement de vision du monde induit par des découvertes effectuées dans des sciences fondamentales, telles la physique quantique, l’astrophysique, la théorie du chaos ou les mathématiques). 3) Une révolution sociétale (le passage de l’avoir à l’être). 4) Une révolution économique (passage d’un monde fondé sur les machines et les capitaux à un monde fondé sur le savoir et la créativité). Sommes-nous préparés, nous autres Algériens, à trouver notre place dans ces lignes d’évolution ?
    N. B.

    Dernière modification par zadhand ; 09/07/2015 à 19h37. Motif: Ce que nous réserve l’avenir
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    Post L’ouragan se cache sous l’aile du papillon

    Par Nour-Eddine Boukrouh
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    L’OURAGAN SE CACHE SOUS L’AILE DU PAPILLON

    12 juillet 2015, 01:21

    Intéressé par les mouvements de l’Histoire autant que les météorologues par les variations du temps je me suis intéressé à l’ « effet papillon » dès mes premiers articles sur le printemps arabe en mars 2011 quand, cherchant dans l’ordre psychique l’équivalent de ce phénomène atmosphérique, j’ai découvert l’ « effet quidamus ».

    Les analystes du monde entier parlaient alors d’ « effet papillon », d’ « effet domino », d’ « effet boule de neige », etc, mais personne n’avait fait mention de l’« effet quidamus», expression par laquelle on désigne la possibilité qu’un individu dans la foule peut, à son insu et à la suite d’un acte donné, se trouver à l’origine d’évènements aux répercussions colossales. C’était l’expression qui convenait le mieux à la situation mais elle n’est venue à l’esprit de personne.

    J’ai alors lancé à la cantonade l’idée de remplacer « l’effet quidamus » par « l’effet Bouazizi » car le « quidamus » en question, héros inconnu comme celui qui se cache derrière le personnage d’ « Anonymous », avait pour la première fois dans l’Histoire un visage et une identité, ceux de Mohamed Bouazizi. Pour une fois qu’un Amazigh déclenche un ouragan dans l’Histoire, même à son insu, je crois que cela justifie l’inscription de son nom dans le marbre.

    Depuis, les despotes ont pu mesurer les conséquences de l’effet papillon sur la vie des nations et sur la leur. Bouazizi, en tant que nom rentré dans l’histoire universelle est né au moment où Bouazizi, simple quidam, est mort. Il n’est pas mort pour une cause car la cause est née après sa mort ; il n’est pas mort en martyr d’une idée mais d’indignation par suite du geste outrancier d’une policière. Le mouvement islamiste international a été le premier gagnant de son sacrifice mais, ingrat, il est le seul à ne pas honorer sa mémoire, y ayant vu le geste d’un apostat.

    A l’époque, j’avais trouvé un début d’explication à la simultanéité des révolutions arabes dans une vieille thèse de Carl Gustav Yung qui, dans les années 1930 avait consacré un ouvrage à une de ses découvertes psychologiques qu’il a appelée «synchronicité». Cette théorie qui a été rejetée en raison de sa faible valeur expérimentale était la seule à apporter un peu de lumière au mystère de l’intrication des révolutions arabes. Le grand psychiatre suisse définit la « synchronicité » comme « l’occurrence simultanée d’au moins deux évènements improbables qui ne présentent pas de liens de causalité mais dont l’association prend un sens pour la personne qui les perçoit… Ce sont des coïncidences non espérées. Un évènement synchronistique a un tel degré de signifiance pour la personne qu’elle s’en trouve transformée…L’évènement repose sur des fondements archétypiques…L’archétype est un complexe psychique autonome siégeant dans l’inconscient des civilisations, à la base de toute représentation de l’homme sur son univers tant intérieur qu’extérieur…Il se démarque par une intense charge émotionnelle et instinctuelle…»

    Suspectée pour sa proximité avec la mystique comme on en fit alors le reproche à Jung, il a fallu près d’un siècle pour que cette thèse montrât qu’elle était effectivement fondée. La preuve est désormais faite que l’« inconscient des civilisations » existe : un acte à un bout d’une civilisation peut miraculeusement produire des effets psychiques et physiques similaires à l’autre bout du monde qu’elle couvre. J’en ai appris davantage par la suite car je n’avais pas abandonné la réflexion sur le sujet. Je savais que la physique accepte l’existence d’une constante universelle, la « loi de la synchronisation », expliquant dans certains cas ce qui n’est pas régi par le principe de causalité, mais pas que la physique quantique possédait une notion, l’« intrication quantique », qui s’applique aussi bien au monde des particules élémentaires qu’à celui de l’âme, de l’esprit. Cette extension reste cependant hypothétique.

    Le phénomène de base a été constaté expérimentalement il y a longtemps : deux électrons interagissent l’un avec l’autre à l’intérieur d’un atome. On les isole, gardant l’un sur les lieux de l’expérience et envoyant l’autre très loin de là. Le premier électron est observé au microscope électronique ; le second, très loin de là, réagit simultanément à l’observation du premier comme si les deux n’étaient qu’une seule et même chose, comme si le temps et l’espace n’existaient pas, non plus que la causalité. Dans ce cas, le lien n’est pas seulement synchronique, il est instantané, c’est une « intrication quantique». Ce n’est que récemment qu’on a transposé le résultat de l’expérience aux phénomènes psychiques comme la télépathie par exemple. Jung avait raison sans avoir les moyens de le prouver.

    Si le diable peut se cacher dans le détail, un ouragan peut se cacher dans les battements d’ailes d’un papillon ; le diable est invisible mais on sait que ses œuvres peuvent être cataclysmiques ; les battements d’ailes du papillon sont visibles, leur pression sur l’air négligeable, et pourtant ils peuvent être à l’origine d’ouragans dévastateurs. Ce qui a joué dans le cas du printemps arabe le rôle d’une contagion, disons internationale, peut facilement se reproduire dans le cas d’une contagion, disons nationale.

    On attendait le coup au Nord, c’est au Sud qu’il est en train de se dessiner après les évènements de Ouargla, Tigentourine, In Saleh et Ghardaïa, sans parler des anciennes affaires d’enlèvements de touristes étrangers ou des attaques du Mujao contre des sites militaires à Tamanrasset et Ouargla. Le Sud, c’est 90% de notre territoire et 10% de notre population. C’est là qu’il y a pétrole et gaz conventionnels et de schiste, qu’on peut installer suffisamment de panneaux voltaïques pour fournir en énergie l’humanité pendant des millénaires, qu’il y a de l’eau pour des dizaines de milliers d’années, que se trouvent l’uranium, l’or et des minerais précieux, qu’il y a de l’espace, le vide démographique, le plat et les hauteurs, et c’est là aussi qu’on a besoin d’installer des bases militaires pour contrôler l’Afrique. J’ai parlé dans la contribution de jeudi dernier de la possibilité de fabriquer des briques à partir du sable. C’est un petit argument économique mais il s’ajoute aux autres.

    Le lépidoptère de mauvais augure papillonne depuis un bon moment dans le ciel de Ghardaïa. Après une virée à In Salah, il est de retour. Je n’ai pas osé dire qu’il « vole » tant il semble petit et insignifiant mais, contrairement à la chèvre, il vole bel et bien. De là, ses effets peuvent se propager dans n’importe quelle direction : loin on ne sait où dans le Sud, vers l’Est, l’Ouest ou le Nord du pays. Il n’apparaît pas sur les radars militaires, il est plus difficile à voir que la lune à la veille d’un ramadhan, mais il virevolte au-dessus du Mzab depuis bientôt deux ans avec un bilan de pertes humaines et économiques de plus en plus lourd. En regardant les images diffusées à la télévision et en entendant les chiffres relatifs au nombre de morts et de blessés, on se croyait dans le quotidien yéménite.

    Maintenant qu’on en est à compter les morts par dizaines en une seule journée, le moment de basculement dans l’irréparable ne doit plus être très loin. Si c’est la main de l’étranger qui est en action là-bas, il faut en conclure que notre tour d’être pris dans la tornade approche, que le choix de l’endroit a été fait et qu’il ne reste que celui du moment. Si c’est d’un problème culturel, cultuel, ethnique et identitaire qu’il s’agit, et si ce n’est que notre main à nous qui est en train de touiller et de tripatouiller dans le chaudron du diable, ce sera pareil, la tragédie étant au bout des deux comptes.
    Le chant du coq annonce le lever du jour, l’hirondelle l’arrivée du printemps et les affrontements intercommunautaires l’ingérence étrangère. Si la communauté nationale à laquelle en appellent les Mozabites ne se manifeste pas, la communauté internationale qui a l’ouïe fine et la vue claire est disposée à le faire à tout moment. Les Mozabites sont l’unique minorité religieuse d’importance dans notre pays (le nombre des juifs et des chrétiens étant marginal) encore que la qualification soit exagérée, s’agissant d’à peine une nuance religieuse, et à ce titre nous devons les garder comme la prunelle de nos yeux : ils sont amazighs comme le reste des Algériens, sunnites mais non malékites, avec la remarque que le rite ibadite est historiquement antérieur au rite malékite ; c’est une communauté admirée par tout le monde pour son pacifisme, son organisation sociale autarcique et puritaine. Nous aurions tellement gagné à être tous des ibadites à l’aube des temps islamiques, mais on ne refait pas son histoire.

    C’est l’unité nationale qui est en train d’être battue en brèche à Ghardaïa. Les commentaires sur les réseaux sociaux commencent à parler de guerre en cours ou à venir entre « Amazighs» ou « Berbères » et « Arabes hilaliens», avec le risque de voir la fracture se propager à terme à d’autres régions. Pendant ce temps, les autorités nationales persistent à mal gérer ce problème purulent, intéressées seulement par ramener le calme là où de l’agitation apparaît. Un Etat malade a besoin de calme et de silence, pas de problèmes à résoudre. On devrait accrocher sur la porte du palais d’El-Mouradia « Don’t disturb ! » comme on fait sur les portes des chambres d’hôtels où le locataire ne souhaite pas être dérangé.

    Comme aux époques sombres où les Algériens n’avaient pas d’Etat, comme les habitants de In Saleh lorsqu’ils imploraient mains jointes Allah pour qu’il les préserve des effets nocifs de l’exploitation du gaz de schiste, comme la délégation de ulémas partie d’Alger pour aider à rendormir la « fitna » avec ses lamentations et qui est revenue en laissant derrière elle un feu plus ardent qu’avant, nous en sommes réduits à supplier le ciel de ramener la paix dans la vallée du Mzab et la « rahma » dans les cœurs de ses habitants ibadites et malékites.

    Et d’abord pourquoi ont-elles quitté la vallée du Mzab et les cœurs de ses habitants, cette paix et cette « rahma » qui s’y prélassaient depuis mille ans ? Pourquoi trouve-t-on dans toutes les wilayas du pays des « Amazighs-ibadites » et des « Arabes-malékites » (ce n’est pas ma terminologie) vivant côte-à-côte sans la moindre anicroche depuis des siècles alors que dans la wilaya de Ghardaïa on en est arrivé à cette haine ravageuse ? Les causes sont-elles spécifiquement locales ? S’agit-il d’une question d’espace vital, d’expansion, de terrains, de foncier ? En est-on arrivé à ne plus supporter la vue et le voisinage de l’autre ? Faut-il s’entretuer faute de pouvoir déménager ?

    Tant qu’on n’aura pas répondu à ces questions, il n’y aura pas de solution au problème et le rameau d’olivier disparaîtra de la région comme il a disparu dans les années 1990 entre Bosniaques et Serbes. On parle de construire un mur comme celui qui sépare Palestiniens et Israéliens, comme celui que veut édifier le Maroc avec nous ou celui que la Tunisie envisage d’ériger entre elle et son voisin libyen, mais c’est oublier que les deux communautés ont en commun le reste de l’Algérie et qu’elles peuvent se dresser mutuellement des embuscades chaque fois qu’elles voudront en découdre à la sortie de la ville, sur l’autoroute ou derrière une dune.

    C’est sur France 24 arabe que j’ai suivi les évènements et les débats dans la journée et la soirée du mercredi car il n’y avait rien sur nos chaînes prises dans leur programme ramadanesque qu’aucune n’a jugé opportun d’interrompre au regard de la gravité des évènements. Et je n’ai toujours pas compris ce qui se passe dans cette région, ce qui a conduit à un tel degré d’intolérance réciproque. Nous devons connaître la vérité et examiner impartialement le problème dans sa réalité et son objectivité au lieu de se fatiguer à vouloir l’exorciser avec des incantations. On pourrait y sonner le rassemblement de l’ensemble des « tolbas » des zaouïas d’Afrique du Nord que ça ne servirait à rien.

    Il faut un mouvement national de solidarité envers toute la région, un courant d’empathie avec les deux communautés ; il faut ouvrir un débat télévisé téléthonique mettant en présence les deux parties à travers leurs notables, leurs élus, leurs associations, leurs intellectuels, leurs universitaires, leurs jeunesses masculines et féminines, sous le regard et le témoignage de la communauté nationale.

    Bouteflika, Sellal, Gaïd Salah et Ouyahia se sont réunis en urgence mercredi dans l’après-midi. Qu’est-ce qu’il en est sorti ? Des condoléances aux familles des victimes, une demande à la population de contribuer au retour au calme et la désignation du chef de la quatrième Région militaire à la tête des autorités de la wilaya. C’est suffisant ? C’est nouveau ? C’est durable ? Ca va être magique ?

    La reprise en main de l’ordre public et de la sécurité des personnes et des biens est la priorité des priorités, certes, mais il faut dans le même temps s’attaquer au fond du problème, le trouver, l’examiner pour ce qu’il est et lui appliquer la solution qu’il appelle, la vraie et non n’importe quoi comme le laissent présager les premières paroles proférées par Sellal jeudi à Ghardaïa et rapportées par la presse : « Nous allons instaurer la paix par la force ! Il est inadmissible que des Algériens s’entretuent ! On ne laissera pas semer la « fitna »…»

    Dans quel pays, à quelle époque, dans quelles circonstances a-t-on entendu un premier ministre s’exprimer publiquement de la sorte ? Quel problème dans le monde a été réglé par la force ? La guerre du Vietnam ? La première guerre d’Algérie ? La deuxième guerre d’Algérie ? Peut-il, Sellal, nous donner un exemple de paix extérieure ou intérieure instaurée ou restaurée par la force ? Et les autres endroits d’Algérie où règne encore la paix, al-hamdulillah, c’est grâce à la force ? A son ton menaçant ? Ne sait-il pas que des Algériens se sont régulièrement entretués tout au long de leur histoire tribale et que la dernière fois remonte à pas plus tard qu’hier ?

    Ne se souvient-il pas que c’est grâce aux négociations entre l’ANP, l’AIS et les GIA que ces derniers ont déposé les armes et non contraints par la force ? Ou veut-il que le maréchal Madani Mezrag lui rafraîchisse la mémoire ? Ignore-t-il que Bouteflika considère la « réconciliation nationale » comme le chef-d’œuvre de sa vie et pour laquelle il a vainement lorgné le prix Nobel de la paix (pas de la force, Si Sellal)? Ne devine-t-il pas que les Algériens vont bientôt devoir s’affronter mais cette fois à cause de l’association d’invalidité, de sénilité et de débilité qui les gouverne contre leur gré et contre tout bon sens ?

    La solution qu’appelle le conflit entre Mozabites et Châambas n’est ni militaire ni sécuritaire : elle est morale, administrative, économique et politique. Elle a besoin d’intelligence et non de khéchinisme. C’est le premier conflit du genre en Algérie mais il ne le restera pas si on a une matraque dans la tête à la place de l’intelligence. Nous avions des velléités autonomistes au Nord, pourquoi s’efforcer d’en susciter de nouvelles au Sud ?

    Il est incompréhensible que la gendarmerie et la police n’aient pas pu assurer l’ordre avec leurs forces propres (pas assez « fortes » aux yeux bellicistes de Sellal), à moins qu’elles n’aient pas eu la latitude de le faire ou qu’elles n’aient pas reçu au bon moment les ordres nécessaires. L’armée ne peut pas apporter une meilleure connaissance du terrain urbain et des acteurs, facteur essentiel dans ce genre de crise où la puissance de feu, l’armement lourd, les missiles, la marine et l’aviation n’apporteront aucune valeur ajoutée. Reste l’explication politicienne : mouiller l’armée dans toute crise se présentant (on l’a déjà vu à In Saleh) et la préparer à s’opposer à tout mouvement contestant le pouvoir défaillant, première cause de la dégradation de la situation là-bas.

    L’Algérie est mal en point sur tous les plans et l’avenir s’annonce sombre pour elle. La Présidence de la République n’existe plus qu’à travers des lettres lues à la télévision que personne n’écoute ni ne lit. Alors que partout dans le monde on améliore chaque jour la gouvernance, le management, le rendement des institutions publiques, qu’on cherche comment prévoir les crises pour les éviter, chez nous les clés de notre destin se trouvent entre les mains d’un pouvoir déclinant et irresponsable au sens moral et médical du terme.

    Même si au-dessous de ce pouvoir précaire se trouvent des bataillons de cadres compétents, intègres et dévoués à l’intérêt national, ils sont réduits à l’impuissance par cette accumulation de facteurs négatifs au sommet de la pyramide. Nous avons accepté de maintenir une situation ubuesque où tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un homme invalide, où la constitution n’est ni en vigueur ni suspendue, où le conseil des ministres a été aboli, où le gouvernement n’est plus qu’un groupe de ministres indépendants, incontrôlés et livrés à eux-mêmes. Il n’y a pas meilleure configuration pour précipiter l’Algérie dans un cycle infernal car le sommet de l’Etat n’a jamais été affaibli et le pays abandonné à lui-même à ce point.

    Personne ne se souvient pourquoi et comment nous avons été colonisés autrefois; pourquoi nous nous sommes combattus ici ou là, jadis, comme le font aujourd’hui Chaâambis et Mozabites ; mais aujourd’hui nous voyons tous que nous allons à la catastrophe, nous savons tous que notre pays va s’écrouler, et nous nous comportons comme si nous étions à la fête. Advienne que pourra !
    NB
    Le Soir d'Algérie du dimanche 12/07/2015


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    Dernière modification par zadhand ; 12/07/2015 à 01h16. Motif: L’ouragan se cache sous l’aile du papillon
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    Re : Noureddine Boukrouh

    salam
    l Algérie a besoin d hommes et de femmes de talent a tous les niveaux.
    l Algérien de base est fière et courageux mais la classe politique ne produit rien jusqu’a a présent !
    je crois bien qu il va falloir encore du sang et des larmes pour obtenir un véritable changement.
    Zgemma S2 openATV 6.0 hybrid c est l avenir.

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    Post Conférence débat NABNI

    Par Nour-Eddine Boukrouh
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    Conférence débat NABNI du 04/07/2015, restaurant HAVANA, Alger
    14 juillet 2015,il y'a 22 minutes

    Algérie rêvée : comment renouveler le récit national ?

    Cette première rencontre-débat signe le lancement d’une nouvelle activité du collectif NABNI : Algérie Rêvée. Nabni souhaite, à travers ce projet, recréer un...

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    Dernière modification par zadhand ; 15/07/2015 à 02h00. Motif: Conférence débat NABNI
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    Post Culture théocratique et bombe atomique

    Par Nour-Eddine Boukrouh
    [email protected]

    Culture théocratique et bombe atomique 22.04.2012
    13 juillet 2013, 18:00
    14 juillet 2015,il y'a 1h


    L’Iran est le premier pays musulman contemporain où une révolution populaire a renversé le despotisme. Il avait suscité dans le monde une plus grande polarisation que celle créée par les révolutions arabes, mais, à leur différence, les ulémas chiites avaient préparé l’alternative au régime du shah. L’ayatollah Khomeyni, qui l’avait dirigée de l’étranger, est aussi l’auteur d’un livre, Le gouvernement islamique, dans lequel il a exposé sa théorie du «velayet-e-faqih», c’est-à-dire, le gouvernement du pays par un imam coiffant tous les pouvoirs et chef suprême des armées et des services de sécurité. Dans ce système, le président de la République est une sorte de Premier ministre, même s’il est élu au suffrage universel, alors que le Guide suprême est élu à vie par 86 dignitaires religieux réunis dans une «Assemblée des experts». C’est ce système théocratique qui a remplacé le régime monarchique du shah. Le lendemain du retour de Khomeiny en Iran, je débarquais à Téhéran pour vivre de l’intérieur la Révolution iranienne. Au contact des Iraniens des quartiers populaires chez qui j’ai habité, et à travers les rencontres que j’ai eues avec les hauts dignitaires religieux et les dirigeants de la Révolution de tous bords, j’avais pris la mesure de leur ferveur, de leur confiance en eux-mêmes et de leur certitude qu’ils allaient entrer dans un nouveau cycle de civilisation. Mais je n’avais cessé, pendant et après mon séjour, d’être taraudé par une indéfinissable crainte. De retour en Algérie, j’ai publié une série d’articles pour relater ce que j’avais vécu. Alors que dans le premier, j’avais laissé libre cours à mon enthousiasme («Voyage dans la Révolution iranienne», El Moudjahid du 2 mai 1979), que dans le deuxième, je la défendais contre ses détracteurs («La Révolution assaillie», 3 mai), j’ai mis dans le troisième («L’islam à l’épreuve des musulmans», 4 mai) un voile de scepticisme. Il me paraissait inconvenant de faire plus ou d’étaler mes doutes au grand jour car cette Révolution était encore dans les langes. Le titre que j’avais donné à la troisième partie indiquait clairement que le sujet ne concernait plus la seule Révolution iranienne, mais la plaçait dans une perspective plus large, celle du rapport entretenu tout au long de l’Histoire par les musulmans avec l’islam. J’y exprimais mon appréhension que cette nouvelle mise de l’islam à l’épreuve des musulmans ne soit un ratage. Cette Révolution se voulait islamique, mais il m’était apparu sur place qu’elle était d’abord persane et ensuite chiite. Aujourd’hui, je réalise combien j’ai été bien inspiré de choisir ce titre qui témoigne de la prudence avec laquelle j’étais revenu. Trente-trois ans après, les chiites ne sont plus à l’épreuve de l’islam, mais du judaïsme. Un nouveau round de négociations sur le dossier nucléaire iranien a eu lieu le 14 avril à Istanbul entre les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne et l’Iran. Les participants à ce round ont unanimement jugé que les discussions avaient été «constructives», alors qu’aucune avancée concrète, hormis la prise d’un nouveau rendez-vous, n’a été signalée. Ce qui, par contre, ne laisse pas de surprendre, ce sont les propos du chef de la délégation iranienne, Saïd Jalili, qui a déclaré aux médias : «Les 5+1 ont considéré que la fetwa du Guide de la Révolution sur l’interdiction des armes atomiques était d’une grande importance et qu’elle est la base pour une coopération pour un désarmement nucléaire global.» On doit donc comprendre que l’Iran est venu à ce round avec une fetwa, que la politique internationale a planché à Istanbul sur une fetwa et que ce n’est pas le programme iranien qui était au centre de la rencontre, mais le «désarmement nucléaire global». Ladite fetwa stipule que les armes atomiques sont «haram» et le nucléaire civil «halal». Ne manquait-il aux puissances mondiales que cette sainte distinction pour les convaincre d’abandonner leurs arsenaux, alors que les traités de désarmement bilatéraux (SALT, START et SORT) et multilatéraux (TNP, TICE) n’ont pas réussi, après un demi-siècle de négociations, à mettre la planète à l’abri du danger nucléaire ? L’Iran, déjà sous le coup de six résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, ne semble donc pas trop s’en faire, alors que c’est de l’option militaire qu’on se rapprochera si le round de mai prochain ne débouche pas sur un abandon contrôlé de l’enrichissement de l’uranium à un pourcentage permettant son utilisation à des fins militaires. Car si ce sont les 5+1 qui négocient, ils le font en réalité pour le compte d’Israël et accessoirement des Etats du Golfe qui s’estiment pareillement menacés, en plus du contentieux sur les trois îles du détroit d’Ormuz que les Iraniens ont occupé par la force en 1971 et que les Emirats arabes unis revendiquent comme les leurs. Il est à douter que des juifs, formatés par des réglages religieux propres à eux, se rangent à l’avis d’une fetwa islamique, et que des wahhabites et des sunnites accordent un quelconque crédit à une fetwa chiite. Les Israéliens ont eux aussi, eux surtout, devrai-je dire, une approche religieuse du danger que représenterait pour eux un Iran nucléarisé. C’est une culture essentiellement théocratique qui préside à leurs actes politiques depuis au moins l’apparition de la doctrine sioniste avec la publication en 1896 de «L’Etat juif» par Theodor Herzl. Car deux décennies plus tôt, le Premier ministre anglais, Benjamin Disraeli, s’écriait déjà devant le Parlement britannique en brandissant le Coran : « Tant qu’il y aura ce livre, il n’y aura pas de paix dans le monde !» Et, dans cette culture, menacer Israël suffit pour encourir la mort et la destruction à grande échelle. Ignorer cette dimension mentale et intellectuelle, c’est se condamner à ne rien comprendre à la politique israélienne envers les Arabes et les Palestiniens depuis 1948, et les Perses chiites aujourd’hui. Au cours de sa rencontre en mars dernier avec le président américain, le Premier ministre israélien, venu demander des avions ravitailleurs en vol et des munitions spéciales en liaison avec les préparatifs d’une attaque contre l’Iran, a offert un cadeau symbolique à Obama. Il s’agit d’un des livres (de quelques pages) formant la Bible, le Livre d’Esther, du nom d’une femme juive de la tribu de Benjamin qui aurait été, au Ve siècle av. J.-C., l’épouse du roi de Perse Assuérus, sans qu’il connaisse sa confession, et qui aurait sauvé les juifs d’un massacre annoncé. En lui remettant le livre, Benjamin Netanyahu a dit à Obama : «Lui aussi voulait nous annihiler», comme s’il parlait d’un terroriste recherché depuis… vingt-cinq siècles. On ne sait pas qui il visait au juste, car, selon le Livre d’Esther lui-même, c’est Haman, le Premier vizir, et non le roi, qui aurait fomenté le complot et qui sera d’ailleurs mis à mort pour avoir conçu cette idée après qu’Esther l’eût dénoncé à Assuérus. Sous l’influence d’Esther, le roi promulgue une loi qui «autorisait les juifs, quelle que soit la ville qu’ils habitent, à se rassembler et à défendre leur vie en exterminant, massacrant et supprimant tous les groupes armés d’un peuple ou d’une province qui les attaqueraient, y compris les petits enfants et les femmes, et à procéder au pillage de leurs biens». Le Livre d’Esther poursuit : «Beaucoup de membres des autres peuples du pays se faisaient juifs, tant ils avaient peur d’eux… Ce fut au tour des juifs de dominer ceux qui les détestaient. Ils se rassemblèrent dans leurs villes respectives, dans toutes les provinces du roi Assuérus, pour porter la main contre ceux qui leur voulaient du mal. Personne ne leur opposa de résistance, tant les autres peuples avaient peur d’eux. De plus, tous les chefs de province, les satrapes, les gouverneurs et les fonctionnaires du roi soutenaient les juifs… Les juifs frappèrent tous leurs ennemis à coups d’épées, les tuant et les faisant disparaître. Ils traitèrent selon leur bon plaisir ceux qui les détestaient…» Et tout cela en riposte à une menace qui n’a pas connu un début d’exécution, exactement comme dans le cas du nucléaire iranien. On ne peut s’empêcher, en lisant ces lignes, de penser, d’un côté aux Palestiniens, et d’un autre, aux puissances occidentales qui soutiennent Israël en dépit de ses innombrables violations des droits de l’homme et du droit international depuis 1948. Les historiens n’ont pu recouper aucune donnée de ce récit, qualifié de «roman historique», avec l’histoire bien établie de l’empire perse. Mais là n’est pas l’important. L’important, c’est que les Israéliens y croient et l’appliquent comme un strict devoir religieux. Il ne faut donc pas voir dans le cadeau de Netanyahu à Obama une coquetterie, une plaisanterie ou une provocation, mais la pose d’un simple acte de foi : Israël n’écoute que la voix de son histoire et ne croit qu’à ses Livres sacrés, confirmés ou non par la science historique. Les égards aux lois humaines et au droit international viennent après, et à condition de leur être favorables. L’histoire d’Esther était en l’occurrence la nouvelle la plus fraîche, l’actualité la plus brûlante, dont était venu discuter Netanyahu avec le président américain. Avant de quitter la Maison- Blanche, il a lâché devant les médias : «Israël est maître de son destin.» De là, il s’est rendu à une réunion du lobby pro-israélien aux Etats-Unis, la fameuse et puissante AIPAC, devant laquelle il a dit : «Nous avons donné du temps à la diplomatie, nous avons donné du temps aux sanctions. Nous ne pouvons plus attendre davantage... Je ne laisserai jamais mon peuple vivre sous la menace d’un anéantissement.» Il a parlé en cette circonstance comme Mardochée, l’homme qui, par la ruse, a placé Esther dans le harem d’Assuérus avec l’espoir qu’elle devienne reine de Perse, projet qui se réalisa. A la fin de l’histoire, nous apprend le Livre d’Esther, «le juif Mardochée était l’adjoint du roi Assuérus. Il jouait un rôle important pour les juifs et était très apprécié de ses nombreux frères. Il recherchait le bonheur de son peuple et contribua par ses paroles au bien-être de toute sa lignée». Golda Meir, ancien Premier ministre israélien, rapporte dans son autobiographie ( Ma vie) un souvenir gardé d’une conférence internationale sur les réfugiés juifs à Evian-les Bains (France) à laquelle elle avait assisté à la fin des années 1930. Indignée par l’attitude des représentants des Etats occidentaux qui se relayaient à la tribune pour dire leur compassion aux juifs sans les aider concrètement, elle eut cette pensée : «A la question “Etre ou ne pas être ?”, chaque nation doit apporter sa propre réplique. Les juifs ne peuvent ni ne devraient jamais attendre de qui que ce soit d’autre l’autorisation de rester en vie.» C’est cette femme qui, Premier ministre au moment de la guerre d’Octobre 1973, a failli utiliser l’arme nucléaire contre l’Egypte et la Syrie. Il a fallu toute l’énergie de Nixon pour l’en dissuader en échange d’un pont aérien pour lui livrer les armes et munitions conventionnelles qu’elle souhaitait et des photos-satellites du champ de bataille en temps réel. C’est cette doctrine qu’a appliquée Menahem Begin en 1981 quand il a ordonné la destruction du réacteur nucléaire irakien Osirak, et c’est la même qui anime aujourd’hui Shimon Pérès, Benjamin Netanyahu et Ehud Barak. Et cette doctrine n’est que la traduction de la culture théocratique qui préside à la philosophie politique et à la stratégie intemporelle de survie d’Israël. Les Etats-Unis et l’Europe, qui n’ont jamais exclu l’option militaire et dont les plans opérationnels doivent être fin prêts, ont tâché jusque-là de réfréner les pulsions guerrières d’Israël en arguant que les sanctions suffiraient pour fragiliser le régime iranien qui serait alors contraint de renoncer à ses ambitions. Si cela n’arrivait pas, alors ils attaqueraient de concert un Iran affaibli et coupé du monde comme l’était l’Irak en 2003. La guerre a donc été pour l’instant évitée ou différée, mais elle est inéluctable, sauf brusque recul du régime iranien sur son programme qui ruinerait son crédit tant il a mobilisé son opinion sur cette question. Si le gouvernement israélien décide de passer à l’action contre l’avis de l’Occident, celui-ci sera obligé de suivre. Comme dans le récit biblique : «Le jour- même, le nombre de personnes tuées à Suse, la capitale, fut communiqué au roi, et celui-ci dit à la reine Esther : “A Suse, la capitale, les juifs ont tué et fait disparaître 500 hommes, sans compter les dix fils d’Haman. Qu’auront-ils fait dans le reste de mes provinces ? Cependant, quel est l’objet de ta demande ? Il te sera accordé. Que désires-tu encore ? Tu l’obtiendras.” Esther répondit : “Si tu le juges bon, il faudrait autoriser les juifs de Suse à agir demain encore conformément à la loi en vigueur aujourd’hui et pendre le corps des dix fils d’Haman à une potence”. Le roi ordonna d’agir de cette manière.» C’est vraisemblablement ainsi que se parlent, dans le secret des bureaux présidentiels des grandes puissances, dirigeants occidentaux et dirigeants israéliens à chaque crise impliquant Israël, les premiers dans le rôle d’Assuérus, les seconds dans celui d’Esther. C’est ainsi aussi que la culture théocratique a eu à tous les coups raison de la culture rationnelle et démocratique, et justifié tous les excès, tous les abus et toutes les déraisons israéliennes. Pendre les cadavres d’hommes déjà morts ! Ces crimes, ces pogroms, ce bain de sang n’avaient pour justification qu’une intention, un «projet», celui reproché à Haman «de faire disparaître les juifs et de leur avoir jeté un sort» et qui lui valut la pendaison. C’est ce qui est reproché aujourd’hui à Ahmadinejad, assimilé par l’allusion de Netanyahu à Haman. On lit dans le Livre d’Esther : «Cet édit fut donc proclamé à Suse et l’on pendit le corps des dix fils d’Haman ; de plus, les juifs de Suse se rassemblèrent de nouveau le quatorzième jour du mois d’Adar et tuèrent 300 hommes à Suse… Quant à ceux qui se trouvaient dans les autres provinces, ils tuèrent 75 000 personnes parmi ceux qui les détestaient…» Mais n’a-ton pas lu dans les médias, il y a quelque temps, qu’Ahmadinejad aurait une ascendance juive, tout comme Kadhafi ? L’histoire ne serait-elle que mystères et ésotérisme comme beaucoup d’auteurs l’ont soutenu et dont la plupart ont été passés aux oubliettes ou poursuivis devant les tribunaux de la démocratie pour antisémitisme ou révisionnisme ? Le livre le plus célèbre de Malek Bennabi, Vocation de l’islam, a été rédigé en 1949 et remis aux éditions du Seuil qui ne l’ont publié qu’en 1954. Ce qu’on ne sait pas, c’est qu’il lui a donné une suite sous le titre de Le problème juif, resté à l’état d’inédit. Dans ce manuscrit, le penseur algérien écrit ces lignes que j’ai glanées dans différents chapitres pour les livrer à la méditation du lecteur : «Le monde actuel périra et un nouveau monde viendra sans que le musulman ait joué un rôle décisif, ni même apprécié les facteurs, les forces qui entreront en jeu dans son propre avenir… Ce nouveau monde voudra transformer tous les pays musulmans en champ de bataille afin qu’aucune œuvre positive n’y soit entreprise et que même ce qui existe actuellement y soit détruit, en sorte qu’une future colonisation reste encore possible… L’islam doit posséder la technique, dompter l’énergie atomique…» C’était en décembre 1951 ! Aujourd’hui, c’est trop tard. Israël a commencé à dompter l’énergie atomique dans les années soixante, et l’Iran à s’intéresser à la chose dans les années soixante-dix. Le premier est arrivé à produire, dans le plus grand secret, des centaines de bombes atomiques, alors que le second en est, dans le plus grand tapage diurne et nocturne international jamais connu, sous le regard des services de renseignement de l’univers entier et la curiosité des badauds de toute la planète, à 3 ou 20%, d’enrichissement de l’uranium. Quoique leurs référents soient tout autant religieux, le rabbin et le âlem n’ont apparemment pas la même efficacité et le même rendement historique. Les ulémas chiites et sunnites ont-ils lu le Livre d’Esther ? Je ne le crois pas, sinon il ne serait pas arrivé aux musulmans ce qui leur est arrivé depuis un siècle et continuera à leur arriver à l’avenir. Ils n’ont été capables d’inventer, depuis les Muatazila, que les bombes humaines et les attentats-suicides, autrement dit, la fronde contre le drone furtif, et leurs ulémas ne sont experts que dans la connaissance du passé et la recherche du diable dans le détail. L’Iran ne peut pas gagner cette guerre si elle survenait, car, nonobstant son bon droit et sa contestation légitime d’un droit international à géométrie variable, il n’en a pas les moyens. Il eut fallu qu’il possédât des rabbins au lieu de ses ulémas «infaillibles». Si elle éclate, l’Occident se liguera contre lui comme un seul homme. Il faut donc se préparer à la défaite au lieu d’espérer «voir ce qu’on va voir» comme on nous l’avait promis en 1967, 1973, 1991 et 2003. A la veille de ce dernier conflit, il était visible que l’économie irakienne était par terre, que son peuple était étranglé, que ses nourrissons mouraient, faute de lait et de médicaments, du fait de l’embargo, mais ces réalités n’empêchaient pas des experts militaires à la retraite de venir démontrer sur les plateaux de télévision arabes la «stratégie de défense» de l’Irak et la probabilité de dommages «considérables» pour la coalition internationale. Elle était censée être attendue par une garde présidentielle hyper-entraînée, des chars enfouis sous le sable, des Skud capables de brûler Israël, des armes chimiques et un supercanon que seul l’Irak posséderait, par on ne sait quel prodige. Au final, il y a eu moins de 5000 victimes, tous pays de la coalition confondus en vingt ans, contre plus d’un million de victimes irakiennes à un titre ou un autre. Faut-il, cette fois, donner du crédit aux «lourdes pertes» qui seront infligées à l’ennemi, à en croire Ahmadinejad ? On voudrait bien, mais on ne voit pas comment : ses adversaires disposent de systèmes offensifs et défensifs infiniment plus performants que les siens, ils les produisent eux-mêmes et à volonté, et ils ont derrière eux, pour soutenir l’effort de guerre, des économies inépuisables. De toute façon, ils ont, comme dans les deux précédentes guerres du Golfe, à qui envoyer la facture une fois le travail fait. Quant à la menace des missiles agitée par les pasdarans, elle ne fait pas peur aux Israéliens dont le ministre de la Défense civile ne cesse de répéter à ses concitoyens : «Israël a la capacité opérationnelle d’intercepter des missiles d’où qu’ils viennent.» Comment les deux pays se préparent-ils à ce que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de possible troisième guerre mondiale ? Cette guerre a en fait déjà commencé. Elle a pris les formes discrètes d’opérations menées par les services secrets des deux pays contre leurs intérêts réciproques. Il y a eu, en 2008, une attaque cybernétique contre les installations nucléaires iraniennes. Un virus destructeur numérique a été créé par les experts israéliens ou, disent certains, américains, appelé «Stuxnet», pour perturber le fonctionnement des centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz. Il a mis en panne un millier d’entre elles, et on dit que ce virus sophistiqué cache d’autres éléments programmés pour s’activer de nouveau. Il y a eu aussi, ces derniers mois, plusieurs assassinats de scientifiques iraniens et l’explosion au moment de son lancement d’un missile longue portée «Shehab» dans une base militaire près de Téhéran, tuant plusieurs dizaines de militaires dont le général en charge du programme de missiles. Il aurait été «trafiqué» par le Mossad. Des attentats à la voiture piégée ont eu lieu aussi récemment en Thaïlande, en Géorgie et en Inde contre des diplomates israéliens sans faire de victimes, hors les blessés. Dans les premiers cas, on n’a pas la preuve que c’est Israël qui est derrière ces attaques et ces assassinats, car, si c’est lui, il n’a laissé aucune trace. Dans le second cas, des Iraniens ont été immédiatement arrêtés. On ne peut faire autrement que constater que la guerre de l’ombre n’a pas tourné à l’avantage des services secrets iraniens, et que si l’Iran est fort par la parole, Israël l’est par les actes. Non seulement, il ne fait pas d’annonces, mais même quand il frappe, il nie, comme lorsqu’il a détruit les installations nucléaires syriennes en 2007. Les faits et gestes d’Israël sont discrets comme à l’accoutumée, et ses dirigeants ne rendent pas publics leurs projets le jour du shabbat comme le font les dirigeants iraniens à la prière du vendredi. La guerre a de multiples facettes : politique, diplomatique, économique, technologique et militaire. Israël n’en a négligé aucune. Sur le plan politique, il s’emploie depuis longtemps à rallier le maximum de forces politiques intérieures à l’option militaire et à préparer son opinion à la situation qui en découlerait. Sur le plan médiatique, il a mobilisé ses relais en vue de légitimer aux yeux de l’opinion publique mondiale l’option militaire. Sur le plan diplomatique, il travaille depuis des années à isoler l’Iran sur la scène internationale et à le faire régulièrement condamner par l’ONU et l’AIEA. Il ne cesse de demander l’alourdissement et l’élargissement des sanctions en faisant jouer ses lobbies dans le but d’étouffer l’économie iranienne. A partir de juillet prochain, l’Iran ne pourra plus vendre son pétrole, car les paiements ne pourront plus être effectués à sa banque centrale, alors que les sanctions ont déjà commencé à produire leurs effets désastreux : la monnaie a perdu la moitié de sa valeur par rapport aux monnaies étrangères en moins de deux mois, et les prix des denrées alimentaires ont augmenté de plus de 30%. La Chine qui, il y a quelque temps encore achetait 14% de son pétrole d’Iran, n’en achète plus que 8, et les Etats arabes de la région l’ont assuré qu’ils lui vendraient encore plus de volumes pour compenser l’arrêt des achats auprès de l’Iran. Sur le plan technologique, Israël se prépare depuis longtemps à une attaque-éclair en levant l’un après l’autre les écueils qui se dressent sur son chemin, principalement l’éloignement des objectifs (3000 km aller-retour) et leur dispersion sur le territoire iranien. Ses ingénieurs ont doté la flotte de cent avions, prévu à cet effet de réservoirs externes supplémentaires pour augmenter leur autonomie de vol. Des bombes thermonucléaires B61, à faible intensité, pourraient être utilisées en plus des bombes américaines GBU-28, 31, 39 et 57 de 14 tonnes chacune et capables de percer le béton armé sur plus de 60 m. Des plans sont prêts à brouiller et détruire les systèmes radar et de défense antiaérienne de l’Iran avant l’entrée dans son espace aérien des bombardiers, et de neutraliser sa marine. L’armée israélienne s’entraîne depuis des années à ces missions, tandis que toutes sortes de mesures ont été prises pour réduire au maximum les effets d’une riposte iranienne avec des missiles ou d’éventuelles attaques venant du Sud-Liban ou de Ghaza. Le niveau des pertes humaines civiles israéliennes a été calculé (moins de 500) et intégré dans le plan d’ensemble. Rien n’a filtré sur les objectifs fixés, mais tout le monde suppose que parmi eux se trouvent les usines d’enrichissement d’uranium de Natanz et de Qom, le centre de recherche nucléaire d’Ispahan, le réacteur de Boushehr et le site de Parchin. Israël a un autre objectif essentiel à ses yeux : faire zéro civil iranien tué pour ne pas solidariser la population du régime. L’Iran sait tout cela et agite le spectre de représailles «douloureuses». Il n’ignore pas qu’il est cerné de toutes parts : présence militaire américaine dans la péninsule arabique, en Afghanistan et d’autres pays d’Asie, bases de l’OTAN en Europe et en Turquie, base militaire française aux Emirats arabes unis… Les Américains et leurs alliés sont aussi présents sur et sous les mers, prêts à tout moment aux tirs de missiles et aux bombardements. L’Iran menace de rendre impraticables les voies d’eau qu’il contrôle et même de s’attaquer aux puits de pétrole de la région, mais les Alliés ne le laisseront pas causer des dommages aux installations pétrolières de la région qui plongeraient l’économie mondiale dans l’apocalypse. Ils tiennent compte de cette hypothèse et de ses répercussions sur leurs économies, mais la sécurité d’Israël passe avant tout. Dans la guerre qui se profile entre l’Iran et Israël, ce sont les Perses chiites qui seront frappés, mais ce sont les musulmans dans leur ensemble qui seront une fois de plus humiliés. Si par malheur cette guerre a lieu, elle touchera les peuples musulmans et mettra dans l’embarras leurs gouvernements. La fraîche arrivée de régimes islamistes ne sera pas sans incidences sur la rue arabe. Elle nous touchera aussi en tant que composante du monde arabo-musulman, même si on n’est pas chiite mais sunnite, même si on n’est pas arabe mais berbère. Nos autorités ne manqueront pas de la condamner, mais notre peuple sympathisera à coup sûr avec les Iraniens à cause de leur islamité, de l’islamisme ambiant, de la politique des deux poids, deux mesures dans les relations internationales, de la question palestinienne et de l’islamophobie. On revivra l’ambiance connue en juin 1967 et lors des guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Cette guerre mettra une fois de plus en scène la pièce de David et Goliath : un petit pays de cinq millions d’habitants et de 21 000 km2 défendant sa survie contre un pays 78 fois plus grand et 16 fois plus peuplé qu’il a de multiples fois menacé d’anéantissement. L’opinion publique mondiale oubliera que ce petit Etat possède des centaines d’ogives nucléaires capables de détruire plusieurs fois la totalité du Moyen-Orient, mais comme il ne s’en est jamais vanté, elle fait comme si elle ne le savait pas. Si on voit l’intérêt d’Israël d’attaquer l’Iran, on ne voyait pas celui de l’Iran dans les menaces récurrentes qu’il lui adressait. Les gains qu’Israël peut tirer de cette guerre sont clairs, détruire les capacités nucléaires iraniennes et affaiblir une puissance régionale concurrente, mais on ne voit pas ce qu’en tirera l’Iran. Il ne gagnera même pas la sympathie des Etats musulmans qui appelleront au cessez-le-feu, à la condamnation de l’«agression» et à la réunion de l’OCI avant de retrouver le silence. S’il table sur l’émotion de la rue arabe, il l’obtiendra, mais après voir été frappé. Les Arabes et les Berbères n’ont pas l’habitude de pleurer les morts avant leur mort. La colère populaire sera proportionnelle aux pertes qui lui seront infligées, on brûlera ici ou là quelques drapeaux israéliens ou américains, et les ulémas sunnites appelleront hypocritement à la solidarité de destin avec les chiites, mais ce n’est pas ce qui rendra à l’Iran ce qu’il aura perdu. Son voisin frontalier, l’Azerbaïdjan, dont 70% de la population est chiite, entretient les meilleures relations avec Israël, et le président Shimon Pérès qui s’y est rendu en visite officielle il y a peu, souhaite pouvoir compter sur l’aide de ce pays pour un éventuel repli sur son territoire des avions chargés de l’attaque. Quant à l’opinion mondiale, elle verra une fois de plus dans les pays musulmans des trublions défaits à la première escarmouche avec plus petit qu’eux, et se rappelleront de la fable de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf et qui en mourût. Quoi qu’il en soit, la défaite programmée de l’Iran en cas de déclaration des hostilités sera aussi celle du monde musulman, même si aucun pays musulman n’approuve sa politique. C’est ça le drame. Chaque fois que des musulmans échouent dans leur entreprise, leur défaite rejaillit sur l’islam et le reste des musulmans, poussant le reste de l’humanité à devenir encore plus islamophobe. D’un autre côté, cette défaite donnera un surplus de légitimité à l’islamisme qui saura exploiter le vieux ressentiment contre Israël et l’Occident. Et sur ce chapitre, aucun Arabe ou musulman n’est en désaccord avec lui. Cette 34e contribution clôture la série consacrée depuis un an aux révolutions arabes. Nous la reprendrions en cas de nouveaux développements.
    Je renouvelle mes remerciements au journal et aux lecteurs.

    N. B.



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    Post Le sort des idées neuves

    Par Nour-Eddine Boukrouh
    [email protected]
    02 Août 2015

    Le sort des idées neuves


    «Dans tous nos actes, la part de l’inconscient est immense et celle de la raison très petite… Les idées du passé, bien qu’à demi détruites, étant très puissantes encore, et les idées qui doivent les remplacer n’étant qu’en voie de formation, l’âge moderne représente une période de transition et d’anarchie. »
    (Gustave Le Bon, La psychologie des foules)


    «Les médecins doivent savoir par quel bout un cadavre commence à pourrir. Il est probable que si le monde entrait en putréfaction un jour, sa pourriture commencerait par notre bout. C’est notre pourriture qui pourrira le monde» (Malek Bennabi, octobre 1960, Mémoires d’un témoin du siècle). Le sort des idées neuves, c’est de changer le monde en changeant les anciennes idées des hommes, les idées qui ne marchent plus, qui n’engendrent plus de réalités sociales positives et stimulantes et qui peuvent même devenir criminelles entre certaines mains ou suicidaires entre d’autres. Nous voyons bien que c’est le cas de l’islam, qu’il n’a plus rien inscrit à son actif en matière de science et de connaissances depuis cinq ou six siècles et qu’on meurt et tue en son nom pour rien. D’un côté il ne veut pas être une religion seulement, de l’autre il est incapable d’être un ordre social, économique et politique achevé. Des idées nouvelles doivent germer et essaimer dans le monde musulman en dépit de ce qui s’y passe, surtout en raison de ce qui s’y passe, aujourd’hui plus que jamais. Celle de la réforme en est une mais elle n’est pas si neuve que ça puisque le Prophète y pensait avant même la fin de sa mission. Elle ne s’est pas réalisée parce qu’elle n’a pas trouvé le chemin qui mène au but. Ceux qui la reprirent aux XIXe et XXe siècles la comprenaient comme l’avait comprise Ibn Taimiya sept siècles avant. Quant à ceux qui en parlent de nos jours, ils penchent vers un laïcisme qui a été éprouvé officiellement en Turquie et officieusement en Tunisie, Irak, Syrie, Libye, etc, en vain. Les musulmans ne sortiront pas de l’anarchie mentale dans laquelle ils se trouvent du fait de l’islamisme et du terrorisme comme ils y sont entrés. Ils en sortiront politiquement et géographiquement en lambeaux et seront contraints soit d’abandonner l’islam à la furie destructrice de l’ignorance et de la barbarie, soit de le réformer pour qu’il se mette en conformité avec les règles de coexistence entre les différents peuples, civilisations, religions, philosophies et cultures de la planète. Plutôt que de sombrer définitivement corps et bien dans l’anarchie, ils pourront alors contribuer à la transition du monde vers la civilisation universelle.
    L’idée de réformer l’islam est ancienne puisqu’elle remonte au Prophète lui-même qui, alors que la Révélation du Coran n’était pas terminée, a prédit que Dieu enverrait à sa communauté au début de chaque siècle «men youjadidou laha dinaha». Il a bien parlé de rénover l’islam, sens de la phrase en arabe, et non, comme Ibn Taimiya plus tard, d’«islah arra’î wa-r-ra’iya» (réformer gouverneurs et gouvernés). Et le jour où la Révélation prit fin (théoriquement) avec le verset «Aujourd’hui j’ai parachevé pour vous votre religion, vous ai comblé de mon bienfait et agréé l’islam comme religion pour vous», le Prophète confia à Omar ces mystérieuses paroles : «L’islam reviendra étranger comme il est venu étranger la première fois ; heureux soient les étrangers.» Dans la dernière contribution j’ai proposé une exégèse de cette parole : l’islam s’étant présenté la première fois comme une rénovation radicale des valeurs de l’humanité, ce n’est qu’à la condition de se réformer qu’il reviendra à l’Histoire. De quelle manière ? Là est l’inconnue. L’ère de la prophétie et des miracles étant close et l’islam ayant éclaté en une cinquantaine de pays, il reste deux possibilités : que le projet soit pris en charge par les Etatsmembres de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), ou qu’une une décision émanant de la communauté internationale les y contraigne. Malgré son ancienneté et l’estampillage prophétique dont elle est revêtue, l’idée de rénover l’islam s’est traduite chaque fois qu’il en a été question par davantage de repli, de conservatisme et de conformisme car tout le monde avait compris par «retourner aux sources» retour en arrière alors que pour réformer, rénover, il faut se projeter en avant, chercher dans les profondeurs non sondées de l’islam une nouvelle source d’inspiration et desserrer l’étau du «ilm» classique sur l’esprit musulman afin qu’il respire l’air de son temps et se rafraîchisse avec des idées nouvelles. La vie que mènent de nos jours les êtres humains avec ses avantages et ses merveilles de toutes sortes est le résultat d’idées neuves que des hommes ont eues un jour ou l’autre, ici ou là, et que leurs contemporains ont commencé par rejeter ou combattre avant de reconnaître leur utilité et de les adopter pour leur bien. Sur les 80 milliards d’être humains qui ont habité la terre et les six milliards qui en restent, seuls les noms de 25 000 d’entre eux environ figurent sur le dictionnaire, y compris ceux de personnages qui n’ont pas œuvré au bonheur de l’humanité mais à son malheur : despotes, criminels, fanatiques et autres esprits maléfiques. Sans idées neuves, sans représentation périodique des choses sous un angle nouveau, l’homme serait encore à l’âge de la chasse et de la cueillette ou, au mieux, au Moyen-Âge. A cause du non-renouvellement de l’ancien savoir religieux, l’islam tend naturellement à devenir une source de blocage interne et de discrédit externe. Ce «ilm» qui n’était pas censé incarner l’islam éternel mais une adaptation du Coran à la vie humaine pour une durée déterminée, durée qui tire visiblement à sa fin, a fait son temps. Il n’est plus qu’un catalogue d’idées mortes et d’idées mortelles, une «archéologie » selon une image de Bennabi. Il est devenu une entrave au développement, au savoir, à la liberté, à l’intelligence, au bien, au vrai et au beau. Il apparaîtra bientôt, par son inadaptation et son anachronisme, comme une synthèse du faux, du laid et du mal. Les musulmans vivent à l’âge des nanosciences avec les idées d’Abou Hurayra. Ils ont le choix entre une extinction civilisationnelle lente mais sûre, et une révolution mentale extrêmement difficile mais porteuse d’avenir. Partout dans le monde où existent des groupes humains soucieux de progrès, de paix, d’harmonie sociale, de respect des droits de l’Homme, c’est la culture sociale, l’art de vivre ensemble et le savoir scientifique qui sont propagés, enseignés, vulgarisés, non la culture religieuse de la mort, des souffrances tombales et de la haine des autres. Aucun peuple n’a avancé en apprenant à ses enfants qu’il faut suivre les Anciens parce qu’ils étaient proches de Shiva, Moïse, Confucius, Bouddha, Jésus ou quelque autre grande figure de l’histoire humaine, les vénérer, penser et agir à leur instar dans le présent et l’avenir, et s’en tenir aux strictes interprétations qu’ils ont données de textes sacrés ou humains à l’aube des temps. Ce sont les livres religieux qui se vendent le mieux dans les pays musulmans car ils déchargent les hommes et les femmes de la tâche de réfléchir, de prendre des décisions dans leur vie et donc leurs responsabilités. Ils leur apprennent pourquoi et comment il faut obéir à Dieu, au Prophète, aux détenteurs du pouvoir (waliy-al-amr), aux compagnons du Prophète, à leurs successeurs, aux successeurs de leurs successeurs, aux «héritiers des prophètes» (les ulémas), à l’imam de mosquée, aux cheikhs idéologues reconnus et aux «dou’âte» (prédicateurs) célèbres… Ils leur parlent de leurs voisins invisibles, les djinns, de leur intrusion dans leurs vies, leurs actes et décisions, des châtiments corporels qui les attendent s’ils n’appliquent pas les pieux enseignements et leur dictent ce qu’ils doivent faire : prier, pratiquer, se repentir des mauvais actes et des mauvaises pensées, pleurer souvent… Et, en guise de récompense, les choses qui leur sont interdites ici-bas leur seront permises à profusion dans l’au-delà. Le musulman issu de ce conditionnement, de ce formatage, de ce lavage de cerveau, est programmé pour s’inquiéter de son salut individuel sur terre et au ciel. On ne lui enseigne pas la sociabilité, la vie en commun, les devoirs collectifs, le bien public, le respect des autres, quels qu’ils soient, mais les rites qui rapprochent de Dieu et les actes qui rapportent des «haçanate». Si on ne veut pas ou ne peut pas lire ces livres, leur contenu, leurs conseils et leurs consignes nous sont gratuitement livrés à domicile, débités sur des centaines de chaînes de télévision par des personnages effrayants, tonitruants et ignorants. Comment espérer voir sortir de cette culture de la mort, de ce terrorisme verbal, moral, psychique, intellectuel, mental, social, physique et politique un être normal, un homme équilibré, un citoyen acquis à l’idée de bien public, un prototype humain fonctionnant à l’unisson des autres ? L’homme qui en sort ignore le respect de la diversité religieuse, tient les autres religions pour des déviations, refuse la notion de réciprocité sur laquelle repose la coexistence pacifique entre les nations et ne croit pas au droit international en dehors des dispositions qui lui profitent à lui. Avec cette brève description de l’art de fabriquer une vision du monde décalée, déphasée, schizophrénique et hypocrite, nous venons d’indiquer les domaines où doit être portée la réforme. Il y a tant de choses à savoir et qu’on ne connaît pas que notre vie ne suffira pas pour emmagasiner le savoir nécessaire à la compréhension du monde et de la réalité dans laquelle nous sommes plongés. Les neurosciences par exemple nous apprennent que notre cerveau qui ne pèse que 2% de notre poids mobilise 20% de notre consommation énergétique pour faire fonctionner la centaine de milliards de neurones qui le composent et les millions de milliards de synapses qui relient ces cellules nerveuses entre elles. Faute de stimulation, d’émulation, de challenge, de problèmes sur lesquels réfléchir, l’intelligence dépérit, s’étiole dans l’inactivité, le suivisme improductif, le mimétisme stérile. On appelle ce phénomène «l’effet Flynn», mesuré par la stagnation ou la régression du QI. Ce sont ces ravages que provoque le «ilm al-qadim» dans le cerveau des musulmans. Il incite à l’immobilisme, produit la rigidité, alors que le cerveau vit de sa «plasticité synaptique», du flux de nouvelles informations et d’idées neuves à traiter en continu. Une autre science en formation, l’épigénétique (dont s’occupe notamment la savante algérienne Maya Ameyar qui lui a dédié un groupe Facebook) étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes. Qu’est-ce que c’est ?
    «Si l’ADN est le texte, l’épigénétique en est la ponctuation», disent les généticiens. Tout simplement dit, cela signifie qu’un corps, un cerveau plongé dans un milieu social et intellectuel où prévalent des idées données verra ses gènes subir les influences provenant de l’extérieur, des idées courantes portées par la société, qu’elles soient tournées vers le passé ou vers l’avenir. Il faut réaliser — en liaison avec l’idée que les fonctions cérébrales se rétractent, perdent en rendement dans certaines conditions — que le «ilm al-qadim» est un gaspillage de nos moyens mnésiques, de nos capacités mnémotechniques, des espaces de stockage dans notre mémoire, dans la zone de notre cerveau qui conserve l’information. En tant que capital- idées périmées, qu’informations révolues qui continuent à occuper une place qui pourrait être dédiée à des connaissances utiles à nos besoins d’adaptation à la vie en constante évolution. L’essentiel à connaître de la religion peut être traité d’une manière nouvelle, actualisée et connectée au réseau du savoir moderne dont la vocation est d’aider à s’orienter dans la vie et à faire face à l’avenir. C’est donc tout le logiciel musulman, l’information qu’il renferme, qu’il faut vérifier, élaguer de ce qui est devenu inutile et valoriser ce qui peut encore servir. A quoi bon connaître par cœur des hadiths, dont beaucoup sont faux, des rivières de poèmes ou collectionner des histoires révolues ? L’information issue du «ilm al-qadim» est devenue inopérante car on peut être un musulman accomplissant intégralement ses obligations sans avoir besoin de s’embarrasser de «ilm» inutile. Braqué, bloqué sur le passé, il agit comme le puisatier tirant de l’eau d’un puits en voie d’épuisement : il jette son seau et le remonte des profondeurs avec ce dont il s’est rempli : eau potable et non potable, bon et mauvais, vrai et faux, vital et mortel… L’intelligence a besoin d’être stimulée par le nouveau, des équations à plusieurs inconnues à résoudre, des mystères cosmiques ou quantiques à élucider dans l’univers, en nous-mêmes, dans notre code génétique ou dans l’Histoire humaine… La science se remet en cause à tous les instants, et c’est sa plus haute vertu, tandis que le «ilm» prétend être la vérité en soi, et c’est son plus grand défaut. Il y a tant à faire dans le monde et au cours de sa propre vie alors que tout ce qu’il propose c’est d’avoir un madhhab, un cheikh à aduler, un da’iya à suivre et des milliers de pages à apprendre. Comme si Dieu n’aimait pas le progrès, la technologie, le numérique et internet qui est un véritable «kun fa yakun» (Fiat lux)… La science a mis en équation puis résumé en lois ce que le Coran appelle «sunans Allah», les «lois invariables» de Dieu, ses modes d’intervention dans l’univers et en nous. Les lois de la nature ont été conçues par Dieu puis découvertes et reproduites à petite échelle par l’Homme pour son bien. Dieu utilise des matériaux, les particules élémentaires et les atomes à partir desquels toute matière vivante ou inerte a été faite. La science n’en est plus à soutenir l’inexistence de la conscience et de l’âme, elle les traque dans l’infiniment petit, dans l’intrication quantique, dans l’interdépendance du corps et de la conscience. Elle sait qu’un lien existe entre les deux et que la conscience influence la matière. La physique est en passe de le prouver à travers l’étude du comportement des particules élémentaires. J’ai lu un jour un roman scientifique, La formule de Dieu, et été étonné tout autant qu’outré de trouver le point de vue du christianisme, du judaïsme, de l’hindouisme, du bouddhisme et des sciences modernes sur l’univers, mais pas celui de l’islam alors que l’un des deux principaux personnages du roman est une musulmane, physicienne de surcroît. Pourquoi ce parti pris de la part de l’auteur portugais alors qu’aucun texte sacré ne présente autant de prodigieuses coïncidences avec la science que le Coran ? L’auteur ne lui pas donné la parole sur la vision islamique de l’univers mais juste sur la condition de la femme en Iran. Il n’y a pas dans le monde actuel de peuple plus attaché que les Arabes au passé. La Grèce, qui a donné au monde la science, les mathématiques, la philosophie, les sports, et dont les penseurs de l’Antiquité sont encore enseignés dans les universités du monde entier ne rêve plus pour autant de sa grandeur passée. Elle se débat dans des drames prosaïques sans déranger les dieux de l’Olympe ou se lamenter sur l’ingratitude de l’Europe envers sa mère sans laquelle elle ne serait qu’un terrain vague peuplé de hordes de SDF. Les Romains non plus, ni la Chine, ni les Mayas, ni les Aztèques, ni les Mongols. Un peu les Berbères, mais je crois que c’est pour rivaliser avec les Arabes qu’ils n’aiment plus beaucoup à cause des ravages de l’islamisme. L’islam n’a pas créé les civilisations qui ont concouru à sa prospérité et à son développement scientifique et technique à travers l’histoire (Assyriens, Mésopotamiens, Egyptiens, Hittites, Perses, Grecs, Juifs, Araméens, chrétiens, Berbères, Indiens, Chinois…), elles étaient là des millénaires et des siècles avant lui et ont réalisé des prouesses fabuleuses dont il a tiré profit. En gagnant l’esprit et le cœur de leurs habitants qui ont trouvé en lui un cadre moral et spirituel plus incitatif et performant que leurs anciennes croyances et schèmes de vie, il les a exaltés et ils l’ont, en retour, honoré de leur intelligence et de leurs découvertes. La principale caractéristique historique de l’islam est d’avoir été pour des peuples divers un éveilleur, un stimulant, un énergisant, un catalyseur, un rassembleur, un fédérateur dans les domaines spirituel, intellectuel, culturel, économique et politique. Comme le seront après lui les Etats-Unis d’Amérique pour des dizaines de millions d’êtres humains aux XIXe et XXe siècles : une terre de tolérance religieuse, de liberté d’entreprendre, d’égalité des chances, d’inventivité et de «melting pot», y compris pour les musulmans qui y vivent par millions. Avec la formation d’une classe sociale religieuse instrumentalisée par des pouvoirs despotiques, l’islam a progressivement perdu ses avantages comparatifs et sa religion est devenue un véritable «opium du peuple» selon l’expression de Karl Marx. Le «ilm al-qadim» prit petit à petit la place du Coran qui, d’éternel, devint lié à une conjoncture dépassée et fut enseveli sous des interprétations vieillies, démenties par le progrès, ridicules et contraires aux finalités de «maqacid al-khalq». Pauvre en informations sur l’avenir, le savoir religieux incite les musulmans naïfs qui ont besoin d’être assistés mentalement à s’inspirer du «salaf», de prédécesseurs qui ont vécu il y a quatorze siècles. Il n’est question que d’eux, tous les jours, dans toutes les mosquées, sur toutes les chaînes, sans que quelque chose arrive, ne change, ne bouge ou ne s’améliore dans la réalité. Seul le visage du discoureur change. Pourquoi ? Jusqu’à quand ? N’est-ce pas de la folie ou une sinistre comédie pour attardés mentaux ? Le salafisme peut être médicalement défini comme le symptôme de la perte du sens de l’orientation, une maladie qui fait confondre l’avant et l’arrière, le passé et l’avenir, ici-bas et au-delà, terre et ciel, ce qui est mort et ce qui est encore vivant. Il a trouvé à s’affirmer par la violence des armes dans les pays désarticulés qu’on lui a concédés en vertu d’une stratégie dont on ne connaît pas les motivations mais qui n’en existe pas moins (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen) ou par la violence du verbe dans les régions, quartiers et espaces médiatiques que des Etats craintifs lui abandonnent (Pakistan, Liban, Algérie, Nigeria…) Les musulmans ont passé plus de siècles dans la décadence et sous domination étrangère que dans leur propre civilisation. Il s’est écoulé 1436 ans (en fait 1448) depuis l’apparition de l’islam mais les musulmans d’aujourd’hui raisonnent, vivent, s’habillent et parlent comme les musulmans du début de la décadence. Le décorum international a, certes, changé mais l’homme et l’âme sont les mêmes. L’abstrait est plus fort que le concret, la promesse que la réalité, l’éternité hypothétique que la chronologie de l’histoire et, dans leurs échanges, un «deux tu l’auras» vaut mieux qu’«un tiens». Le temps n’ayant aucune valeur pour eux, le lointain passé ne différant pas beaucoup du présent, la volonté de l’Homme continue de s’annihiler devant celle de Dieu, rendant inutile la prévision, la planification et la projection dans le futur. En dehors des changements dus à la technologie occidentale qui n’ont aucunement modifié leurs structures mentales et culturelles, ils rêvent de reconquérir l’Andalousie, Jérusalem ou Samarcande mais pas d’autres terres, le futur ou l’espace. Ils ne savent rien de la révolution agricole, celle du néolithique, du XVIIIe ou du XXe siècles, rien de la révolution industrielle du XIXe siècle ou de la révolution numérique et des nanosciences du XXIe. Ils ont atterri en plein XXe siècle, ont été soulevés par les geysers de pétrole et se sont retrouvés à la tête de fortunes colossales sans avoir rien fait de notable ou d’utile pour gagner tant argent. Quand il sera temps, quand la «ni’ma» se sera épuisée, ils retourneront au sable sans grande peine, sans regrets, confiants en la Providence et résignés à ses revers. Ils n’ont pas été exploités comme force de travail, conditionnés par le taylorisme, épuisés par les luttes syndicales ou les antagonismes de classe, socialisés pour être utiles les uns aux autres et, de tout ça, apprendre la valeur de la vie humaine. Ils n’ont jamais cherché à maîtriser la nature ou été poussés à découvrir de nouvelles techniques de travail et d’amélioration des rendements car vivant de rien et n’espérant rien en dehors du ciel. Le bédouin est un homme libre, il rêve de plus haut, de plus loin que l’histoire et c’est pourquoi il ne la fait pas ; les défis naturels le laissent froid, il les regarde puis les contourne, allant chercher sa tranquillité ailleurs, là où il n’y a pas grand-chose à faire. Il n’a cure de l’état de la couche d’ozone, des problèmes d’environnement, de la famine qui décime des peuples, il surveille la femme, les mœurs, l’habit conforme et cherche le diable dans chaque détail… Il ne crée ni ne transforme, se contentant d’échanger ce qu’il a contre ce qu’il n’a pas, et s’il n’a rien, il se contentera du lait de chamelle. Il n’a pas besoin d’arts, de culture, de musique, de cinéma, la poésie du désert lui suffisant. Son imagination est toute tendue vers les descriptions ensorcelantes du paradis, les fureurs terrifiantes de l’enfer, la crainte irrationnelle des djinns et l’attrait mystique des miracles. Il n’a pas de préoccupations géostratégiques en dehors de la jalousie et de la rivalité avec les autres, ses frères et ses coreligionnaires en particulier. Rentiers du pétrole, rentiers de la religion… Pour changer les musulmans, il faut changer les Arabes. Pour changer les Arabes, il faut changer le «ilm al-qadim» qui les commande et les fournit en représentations mentales. Pour changer ce «ilm al-qadim», il faut désamorcer les mines enfouies sous terre autour de lui, faire tomber la clôture qu’il a élevée, briser les tabous qu’il a semés dans les esprits puis s’emparer de lui et le mettre en examen. Ce ne peut être qu’en vertu d’actes de puissance publique, d’actes d’Etats acquis à l’idée de réforme radicale de la conception islamique du monde pour sauver les pays d’islam. Les intellectuels adhérant à cette vision peuvent jouer un rôle en amont (emporter l’adhésion des Etats) et en aval (accompagner la mise en œuvre des mesures réformatrices) mais pas imposer la réforme d’un bout à l’autre. Ces obstacles franchis, les conditions préliminaires réunies, il faudra remonter à la période d’avant la formation du «ilm» (à partir du troisième siècle de l’Hégire), peut-être même à la période où le Coran n’avait pas encore été réuni sous le nom de «mashaf Hafsa» puis, quinze ans plus tard, sous celui de «mashaf Uthman» dans un ordre qui n’était pas celui dans lequel il a été révélé. Le retour à l’ordre chronologique du Coran sera l’occasion de puiser dans le livre saint lui-même la vigueur nécessaire à la construction d’une nouvelle conception islamique du monde, de la raison d’être de l’Homme sur la terre et de la vision des autres (les non-musulmans), en même temps qu’il libérera l’islam des contradictions et des non-sens dont il a été lesté depuis la mort du Prophète. Quand on achète une maison ou en hérite et qu’on ne possède pas de certificat de conformité ni ne sait quand et comment elle a été construite, ni combien de temps elle peut encore tenir, il est prudent d’en faire vérifier les fondations et la structure si l’on ne veut pas être enterré sous ses décombres en cas de malheur. Il manque à l’islam d’aujourd’hui un «certificat de conformité» justement.

    N. B.


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    Par Nour-Eddine Boukrouh
    LE JOUR APPROCHE OU…

    Si l’on est superstitieux à l’image de la majorité des Algériens il faut monter très haut dans les sphères célestes pour espérer trouver la réponse à une question qu’on se pose parfois, celle de savoir si notre destin a été déterminé avant notre apparition sur la terre, ou s’il n’est que le fruit de nos idées et de leur traduction en actes sociaux et faits historiques à travers les âges. C’est vers la première hypothèse que l’homo-religiosus en nous incline spontanément et la question devient : notre destin a-t-il été placé sous le signe d’une bénédiction ou d’une malédiction ?Car les Algériens, en bons « mselmin m’kettfin » qu’ils sont depuis qu’on leur a claqué au visage les portes de l’ijtihad et de la rationalité, aiment à penser que Dieu s’occupe d’eux un par un, voient Sa signature dans presque tous les actes et évènements de la vie quotidienne et, Le sachant Tout-puissant, n’imaginent pas qu’un bonheur ou un malheur collectif puisse les toucher sans qu’il en ait été décidé en haut lieu. Si ce n’est pas au sens propre, c’est-à-dire Dieu, c’est au sens figuré, c’est-à-dire le sommet de l’Etat.Il y a de quoi le supposer, en effet, quand on réalise que nous avons survécu à trois millénaires d’Histoire, réputée impitoyable envers les faibles, en vivotant au jour-le-jour, souvent de « garnina hafia », sans construire des villes, réaliser des inventions ou faire des choses dont la civilisation humaine et la science moderne auraient témoigné avec plaisir et enseignées.D’un autre côté, nous n’avons pas réglé le problème de notre développement ni avec le socialisme de Boumediene, ni avec le libéralisme de Chadli, ni avec la philosophie de « kach Bakhta » de Bouteflika malgré la pluie incessante de milliards de dollars qui s’est abattue sur nous et sous son règne pendant treize ans sans discontinuer et jusqu’à il y a quelques jours. On commence pourtant à trembler à la vue des premiers signes de sècheresse et à l’idée que le jour approche où…Apparemment, le Très-haut nous aurait successivement gratifiés de sa bénédiction durant trois millénaires et infligé une malédiction à l’indépendance sous forme d’importantes disponibilités d’or noir dont la vente en l’état a fait de nous des rentiers et des assistés ayant désappris à travailler et à se prendre en charge. Faut-il rappeler que le pétrole a été découvert par les Français entre la fin des années 1940 et le début de l’exploitation de Hassi Messaoud en 1956, ou cela n’est-il d’aucune utilité devant l’évidence de la suprématie divine en tout ?Etrangement, nous n’avons pas disparu à l’instar des peuples précolombiens ou amérindiens comme l’aurait voulu une logique de l’Histoire implacable, ni n’avons fait notre entrée parmi les pays développés comme le voudrait la logique économique au vu de nos incroyables atouts. Nous n’avons pas été immergés dans les flots de l’Histoire et délivrés une fois pour toutes de la mal-vie multiséculaire contre laquelle nous n’avons rien pu, ni n’avons émergé parmi les nations méritantes à la satisfaction de nos chouhada et pour la perpétuation de notre race.Nous sommes demeurés en suspens entre le « zalt » et le « tfar’îne », la pauvreté et la richesse, la réussite et l’échec, la démocratie et l’islamisme, exactement comme l’âne de Buridan qui, lui, en est mort en peu de temps conformément aux lois de la nature. Cette indéfinition, ce non-positionnement, ce flottement bizarres ne semblent pas avoir d’explication rationnelle ni de justification métaphysique mais en cherchant bien dans le grenier de notre sagesse populaire, je suis tombé sur une curiosité sous la forme de la pensée suivante : « Ma‘ândnach, wma ykhassnach ! » (Nous ne possédons rien et n’avons besoin de rien !) Se peut-il, messieurs-dames ?Au premier abord on pourrait estimer que cette sentence est une pieuse affirmation du sens de la frugalité et de la tempérance chez nos aïeux, dépourvus de tout mais plus fiers que Karûn, Crésus et Artaban réunis. Elle pourrait avoir été la réplique indignée d’un de nos ancêtres moustachu à une remarque blessante sur sa condition matérielle qui aurait frappé l’amour-propre national au point qu’il l’a gravée à jamais dans sa mémoire. En y regardant de près toutefois, on se demande si elle n’a pas un autre sens, si elle ne serait pas le pendant de la détestable et funeste formule de « Mendiants et orgueilleux », ce qui en ferait non pas une vertu à porter à notre actif, mais une tare de plus à inscrire à notre passif, un énième hymne à l’absurde dont on ne manquait pas dans notre capital d’idées fausses bien garni en la matière.Le peuple algérien charrie depuis plusieurs millénaires de fausses idées auxquelles il doit les vicissitudes de son histoire, sa non-constitution en société viable et fiable et explique l’extrême précarité de sa situation économique et institutionnelle présente. Il y a dans sa gibecière mentale beaucoup d’autres expressions populaires encore plus insensées mais auxquelles les gens croient dur comme fer et appliquent naturellement dans leurs comportements entre eux. Le langage courant est truffé de ces inepties héritées d’une vie primitive, tribale, rurale et anarchique. Le premier aventurier ou Djouha venu détecte facilement cette grande faille en nous et élève dessus rapidement son empire.Peut-on raisonnablement être dépourvu de tout et n’avoir besoin de rien ? Sensément non. Mais dans la mentalité algérienne, plus attachée à dissimuler la vérité quand elle est humiliante que de raisonnement logique, la forme compte plus que le fond et le subjectif plus que l’objectif. Cette sentence, les dirigeants actuels et responsables des conséquences de la crise qui est aux portes aimeraient bien la voir exhumée sous sa déclinaison fataliste en ces temps de péril mais ils ignorent, comme beaucoup d’autres choses, qu’elle est devenue une arme à double tranchant.Apparue aux époques de pauvreté généralisée et de frugalité forcée, cette sagesse de circonstance a perdu depuis belle lurette son cadre sociologique et avec lui ses motivations morales. Il n’y a aucune chance de voir les millions d’Algériens actuels, jeunes et moins jeunes, habitués à être pris en charge par leur famille ou l’Etat, la reprendre à leur compte pour imposer silence à leurs ventres criant famine. Pour eux, surtout depuis les grands scandales de corruption qui ont émaillé les quinze dernières années, c’est devenu «andna wi ykhassna ! », considérant en toute bonne foi que leur part de pétrole leur a été volée par des dirigeants indélicats et que leur avoir est de ce fait incomplet. Ceux-là ne se contenteront pas de patriotisme et d’eau fraiche le jour où la crise laminera le pouvoir d’achat des actifs et rendra la vie impossible aux inactifs et aux démunis. Ce jour approche et personne ne pourra l’arrêter.La deuxième question que de nombreuses gens n’éprouvent plus de pudeur, vraie ou fausse, à poser à la vue de la situation humiliante et ruineuse faite au pays, est si le peuple algérien existe, tant il est en apparence mort en de larges parties de son corps et de son âme. La dernière provocation en date faite à leur raison et à leur dignité est l’annonce de la transformation de l’ « armée islamique du salut » en parti politique légal promettant aux Algériens le « salut ».Pendant tout le temps où l’Algérie ployait sous l’humiliation du colonialisme français, il n’existait pas de chants patriotiques comme le célèbre et émouvant « min djibalina tala’â çaout-l-ahrar… » Les montagnes algériennes étaient là depuis des millions d’années et les Amazighs vivaient accrochés à leurs flancs depuis des millénaires mais ils n’étaient pas des « hommes libres » (sens du mot amazighs ; « ahrar » en arabe). Ils eurent souvent à vivre sous l’infamie et le moment n’était pas encore venu de les réveiller de leur résignation pour les précipiter dans les sacrifices du 8 mai 1945 et du 1er novembre 1954 afin qu’ils recouvrent liberté et dignité.Si ce peuple devait confirmer qu’il est encore vivant, il le prouvera en s’élevant contre la politique de faillite et d’avilissement qui lui est imposée avec de plus en plus d’impudence et de mépris. Il le prouvera en trouvant les formes d’expression pacifiques de ce refus et de ce rejet définitifs. Et s’il doit le faire, ce ne sera pas pour se venger d’un occupant étranger ou tout casser pour faire baisser les prix des produits de première nécessité mais pour mettre de l’ordre dans la maison, pour construire enfin la maison, l’ « Etat démocratique et social » pour lequel sont morts en vain des centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes entre 1945 et 1962 et qu’il a été interdit à leurs enfants de construire, l’indépendance venue, par des aventuriers et des Djouhas infiltrés dans les bases-arrières de la Révolution.Le jour approche où… du sein de ce peuple leurré par les mythes et les mensonges dont on l’a abreuvé depuis le 5 juillet 1962 un nouveau 11 décembre 1961 surgira. On entendra ce jour-là un nouveau chant patriotique s’élever dans les airs, « min çoudourina tala’â çaout al-ahrar… » pour libérer l’Algérie du satanisme, de l’incompétence et de la mafia politico-financière qui l’ont prise dans leurs serres. Ce cri annoncera le début d’une nouvelle ère pour l’Algérie, pour les nouvelles générations, une ère telle qu’elle n’en a jamais connu au cours de son histoire tri-millénaire.Ce jour qui approche ne devra pas être un jour de catastrophe et d’anarchie suicidaire mais de renaissance de la nation algérienne à partir de la volonté générale et non de l’initiative d’une « avant-garde révolutionnaire » ou d’une « armée du salut » laïque ou islamique qui se muera fatalement en junte ou en nomenklatura religieuse.A la base de chaque évènement majeur de l’histoire des peuples du monde, à l’origine de chaque révolution politique, scientifique, économique ou technologique on trouve une idée nouvelle, une vision du monde nouvelle ou une ambition collective nouvelle. L’idée qu’on naît peuple et devient société au terme d’un processus d’éducation civique commence à être admise par les Algériens qui confondaient entre naissance démographique et naissance sociale. C’est après que cette prise de conscience se soit largement généralisée que nous nous mettrons à penser et à clamer ensemble : « ma ‘andnach wi ykhassna ! ».En le clamant, nous ne songerons pas à nos ventres, ni à notre « khchem », mais à l’indispensable accumulation de principes et de comportements civiques, de réalisations économiques, sociales et politiques qui nous faisaient défaut. Nous nous mettrons alors à réunir les matériaux, briques, sable, ciment, hommes et idées nécessaires à la nouvelle construction de notre nation et, ce faisant, de notre « Nous ».Il faut se préparer au jour du changement, du tournant historique, de la révolution morale, intellectuelle, politique et sociale menée par les nouvelles générations car il approche, l’œuvre de la biologie aidant. On ne sait pas avec certitude s’il sera un jour de malheur ou de bonheur, forcément suivi de décennies et de siècles du même cru. Tout dépendra des idées qui y présideront : si elles seront de nature régressive, nous irons rejoindre la Somalie, l’Afghanistan, le Yémen ou la Syrie ; si elles seront de nature réaliste, rationnelle et progressiste, nous ferons comme nos frères tunisiens. Dans ce dernier cas, nous écrirons une nouvelle constitution pour un nouvel avenir, un avenir en rupture définitive avec les siècles de « colonisabilité » qui ont rendu possible notre colonisation par divers occupants, et l’encanaillement qui a placé à notre tête des ignorants et des voleurs.Une constitution est pour un peuple ce que des statuts sont pour une entreprise. Entreprise économique et société humaine sont une seule et même chose de ce point de vue. Les deux résultent d’une initiative convenue, d’un travail collectif et de la convergence des efforts de chacun vers un objectif commun : bénéfices, réinvestissement, innovation, compétitivité, croissance… La constitution d’un pays et les statuts d’une entreprise définissent les droits et les devoirs des actionnaires (le peuple), désignent les organes de direction (présidence, gouvernement), précisent les attributions de chaque partie et prévoient des organes de contrôle (parlement, conseil constitutionnel, cour des comptes, cour d’Etat…).Le PDG d’une entreprise ou le président de la République, une fois désigné, ne doit pas pouvoir exciper de son mandat ou de ses attributions pour se substituer aux actionnaires, changer dans le sens de ses intérêts les attributions des autres organes de gestion et de contrôle afin de rester à son poste jusqu’à sa mort ou disposer des biens sociaux comme de sa fortune personnelle. Or c’est ce qui s’est passé avec nos gestionnaires politiques et économiques depuis le premier jour de l’indépendance, et continue de se passer dans le silence et la complicité de tous ou presque.Rien qu’en assimilant ces idées élémentaires et universelles, les Algériens enclencheront le processus de changement de leur situation psychologique, politique, sociale et historique. Or nous ne connaissons pas ces idées, nous n’en entendons parler que chez les autres, Américains ou Européens en particulier. Ce que nous savons de l’organisation politique d’une collectivité, c’est qu’elle doit être dirigée par 1 chef (« sinon le bateau coulera » comme dit l’adage) censé servir d’abord Dieu, puis les gens et le pays, s’il est « bon ». S’il est « mauvais », il ira en enfer où Dieu s’occupera de son cas.Telle est la philosophie politique sommaire, archaïque, anachronique, transmise par la tradition en pays arabo-amazigho-musulmans depuis avant l’apparition de l’islam. Elle repose sur des siècles de contes, légendes et prêches religieux au service des tenants du pouvoir: au ciel il y a un Dieu unique, et sur terre idem, qu’il s’appelle aguellid, calife, cheikh, roi, émir, zaïm, raïs ou… Djouha avec, à quelques prérogatives près, les mêmes attributions et les mêmes pouvoirs. Une fois la dévolution du pouvoir faite, c’est pour de bon, jusqu’à la mort du chef auquel sera due une obéissance inconditionnelle et qui sera supplanté soit par son héritier, soit par celui qui l’aura renversé ou assassiné. C’est sur ce canevas mental et culturel que s’est construit le despotisme dans les pays arabo-amazigho-musulmans et qu’il se maintient.Les idées de « contrat social », de « statuts sociaux», de « pacte d’actionnaires », de « souveraineté populaire », de « droit constituant du peuple », d’élections, de démocratie, de justice indépendante pour juger le cas échéant les actes des dirigeants, n’existent pas dans notre inconscient, dans notre culture, dans notre passé, dans notre histoire comme une nécessité vitale. S’approche-t-il le jour où cette idée figurera dans nos projets d’avenir comme une priorité ?Pour se libérer de cette conception d’essence théocratique il faut changer l’actuelle constitution, l’enseignement en vigueur, le discours politique, le mode de pensée populaire, le « ilm », la vision du monde de l’islam car dans ce domaine, plus que dans tout autre, religion et politique sont étroitement imbriquées, inextricablement associées. C’est pourquoi il faut s’atteler aux deux : réformer la pensée islamique et impulser une pensée algérienne moderne convergeant avec le sens du monde, ce que j’essaie de faire depuis plusieurs années.L’Algérie a disposé de quatre constitutions depuis la reconquête de sa souveraineté (1963, 1976, 1989 et 1996) mais aucune n’a émané de la volonté du peuple, de sa consultation sincère ou d’une assemblée le représentant. Toutes ont été conçues dans le secret, et les passages de l’une à l’autre ainsi que les amendements auxquels elles ont été soumises étaient motivés par des luttes occultes pour le pouvoir et non pour instaurer la souveraineté populaire, les libertés fondamentales, le fonctionnement démocratique et transparent des institutions ou le contrôle de l’utilisation des ressources publiques.La confusion volontaire et vicieuse entre deux notions capitales, le « pouvoir constituant » appartenant au peuple et l’ « initiative de la révision de la constitution » dévolue au président de la République, a rendu possible et facile ce détournement, cette confiscation du droit souverain du peuple qu’il n’a pas exercé une seule minute depuis la proclamation de l’indépendance. Le jour approche où il devra le recouvrer…

    NB
    Le Soir d'Algérie du jeudi 03/09/2015
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    Par Nour-Eddine Boukrouh

    PAYS, PEUPLES ET PROBLEMES DE DEMAIN

    Quelqu’un au monde sait-il où va le monde ? Quand on entendait dire autrefois que le monde changeait, ça ne se voyait pas de tous car le changement commence toujours petit, imperceptiblement. Les sceptiques concédaient que le changement est dans l’ordre des choses, les instruits le déduisaient des mesures des scientifiques et des courbes des prospectivistes, mais le commun des gens ne s’en rendait compte qu’une fois devenu une réalité qui, à peine formée, s’exposait à son tour à subir la loi du changement qui commence petit et finit gros.

    A l’ère des satellites, de la fibre optique, du numérique et du nanomètre, on peut déceler le changement dans les limbes avant d’être entériné par les transformations constatées dans le mode de vie, les idées ou les technologies. On peut le voir comme si on était équipé de lunettes grossissantes, télescopes ou microscopes, découvrant du même coup à quel point notre imagination peut être prise en défaut par une réalité improbable. On est alors doublement convaincu que le monde peut changer très vite : par ce qu’on a vu et par les moyens dont on l’a vu.

    Le tout n’est pas de voir le changement mais de se déterminer par rapport à lui. De grandes menaces planent sur le sort de l’espèce humaine venant du changement climatique, de la surpopulation, de la raréfaction des ressources, de la fragilité de l’économie mondiale, de la résurgence du fanatisme religieux et de la survivance de régimes politiques autocratiques, sans pour autant inciter les gouvernements du monde à des ripostes concertées.

    Qui fait l’Histoire : le monde ou les hommes ? Jusqu’à une certaine étape, c’était la planète, le monde, la nature qui dictait ses lois à l’Homme. Puis ce dernier est parvenu à renverser les rôles, s’affranchissant de cette dépendance et se rendant progressivement « maître et possesseur de la nature » selon les mots de Descartes. Depuis, il n’a plus lâché le gouvernail du changement et de l’Histoire grâce aux moyens dont l’ont progressivement doté son intelligence et son labeur. On considère que c’est vers la moitié du XXe siècle que la planète est entrée dans « l’anthropocène » (l’ère des humains) où « pour la première fois dans l’histoire, les activités humaines modifient profondément l’ensemble du système qui maintient la vie sur Terre » (Matthieu Ricard, généticien et moine tibétain).

    Or, ce qu’on constate dans les temps présents c’est que les affaires humaines semblent échapper à tout contrôle, soulevant de grandes inquiétudes qui peuvent devenir la source de nouveaux ennuis pour l’humanité. Les images qui nous arrivent d’Europe depuis quelques semaines, nous montrant ses pays, ses frontières, ses parcs, ses autoroutes et ses gares pris d’assaut par des vagues de migrants, est un signe que des choses déterminantes sont en train de se produire dont on ne connaîtra les conséquences que dans une ou plusieurs générations.

    Ces flots humains résolus à prendre pied en Europe ou à mourir en mer ou en route évoquent un tsunami balayant frontières, barrages, forces de l’ordre, lois nationales, procédures communautaires et usages, rappelant des prédictions lues jadis dans des livres signés de noms prestigieux comme Hegel, Nietzsche, Henri Massis ou José Ortéga Y Gasset sur l’ « ère des foules », la « révolte des masses », la « vengeance des damnés de la terre », l’ « invasion des barbares », la « peur des possédants »… C’est de la chancelière allemande que sont ces mots, « l’afflux de migrants va changer l’Allemagne ». Une fois encore ce pays a étonné le monde : les 4/5 de la population ont approuvé la décision de leur chancelière d’accueillir 800.000 réfugiés durant l’année en cours quand la France en accueillera 24.000 sur deux ans et la Grande-Bretagne 20.000 sur cinq ans.

    En suivant les reportages diffusés par les chaînes de télévision arabes et occidentales, il était difficile de ne pas établir un parallèle avec d’autres images diffusées par les deux networks, peut-être même dans la même journée : celles montrant « Daesh », la plus grande usine de production de migrants depuis la seconde guerre mondiale, en action dans plusieurs pays arabes. Avec la différence que les premiers sont armés de leur détermination à s’installer en Europe et que les seconds détruisent indistinctement vies humaines et vestiges historiques rencontrés sur leur chemin.

    Tout le monde a été un jour ou l’autre soit conquérant, spoliateur ou colonisateur, soit barbare, étranger, colonisé, « dhimmi », déporté, apatride, immigré, réfugié, exilé, « harraga », etc, et beaucoup d’hommes en vie ne savent pas sous quelle terre ou dans quelle mer ils finiront leurs jours. On émigre pour fuir la misère, la dictature, le fanatisme religieux, la guerre, la mort, et pourtant c’est à la mort presque certaine que l’on s’achemine quand on emprunte des embarcations de fortune pour parcourir des centaines de lieues en vue de rallier des destinations incertaines.

    Tous les pays sont nés un jour, aucun n’était là à l’apparition de l’Homme ; à la faveur des mutations géologiques, climatiques, biologiques, culturelles et historiques, l’espèce humaine s’est progressivement organisée pour sa survie en familles, hordes, tribus, cités, empires, civilisations puis, à l’ère moderne, en Etats nationaux. On délimitait les territoires et les idéologies comme font les animaux pour s’assurer d’un espace vital, et les guerres ont longtemps eu pour cause principale la possession de quelques kilomètres carrés ou le prosélytisme religieux ou idéologique.

    Les pays sont nés de la recherche des hommes d’un abri contre les intempéries, d’un refuge contre les bêtes féroces ou, au gré des vicissitudes de l’Histoire, de la conquête de terres fertiles, de la volonté de puissance ou d’une délibération internationale dont l’exemple le plus fameux est la Résolution No 181 de l’ONU partageant la Palestine en deux Etats. Les Israéliens ne veulent pas rendre aux Palestiniens la part qui leur a échu en 1948, estimant qu’elle fait partie de la terre « promise par l’Eternel », oubliant du coup la résolution onusienne, et Hamas ne rendra pas Gaza à l’Autorité palestinienne pour cause d’islamisme.

    Peu de peuples savent où ils étaient il y a quelques millénaires, d’où ils viennent avec certitude ni pourquoi ils sont là plutôt qu’ailleurs. N’ayant pas la prétention de le savoir, les pères-fondateurs de l’Union africaine ont posé avec la vague des indépendances de la fin des années 1950 un principe sage : l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Des pays sont nés de l’émigration, comme les Etats-Unis d’Amérique, de guerres de libération ou d’accords entre les grandes puissances, comme beaucoup d’anciennes colonies africaines, de la scission de grands ensembles par suite de mésentente religieuse (Inde-Pakistan, Soudan-Sud-Soudan) ou idéologique (les deux Chine, les deux Allemagnes, les deux Corée, les deux Vietnam, les deux sous-territoires palestiniens…)

    Des regroupements créés sur des bases idéologiques, politiques ou linguistiques (URSS, Yougoslavie, Royaume-Uni quitté par l’Irlande et qu’a failli suivre l’Ecosse il y a peu) se sont défaits, et des Etats issus du démembrement de l’Empire ottoman sont en train d’être démantelés à leur tour à l’instar de l’Irak et de la Syrie. Parmi les frères séparés, il en est qui se sont réconciliés à l’image des deux Allemagne et des deux Vietnam, alors que les « frères » musulmans, eux, aspirent et travaillent à plus de divisions et de scissions à l’avenir (chiites-sunnites, wahhabites-non wahhabites, soudanais, palestiniens, libyens, syriens, irakiens, yéménites…)

    Les mutations géologiques, climatiques, culturelles et historiques qui ont façonné la planète sont toujours à l’œuvre et nous assistons de nos jours à la formation d’une nouvelle carte de l’occupation des terres émergées. Des territoires sont menacés de disparition sous l’effet de la montée du niveau des mers et des océans, condamnant leurs peuples à se retrouver sans pays, et des pays fertiles se vident de leur population pour des causes politiques ou religieuses.

    Que deviendront ces peuples sans terre et ces terres abandonnées par peur de dirigeants tyranniques ou de hordes fanatiques ? Qui accueillera les premiers ? Qui héritera des secondes ? Que deviendront les idéaux de patriotisme, de nationalisme, de civilisation, de tolérance et d’humanisme qui ont bercé la longue marche d’Homo erectus?

    Des pays louent leur pavillon maritime à des armateurs pour accroître leurs rentrées en devises et d’autres leurs terres agricoles à des multinationales; les deux-tiers de la population du Liban vivent hors des frontières de leur minuscule Etat dont presque la moitié de la population résidente est constituée de Palestiniens et de Syriens chassés de chez eux depuis 1948 pour les premiers et 2012 pour les seconds; de riches Etats du Golfe comptent plusieurs fois plus d’étrangers que leur population d’origine, et il y a aujourd’hui plus de raisons ou de prétextes à se séparer dans le monde arabo-musulman que de s’agglomérer.

    Y a-t-il une solution au phénomène de migration sauvage qui bouleverse le monde et le transfigurera culturellement à long terme ? Si la communauté internationale ne peut plus stopper le réchauffement climatique, s’y étant prise trop tard, elle peut agir sur les causes à l’origine des flux migratoires arabes dus aux despotismes locaux et à la stratégie de grandes puissances consistant à les livrer à l’islamisme pour mieux démanteler leurs pays. Tout le monde focalise sur la gestion des effets immédiats de la crise, personne sur ses causes. Pourquoi ?

    L’intrusion de l’Occident dans l’Asie confucéenne (Japon, Chine, Corée) a réveillé ces peuples qui sont aujourd’hui dans le peloton de tête de la croissance mondiale. La même intrusion dans les pays de l’Asie islamique non-arabe (Indonésie, Malaisie, Turquie) a eu des conséquences presque similaires. Mais, en Afghanistan et dans les pays arabes, elle s’est soldée par un chaos durable et fatal (Pakistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen…). C’est à ce propos que le Dr Gustave Le Bon a écrit dans son livre « L’homme et les sociétés », paru en 1895, ces lignes prémonitoires : « Nous avons été semer la guerre et la discorde chez ces nations lointaines et troubler leur repos séculaire. C’est à leur tour maintenant de troubler le nôtre ».

    L’Europe cachait-elle des marges d’absorption d’une demande subite et pressante en postes de travail, logements et places pédagogiques ? Certainement non, elle qui cherche à répartir le fardeau entre ses 28 Etats-membres alors que les réfugiés ne l’entendent pas de cette oreille : ils sont intéressés par une poignée de pays seulement.

    Les opinions publiques des pays-membres (plus de 500 millions d’habitants) sont déchirées entre leurs sentiments et leur conscience quant à la fragilité de leur propre situation socio-économique : les uns, majoritaires pour l’instant, manifestent en faveur de l’accueil des migrants, les autres, skinheads et militants d’extrême droite, minoritaires pour l’instant, n’hésitent pas à les agresser. Qu’en sera-t-il dans quelques années ? C’est que l’émigration forcée peut être vécue par les pays qui la subissent comme une occupation par la contrainte de leur territoire et certains dirigeants, comme le Premier ministre hongrois, ne se sont pas privés de s’y opposer avec véhémence. Des murs en béton et des grillages électrifiés ont été construits, des blindés ont été déployés à certaines frontières, des flottes militaires surveillent les côtes, l’état d’urgence a été proclamé comme en Macédoine, et chaque pays s’évertue à passer la « patate chaude » au voisin…

    Il faut de nouveaux paradigmes pour gérer la donne issue d’une vie internationale non régulée par un droit universel de plus en plus indispensable, mais ces paradigmes n’existent pas encore alors que le phénomène migratoire lorgnant l’Europe n’ira pas en s’estompant mais en s’intensifiant. L’émigration sauvage se présente en effet comme une tendance lourde des prochaines années et décennies avec l’appauvrissement des peuples qui n’ont pas réussi à s’en sortir économiquement au cours du siècle dernier, le maintien de régimes despotiques, le terrorisme exercé par les groupes islamistes et les populations insulaires dont les terres seront englouties par les eaux comme dans le récit de Noé.

    Un entrepreneur israélien installé à San Francisco, Jason Buzi, a lancé en juillet dernier dans le « Washington post » une idée qu’il a présentée comme une solution à la crise mondiale des migrants : créer un nouveau pays où les populations fuyant leurs territoires pour un motif ou un autre fonderaient une « nation de réfugiés » où ils vivraient en sécurité et travailleraient comme « tout le monde » selon ses termes. La population de cet Etat pourrait s’élever à soixante millions de personnes, soit le nombre de personnes « déplacées » en 2014 selon les chiffres du HCR (Haut commissariat aux réfugiés, ONU).

    Probablement inspiré par la saga de son pays d’origine mais excluant une occupation par la force comme l’a fait Israël au détriment des Palestiniens, l’homme d’affaires a ouvert un site internet où il expose quatre options : demander à des Etats développés de léguer des parties de leurs terres non utilisées pour y installer les populations déplacées, acheter une île inhabitée, prendre en charge un pays existant mais peu peuplé, ou construire une île au milieu de quelque Océan. Il donne l’exemple de la Californie où 90% des quarante millions d’habitants vivent sur moins de 10% des terres de l’Etat, exactement les mêmes proportions que pour Algérie. Pour le financement du projet, il en appelle à la participation de gouvernements et d’investisseurs privés.

    Qu’en penser ? Il faut le demander d’abord aux migrants. Eux sont intéressés par des pays déjà faits, construits, civilisés, riches, charitables, aimant les droits de l’homme et les appliquant à tout être humain sans discrimination, et non par une terre vierge, un pays à construire de rien, un territoire sans peuple ou un Etat problématique. Sur quelles idées, quel modèle, serait fondée cette « nation de réfugiés », sachant qu’un grand nombre de migrants sont des musulmans ? Il faut aussi poser la question aux migrants non musulmans pour savoir sur quel « désir de vivre ensemble » ils aimeraient voir s’ériger cet Etat idyllique et quelles valeurs morales et institutions politiques il inscrirait dans sa constitution? N’est-ce pas pour des raisons d’ « incommodo » d’ordre religieux et politique que ces réfugiés ont quitté leurs terres ? Leur dénominateur commun - la migration – suffira-t-il pour les faire cohabiter jusqu’à devenir des compatriotes ? Le projet de Jason Buzi est irréaliste et irréalisable. Ce serait au mieux un laboratoire grandeur nature où serait testée la faisabilité du seul idéal qui n’est pas encore à la portée des hommes, mais seulement des automates et des robots qu’ils apprennent à construire.

    Sommes-nous, en tant qu’Algériens, concernés par le phénomène de la migration sauvage ? Oui, sous toutes ses facettes. Nous sommes un pays de transit pour les Africains voulant se rendre en Europe ; nous sommes une destination pour nos voisins africains et nos frères Syriens à qui nous ne saurions fermer la porte au nez ; nous sommes depuis longtemps un pays émetteur de « harragas » ; nous sommes depuis le début du siècle dernier un pays fournisseurs d’émigrés, surtout vers la France, tendance qui a connu un rebond durant la décennie de terrorisme, et notre diaspora compterait entre cinq et sept millions de personnes disséminées à travers le monde, sans préjudice de ce qui pourrait nous arriver à l’avenir compte tenu de notre précarité économique et politique. Les Algériens regardent, notent et n’exigeront pas moins de l’Union européenne, le jour venu, que ce qu’elle aura accordé aux Syriens.

    Serons-nous là demain, nous qui étions absents hier, qui sommes si souvent familiers de l’éclipse historique, du rôle de victime expiatoire, de chair à canon pour les guerres de l’occupant et d’auxiliaires de notre propre destruction (harkis pendant la Révolution, terroristes pendant les années 1990) ? Nous aussi nous pourrions être déstabilisés un jour : nous sommes encerclés de toute part, nous avons un « gouvernement kabyle » en exil, nos frères Touaregs sont à cheval entre plusieurs pays du Sahel, Ghardaïa était jusqu’à il y a quelques semaines un champ d’expérimentation, nous nous préparons à recourir de nouveau à l’endettement extérieur et l’islamisme fait des ravages dans la société… Les problèmes de demain sont ceux que poseront les pays et les peuples de demain dont nous, en premier lieu, si nous persistons dans l’aveuglement actuel.
    NB

    Le Soir d'Algérie du jeudi 10/09/2015









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    Post Peur sur le pays

    Par Nour-Eddine Boukrouh

    PEUR SUR LE PAYS

    Le Soir d'Algérie du jeudi 17/09/2015

    J’aimerais donner à lire ces lignes avant d’aller plus loin

    « Il n’y a pas qu’en Algérie que le pouvoir est la réalité et l’Etat la fiction. Un livre récent d’Anthony Summers (« Official and confidential : the secret life of John Edgar Hoover », traduit en français sous le titre de « Le plus grand salaud d’Amérique ») décrit l’incroyable pouvoir dont a disposé le patron du FBI durant quarante-huit ans (de 1924 à sa mort en 1972) dans la plus grande et la plus transparente démocratie du monde. Ayant survécu à huit présidents des Etats-Unis dont le premier souci en arrivant était de le limoger, il était plus puissant qu’eux, contrôlant les membres du Congress, les ministres, les élus, les universités, les juges, les journaux, les commissions d’enquêtes, les foules, la mafia… Ce que relate le livre défie l’imagination et bouleverse l’entendement, tant l’image donnée d’eux par les Etats-Unis d’Amérique contraste avec la série de faits crapuleux et de preuves accablantes exposés par l’auteur… » (Cf. N. Boukrouh, « L’Algérie entre le meilleur et le pire », Ed. Casbah, 1997).
    Les sentiments sont partagés au sein de la population algérienne après la décision prise par le président Bouteflika de mettre fin aux fonctions du général de corps d’armée Toufik à la tête du DRS et de le mettre à la retraite. Grosso mode, deux courants se dégagent : ceux qui y voient un « bien » et ceux qui y voient un « mal ».Les premiers trouvent naturel qu’un responsable, quel qu’il soit, doive quitter un jour ou l’autre son poste et que le Président exerce l’intégralité et la plénitude des pouvoirs que la constitution lui confère, considérant que le « bicéphalisme » a empêché le développement et la modernisation politique de l’Algérie et qu’il est temps que le pouvoir devienne réellement et entièrement civil. Ceux-là n’ont pas vu dans les mesures qui ont affecté le DRS depuis deux ans un démantèlement mais une restructuration ayant pour finalité sa sortie du jeu politique et son investissement à l’avenir dans les missions de sécurité intérieure et extérieure qui justifient son existence et exigent une concentration sur son métier de base. Ils ne veulent pas croire à la théorie de l’affrontement et inclinent vers une réorganisation du DRS venue en son temps et pilotée par son chef sur instruction du Président. Mais ne font-ils pas l’impasse sur quelques « couacs », quelques anomalies?Les seconds y voient pour leur part le dénouement d’un bras de force entre le général Toufik et le président Bouteflika apparu avec la révélation dans la presse de plusieurs affaires de corruption touchant les hautes sphères de l’Etat, révélations dont le but aurait été d’entraver le quatrième mandat et dont un des dommages collatéraux aurait été l’AVC qui a frappé le Président en avril 2013. C’est dans ce courant que se recrutent ceux qui nourrissent une grande peur pour le pays et son avenir, d’autant que la crise économique est déjà parmi nous. Une peur fondée sur une vieille vision binaire selon laquelle le pays étant « bicéphalement » dirigé, l’armée ne laisserait jamais faire un Président tenté par le despotisme familial, la subordination à des intérêts étrangers ou la prédation des richesses nationales.Or, estime-t-on dans ce courant, l’armée a été « neutralisée ». Le « clan présidentiel » aurait réussi à éliminer Toufik qui « ne commandait plus qu’un secrétaire et deux femmes de ménage », les grosses affaires de corruption ont été passées par pertes et profits au su et au vu de tous, plus personne n’est en mesure de s’opposer à ses desseins et il faut s’attendre à ce qu’il s’empare à brève échéance du pays pour en faire ce qu’il voudra : le saigner ou le vendre. Ceux-là n’ont pas été au bout de leur logique car si tel avait été le cas, il y aurait eu du grabuge quoique…Qui des deux courants est dans le vrai ? Laquelle des deux thèses correspond à la vérité, tant est que ce mot ait un sens ou une application en politique ? Sans oublier que nous ne sommes pas au pays de la transparence et de la rationalité mais en plein imbroglio algérien où l’art de la politique tient en quelques formules du genre : « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette » ou « Jouons à nous embrouiller mutuellement… » Normalement, sur deux hypothèses, si ce n’est pas la première qui est la bonne, ce devrait être la seconde. Mais chez nous les choses ne sont pas aussi simples, droites et carrées. La vérité n’est pas toujours du côté qu’on suppose ni celui que suggère la logique ; elle peut être dans l’une et l’autre à la fois ou dans aucune, confirmant que le « dribblage » est la meilleure façon de garder un secret. Le nombre de ceux qui savent vraiment ce qui se trame ne doit pas dépasser quatre ou cinq.La thèse du premier courant l’aurait emporté si elle n’avait été entachée de « couacs » attirant sur elle des questions qui mettent en doute sa cohérence. Dès qu’on cherche à répondre à ces questions on se retrouve en train de glisser dans la seconde thèse : pourquoi a-t-il fallu que les seules attaques publiques et frontales jamais menées contre le chef du DRS viennent d’un homme qui venait d’entrer par effraction sur la scène politique ? Un homme sans fonctions officielles, qui n’a de « pouvoir » que celui de la parole, rare et brève chez lui, et qui constitue une cible idéale pour les critiques. Etait-il nécessaire de procéder de la sorte ? N’y avait-il que cet homme et cette façon d’opérer ?Elle l’aurait emporté si, par ailleurs, une anomalie outrageusement choquante ne discréditait, vidait de tout sens, les notions de « droits régaliens » et de «prérogatives constitutionnelles » du président. Cette anomalie qu’on a en apparence acceptée comme si elle était naturelle et qu’on fait mine de trouver « normale », c’est que l’homme qui se prévaut de cette qualité, de cette fonction et de ces droits n’en remplit plus les conditions et les devoirs depuis longtemps. Il ne devrait même pas se trouver là car il n’avait pas le droit de se présenter à son âge et dans sa condition d’handicapé à un quatrième mandat alors que la constitution, avant qu’il ne la viole en 2008, n’en permettait que deux. Tous ses actes devraient être frappés de nullité et dénoncés comme des atteintes à l’intérêt national et à la sécurité interne et externe du pays et pourtant personne ne le fait, préférant voir couler le pays.En réexaminant à la lumière du point de vue que je veux développer les faits ayant marqué la vie nationale ces dernières années, on ne peut nier les traces d’un désaccord qui, à un moment ou un autre, a été surmonté par un compromis qui a libéré la voie au quatrième mandat et à ce qui se profile derrière les chamboulements en cours. Le redéploiement du DRS, le remplacement de hauts responsables par leurs adjoints (Boustila et Toufik) et la suite, une suite qu’on ne connait pas mais qui a forcément à voir avec la succession de Bouteflika, attestent qu’un plan a été convenu et qu’il est en cours d’application. Ce qui me le fait dire ? Deux éléments : la lettre du président Zéroual de mars 2014 et le perpétuel renvoi de la révision de la constitution depuis 2011.S’agissant de la lettre de l’ancien président, j’en avais présenté ici-même une lecture qui s’harmonise avec ce que je soutiens aujourd’hui. Elle me semblait receler un mystère, d’où le titre donné à ma contribution : « Mystères et misères du 4e mandat » (LSA du 23 mars 2014). Le constat sévère que le président Zéroual dressait dans sa lettre au peuple algérien et les critiques voilées qu’il adressait à son successeur ne me paraissaient pas concorder avec l’optimisme avec lequel il appréhendait le quatrième mandat. Il y avait comme une incohérence entre l’état des lieux alarmant qu’il faisait et les perspectives rassurantes qu’il entrevoyait pour au moins une raison : c’est que l’homme qui était à l’origine de l’état des lieux décrié allait être l’architecte du « nouvel ordre politique » qu’esquissait Zéroual. J’en avais déduit que s’il avait choisi de parler à la manière de Nostradamus, c’était parce qu’il savait quelque chose que nous ne savions pas, qu’il n’était pas temps que nous sachions.Zéroual écrivait dans sa déclaration : « Indépendamment de ce qui va résulter du scrutin du 17 avril prochain, il faudra surtout retenir que le prochain mandat présidentiel est le mandat de l’ultime chance à saisir pour engager l’Algérie sur la voie de la transition véritable ». Ce qui donnait à penser qu’avec ou sans Bouteflika il y aura une « transition».Sur quoi reposait cette certitude ? D’où l’ancien présidait tenait-il que « le prochain mandat présidentiel doit s’inscrire dans le cadre d’un grand dessein national et offrir l’opportunité historique d’œuvrer à réunir les conditions favorables à un consensus national autour d’une vision partagée sur l’avenir de l’Algérie ; une vision partagée par les principaux acteurs de la vie nationale et que doit nécessairement couronner, en dernière instance, l’assentiment souverain de l’ensemble du peuple algérien ».On devine qu’il s’agit dans ces lignes de la Constitution. Or le projet de sa révision est entre les mains de Bouteflika qui le garde jalousement au secret comme on garde un testament ou un titre de propriété essentiel. Quelles en sont les raisons ? Que renferme de si important le projet de révision qui ne puisse être divulgué ? De tout ce qu’on a appris par les « fuites » dont se fait écho de temps à autre la presse, il n’y a pas de quoi fouetter la queue d’un chat et ne justifie aucunement les reports sine die. Va-t-il le libérer bientôt ou attendre quelque autre évènement d’importance que nous ignorons mais qui serait inscrit dans l’agenda ?L’ancien président poursuit dans son adresse au peuple algérien en mars 2014 : « Ce mandat-transition constituera la première étape sérieuse d’un saut qualitatif vers un renouveau algérien, plus conforme aux aspirations légitimes des générations postindépendance et en harmonie avec les grandes mutations que connait le monde. Il est temps d’offrir à l’Algérie la République qu’elle est en droit d’exiger de son peuple et de son élite éclairée ». Sur quoi s’appuyait son assurance ? Si mystère il y a, si, comme le laissent croire les insinuations de Zéroual, le 4e mandat se décline en deux volets dont nous ne connaissons que le premier, de nouvelles questions surgissent : n’y avait-il que ce chemin sinueux et périlleux pour aller vers une transition ? N’était-ce pas un pari dangereux que de miser sur un homme qui pouvait rechuter ou, à Dieu ne plaise, mourir avant l’arrivée des échéances prévues par le mystérieux scenario ?J’ai conclu mon analyse de la lettre de Zéroual en ces termes : « Le président Zéroual a aussi parlé de « contre-pouvoirs forts ». Où sont-ils, d’où vont-ils sortir dans l’état actuel du champ politique laminé par quinze ans de fermeture ? Est-il, comme Nostradamus, seul à voir ce que les autres ne voient pas ? Le seul contre-pouvoir dont personne n’a jamais douté de son existence est celui constitué par l’Armée qui, tout en étant la source du pouvoir, pouvait s’ériger en contre-pouvoir en cas de péril imminent, comme en 1992 quand elle a divergé avec Chadli. Or certains indices montrent qu’elle a tourné le dos à la politique et s’en lave les mains dorénavant, soulevant du même coup l’inquiétude des citoyens opposés au 4e mandat qui voient dans ce retrait le risque que la mafia politico-financière ne s’empare « démocratiquement » du pouvoir. C’est ce qui explique leur peur, mais aussi leur détermination à dénoncer et à s’opposer à une telle perspective. C’est ce qui déclencherait aussi un deuxième 1er Novembre ».A mon avis, il n’est pas possible de détacher les mesures ayant touché le DRS et son chef de l’agenda convenu avant le quatrième mandat. Ni le Président ni le général Toufik n’aurait accepté qu’un « autre » héritât, avec ou sans eux, des pouvoirs réunis par l’ex-chef du DRS au cours de sa carrière et en raison de circonstances exceptionnelles. Un peu comme Hoover aux Etats-Unis pendant la guerre froide.Tout comme il ne faut pas confondre entre mise à la retraite et mise en retrait définitif des affaires publiques. Un homme comme l’ex-chef du DRS ne peut pas être jeté comme un citron pressé ou une vieille chaussette, et il ne serait pas surprenant de le retrouver un jour dans un rôle civil en vertu de son capital-expérience auquel est en train de s’ajouter un capital-sympathie depuis qu’il passe pour un « mahgour ». Surtout en cas de gros problème.Les dernières figures de la génération de la révolution quittent le pouvoir l’une après l’autre, contraintes par l’âge ou la maladie. Le tour des retardataires encore en poste arrivera inéluctablement mais on ne sait pas s’ils continuent à ne penser qu’à eux-mêmes, à leurs proches et à leurs intérêts comme ils nous ont habitués, ou s’il leur arrive de penser à l’Algérie après eux, une Algérie qu’ils sont en train de quitter en la laissant sans relève, sans élite, sans société, sans économie, dans un monde où on voit de plus en plus de peuples disloqués fuir leurs pays pour aller là où on veut charitablement d’eux.Ce qui étonnerait un non-Algérien dans cette représentation de la réalité algérienne, c’est l’absence ahurissante, inexplicable, de la société du jeu politique, sa soumission aux jeux de coulisses, sa résignation au sort qu’on lui fait. L’assistanat appelle la dictature comme le clou qui dépasse appelle le marteau. Si notre destin est de vivre dans n’importe quel état, à n’importe quelle époque, indépendants ou colonisés, mendiants et orgueilleux, « ma ândnach wma ikhassnach », de mourir indifféremment sur terre ou en mer, de nous entretuer par haine ou par fanatisme, si vraiment tout se vaut, la vie comme la mort, alors tant pis pour nous car ni Dieu ni personne ne pourra rien pour nous.
    NB



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    Post Pensée de Malek Bennabi_«Témoignage pour un million de martyrs»

    Par Nour-Eddine Boukrouh
    Pensée de Malek Bennabi_
    «Témoignage pour un million de martyrs»


    A la veille de l’indépendance, Bennabi rédige au Caire, où il réside depuis 1956, un texte extrêmement téméraire dans lequel il s’en prend au GPRA et à l’état-major de l’armée des frontières qui se disputent le pouvoir. Il est daté du 11 février 1962. En raison de son contenu explosif, il ne sera publié qu’en 2000, lorsque le commandant Lakhdar Bouregaâ en fait paraître le contenu intégral dans une annexe de ses Mémoires(1). Il était destiné au Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) qui devait se réunir en mai 1962 à Tripoli (Libye) mais le «zaïm» à qui Bennabi l’a confié (Ben Bella) a préféré le garder par devers lui. Ce que constatant, il en remet une copie au Dr Ammar Talbi, alors étudiant au Caire, en le chargeant de le remettre au Dr Khaldi à Alger pour publication.
    Il était attendu de la réunion du CNRA dans la capitale libyenne qu’elle prépare la relève de l’Etat français par l’Etat algérien et qu’elle débatte de deux points principaux inscrits à l’ordre du jour : un projet de programme et la désignation d’un Bureau politique. La «Charte de Tripoli», qui prévoit la mise en place d’un parti unique et l’option socialiste, est votée à l’unanimité. Quant au second point, relatif à la structure du pouvoir à mettre en place, Ben Bella et Khider proposent le remplacement du GPRA par un bureau politique composé d’eux-mêmes, d’Aït Ahmed, Boudiaf, Bitat, Ben Alla et Mohammedi Saïd. Un témoin des débats, Saâd Dahlab, écrit dans ses Mémoires : «Ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Les passions se déchaînèrent autour de cette seule question parce qu’elle signifiait le pouvoir. Ben Bella et Khider jetaient le masque. Ils ne voulaient personne de l’ancienne équipe.»(2) Après dix jours de discussions, les membres du CNRA n’arrivent pas à un compromis sur le partage du pouvoir. Boudiaf et Aït Ahmed refusent de s’allier à Ben Bella et Khider, lesquels sont soutenus par l’état-major militaire dirigé par le colonel Houari Boumediene. Benkhedda, président du GPRA, quitte Tripoli et rentre à Tunis. Le 30 juin, le GPRA décide de destituer et de dégrader les membres de l’état-major ; le 1er juillet, le référendum a lieu à travers le territoire national ; le 3, les troupes de l’armée des frontières rentrent en Algérie ; le 6, Ferhat Abbas se prononce contre la destitution de l’EMG ; le 11, Ben Bella rentre en Algérie par Maghnia ; le 22, il proclame à Tlemcen la formation du Bureau politique (la liste proposée au CNRA moins Aït Ahmed et Boudiaf) ; Ferhat Abbas le soutient et le rejoint à Tlemcen. Le GPRA est éclaté : cinq de ses membres font partie du Bureau politique (Ben Bella, Bitat, Boudiaf, Khider et Mohammedi), deux ont démissionné et se sont retirés à Genève (Aït Ahmed et Dahlab), deux autres sont restés à Tunis (Boussouf et Bentobbal), alors que Krim Belkacem s’est retiré en Kabylie. Le 2 août, un arrangement est enfin trouvé sur la tenue d’élections pour désigner une Assemblée constituante. Boudiaf réintègre le BP ; le 3, les membres du BP font leur entrée à Alger ; le 21, les Oulamas proclament leur soutien à Ben Bella, suivis du Parti communiste algérien ; les wilayas sont divisées entre le soutien au GPRA et au BP ; des affrontements éclatent ; on dénombre des centaines de morts ; le 20 septembre se tient
    l’élection de l’Assemblée nationale constituante ; le 27, Ben Bella forme son gouvernement.
    Dans Témoignage pour un million de martyrs, Bennabi proclame sa volonté de dire au peuple algérien ce qu’il sait de la Révolution et de ses dirigeants : «Je me sens peut-être tenu par l’obligation de témoigner plus que les autres car je suis arrivé au Caire en 1956 avec l’intention de mettre ma personne et ma plume au service de la Révolution. Mais le destin m’a mis dans la position du témoin pour des raisons que je révélerai quand le peuple algérien demandera des comptes à tous ceux qui étaient au Caire durant cette période. Par conséquent, je m’acquitte de mon devoir de témoignage en étant conscient de mes responsabilités dans l’accomplissement de ce devoir. Je ressens ce devoir de façon plus particulière au moment où le peuple algérien va être appelé à accomplir son dernier et plus grave acte révolutionnaire, l’acte qui pourra soit consacrer tous les résultats de sa révolution soit l’exposer à sa perte...»
    Il commence par s’étonner que des personnages (dont il cite les noms) qui avaient été proches de l’administration coloniale se soient retrouvés à la «Voix de l’Algérie» ou en charge des finances de la Révolution. Il affirme que le peuple doit être éclairé sur les comportements et les responsabilités de chacun avant la tenue du référendum d’autodétermination : «Le peuple algérien doit connaître la vérité pour éviter à son édification politique et sociale de reposer après l’indépendance sur un terrain où les pieds s’enfonceraient dans la trahison, le stratagème et l’irresponsabilité…» Il propose au CNRA de convoquer à Alger un «Congrès extraordinaire du peuple algérien» qui formerait des commissions chargées d’enquêter sur un ensemble de questions avant la tenue de toute élection dans le pays. Il énumère ces questions :
    1) Circonstances dans lesquelles a été constituée, en avril 1955, une «direction séparée de celle de la Révolution basée dans les Aurès» sous le nom de Zone autonome d’Alger (ZAA).
    2) Circonstances de la mort de Ben Boulaïd, Abbas Laghrour, Zighoud Youcef, Larbi Ben M’hidi, le colonel Amirouche, le colonel Mohamed El-Bahi, Abdelhaï, Mostéfa Lakehal… Il y voit la main de la «trahison» et incrimine la direction qui s’était autoproclamée en 1955, lorsque le gouvernement français cherchait des «interlocuteurs valables» hors des rangs de l’ALN pour négocier avec eux. Pour lui, même le détournement d’avion qui a permis l’arrestation
    des «cinq» en 1956 résulte d’un acte de trahison.
    3) Comportement des dirigeants issus du Congrès de la Soummam face à l’édification de la ligne Morice qui n’a été ni entravée ni retardée, mais au contraire accompagnée d’une accalmie sur le front intérieur. Selon lui, le Congrès de la Soummam a été suivi d’une baisse d’intensité des combats et d’un transfert délibéré des unités combattantes vers les frontières Est et Ouest pour «laisser souffler» les forces françaises et en prélude à l’ouverture de négociations. Il estime que ces unités ont été transformées en unités de parade entre les mains des «zaïms».
    4) Circonstances dans lesquelles les déserteurs de l’armée française ont rejoint l’ALN
    et les raisons de leur nomination à des fonctions sensibles au sein de l’ALN.
    5) Assassinat de Allaoua Amira au siège du GPRA, au Caire, après qu’il eut mis
    en cause le GPRA dans certains contacts secrets avec la France.(3)
    6) Attitude des membres du GPRA envers les étudiants algériens à l’étranger.
    7) Gestion des finances par le GPRA et leur utilisation en dressant un état comparatif des dépenses effectuées au profit de l’ALN et de celles consacrées au fonctionnement du GPRA, dont les rémunérations allouées à ses membres.(4)
    8) Modalités de constitution du CNRA et sa représentativité.
    9) Initiative d’engager l’Algérie dans des pourparlers au sujet du Grand Maghreb sans consulter le peuple.
    Dans la lettre d’accompagnement de Témoignage pour un million de martyrs qu’il a adressée à Ben Bella le 18 juin 1962, Bennabi demande la réunion d’un Congrès «comme celui de 1936», c’est-à-dire regroupant le FLN-ALN, les Oulamas, l’UDMA, le PCA et même le MNA de Messali Hadj. Idée irrecevable pour ceux qui ont en main
    le pouvoir et qui ont déjà arrêté le principe du parti unique.
    Il ressort de cette demande que Bennabi envisageait pour l’Algérie un système démocratique fondé sur le pluralisme politique. En conclusion de son témoignage, il affirme qu’on ne peut pas s’engager dans des élections sans que le peuple connaisse la vérité sur la Révolution : «Les jours de deuil et de misère vécus par le peuple algérien pendant la Révolution ont été, pour les “zaïms”, les plus beaux de leurs jours qu’ils ont passés comme les émirs arabes
    du pétrole dans leurs palais des Mille et Une Nuits, écrit-il rageusement.
    Il déplore qu’aucun âlem ni intellectuel n’ait proféré le moindre mot pour condamner ces agissements ou en informer le peuple. Une telle liberté de ton pouvait faire craindre pour sa vie étant donné les mœurs politiques de l’époque. Si la lettre n’a été connue par un public forcément restreint qu’en 2000, son contenu est passé pour l’essentiel dans Perspectives algériennes (1964) et Le problème des idées dans la société musulmane. Ainsi est Bennabi : jamais il ne se tait ni ne renonce à sa liberté de jugement et d’expression. Les questions qu’il a soulevées sont, on s’en doute, gravissimes et laissent clairement entendre que la Révolution algérienne a été «détournée» quelques mois à peine
    après son lancement. Il n’a jamais fait mystère de cette conviction.
    Quoi qu’il en soit des œuvres publiques de Bennabi, c’est dans ses écrits inédits et ses Carnets que nous trouvons ses véritables sentiments et pensées sur les évènements et les hommes. Le 18 mai 1959 à 22h, il entame la rédaction d’un livre inédit portant le titre de Histoire critique de la Révolution algérienne. Dans la préface de six pages on peut lire : «La révolution algérienne a été une mise au banc d’essai de tout un peuple, la mise à l’épreuve de toutes ses valeurs humaines, de toutes ses catégories sociales. Et cette épreuve a montré la qualité des valeurs populaires de l’Algérie mais elle a mis à nu les tares incroyables de ce qu’on peut appeler une “élite” qui s’est révélée dénuée des qualités morales et intellectuelles qui font l’apanage d’une élite… La Révolution algérienne et le peuple algérien : un dépôt sacré entre des mains sacrilèges ou maladroites… La Révolution algérienne est l’œuvre d’un peuple qui n’a pas d’élite : l’historien y trouvera toutes les vertus populaires, mais aucune des qualités propres à une élite.» Toute l’histoire de l’Algérie au XXe siècle est dans ces lignes, de même que l’explication de la tragédie qu’elle a connue
    dans les années quatre-ving-dix et l’avilissement dans lequel elle vit aujourd’hui.
    Un peu moins de deux ans après le déclenchement de la Révolution, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi et Abane Ramdane s’entendent pour réunir un Congrès en vue de donner à la Révolution algérienne une organisation, une direction et un programme. Celui-ci se tient effectivement le 20 août 1956 en Kabylie et dure vingt jours.
    Le Congrès dresse le bilan de la Révolution, décide d’une réorganisation de l’ALN sur le modèle des armées classiques, découpe le territoire national en six wilayas, érige Alger en Zone autonome, adopte une plate-forme politique (rédigée pour l’essentiel par Amar Ouzegane, un ancien responsable du Parti communiste algérien) et désigne une direction constituée d’un exécutif de 5 membres (le Comité de coordination et d’exécution-CCE), et une instance politico-législative de 34 membres (le Conseil national de la Révolution algérienne, CNRA).
    La proclamation du 1er Novembre 1954 avait assigné pour but à la Révolution «la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques». Dans la «Plateforme de la Soummam», il est question d’«un Etat algérien sous la forme d’une République démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues». Deux mois après le Congrès, les quatre principaux membres de la Délégation extérieure(Ben Bella, Aït Ahmed, Khider, Boudiaf) sont arrêtés après le détournement de leur avion. Des six «historiques» qui ont déclenché la Révolution, Didouche Mourad, Mostefa Ben Boulaïd et Larbi Ben M’hidi sont morts ;
    Boudiaf et Bitat sont en prison ; il ne reste plus que Krim Belkacem vivant et en liberté.
    Abane Ramdane reprochait à la Délégation extérieure de ne pas alimenter les maquis en armes et à ses membres de s’être arrangés pour se mettre en lieu sûr après avoir «allumé la mèche». Mais lui-même ainsi que les autres membres du CCE ne vont pas tarder à quitter le front intérieur pour se réfugier à l’extérieur après l’arrestation de Larbi Ben M’hidi, et ce, en violation des décisions du Congrès de la Soummam qui avait consacré la primauté de l’intérieur sur l’extérieur.
    Yacef Saâdi, qui dénie au CCE tout rôle dans la Bataille d’Alger, est ulcéré quand il apprend leur décision de quitter le territoire national : «Ils ont choisi, à la faveur ou à cause de la grève, de prendre
    leurs jambes à leur cou et déserter le champ de bataille…
    Moins brillant qu’à son arrivée de la Soummam, le CCE était reparti en baissant la tête… Le précédent créé par le CCE se traduira par deux conséquences majeures : primo, à partir de cette date des milliers d’Algériens, fuyant la guerre, n’essaieront même pas de justifier leur acte auprès du FLN de l’intérieur… A l’abri de la frontière tunisienne et marocaine, on tentera de former avec les meilleurs d’entre eux ce qu’on appelle “l’armée des frontières” ; secundo, s’il est un homme dans l’histoire récente de notre guerre de libération qui perdra tout son poids à cause de ce départ irréfléchi à l’étranger, c’est bien Abane Ramdane qui, de chef de gouvernement révolutionnaire bénéficiant de la quasi-totalité des prérogatives pour conduire la guerre à bon port, est relégué au niveau de directeur de journal.»(5) Un des membres du CCE, Benkhedda, reconnaîtra quarante ans plus tard que la plus grande erreur de la Révolution a été de transférer à l’étranger sa direction : «Il s’est formé une bureaucratie politique et militaire coupée de l’intérieur et de ses réalités quotidiennes qui a ouvert la voie à l’arrivisme, à l’opportunisme, au népotisme et dont l’origine remonte à la sortie du CCE en 1957, une décision lourde de conséquences… C’est cet appareil forgé à l’extérieur qui prendra le pouvoir en 1962 et confisquera la Révolution à son profit. Beaucoup plus que pour le GPRA, l’état-major général siégeant à l’extérieur a été une aberration. L’ALN a été divisée en deux : celle des deux frontières et celle de l’intérieur,
    séparées l’une de l’autre par la ligne Morice.»(6)
    Lorsque les membres de la Délégation extérieure du FLN au Caire reçoivent les procès-verbaux et les résolutions du Congrès de la Soummam, ils s’aperçoivent qu’ils ont été exclus de la direction de la Révolution. Ils contre-attaquent en reprochant au Congrès de ne pas être représentatif et d’avoir «remis en cause le caractère islamique des futures institutions politiques» et en rejetant ses décisions. Quant à la composition du CCE, ils récusent la nomination de Benkhedda et de Dahlab, anciens «centralistes». L’initiateur du Congrès, Abane Ramdane, est sévèrement critiqué. On pense qu’il veut prendre le pouvoir et écarter les «historiques» et les chefs de l’extérieur. La réunion au Caire du CNRA en août 1957 annule les décisions de la Soummam ; un nouveau CCE de 9 membres est désigné ;
    Abane est marginalisé : on lui confie la direction du journal El-Moudjahid.
    Le 27 décembre 1957, quelque part à Tétouan, au Maroc, Abane Ramdane, attiré dans un guet-apens, est assassiné. Plus tard, Ferhat Abbas mettra cet assassinat sur le compte de «la haine que les analphabètes vouaient à ceux qui savaient lire et écrire. La jalousie et l’envie ont été les deux maladies de l’insurrection algérienne… Au cours de son histoire, le Maghreb a toujours décapité la société en supprimant ses élites pour recommencer du début. C’est pourquoi il a stagné sans jamais progresser».(7) Avant d’être tué, Abane aurait été jugé en son absence, selon le témoignage de Krim Belkacem. L’accusation retenue contre lui aurait été de s’être livré à un travail fractionnel
    et d’avoir comploté avec un commandant de l’ALN pour renverser le nouveau CCE.(8)
    Abane avait des idées marxistes et laïques et ne s’en cachait pas. Il était de caractère difficile, cassant, autoritaire, méprisant. Cela, tous ceux qui ont écrit sur lui le confirment(9). Le diplomate Khalfa Mameri raconte par le menu détail les très difficiles relations que Abane avait avec la plupart des dirigeants, à commencer par celui qui l’a recruté au PPA, Omar Oussedik, celui qui l’a nommé à la tête d’Alger, Krim Belkacem (qu’il a un jour publiquement traité d’«aghioul» (âne)), les membres de la Délégation extérieure (surtout Ben Bella qu’il a accusé d’être un «traître») et les colonels de la Révolution (Boussouf, Boumediene, Bentobbal, Amirouche, qu’il lui est arrivé de qualifier de «voyous»). Il pensait qu’il était le plus qualifié pour diriger la Révolution, ce qui a suscité chez les autres prétendants une terrible méfiance à son égard. Mameri n’hésite pas à s’attarder sur les zones d’ombre de sa vie qui ont justement servi à alimenter la terrible accusation qui a pesé sur lui(10). Saâd Dahlab qui était très proche de Abane et à qui il devait son ascension politique écrit : «Il nous mettait souvent devant le fait accompli… Rien n’irritait davantage Krim et Ben M’hidi que de le voir “jouer au chef”.» Il y a quelques années, le nom de Malek Bennabi a été mêlé, dans un livre sur Abane Ramdane, à une querelle dans laquelle il n’a rien à voir, comme il n’avait rien à faire dans la galerie de photos ornant la couverture du livre en question où apparaissent Ahmed Ben Bella et Ali Kafi. Si ces deux personnalités ont été effectivement des rivaux et des contradicteurs de Abane, Bennabi, lui ne l’a jamais rencontré, ne lui a disputé aucune position dans la direction de la lutte de Libération nationale et ne s’est intéressé à lui qu’accessoirement, dans le cadre d’une thèse sur les processus révolutionnaires dans l’histoire. On ne grandit pas un homme en rabaissant un autre et je ne voudrais pas tomber dans le travers que je dénonce. Il s’agit ici de deux grandes figures de l’Algérie du XXe siècle, l’une dans le registre de la pensée universelle, l’autre dans l’action révolutionnaire. Du reste Bennabi n’a besoin de personne
    pour être grandi, son œuvre le faisant largement pour lui.
    Je connais depuis le début des années 1970 les jugements de Bennabi sur la révolution algérienne et ses dirigeants, puisqu’il lui arrivait d’en parler dans ses séminaires, chez lui. Alors âgé d’une vingtaine d’années, j’étais bouleversé par ce que j’apprenais comme doivent l’être les générations postindépendance qui sont scandalisées et traumatisées par ce qu’elles entendent à longueur d’année sur l’histoire de leur Révolution, entachée par les accusations de trahison de part et d’autre et les assassinats ayant pour mobile la prise du pouvoir. L’œuvre écrite de Bennabi est ample ; dans cette production foisonnante, un seul paragraphe de quatre ou cinq lignes, selon le format du livre, a été consacré à Abane Ramdane (en même temps que Georges Habache) pour illustrer un raisonnement sur les processus révolutionnaires algérien et palestinien. Ce paragraphe se trouve dans son livre Le problème des idées dans la société musulmane paru pour la première fois en arabe au Caire en 1970. C’est à mon initiative et avec une préface de moi qu’il est sorti pour la première fois en langue française en 1991. Et il ne comporte pas le paragraphe où Bennabi parle de Abane Ramdane et de Georges Habache car j’ai pris sur moi, sans en référer à quiconque, de «censurer» ce passage. Pourquoi ? Parce j’estimais que des dirigeants de l’envergure de Abane et de Habache ne pouvaient être jugés aussi lapidairement et parce qu’il allait de soi à mes yeux que ce retrait ne nuirait aucunement à sa pensée.
    Ce que Bennabi a pu dire dans ses Mémoires ou ses inédits de Abane Ramdane, Larbi Tébessi, Ferhat Abbas, Moufdi Zakaria, Lamine Debaghine et beaucoup d’autres ne représente rien par rapport à la valeur et à la portée de son œuvre. Qu’il ait raison ou tort, que ses appréciations sur les hommes soient fondées
    ou non, confirmées ou infirmées, est une autre affaire.
    Il revient à l’Histoire de juger les uns et les autres à travers les témoignages, les investigations des historiens et les archives qui, tôt ou tard, s’ouvriront aux chercheurs. Le domaine de la pensée est une chose, les démêlés d’un auteur avec son environnement social et politique une autre. Bennabi en avait assurément avec les leaders du Mouvement national et plus tard avec les dirigeants de la Révolution mais ces divergences n’ajoutent ni ne retranchent rien à sa pensée et à son œuvre. Ce n’est pas ce que l’Histoire a retenu de lui, ce n’est pas ce qui l’a fait connaître dans le monde, ce n’est pas à ses opinions sur la révolution algérienne qu’il doit sa renommée et ce n’est pas pour son apport sur ce plan que des centaines d’écrits lui ont été consacrés et le seront encore à l’avenir. Larbi Tébessi a connu la prison et est mort en martyr de la Révolution ; Bachir El-Ibrahimi a été enfermé dans les geôles coloniales, mis en résidence surveillée et exilé ; Abane Ramdane a fui l’Algérie pour ne pas tomber entre les mains de l’ennemi mais a été finalement étranglé par celles de ses frères ; Ferhat Abbas a été incarcéré de multiples fois et réduit au silence par l’Algérie indépendante… Toutes ces grandes figures ont servi leur pays selon leur notion des choses, avec leurs moyens, leurs qualités et aussi leurs faiblesses. Humain, Bennabi ne pouvait être exempt de défauts et avait les siens mais ils étaient largement compensés par sa droiture et son génie.
    Bennabi n’a pas pris le fusil et n’a pas tiré un seul coup de feu contre l’ennemi. Abane non plus, pas plus que l’écrasante majorité de ceux qui ont dirigé la Révolution et le pays depuis l’indépendance. Lui a pris la plume du début à la fin de sa vie et pour la gloire de la pensée algérienne dont il est le représentant le plus connu dans le monde, qu’on le sache ou non, qu’on l’admette ou non. Je dis bien «pensée», et non littérature. L’indépendance a été acquise après sept ans de guerre mais trente ans après exactement une autre guerre s’ouvrait entre Algériens qui dura plus longtemps que la Révolution. C’est dire que ce à quoi s’est consacré Bennabi n’était pas moins valeureux ou crucial que l’acte révolutionnaire de libérer le pays. Pour mener un combat physique, armé, ayant pour finalité la libération du pays ou l’instauration d’un «Etat islamique», il y a toujours assez de monde. Mais des siècles et des millénaires peuvent s’écouler sans qu’un peuple mette au monde un seul penseur. Dans ses Carnets figure cette pensée dont il dit qu’elle était gravée dans le marbre au fronton du palais du vice-roi à Delhi : «La liberté ne descend pas vers un peuple ; un peuple doit s’élever jusqu’à la liberté.» C’est le contraire qu’on a cru en Algérie.
    Ce sont ces idées, cette pensée, cette œuvre qu’il fallait enseigner et propager pour éduquer les citoyens, les doter de représentations justes, leur faire prendre conscience des pré-requis d’une œuvre de civilisation et, en définitive, les immuniser contre le charlatanisme et le nihilisme. Pris par les tâches dites de construction nationale, happé par les idées soi-disant progressistes, l’Etat algérien a méprisé et dédaigné cette pensée. Conséquence : les idées fausses ont défait ce qui a été fait au titre de la libération du pays ou de la «construction nationale».
    N. B.


    Jeudi prochain : PENSÉE DE MALEK BENNABI
    «La lutte idéologique»

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