La ruée vers l’or
A LA UNE/ACTUALITE
19 Avril 2015
Trafic d’un genre nouveau dans le grand sud
La ruée vers l’or
Eldorado ouvert aux quatre vents et aux bandes de trafiquants d’or, le Grand-Sud n’est plus seulement propriété des sociétés minières et multinationales des métaux précieux. Dans la capitale du Hoggar, edhab, l’or, fait tourner les têtes et réveiller les vieux démons des chasseurs- cueilleurs de métaux précieux.
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Tamanrasset. Samedi 28 mars. Une ruée vers l’or qui ne dit pas tout à fait son nom. Dans la capitale du Hoggar, edhab, l’or, fait tourner les têtes et réveiller les vieux démons des chasseurs- cueilleurs (de métaux précieux). Rumeurs diffuses valant leur pesant... d’or et récits invraisemblables de découvertes prodigieuses meublent les palabres et fantasmes locaux.
Des grains d’or ramassés à tout bout de champ en proche périphérie de Tam : à Outoul, Tit, Adryan, jusqu’à ces filons présumés en (quasi) surface que les chercheurs déterrent au loin vers le nord, Moulay Sidi Lahcen, où au sud sur la route de Tinzaouatine ou In Guezzam : à Tirek, In Ouzal, à Tiberkatine, à Tiririne-Hanane. Eldorado ouvert aux quatre vents et aux bandes de trafiquants d’or, organisées et multiraciales (algériens, ghanéens, nigériens, tchadiens, soudanais…), le Grand Sud n’est plus seulement propriété des sociétés minières et multinationales des métaux précieux.
Il est 9 heures. Alors que le village de Tagroumbaith, 15 km au sud, pestait devant le ksar de la wilaya contre les eaux usées de la ville de Tam qui s’y déversent et empoisonnent sa population, à quelques mètres de là, devant le tribunal de Tam, les 4x4 de la gendarmerie livrent au parquet leur cargaison de chercheurs d’or surpris, détecteurs de métaux en main, à creuser des tranchées à la recherche du filon rêvé. Ils risquent de deux à cinq ans de prison.
Des arrestations et prises de ce genre se sont multipliées ces derniers mois, œuvre de l’armée et de la gendarmerie et se poursuivent. Tel ce coup de filet spectaculaire effectué ce mardi 31 mars à la frontière nigérienne : 54 personnes de diverses nationalités arrêtées et 26 détecteurs récupérés par un détachement de l’ANP.
Le nouvel Eldorado
Le sujet met résolument mal à l’aise les autorités sécuritaires et l’omerta étant presque de mise. Au groupement de la gendarmerie de Tam, on hésite à évoquer le sujet. «Seul le commandant du groupement, en déplacement à In Guezzam, est habilité de vous en parler», s’excuse un capitaine.
Dans les couloirs de la section de recherche, une dizaine de trafiquants d’or, menottes aux poignets, attendent leur tour pour passer à table. «Mais où avez-vous trouvé une usine d’or (mines d’Amessemessa, ndlr) déposer son bilan ?» s’interroge cet officier de la police dont la devise des singes, ‘‘rien vu, rien entendu et rien dit’’ faite sienne est synonyme de vie sauve. La ‘‘faillite’’ provoquée des mines d’Amessemessa-Tirek répond justement au désir de «ceux qui, grâce à l’or de Tamanrasset, on bâti des châteaux et construit leur fortune». Pour l’officier, le trafic d’or dans la région n’est pas qu’une affaire de jeunes désœuvrés. «C’est une grosse maffia.
Tout comme le trafic d’armes et de cocaïne. Une affaires de gros bonnets auxquels il ne faudrait surtout pas se frotter au risque de se retrouver découpé en pièces, jeté au fond d’une poubelle, ou largué dans le Sahara pour servir de nourrir aux corbeaux». Moussa Tita* se présente comme un «nouveau venu» dans le milieu des trafiquants d’or. «Croyez-moi, même des maâlmine, des patrons, ont changé d’activité (…) parce que ça rapporte gros.»
Certains auraient, selon lui, monté carrément leurs propres équipes, dotées de véhicules tout-terrain, des moyens et appareils de détection à plus de 70 millions l’unité. «Alors que dire des jeunes, des chômeurs (…) qui somnolent sur un trésor. Et j’en ai vus qui ont acheté devant moi leur Toyota grâce à l’argent de l’or.» Tita dit avoir accompagné des «cousins» à lui dans quelques-unes des équipées exploratoires dans le Sahara. Equipées souvent longues, éprouvantes et à haut cœfficient de risque. «La bouteille d’eau est échangée contre des grains d’or».
Le néo-chercheur d’or parle de bandes hyper organisées, armées, ayant une connaissance solide du terrain, des pistes et voies de passage des militaires et GGF et surtout jalouses de défendre leur territoire . «Quand vous dites à un ingénieur des mines qu’il y a de l’or (de l’oued) à Takalous, il vous dira : c’est où ça ?», preuve de leur méconnaissance du potentiel existant.
Takalous et les cartes au trésor
A 450 millions (de centimes) le kilo d’or au prix local, l’or extrait frauduleusement est revendu au Niger, et atteint parfois les 600 millions/kg. «Cet or là, moi je n’en ai pas vu la couleur», commente ce bijoutier à Tam, qui met tout sur le dos de ces «filières africaines» qui commercialisent leurs détecteurs de métaux made in China et vendent même des cartes minières du Grand sud, des cartes au trésor cédées à des prix astronomiques : 30 et 70 millions de centimes.
Une ruée vers l’or ? Naceri Ali, le directeur de l’énergie (et des mines) préfère tempérer les ardeurs. Le haut cadre parle lui d’un «phénomène maîtrisé», qui n’est plus aux «proportions d’il y a quelques mois», dit-il. Les services de sécurité ont, selon lui, pu contenir le phénomène qui touchait surtout les gisements frontaliers avec le Niger. Le DEM se montre sceptique quant à la réalité des découvertes. «On a entendu, comme vous, ces rumeurs, mais cela me paraît invraisemblable.
Des roches contenant un, voire même deux kilogrammes d’or, franchement ça me paraît trop gros pour être vrai.» La meilleure teneur d’or découverte jusque-là ne dépasse pas les 18 g/tonne. Notamment dans les gisements aurifères de Tirek ou de Tiririne-Hanane. Il en veut aussi pour preuve le fait que les gendarmes qui font régulièrement des arrestations saisissent les détecteurs de métaux, mais «jamais ils n’ont trouvé cet or dont tout le monde parle». Un bilan de la gendarmerie de Tam datant de décembre dernier faisait état de la récupération de 500 grammes d’or au cours de leurs opérations. Tout de même loin des lingots supposés.
«Si l’or pouvait être cueilli comme ça en plein air, je pense que les ouvriers de la sonarem seraient aujourd’hui tous milliardaires», fait mine de plaisanter le DEM. Ingénieurs des mines, du haut de leurs vingt ans d’expérience, Barmaki Abdelkader et Baîra Mohamed réitèrent le même scepticisme. «Si je me fie à ma conviction profonde, à mes connaissances scientifiques, dit-le premier, je vous répondrais que des quantités comme celles rapportées par la rumeur ne peuvent tout bonnement pas exister.»
La Sonarem (entreprise nationale d’exploitation des mines d’or), avec ses 700 employés, son expertise, ses cartes et explosifs n’a jamais dépassé le seuil de 85 kg/an. «Au Niger, il suffit de payer une taxe à l’Etat pour partir, librement, avec ses détecteurs de métaux rechercher de l’or dans le désert», rappelle le second. Baïra observe que les gisements aurifères algériens sont de type filonien. «Les gîtes alluvionnaires des rivières d’Afrique peuvent être exploités par orpaillage avec peu de moyens. Ce n’est pas le cas du filonien.» Et même sans ça : «Ce qui brille ne peut pas être toujours de l’or (…) car ça peut aussi être de la pyrite, du quartz, dont les propriétés sont proches avec l’or.»
De naguère route de l’or, du sel, la route qui traverse le Ténéré continue à l’être. L’or du nord Niger qui a fait les beaux jours de l’Empire du Ghana (à partir du VIIe siècle) et autres cités d’or et de sel, fait aujourd’hui la fortune des empires miniers. Sur son site internet, Concor, la multinationale canadienne (détentrice des quatre titres de propriété aurifères à Kiouene, Tirek Nord et des permis pour Tan Chaffao Ouest et Est, In Ouzzal Nord) loue le potentiel d’un de ses gisements — répartis sur plusieurs milliers d’hectares — : «La propriété du Nord Tirek, lit-on, sise sur une faille majeure, associée à de nombreux champs aurifères de surface ou très proches (…), offrent un potentiel exceptionnel pour une extraction à ciel ouvert».
Pour les mines d’Amessemessa-Tirek (achetées à 14 millions de dollars), l’australien Douglas Perkins, ancien P-dg de Gold Mining Algéria associé avec la Sonatrach avec 52% des actions dans l’ENOR avait longtemps tablé (ou fabulé) sur une capacité de production de 3 tonnes d’or par an. La première coulée de lingot s’est faite en 2008. Quelques centaines de kilos d’or produits, très loin des tonnes annoncées, la junior australienne introduite par Chakib Khelil est dissoute dans le scandale et les gros volumes de cyanure utilisé dans l’exploitation déchaînée. Grosse arnaque, en or et en devises trébuchantes, pollution de la nappe, GMA est liquidée.
Dernière entichée de l’or du Hoggar : Zakham Construction LTD, la multinationale libanaise, engagée déjà — du temps où Abdelmalek Sellal était ministre des ressources en eau — dans la construction des pipelines du Gazoduc Med et dans le méga projet de transfert d’eau : In Salah-Tam. Des pipelines d’approvisionnement en eau, à double tranchée sur une distance de 382 km réalisées en EPC avec Cosider et Erciyas. Ayant valeur de précieux carottages, ces deux grands chantiers ont visiblement convaincu la libanaise de se convertir à l’or de Tiririne-Hanane. Gold Algerian Lebanesse, la joint-venture algéro-libanaise d’affinage des métaux précieux, commence à peine à installer ses bases dans ce no man’s land qui n’en est décidément pas un.
Or et «cri du Sahara»
Maison de la culture, samedi 28. Timihar, littéralement réminiscence, troupe théâtrale de Tazrouk, sud de Tam, est à l’affiche à la maison de la Culture de Tamanrasset. Senoussi Karziq joue les premiers rôles dans Sarkhat Essahra (Le cri du Sahara), interprétée en Tamashaq, la langue touaregue. «Le thème est inspiré de l’actualité, de ce qui agite les profondeur du Sahara», résume l’intérpète.
La pièce déroule l’histoire de deux frères rentrant d’un long exil se disputant âprement la propriété du désert avant de se réconcilier sous les bonnes grâces de la sœur — rappelant Dassine, la mythique reine et poétesse targuie — et de l’Imzad, instrument monocorde, dont seules les femmes touarègues savent et peuvent en jouer.
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